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Message Publié : 01 Juil 2010 22:24 
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Dysenterie et armées : un fléau séculaire
par
Xavier Riaud & Sergio Yactayo

Définition hippocratique
Une des premières descriptions de la dysenterie bacillaire remonte à Hippocrate (460-357 av. J-C.), médecin grec qui appartenait à une longue lignée de médecins se transmettant leur savoir de père en fils. Pour Hippocrate, les vents produits par les résidus de nourriture étaient la cause fondamentale des maladies. Toujours pour lui, les maladies avaient une cause unique liée à l’air. C'est cette théorie hippocratique qui est redevenue d'actualité au XIXème siècle et a eu une longue influence sur la santé publique de l'époque. Dans ses aphorismes, Hippocrate résume la dysenterie en donnant une description clinique ainsi qu'un pronostic en fonction de certains signes de gravité comme suit :
"Les dysenteries, quand elles sont accompagnées de fièvre, des évacuations alvines de caractère mixte ou d'une inflammation du foie, de l'hypochondre, ou de l'estomac, tels que la douleur, avec une rétention des aliments et soif, alors leur évolution est mauvaise; plus les symptômes sont nombreux et plus le danger s'accroît. La fièvre est le symptôme d'espoir de récupération. Les enfants âgés de 5-10 ans sont les plus vulnérables et meurent le plus fréquemment. Tels dysenteries qui se présentant avec du sang des intestins peuvent avoir une évolution bénéfique et cesser vers le 7 ème, 14 ème , 20 ème ou 30 ème jour. Dans tels cas même la femme enceinte peut récupérer et ne pas subir un avortement. Tous les cas qui se présentent de façon continue et prolongée sont considérés mauvais, ainsi que ceux dont les déjections se présentent jour et nuit avec des selles noires, molles et fétides...... La maladie est plus redoutable chez les personnes âgées que chez les personnes d'âge moyen. Les indicateurs de rétablissement dans les stades aigus sont le retour de l'urine, l'amélioration de l'atrophie du corps ainsi que le changement de la couleur de la peau" (Felsen, 1945)
Dans celui-ci, il s'agit d'une description très précise des cas clinique de dysenterie avec les signes essentiels pour la différencier des autres types de diarrhée non sanglante. La présence de sang dans les selles est très clairement mentionnée, ainsi que l'apparition de fièvre, un signe fondamental qui la différencie d'autres diarrhées non envahissantes de la muqueuse colique. La mention du terme « dysenteries » au pluriel a été probablement faite pour signaler plusieurs formes de présentation de la maladie, vraisemblablement en fonction de leur agressivité et de leur pronostic. Le pronostic des dysenteries chez les groupes à risque, tels que les enfants, les personnes âgées ainsi que les femmes enceintes, est clairement mentionné et est valable encore de nos jours. Malheureusement, dans cette description de la dysenterie, il n’est pas fait mention de la maladie en tant qu’épidémie. Il s'agit d’observations de cas cliniques isolés. Cependant, la description clinique qu’Hippocrate en fait est celle très précise, de différents types de dysenterie bacillaire.
Le médecin grec mentionne aussi que: « si un malade de dysenterie élimine des substances qui ressemblent à de la chair, provenant des intestins, celui-ci doit être considéré comme de pronostic mortel » . Sans doute, signale-t-il les complications où la perte de plages de muqueuse colique associée à une entérite nécrosante a été constatée. Il mentionne également les formes de diarrhée qui évoluent vers une forme chronique de la maladie, particulièrement dans le cas où les malades refusent de manger, ayant un mauvais pronostic vital. En effet, une bonne partie des cas de dysenterie peuvent évoluer vers une forme chronique qui conduit à un état d'émaciation et de dénutrition sévère. Finalement, le malade meurt non pas à cause de la dysenterie, mais plutôt de la dénutrition et de ses conséquences sur l'immunité cellulaire, et de leur protection contre d'autres infections (Felsen, 1945).
C'est aussi Hippocrate qui recommande de faire bouillir l'eau pour « filtrer » les impuretés. Ses conseils étaient destinés surtout à ôter toutes les impuretés perceptibles à la vue, l'odorat ou au goût.
