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 Sujet du message : Quand les moai marchaient...
Message Publié : 13 Juil 2012 10:57 
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Jean Froissart
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Voici un lien vers un résumé assez bon sur la question du problème écologique soulevé (ou non) par l'île de Pâques :
http://ngm.nationalgeographic.com/2012/07/easter-island/bloch-text?source=news_easter_island_story
Pour apporter quelques remarques que l'article semble ne pas prendre en compte, l'idée que Hunt et Lipo retiennent par rapport à un peuplement à partir de 1200 de notre ère dans l'île de Pâques n'est pas aussi révolutionnaire et simpliste qu'elle en a l'air : en réalité, elle vient d'une absence de lecture attentive (ou dénuée d'idéologie ?). Le peuplement de l'île, d'après les récentes recherches, débute entre 800 et 1000 ap. J.-C. ; or, les premiers moai prévus pour être déplacés n'apparaissent qu'au XIIème siècle, supplantant l'ancienne statuaire plus traditionnelle comme la statue Tukuturi : l'idée de Hunt et de Lipo n'est pas exactement que l'île de Pâques n'aurait été peuplée qu'à partir de ce moment, mais bien que si les moai sont la cause d'une déforestation massive (qui aurait entraînée une catastrophe écologique, comme semble vouloir à tout prix le montrer National Geographic - ce qui n'est pas surprenant venant de cet organisme), il aurait fallu qu'on commençât à les bâtir bien avant. Or il n'en est rien et l'étude des 33 000 charbons de bois trouvés dans les foyers de l'île montre que le bois n'était presque plus utilisé comme combustible à partir de la deuxième moitié du XVIIème siècle : C. Orliac estime par ailleurs vraisemblablement que les causes de cette disparition de la végétation abondante ne serait pas le fait des populations insulaires mais plutôt d'une sécheresse prolongée. L'hypothèse d'une déforestation due aux moai est donc peu plausible - contrairement à la façon dont l'article présente les choses.
Bien que tout ne soit pas tout à fait exact et qu'il y ait de nombreux raccourcis dans cet article, l'idée qui m'intéresse ici (et c'est la raison de l'endroit où je publie ce post, la modération pourra toujours le changer de place s'il y a lieu) concerne la technique employée par les Pascuans pour déplacer les moai depuis leurs alvéoles volcaniques jusqu'aux ahu de l'île : les chercheurs Terry Hunt et Carl Lipo ont tenté une expérience avec une réplique (mais est-elle aussi en tuf ?) pesant 3 tonnes en la déplaçant avec seulement 18 personnes. La statue donne ainsi l'impression de se "dandiner" à travers toute l'île puisqu'elle est acheminée vers son ahu en position verticale et non horizontale. Ceci ferait écho à une légende orale locale qui rapporte que le chef Tuu Ko Ihu, le dieu Make Make ou les prêtres, investis d'une mana, ordonnaient aux statues de "marcher" jusqu'à leurs ahu.
La question est intéressante car elle permettrait de résoudre en grande partie les incertitudes autour des techniques maîtrisées par les Pascuans mais je m'interroge ici sur la fiabilité d'une telle méthode : tout d'abord, un moai en tuf serait-il capable de supporter sans problème un tel mode de déplacement - le tuf étant une roche certes légère mais également très fragile ? à quelles conditions donc la démonstration de Hunt et de Lipo est-elle satisfaisante (et c'est la question qu'a soulevé M. Orliac en faisant remarquer que ce qu'il y avait d'étonnant résidait moins dans le déplacement des statues que dans les précautions qu'il nécessitait) ? Ensuite, si l'expérience a démontré sa possibilité concernant un poids de 3 tonnes, quid des moai de 82 tonnes (je pense à celle de l'ahu Te Pito Te Kura) et de 10 mètres (j'exclue cependant cette hypothèse concernant le moai encore dans son alvéole mesurant près de 20 mètres et pesant plus de 130 tonnes et je préfère me ranger à l'idée de M. Orliac sur une sorte de pétroglyphe gigantesque, un peu comme nos gisants de cathédrale) ? Enfin, dans l'histoire plus générale des techniques, a-t-on des informations sur des méthodes similaires de déplacement dans le reste du monde ?

