J'ai pris pour titre le commentaire de Télérama sur ce film. Voici la critique de la revue :
"Depuis quand n’avait-on reçu de plein fouet un film d’une telle complexité, à la théâtralité exacerbée, au symbolisme de tous les instants ? Quel autre cinéaste septuagénaire serait-il capable de renouveler son art au point de signer une œuvre de cette ambition, semblant renouer avec les vieilles utopies passées, du temps où le cinéma était la « synthèse de tous les arts » — opéra, mélodrame, peinture et théâtre d’ombres ? Beaucoup des meilleurs films d’aujourd’hui sont, économie oblige, des œuvres d’apparence modeste, qui cèlent maîtrise et richesse au cœur de « petites musiques ». Vincere, de Marco Bellocchio, est un torrent, un monstre de fiction qui brasse tableau du fascisme, histoire du XXe siècle et réflexion sur la folie.
A l’origine, une histoire enfouie dans la mémoire collective d’une nation : celle d’Ida Dalser, maîtresse puis épouse d’un politicien ambitieux et arrogant, Benito Mussolini. Ils se croisent en 1907, à Trente. Se retrouvent sept ans plus tard à Milan. Il est socialiste, pacifiste, universaliste. Elle est saisie par sa posture d’enragé, son appétit de vaincre — le sens du verbe italien vincere. Elle finance son ascension — et ses revirements, puisque le voilà belliciste. « J’ai changé d’avis », dit-il simplement. Elle porte son enfant. Et lui, au fil de sa prise de pouvoir, l’abandonne, puis la cloître.
La première partie est un tourbillon : on suit une femme (jouée avec douceur et passion par Giovanna Mezzogiorno, qui porte littéralement le film) lancée à la poursuite d’un homme en perpétuel combat. Chaque meeting est une empoignade, chaque étreinte arrachée un moment d’amour fou. Filippo Timi, qui joue Mussolini jeune (et, plus tard, son fils caché), donne à son personnage une bestialité furieuse, œil exorbité, tout de fureur et d’ambition. Et Marco Bellocchio saisit ce ballet amoureux contrarié par fragments saisissants : les folies du siècle naissant, la ronde des « ismes » — populisme, futurisme, « dannunzisme ». Vincere regorge d’audaces plastiques (surimpressions diverses, images composites) et sonores (une musique wagnérienne de Carlo Crivelli, l’une des plus belles compositions pour le cinéma entendues depuis longtemps), dignes des avant-gardes de ces années-là.
Quand Mussolini échappe définitivement à sa poursuivante, le récit — ou du moins le rythme — s’apaise. Ida est internée, brutalisée. A l’exaltation succède la souffrance d’une femme, séparée de son enfant, privée de liberté. Elle passe d’asile en asile, et, comme elle, le spectateur ne voit plus le Duce qu’à travers des images d’actualité — la figure marmoréenne du dictateur s’est substituée au visage de l’acteur.
Le cinéma est le fil rouge du film, il est à la fois l’instrument du récit et de sa mise à distance. On projette une Passion muette dans l’hôpital où Mussolini, blessé au front, est soigné, on se bagarre entre factions rivales dans un cinéma muet montrant des actualités. Plus tard, c’est en voyant Le Kid, de Chaplin, qu’Ida se laisse aller à son chagrin.
Vincere est avant tout affaire de visages. Il y a ces portraits de femmes aliénées, éplorées, qui surgissent étrangement au détour d’une scène — et Bellocchio qui fut, dans les années 70, partisan de l’antipsychiatrie y concentre toute la souffrance du monde. Il y a celui de Benito Mussolini : une séquence d’époque nous le montre en plein discours impérialiste et combatif, et c’est le visage d’un fou ou d’un pantin, la bouche se relève dans une moue puérile, la grimace serait risible si elle ne scellait le sort de millions d’Italiens. Il y a en contrepoint le regard clair d’Ida — et de l’actrice magnétique qui l’incarne. On y lit, au-delà de la douleur, le refus du compromis, l’obstination à faire triompher la raison. Marco Bellocchio cadre de près ces yeux simplement ouverts et en fait une allégorie de la justice bafouée, de l’individu écrasé par le totalitarisme. C’est bouleversant."
Faut-il croire la revue Télérama, et est-ce effectivement ou nom un bon film du point de vue de l'historien ? Etes-vous allés voir ce film ?
_________________ "L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)
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