Malgré tout, cela a constitué indéniablement une démarche de santé publique d'intérêt majeur, celle-ci permettant de pouvoir éviter la transmission de maladies diarrhéiques et d’éviter leur dissémination, (Yactayo, 2007).

Guerre du Péloponnèse (431-404 av. J-C.)
L'historien Thucydide (Vème siècle av. J-C.), connu surtout, pour son récit sur la peste d'Athènes, raconte aussi une guerre qu'il avait vécu, une guerre qui a duré plusieurs années, la guerre du Péloponnèse (431 à 404 ans av. J-C.). Ce conflit a opposé les deux grandes cités grecques : Sparte qui dirigeait la confédération péloponnésienne et Athènes. La vie de Thucydide est complètement mêlée à cette guerre. Il y participe en tant qu'observateur, voyage et enquête sur les deux camps adverses. Il rapporte des faits qu'il a pu observer ou sur lesquels il a pu investiguer auprès de témoins directs. Thucydide est un contemporain d'Hippocrate et il a su faire une description objective des symptômes et du diagnostic des maladies, le tout en les situant dans le contexte de ce qui était alors connu, sans faire intervenir aucune conception morale ou religieuse. Sa description est précise:
La maladie s'était fixée à l'estomac, des décharges de bile se produisent, appelée par les médecins : ensued.... maladie accompagnée de spasmes violents. Le corps était un peu chaud.... il y avait quelques pustules qui sortaient de la peau. Les malades avaient soif... dans la plupart des cas il mouraient dans les 7 à 8 jours d'une inflammation interne. Quand ils survivent et que la maladie est passée aux intestins avec des ulcérations accompagnées d'une diarrhée sévère, ils commencent à s'affaiblir et meurent.... Dans certains cas quand la maladie n'est pas mortelle, elle laisse ses marques dans les extrémités et les prive de ses doigts et ses orteils.
La maladie commence donc par une diarrhée avec des coliques abdominales sévères. Il semble y avoir une fièvre avec des signes de déshydratation évidente, comme le témoigne la soif. La maladie était souvent mortelle, probablement à cause d'un tableau abdominal aigu vu dans des cas graves lors d'une perforation colique, ici assimilée à une inflammation interne.
Ces malades meurent aussi à cause d'une faiblesse, d'une dénutrition, ce qui arrive quand la chronicité s’installe et dure des semaines, car la diarrhée fait perdre du poids que le sujet ne récupère pas.
La nécrose décrite des extrémités et des orteils, bien que rare, peut être un de signes extra intestinaux de la dysenterie, en réalité peu connu. Elle est provoquée par un type de dysenterie très agressive probablement liée à l’action vasculaire de la toxine.

Invasion de la Grèce par les armées de Xerxès (480 av. J-C.)
Hérodote (484-425 av. J-C.), un des premiers historiens grecs, mais aussi du monde occidental, et un grand voyageur sur plusieurs continents. Ces voyages et ces expériences le préparent à écrire une grande œuvre comportant neuf livres remplis d'anecdotes et de rites sur la façon de vivre des différents peuples. Il essaie d’apprécier comment l'empire Perse s’est étendu et le pourquoi des guerres médiques. A chaque fois que les Perses ont attaqué un nouveau peuple, l’écrivain a regroupé tout ce qu'il a appris sur ce peuple, son histoire passée, ses rites, leur façon de vivre et la nature de leur contrée.
Hérodote montre dans son œuvre comment les « Dieux aiment rabaisser l'orgueil des gens et des peuples » et mentionne notamment dans son livre VII, comment a été l'invasion de la Grèce par les Perses (480 ans av. J-C.). Selon lui, l'orgueilleux Xerxès a été puni par les Dieux, lors de cette bataille, car une épidémie de dysenterie a provoqué la défaite des Grecs face à une armée perse moins nombreuse. La dysenterie a fait des ravages dans son armée, le contraignant à en laisser une bonne partie malade dans différentes villes : Thessaly, Siris, Paeonie et Macédonie. Il y retournait de temps en temps pour voir l’évolution des malades et les nourrir. S’il n'y a pas de description clinique bien précise de cette épidémie, il la nomme bien la pathologie comme étant une diarrhée épidémique. Mais, selon toute vraisemblance, il s'agissait de cas de diarrhée sanglante ayant tourné en épidémie et ayant provoqué la défaite de toute l'armée grecque. C'est une des premières fois qu’il est question d’une épidémie de diarrhée sanglante (Yactayo, 2007).