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Message Publié : 05 Déc 2012 17:38 
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Salluste
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Dans le dernier numéro de « La Recherche » ( n° 470 de décembre 2012 ), une interview de Bernard Poissonnier ( Chercheur à l’INRAP de Toulouse ), tends à décrédibiliser cette hypothèse du transport des statues en position debout :

-selon les partisans de cette hypothèse, les statues avaient une base arrondie afin de pencher en avant ; cependant cette particularité n’a été observée que sur les statues couchées le long des routes. Les mêmes partisans auraient argué que celles-ci ont été abandonnées lors du transport parce qu’elles étaient tombées et qu’elles étaient trop lourdes pour être redressées.

-or pour Bernard Poissonnier, redresser de telles charges ne présente pas de difficultés particulières et il ajoute qu’il aurait redressé 150 mégalithes au cours de sa carrière, dont certains de masse bien supérieure. De plus le matériau en tuf semble avoir été sérieusement endommagé lors du test de Pavel sur seulement quelques mètres avec cette méthode en position debout. Au bout de quelques kilomètres, la statue aurait été détruite. Les chercheurs américains ayant utilisé des répliques ne les ont pas façonnés en tuf.

Concernant le transport de ces statues, Bernard Poissonnier déclare qu’elles auraient été « vraisemblablement couchées sur des rondins de bois qui roulaient. C’est de cette manière que dans pratiquement toutes les cultures maritimes, et notamment en Polynésie, les hommes hissent leurs bateaux sur le haut de la plage. Les palmiers qui recouvraient alors l’île sont largement assez solides pour supporter le poids des statues… ».

:?: Donc rien de bien sûr encore, mais une rampe à rails de bois ( rondins ou autres pièces de bois plus élaborées ) semble le dispositif basique le plus sûr pour diminuer au maximum la surface de frottement et a en plus l’avantage d’être démontable et modulable sur une grande distance pour déjouer les aspérités du terrain ( éventuellement sur lit de sable pour bien répartir la charge, à la manière d’une voie ferrée…diminuant ainsi la pression au sol ).

Après pour bouger la masse, je pense qu’il y avait mieux a faire qu’à tirer bestialement sur des cordes et que les mégalitheurs devaient être plus astucieux. Et aussi que les gros leviers en tronc d’arbres mal équarris seraient plutôt à reléguer à l’époque des néanderthaliens…On peux en tout cas imaginer des procédés de démultiplication en cordages beaucoup plus subtils et surtout permettant beaucoup plus de précision. Par exemple imaginer des sortes de vérins où la vis sans fin est remplacée par un cordage ( la vis d’ailleurs n’est-elle pas inspirée du cordage ? Mais je m’égare…c’est là matière à un autre débat ).

D’autres essais de reconstitution envisagent un déplacement des mégalithes sans traction directe mais en faisant tourner les rondins sur lesquels ils reposaient. Personnellement, je doute que le procédé soit efficace sans faire reposer le mégalithe sur un support intermédiaire et je ne crois guère a la méthode des manivelles pour faire tourner les rondins. Nous serions alors très proches de l’invention des véhicules à roues. En cette lointaine époque, ils avaient sans doute du temps pour jouer au Meccano avec des morceaux de bois, de cuir ou de cordes et trouver une foule de solutions.

A part le pathologique personnage d’Obélix, je ne vois personne d’assez fou pour transporter un menhir debout ( Ils avaient d’ailleurs souvent une face plane, m’a-t-il semblé, et sûrement pas pour rien ).


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Message Publié : 06 Déc 2012 14:55 
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Jean Froissart
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Merci pour cet article, Nérée ! Ceci répond en grande partie aux interrogations que j'avais posées et à mes doutes (notamment vis-à-vis de la matière utilisée pour la reconstitution du moai) concernant la technique de restitution utilisée par l'équipe.

