J'ai vu ce film et j'ai été absolument captivé. Comme le souligne le postant ci dessus, le personnage de Lincoln est idéalisé et revu et corrigé de façon à le présenter comme un progressiste et abolitionniste convaincu, ce qu'il n'était pas.
Ce qui est plus intéressant que cette tentative de faire de Lincoln un "liberal" moderne (au sens américain et non européen du terme) est que ce film nous fait toucher du doigt la grande difficulté de la tâche du président, ou plutôt de ses tâches, puisque AL a du jongler avec une multitude de responsabilités et d'obstacles, tout en visant un objectif absolument impératif, faire passer le 13ème amendement. Donc il a du en même temps faire la guerre, être le généralissime des armées de l'Union, donc en charge de toutes les décisions stratégiques, gérer les Républicains conservateurs qui voulaient une paix rapide avec le Sud de préférence sans passer le 13ème amendement, lanterner et mener en bateau le gouvernement Confédéré, qui voulait aussi faire la paix, mais à condition d'avoir le droit d'abolir localement les dispositions fédérales relatives à l'esclavage, et donc voulait rencontrer des émissaires de Washington, amadouer les Républicains radicaux menés par Thadeus Stevens, qui voulaient aller beaucoup plus loin que le 13ème amendement, et donc risquaient de faire capoter le passage de cet amendement au Congrès par leur maximalisme, et qui menaçaient de plus de refuser leur soutien si on négociait avec le Sud, etc. La tâche de Lincoln était de surfer sur toutes ces exigences contradictoires et inconciliables, ce qu'il a réussi à faire, ayant réussi à convaincre ces différents groupes de renoncer à certaines de leurs exigences. Et surtout, il a réussi à emporter le morceau en achetant les votes de Démocrates non alignés et/ou non sudistes nécessaires pour faire voter l'amendement---littéralement un à un. Non pas avec de l'argent, comme certains de ses agents électoraux le lui conseillaient mais plus discrètement, avec des positions et des emplois. Il y a en particulier un personnage génial d'agent électoral nommé Bilbo, joué par James Spader, tirant constamment sur son cigare, le teint rougi par les libations alcoolisées, discutant sans fin avec d'autres agents dans des salles enfumées de qui est achetable et qui ne l'est pas, quel est le point faible sur lequel il faut jouer pour faire basculer tel ou tel Représentant, qui ne se décourage jamais et revient à la charge comme une tique jusqu'à ce qu'il ait fait céder son homme, utilisant selon les cas les promesses, la flatterie, l'intimidation pour arriver à ses fins. Vraiment délectable. La leçon suggérée par Spielberg étant que la démocratie peut parfois obtenir de grandes choses, opérer de grands progrès par des moyens assez mesquins et malpropres. On ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs, en quelque sorte, et c'est une attitude assez américaine: c'est sur les résultats qu'on est jugé. En effet, la guerre de Sécession est peu présente, sauf au début où Lincoln rend visite aux troupes de l'Union. Il y a une séquence émouvante ou de jeunes soldats blancs lui récitent le début de son discours célèbre nommé le "Gettysburg Address". Puis de jeunes soldats noirs s'approchent de lui et prennent le relais, continuant à réciter les phrases célèbres de ce discours, sans une erreur, dans un anglais parfait, avec une prononciation parfaite digne d'un wasp de Boston. Rien ne saurait mieux illustrer la notion d'égalité d'intelligence et de courage entre noirs et blancs que cette séquence. Vraiment, un film à voir, intelligent et émouvant--à moins que l'on ne considère que le cinéma, ça se résume à "chase, shoot, and fight" : des coups de feu, des poursuites et des bagarres.
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