Visions fondamentales de Galien (131-~201) et Sydenham (1624-1689)
Le célèbre médecin grec Claude Galien (131-~201) a été, après Hippocrate, l’un de plus grand médecins de l'antiquité. Il a été l’un de plus grands diffuseurs des théories hippocratiques dans le monde occidental. Galien accepte ces théories médicales et module certaines d'entre elles, de sorte que la plupart de ces théories hippocratiques restent actuelles jusqu'au XVIIème siècle.
Galien était profondément déiste et en bon rapport avec l'Église, ce qui explique que son enseignement est resté incontesté jusqu'à la Renaissance (XVème-XVIème siècle). S'opposer à ses dogmes signifiait s'opposer à l'Église. Pourtant, il a commis souvent l'erreur de faire des inférences de l'animal à l'homme, ceci probablement à cause de ses travaux sur les dissections animales. Appuyée sur la tradition hippocratique, cette médecine répudie le magique et le religieux, et s’affiche résolument rationnelle.
Ce n’est qu'au XVIIème siècle que Thomas Sydenham (1624-1689) a décrit et surtout a traité les cas de dysenterie un peu différemment de ce qui avait été fait dans le passé. Sydenham, plus connu par le surnom d'Hippocrate de l'Angleterre, a lutté toute sa vie contre la mode ou le système, qui en médecine, éloigne la clinique, de l'observation et de l'expérience. Ainsi, met-il au point en 1669, une préparation à base d'opium, le fameux laudanum de Sydenham, employé pour soigner différentes maladies dont les diarrhées et la dysenterie bacillaire, compte tenu de ses effets antispasmodiques et antidiarrhéiques. En outre, il a préféré plutôt la diète à la saignée à laquelle était habituée la plupart des médecins, ce qui a constitué une véritable révolution dans un univers médical assez schlérosés.
De plus, la description que Sydenham fait des cas de dysenterie est un peu particulière, car il se réfère surtout à des cas ou même la diarrhée sanglante a été absente. Il décrit aussi des cas pouvant présenter une hémorragie massive des intestins, accompagnée d'une grande toxémie. Il explique tous ces signes et symptômes, faute de pouvoir éliminer la « toxine » du corps. Certains cas sont décrits en signalant plutôt des complications extra intestinales de la maladie, rencontrées dans les cas de dysenterie (Felsen, 1945).
Il les décrit ainsi : « Ce type de malades avaient eu un coup de froid, un refroidissement », pour signaler probablement l'une des complications telle que la pneumonie. Il stipule surtout que cette manifestation clinique pouvait précéder les manifestations intestinales. Sydenham, lors d'une étude sur les fièvres à Londres, a décrit la dysenterie comme une des six causes de fièvres les plus fréquentes. Parmi les autres causes de fièvre, il y avait la peste, la variole ou des fièvres comme la grippe. Ainsi, l'introduction par Thomas Sydenham de l'histoire naturelle de la maladie à travers les signes et symptômes permet de différencier les maladies entre elles. Son observation sur les fièvres doit être considérée comme une des plus riches études rassemblant la clinique et l'épidémiologie recensée en situation réelle. Il lui permet notamment de faire l’analyse correctement entre tous les diagnostics différentiels possibles de fièvres courantes (Newman, 1924).
En réalité, il n'existe que peu de données sur l'histoire ancienne de la dysenterie bacillaire, mais elle a été souvent associée à différentes guerres. Elle a été décrite en relation à des facteurs sanitaires et des moyens d’hygiène précaires, liée en général à de grandes concentrations de personnes comme cela a été le cas autour des campagnes militaires ou lors de grands combats.
