Bonjour Tibère et tout d'abord merci pour votre soutien.
Pour répondre à votre question, je dois en premier lieu vous avouer que les sources concernant Gérard de Ridefort sont minces. Toutefois, nous pouvons apporter quelques précisions sur sa vie passée.
Nous savons que Ridefort est né vers 1141 en Flandre. Fils puîné d'une famille de moyenne noblesse de la région. Comme bien souvent pour les cadets, il décida de partir en Terre sainte afin d'y chercher fortune et gloire. Il devient rapidement un proche de Raymond III de Tripoli avant de devenir l'ennemi mortel de ce dernier. En effet, comme je le disais précédemment, le royaume hiérosolymitain ne pouvait être indéfiniment divisé par partage des terres suivant les coutumes féodales compte tenu de la faiblesse de ses dimensions géographiques. De ce fait, il fut institué des "fiefs en besants", c'est-à-dire des rentes en attendant que se libèrent par le fait de décès, successions ou mariages, des seigneuries. Dans le cas de Ridefort, Raymond III lui avait promis un riche mariage avec l'héritière de la seigneurie de Botron (une des plus importantes de Galilée et dont Raymond était le suzerain), Lucie. Toutefois, l'appât du gain fit que Raymond changea finalement d'avis et fit convoler la belle dans les bras d'un riche marchand pisan. Ridefort devait alors tout faire pour contrecarrer les plans de Raymond III. Ambitieux et subtil manoeuvrier de la cour, Ridefort parvient à rentrer dans les bonnes grâces de Gui de Lusignan, alors possible héritier de Baudouin IV du fait de sa femme, dont il devient un intime. Rentré dans l'Ordre, il en devient le sénéchal en 1183. A la mort d'Arnaud de Torroge, il fallu procéder à une nouvelle élection. Les électeurs (on décidait du choix d'un maître par la voix de treize grands électeurs au sein de la "Maison chêvetaine") semblent avoir longuement hésité entre Ridefort et Gilbert Erail, grand commandeur de Jérusalem et trésorier du Temple. Dommage que ce dernier ne fut finalement pas élu car il possédait des qualités de prévoyance, de modération et de clairvoyance. En somme, tout le contraire de Ridefort qui passait pour être dénué de toute capacité militaire et étant resté le jeune aventurier qui l'avait conduit à venir en Terre sainte, il semblait mû d'une volonté de survivre à tous les désastres qu'il provoqua. Quoi qu'il en soit, Ridefort fut élu à la charge suprême en 1184, à l'étonnement de la plupart des barons séculiers du royaume (qui n'avaient pas voix au chapitre concernant les élections templières). Lorsque meurt Baudouinet, sans doute le 16 mars 1185, deux factions s'opposent au sein de la cour de Jérusalem (si l'on retire les prétentions des deux soeurs du défunt roi : Sybille et Isabelle) : Gui et Raymond III. Le premier assiste aux funérailles de Baudouin IV alors que Raymond commet l'erreur qui lui enlèvera toute chance de reprendre le trône : il s'absente momentanément (suite aux traîtres manigances de Ridefort...). Gui était soutenu par Ridefort, le patriarche Héraclius et Renaud de Châtillon (ce dernier avait compris combien Gui était aisément manipulable). Raymond était quant à lui soutenu par la plupart des barons du royaume et notamment la puissante famille d'Ibelin (cf. Kingdom of Heaven...). Les détails de ce couronnement sont pour le moins étonnant. En effet, pour parfaire la cérémonie, il fallait avoir accès au trésor où la couronne royale était déposée sous trois serrures distinctes. Si Gui disposait des deux premières clés par l'entremède d'Héraclius et Ridefort, la troisième était aux mains de Roger des Moulins, le Maître des Hospitaliers. Refusant de donner le précieux sésame sous la contrainte et dans des conditions franchement discutables, il finit (sous la menace) par jeter les clefs par la fenêtre aux assaillants... Lors du sacre, Ridefort aurait déclaré : " Cette couronne vaut bien le mariage de Botron"... Pour en revenir au Maître des Templiers, ce dernier pris une part importante, le 1er mai 1187, à la chevauchée de la Fontaine de Cresson. Bataille qui met en exergue son manque de mesure et de clairvoyance (doux euphémisme pour stigmatiser sa royale incompétence...) : En effet, Saladin comptait entreprendre une attaque en Palestine afin de venger l'attaque de caravanes égyptiennes pillées par les Francs en pleine trêve. Le maréchal du Temple, Jacques de Mailly, se trouvait au casal de Kanoun avec environ 90 chevaliers du couvent ; Ridefort lui demanda de venir le rejoindre au château de La Fève. Le lendemain à l'aube, les deux maîtres avec environ 130 chevaliers s'avancèrent jusqu'à la Fontaine de Cresson. Il y avait là 7000 mameluks abreuvant leurs chevaux au bercail. Ridefort souhaitait charger les infidèle aveuglément mais Des Moulins et Mailly lui aurait suggéré la retraite comte tenu de l'extrême infériorité