Donc encore une impasse (on n'en a pas fini :mrgreen: )... Et nous devrons une nouvelle théorie aberrante du fait d'un certain amateurisme caractéristique du goût outre-Atlantique (car c'est, hélas pour tous les grands chercheurs du continent américain qui se voient souvent confondus avec eux, souvent le cas...) pour le grand spectacle, le spectaculaire et la réponse à tous les problèmes. Cela commence vraiment à être insupportable, surtout quand on dispose de peu de données.

Effectivement, la théorie des rondins de bois reste l'une de celles que l'on privilégie encore, mais, comme vous l'avez très justement fait remarquer, à défaut d'en avoir de plus satisfaisante... En effet, l'analyse menée par C. Orliac - il me semble l'avoir mentionnée - révèle l'impossibilité de recourir à des quantités suffisantes de rondins compte tenu du déboisement naturel dont fut victime l'île avant la période monumentale des moai (je suis ici une piste évoquée par M. Orliac mais qu'on ne peut poser que comme une hypothèse). J'en profite pour vous demander si vous auriez des informations supplémentaires à propos du nombre de ces rondins de bois (et, peut-être, d'un mode de conservation) : peut-on penser que les mêmes rondins servaient à chaque fois pour déplacer le moai depuis son alvéole jusqu'à son ahu ?

Concernant cette technique du "lit" de rondins de bois, M. Orliac précise que, à nouveau, même si cela est déjà moins risqué que de faire glisser la statue à même le sol, ce n'en est pas moins une technique dangereuse qui présente elle aussi un transport risqué. Par contre je suis assez surpris par cette idée de Poissonnier qui met sur le même plan le mode de déplacement des navires et celui des moai. S'explique-t-il par ce parallèle (assez douteux, il me semble) ?

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Message Publié : 10 Déc 2012 23:52 
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Salluste
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En dépit du fait que le palmier soit davantage une herbe géante qu’un arbre à proprement parler, la qualité de son bois est excellente, très dur et imputrescible, par contre problématique pour obtenir de bons rondins au séchage ( sans fissures ).

Mais franchement je ne saurais pas répondre correctement à votre questionnement sur les rondins et de plus je n’y crois pas beaucoup :

Déjà, sachant qu’en 1722, Jacob Roggeven témoigne qu’il n’y a plus de couvert forestier sur l’île, jusqu’à quelle époque peut-on considérer que l’emploi des palmiers était crédible et de quelle autre matière première pouvait-on disposer ? Le moment où l’on date que ça n’est plus possible reste assez flou. La forêt aurait disparue vers 1320 de notre ère ?

Si l’on s’en tiens au transport des dernières statues, il y a peut-être une solution, mais si l’on regarde toutes les variétés de mégalithisme de l’île, l’emploi des rondins paraît insuffisant. D’abord la méthode des rondins pour transporter de lourds monolithes connaît ses limites et certains archéologues pour en avoir été inspiré par quelques exemples ( Egypte entre autre ), paraissent en généraliser abusivement la solution. Les solutions minimalistes des reconstitutions actuelles ne valent que pour des mégalithes encore modestes.
S’il faut vraiment théoriser là dessus, des systèmes « à glissières » me paraissent beaucoup plus appropriés que le contact direct du monolithe sur des rondins aux dimensions variables.
Mais il y a aussi sur cette île ( période ancienne ) des blocs de maçonnerie sèche s’emboîtant les uns dans les autres avec des formes biscornues, selon une technique d’assemblage comparable à celle des murs cyclopéens du Pérou. Et les difficultés ne paraissent pas résolues par le transport approximatif d’une charge sur un lit de rondin. Il n’est pas question non plus d’utiliser la technique du « frigo » pour déplacer ces blocs et les ajuster étroitement, mais j’ai vu que Michel Orliac l’a déjà signalé et que Bernard Poissonnier n’a fait que reprendre son argumentaire a propos de l’usage des rondins par les polynésiens.


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