L’insuffisance en eau et en latrines a sans doute été des facteurs de manque d’hygiène ayant contribué à la dissémination de cette maladie très contagieuse. Car, en réalité, la dysenterie pour se disséminer d’une personne à l’autre n'a besoin que d'un petit nombre de bactéries.
A cette époque, les populations concernées voyaient les épidémies, ou la peste, comme une malédiction divine ou encore comme une conséquence du mauvais air, ou d'une mauvaise conjonction des étoiles et des planètes. Sydenham a inventé un laudanum, une préparation à base d'opium dont il se servait pour ses crises de goutte et qui a été employée pendant longtemps pour le traitement de la diarrhée, probablement à cause de son action de ralentisseur du transit intestinal, et aussi pour son action sur la douleur abdominale (Felsen, 1945).

Considérations militaires
Par le passé, dans les armées, la dysenterie bacillaire a toujours été considérée comme un problème sanitaire important. Il en a été de même pour d'autres maladies comme le typhus, le choléra, la peste bubonique, l'influenza, le paludisme, la variole et la fièvre typhoïde. Bien que la mortalité liée à la dysenterie ne soit pas très élevée directement, elle le devient indirectement lorsqu’elle devient chronique et contribue à la dénutrition du malade. De plus, elle immobilise beaucoup de soldats à cause de sa haute morbidité, les rendant incapables de continuer le combat à cause de l’inconfort des symptômes présentés. Plusieurs de ces problèmes sanitaires continuent à inquiéter les armées contemporaines, car la plupart de ces maladies peuvent être employées comme armes biologiques sur les champs de bataille, l’objectif n’étant pas de tuer l'individu, mais de l'immobiliser et de le rendre inapte au combat.
Ainsi, plusieurs maladies épidémiques, dont la dysenterie bacillaire, ont été citées dans quelques grandes campagnes militaires entre le XVème et le XXème siècle, en voici quelques unes qui ont marqué certains périodes de l’histoire (Riaud, 2007).

Campagne de Russie de 1812
Lors de la campagne militaire de Napoléon en Russie, en 1812, le rude hiver russe, aggravé probablement aussi à des problèmes logistiques d’approvisionnement, a été en grande partie la cause de cette défaite et de la grande mortalité des soldats.
Cependant, des maladies tels que le typhus, la dysenterie et bien d'autres, sont responsables de plus de 16% des décès dans la Grande armée qui comptait au début prés de 500 000 soldats. Pendant leur avancée vers Moscou, beaucoup de soldats sont tombés malades de la dysenterie ou du typhus. Il est fort probable que de mauvaises conditions sanitaires et des problèmes d'eau ont contribué à l'apparition de ces pathologies. Ainsi, des facteurs externes aux tactiques militaires ont eu un poids décisif dans la défaite de l’Empereur (Felsen, 1945). Le médecin de la Grande Armée De Kerckhove (1836) préconisait dans les cas de diarrhées, une diète sévère et la prise de farineux, œufs et de bouillons de riz, ce qui faisait céder la maladie en une semaine environ, mais les récidives étaient fréquentes. En cas de dysenterie chronique, il utilisait dans un premier période de 3-4 jours de maladie, un vomitif employé comme révulsif, associé à des bains chauds ou des infusions en cas de température. Dans une seconde période où la maladie est bien installée, il recommandait une diète absolue, avec ou sans saignée, avec pour seul aliment, une décoction de riz, de sagou, d’orge, de salep. Il conseillait aussi la prise de bains tièdes, l’application de vésicatoires, la prise de laudanum et d’infusions. Dans la troisième période, « la plus heureuse », De Kerckhove (1836) pensait déjà que le malade devait être réalimenté avec précautions, sans brusquerie et très progressivement.

Guerre de Sécession (1861-1865)
Pendant la Guerre de Sécession aux Etats-Unis (1861-1865), près de la moitié de maladies dont ont souffert les soldats, étaient des maladies intestinales, tels que la fièvre typhoïde, la diarrhée et la dysenterie. La plupart d’entre elles ont été liées aux conditions déplorables de vie ainsi qu’aux mauvaises conditions de conservation des aliments et de l'eau (Wilbur, 1998).