des forces croisées. Ridefort se tourna alors vers Mailly et lui tînt ses paroles : "Vous parlez comme un homme qui voudrait fuir ; trop aimez vous cette tête blonde que si bien vous la voudrez garder" et Mailly de lui répondre : "Je mourrai face à l'ennemi comme un homme de bien. C'est vous qui tournerez bride comme un traître" (extrait de la chronique d'Ernoul et de Bernard Le Trésorier, écuyer de Balian d'Ibelin et continuateur de l'oeuvre de Guillaume de Tyr). Paroles au combien prémonitoires. Au final, trois templiers échappèrent au massacre dont Ridefort... (mais pas Mailly). Suite à cela, il fut décidé de rassembler l'ost royal par le biais d'une convocation du ban et de l'arrière ban afin mener toute la chevalerie contre le sultan ayyoubide. Ridefort décida de verser à Gui le trésor déposé à la banque du Temple par Henri II Plantagenêt et destiné à lancer une croisade anglaise. Encore une décision contestable... Tous les seigneurs de la Terre sainte se rassemblèrent au point de rendez-vous habituel des armées croisées préparant une campagne : la fontaine de Séphorie (à ne pas confondre avec celle de Cresson vue précédemment). C'est sans doute là, dans l'élaboration de ce que fut le désastre des Cornes de Hattin, que Ridefort fit preuve de la pire composition qui soit. Essayons de nous remémorer précisément les événements : Se trouvait là notamment le jeune Onfroi de Toron, mari de la petite Isabelle, Balian d'Ibelin, Renaud de Châtillon, Raymond III affublé de ses beaux-fils, Hugues Odon, Guillaume et Raoul. Sans compter les Hospitaliers et Templiers. A peine tout ce beau monde fut-il rassemblé que l'on apprit le siège de la forteresse de Tibériade par Saladin en personne. Dans un conseil de guerre convoqué sous la tente royale, Hugues de Tibériade, sous le coup de l'émotion filiale, invoqua la nécessité de porter secours à sa mère, Echive, dont la citadelle était désormais en grave danger (suite au mariage de Raymond III avec l'héritière de la seigneurie de Galilée, Echive, qui avait quatre enfants d'une précédente union). Homme sage, Raymond III prit alors la parole : "Tibériade est à moi, ainsi que ma femme et mes biens, et nul ne perdrait autant que moi si elle est perdue. Et s'ils prennent ma femme et mes hommes et mon bien, et s'ils abattent ma cité, je les recouvrerai quand je pourrai, et je rebâtirai ma cité, car j'aime mieux que Tibériade soit abattue plutôt que voir toute la Terre Sainte perdue". Les barons et le roi Gui se laissèrent toucher par cet homme qui faisait passer son devoir d'homme lige avant celui de mari. Seul Ridefort demeurait réfractaire : "Je vois le poil du loup". Le conseil adopta finalement le point de vue de Raymond et se décida à attendre l'attaque de Saladin à proximité des eaux de Séphorie. Mais à minuit, alors que Gui se trouvait seul dans la tente royal, Ridefort retourna le roi contre l'avis de son premier vassal : "Sire, croyez-vous ce traître qui tel conseil vous a donné ? C'est pour vous honnir qu'il vous l'a donné. Car grande honte aurez-vous et grands reproches si vous laissez à six lieues (environ 24 km) près de vous prendre une cité (...) ". Comme d'habitude, Gui eu la faiblesse d'entendre ses arguments et donna ordre de plier bagage au milieu de la nuit. Voila comment les Cornes de Hattin et la défaite cinglante qui s'en suivit, vit-elle jour...Hattin n'étant pas mon propos, je ne m'épancherai pas sur son déroulement. En revanche, il convient de noter que Ridefort fut, encore une fois, épargné à l'inverse de ses collègues templiers qui furent livrés aux derviches et autres ulémas. Suite à cette défaite, Saladin prend la majeure partie de ce que constituait le royaume hiérosolymitain. Et, à la veille de la Troisième croisade, il ne reste des trois états latins (Edesse n'existant plus depuis 1144) que quelques villes et forteresses chèrement défendues. C'est dans ce contexte et alors qu'arrive de nouveaux croisés en provenance d'Occident sous l'impulsion de Conrad de Montferrat (quelques mois avant l'arrivée de Richard et Philippe) que se joue le sort d'Acre, encerclée par les croisés jusqu'à ce que Saladin, avec une armée de renfort, l'encercle à son tour. Les Templiers appuient cette défense et les combats demeurent longtemps indécis. Toutefois, Ridefort et ses troupes parviennent à contenir puis repousser Saladin. Ridefort trouve la mort au pied du Mont Toron, dans la plaine devant les murs de la cité, le 1er ou 4 octobre 1189 (selon les sources). Certains pensent qu'il se serait jeté dans la mêlée, allant à une mort certaine, (même si toute mort est certaine...) en rémission de ses pêchés.
Espérant vous avoir répondu pour le mieux.
Bien à vous.
_________________ Mieux vaut une tête bien faite plutôt qu'une tête trop pleine...
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