Pendant ce conflit, le nombre des morts à cause de diarrhées chroniques s’élève à 27 558 soldats fédéraux. 16185 malades ont été réformés par certificats médicaux dans l’armée de l’Union de 1861 à 1866. 701 (75) hommes noirs pour 1000 ont été atteints de diarrhée aigue (chronique), pour 533 (79) hommes blancs. La dysenterie semble avoir été encore plus importante chez les troupes de soldats confédérés qui avaient en général 5 à 6 maladies par an, dont la dysenterie et la diarrhée chronique qui étaient les plus fréquentes (Bollet, 2002). Pendant cette guerre, la dysenterie a été considérée comme la deuxième cause de mort après la fièvre typhoïde (27056 morts). 1 528 098 soldats de l’Armée de l’Union ont présentés une diarrhée aigue ou une dysenterie, soit 3 morts pour 1 000 pour une diarrhée aigue et 17 pour mille pour une dysenterie, soit 162 morts pour 1 000 pour une diarrhée chronique et 126 pour 1 000 pour une dysenterie chronique. Cette pathologie était étroitement liée à des symptômes scorbutiques. Quand l’alimentation redevenait abondante, en particulier les légumes et les fruits, l’état de santé de l’armée entière s’améliorait (Bollet, 2002).
Lors de certaines guerres, il y a eu plus des soldats morts dû à des maladies telle que la dysenterie, que de morts au combat. C'est le cas par exemple lors de la guerre mexicaine, ou le rapport mort par maladie et mort au combat fut de 7 pour 1 (Felsen, 1945). La maladie tuait plus de soldats que les balles (11% de morts par maladie). La Guerre de Crimée (1853-1856) a ainsi vu un taux de mortalité de 23,2 % par maladie.

Première Guerre mondiale (1914-1918)
Pendant la Première Guerre mondiale, dans les tranchées, les conditions de vie ont été telles que les soldats vivaient continuellement avec leurs excréments et dans des conditions sanitaires épouvantables. L'approvisionnement en eau se faisait à l'aide de bouteilles, mais la quantité de cette eau était tellement insuffisante, que les soldats se la procuraient où ils pouvaient. Cette eau était souvent d'origine douteuse et il y avait encore moins d’eau pour se laver ou se raser (Delaporte, 2003).
Bien sûr, il a été impossible de faire des études bactériologiques systématiques des cas de diarrhée sanglante. Ainsi, de nombreux cas n’ont-ils pas été rapportés. L'armée allemande à elle seule a recensé plus de 155 000 cas de dysenterie, soit un taux de mortalité de 12%. Si le rapport du nombre d’hommes tués par les armes à feu est établi avec celui des tués par dysenterie dans cette situation, le résultat est de 10 pour 1, ce qui n’est pas négligeable (Œuvre collective, 1918).
En général, des cas de dysenterie ont été rapportés non seulement lors de manœuvres militaires, lors de guerres, mais aussi lors de grands rassemblements de populations, lors de déplacements de masses et quand les conditions d'hygiène étaient difficiles, et déplorables. Dans ces conditions, les facteurs de risques nécessaires pour développer une épidémie de dysenterie sont multipliés. Dans ces conditions, l’indice de transmission de personne à personne est maximal. L’élément clé est donc la promiscuité des individus (Felsen, 1945).

Seconde Guerre mondiale (1939-1945)
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la dysenterie est omniprésente dans les camps de concentration pour les déportés et sur le front de l’est, à Stalingrad, pour l’armée allemande qui y est décimée (1943), les conditions climatiques et la pénurie alimentaire y étant les mêmes.
« L’eau était polluée. Il n’y avait qu’un seul robinet d’eau pour 10 000 femmes. Pour avoir de l’eau, il fallait aller faire la queue dans la neige ou dans les flaques d’eau. » comme le souligne Madeleine Chavassine, rescapée d’un camp de femmes. Ernest Schlumberger, rescapé d’un camp, atteste que : « Les cabinets d’aisance étaient constitués par 12 caisses en bois placées à l’entrée des galeries, dont la capacité était absolument insuffisante aux besoins de 700 hommes ; les suintements et le trop plein de ces tinettes improvisées coulaient le long des galeries et jusque sur les planches où reposaient les prisonniers. » Claude Bloch, autre survivant, confirme que : « Lorsque la nuit, la dysenterie vous obligeait à sortir, c’était une expédition impossible que d’aller jusqu’aux W.C. Le camp se trouvait couvert d’excréments et si on était surprise par une gardienne alors qu’on n’avait pu atteindre les W.C., c’étaient des bastonnades sans nom. » (Riaud, 2007)
Sur le plan alimentaire, rien n’est fait pour enrayer les épidémies de dysenterie. Ainsi, M. Lecuron, ancien déporté, confirme que : « Les repas sont loin d’être fameux : feuille d’ortie, de betteraves, des rutabagas, un peu de patates, un morceau de pain. 250 grammes le soir avec un semblant de marmelade ou un ersatz de fromage blanc, voilà pour la nourriture. » Marcel Grassman, un camarade de misère, se rappelle que : « En outre, on perdait une bonne partie du café, de la soupe ou du casse-croûte, car c’est toujours au pas de course que nous recevions notre nourriture. Il faut tenir d’autant plus compte du fait qu’il fallait éviter les divers gardiens qui jalonnaient le chemin et qui nous donnaient toujours des coups de crosse ou de pieds. Pour les jeunes, cela allait encore, ils étaient lestes et savaient éviter les divers écueils sur leur chemin, mais il y avait des vieux, des estropiés, … qui devaient faire tout comme les autres. C’est sur ces malheureux que s’abattait toute la bestialité de cette horde diabolique. » (Service d’informations des crimes de guerre, 1946).
A Buchenwald, en 1944, la ration est composée de mauvais pain, d’un morceau de margarine, d’un litre de soupe de rutabagas aux pommes de terre, de blé ou de gruau, soit environ 1750 cal/j. Ce régime devient vite mortel avec une dépense énergétique avoisinant les 4 à 5000 cal/j. En 1945, ce régime descend à 1078 cal/j pour une même activité (Riaud, 2007).
A Auschwitz-Birkenau, les SS donnent 2 litres de thé pour 10 hommes dans la même gamelle, le midi, ¼ de litre le soir et 1 soupe par détenu d’environ 4 à 800 calories avec des rutabagas et des choux. Le soir, ils donnent 300 grammes de pain composés de 15 % de son et de 40 % de féculents (5 à 600 calories). Deux fois par semaine, les détenus reçoivent 40 grammes de margarine, 30 grammes de fromage pauvre en matières grasses, 10 grammes de saucisson et 2 cuillères de confiture de rutabagas. Ce régime représente 1200 à 1400 calories pour 12 heures de travail par jour. La soif et la faim sont très intenses.
Les déportés vont chercher leur nourriture sous la pluie ou le froid, sans tenue adéquate. Les blocks ne sont pas ou très rarement chauffés. Les vêtements sont toujours les mêmes et ne sont jamais changés.
L’été est aussi horrible. La chaleur est intense. Les camps ont pour terrain de prédilection des zones marécageuses. Les moustiques y pullulent. L’eau est inexistante. L’atmosphère est lourde et suffocante. Le travail est harassant et très déshydratant. Les détenus en sont réduits à boire dans les quelques mares de boue éparpillées dans le camp. S’ils sont surpris, c’est une rafale de coups qui pleut sur eux (Riaud, 2007).
Lors des innombrables épidémies de dysenterie ou de choléra qui se sont produites dans les camps, si les nazis suspectaient un block de développer la maladie, toutes les personnes du block, et celles des baraquements voisins, étaient envoyées vers les chambres à gaz. Puis, les blocks étaient désinfectés méthodiquement avant d’être attribués à d’autres détenus. Ils pratiquaient aussi en prévention une désinfection des détenus et de leurs vêtements. Ou encore, ils mettaient les déportés en quarantaine, mais, à plus ou moins long terme, ils les envoyaient vers les chambres à gaz. Enfin, ils pouvaient également cantonner les malades dans un block du Revier et s’en désintéresser totalement, jusqu’au jour où l’épidémie progressait et présentait un risque véritable pour les SS, ce qui constituaient pour eux une véritable angoisse. Ils adoptaient alors une des attitudes précédentes.
Il convient à titre indicatif de mentionner les signes bucco-dentaires présent en cas de choléra (plissement des lèvres donnant un rire « sardonique », voix cassée, lèvre fuligineuse) et de dysenterie (le malade a des douleurs aux dents, aux gencives et accuse une glossite et une pharyngite, quelques jours avant que n’apparaisse la maladie. Quand la diarrhée sourd continuellement de son sphincter anal, la stomatite réapparaît et les gencives saignent. Comme le souligne la Dr Don Zimmet-Gazel, femme médecin déportée à Ravensbrück, « j’ai essayé d’étudier la cause de cette dysenterie…, et voici ce que j’en ai conclu : les douleurs de gencives ressenties bien longtemps avant l’apparition de la diarrhée sont plutôt une stomatite et sont vraisemblablement dues à une carence vitaminique, la vitamine C étant celle dont la carence prédomine.» (Don Zimmet-Gazel, 1946)

Lors de la libération des camps, une très grande quantité de détenus sont morts pour s’être réalimentés trop brusquement. Ils sont tombés par milliers, car les Américains et les Anglais ont été, dans un premier temps, totalement désorientés et débordés par ce qui se présentaient à leurs yeux. Ils ont donné à manger aux rescapés, en quantité et en qualité trop importante, de bonne foi, sans songer un instant aux conséquences dramatiques que cela allait provoquer, ce qui a été insupportable pour des organismes affaiblis. En voyant les conséquences, ils se sont ravisés et ont installé des hôpitaux de campagne qui avaient pour mission de soigner et de réalimenter les malades par étapes successives (Lemordant, 1946 & Rosenwald, 1945).

Références Bibliographiques :
Bollet Alfred Jay, Civil War Medicine: Challenges and Triumphs, Galen Press (ed.), Tucson, Montana, 2002.
Crawley R., The history of Peloponnesian war, by Thucidides, Book 2, 1990. (Translated by Richard Crawley)
De Kerckhove J. R. L., Histoire des maladies observées à la Grande Armée française pendant les campagnes de Russie de 1812 et d’Allemagne de 1813, Imp. T.-J. Janssens, Anvers, 1836.
Delaporte Sophie, Les médecins dans la Grande Guerre 1914-1918, Bayard (éd.), Paris, 2003.
Don Zimmet-Gazel P., Les conditions d’existence et l’état sanitaire dans les camps de concentration de femmes déportées en Allemagne, Thèse Doct. Méd., Genève, 1946.
Felsen J., Bacillary dysentery Colitis and Enteritis, W. B. Sounders Company (ed.), Philadelphia & London, 1945.
Lemordant G., Pathologie concentrationnaire, Thèse Doct. Méd., Strasbourg, 1946, n°74.
Newman Georges, Thomas Sydenham, Reforms of English medicine, The British Periodicals (ed.), London, 1924.
Œuvre collective, Science et dévouement. Le Service de Santé – La Croix Rouge – Les œuvres de solidarité de guerre et d’après-guerre, Quillet (éd.), Paris, 1918.
Riaud X., Etude de la pratique odontologique et de ses déviances dans les camps de l’Allemagne nazie, Thèse doctorat Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques, Université de Nantes, 2007.
Rosenwald Gilbert, Contribution à l’étude des problèmes posés à l’esprit du médecin par le retour des déportés, Thèse Doct. Méd., Paris, 1945.
Service d’informations des crimes de guerre, Camps de concentration, Office français d’Etat (éd.), 1946.
Wilbur Keith C., Civil War Medicine 1861 – 1865, The Globe Pequot Press, Guilford, Connecticut, 1998.
Yactayo Sergio, Les maladies diarrhéiques bactériennes : de l’observation clinique à la génétique, Thèse doctorat Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques, Université de Nantes vol. I & II, 2007.


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