Léonard59 a écrit :
En fait, et c'est ce qui est dit dans le premier tome de l'histoire universelle de la navigation, c'est que cette idée selon laquelle on a longtemps navigué "à l'estime" n'est pas tout à fait juste. C'est une construction intellectuelle qui se met en place au XIXème siècle , époque où les navigateurs occidentaux ne sont plus en capacité de comprendre comment naviguaient leurs Anciens.
J'ai écrit :
à l'estime, sans guillemets, et non :
au pifomètre (avec guillemets). Ne pas confondre. Les sous-marins stratégiques naviguent principalement à l'estime mais savent néanmoins très bien où ils sont grâce à leurs centrales inertielles, bien mieux que les navires qui faisaient un point astronomique tous les jours, voire plusieurs fois par jour, jusque dans les années 1990. Simple question de définition. Naviguer à l'estime signifie : apprécier sa position en l'absence de repères extérieurs, par la simple connaissance de sa route et de sa vitesse. Les Polynésiens, tout comme les Européens, de l'Antiquité jusqu'au dixième-huitième siècle, ne pouvaient naviguer hors de vue des côtes qu'à l'estime. Tout au plus pouvaient-ils apprécier la latitude, plus ou moins précisément, en observant le soleil ou des étoiles. Avec le soleil, c'est tout simple, il n'y a besoin d'aucun calcul, sa hauteur à sa culmination étant le complément de la latitude, il suffit de mesurer. Mais ils ne disposaient d'aucun autre moyen que l'estime pour connaître la longitude de leur position.
Léonard59 a écrit :
C'est ce qui a bloqué pendant des décennies la compréhension de comment se déplaçaient les océaniens au milieu du Pacifique. N'oublions pas qu'ils étaient capables de faire des traversées d'îles en îles de plus de 1000 km en réussissant à atterrir sur des "ilots" de quelques centaines de mètres de circonférence ...
Ce qui a bloqué la compréhension de leur art de la navigation, c'est surtout qu'on avait négligé de les interroger et peut-être aussi qu'ils voulaient garder leurs connaissances secrètes. Ils étaient de plus habiles navigateurs que les Européens et Proche-Orientaux du premier millénaire avec lesquels il ne faut pas faire de parallèle : nos Anciens en savaient moins que les Polynésiens. Il ne faut cependant pas surestimer ces derniers : ils ne visaient pas une île minuscule à 1 000 km de distance. La quasi-totalité des îles du Pacifique étant regroupées en archipels, ils visaient l'archipel dont faisait partie l'île qu'ils voulaient atteindre et ils se recalaient à l'atterrissage. Les documents suivants exposent comment ils procédaient :
- l'article du Journal de la société des Océanistes,
Les Polynésiens et la navigation astronomique, dans le n° 36 de 1972, :
http://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1972_num_28_36_2384- la thèse de doctorat de Jean-Claude Teriierooiterai soutenue le 9 décembre 1973 à l'Université de la Polynésie Française,
Mythes, astronomie, découpage du temps et navigation traditionnelle : l’héritage océanien contenu dans les mots de la langue tahitienne :
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01481871Léonard59 a écrit :
Les marins du premier millénaire de notre ère qui se sont lancés dans de la navigation hauturière savaient où ils allaient quand ils pouvaient voir le ciel nocturne.
Les marins du premier millénaire de notre ère qui se lançaient dans de la navigation hauturière ne savaient guère mieux que ceux du dix-septième siècle où ils allaient. Tout au plus avaient-ils une plus grande capacité à naviguer sans compas. En fait, ils ne s'aventuraient pas souvent longtemps hors de vue des côtes. Les Grecs de l'Antiquité le faisaient parfois, contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, mais ils faisaient surtout du cabotage. Il ne faut pas sous-estimer les savoir-faire du passé, mais il ne faut pas non plus fantasmer.
Léonard59 a écrit :
Ils disposaient d'outils plus ou moins grossiers, et de connaissances "empiriques" qui se sont révélées assez justes quand on les a comparées avec ce qu'on faisait avec d'autres outils plus modernes.
Qui « ils » ? Les Polynésiens ? Ils ne disposaient d'aucun outil. Mais ils observaient, mémorisaient et se transmettaient oralement leurs connaissances de génération en génération.
Léonard59 a écrit :
Pour mesurer le temps, il y avait des cadrans solaires de différents types.
Utilisable sur mer d'huile seulement. Un bateau, ça bouge. De toute façon, un cadran donne l'heure de là où il est et non l'heure d'un point fixe. Ce n'est pas un garde-temps utile à résoudre le problème de la longitude.
Léonard59 a écrit :
Il y avait des outils qui permettent de mesurer la position de diverses étoiles.
Ce qui ne renseigne pas sur la longitude.
Léonard59 a écrit :
Dans l'Océan Indien, il semble qu'on a utilisé assez tôt le magnétisme pour trouver le nord (en fait leurs outils montraient le sud, mais ça revient au même).
Dans l'hémisphère nord on avait l'Etoile Polaire et le soleil qui culminait une fois par jour au sud.
Léonard59 a écrit :
On sondait aussi, c'est à dire qu'à l'approche des terres, lorsqu'on tardait à les voir, on lançait une sonde de profondeur pour voir si le fond remontait. Puis, parfois il fallait faire des cercles autour du point d'arrivé pour trouver le port. Mais, cela c'était surtout lorsqu'un épisode nuageux avait empêché de faire le point lors du voyage.
Cela s'est pratiqué très longtemps, au vingtième siècle encore. C'était un moyen parmi d'autres employé à l'atterrissage tant qu'on ne disposait pas de radar : au moyen du sondeur acoustique on relevait le profil du fond et l'on cherchait à le faire correspondre avec les lignes de niveau indiquées sur la carte.
Léonard59 a écrit :
Mais, cela c'était surtout lorsqu'un épisode nuageux avait empêché de faire le point lors du voyage.
Faire le point, c'est déterminer sa position en observant des repères extérieurs. En haute mer, il n'y a que les astres. Faire le point en haute mer n'a été possible qu'à partir du dix-huitième siècle, c'est le fameux problème de la longitude et, au début, la précision était très mauvaise, raison pour laquelle on faisait rarement de point astronomique avant le milieu du dix-neuvième siècle : inutile de s'employer à des observations et calculs fastidieux pour déterminer sa position avec une incertitude plus grande que celle de l'estime.
Léonard59 a écrit :
Thor Heyerdahl a brillamment démontré comment ils savaient utiliser ces véritables trottoirs roulants que sont les courants maritimes, combinés aux vents dominants.
Thor Heyerdahl n'a pas étudié les techniques de navigation des Polynésiens. Il a cherché à montrer que sa thèse d'un peuplement de la Polynésie par des Amérindiens était plausible. Pour cela il a fabriqué une embarcation telle qu'en avaient les Incas et prouvé qu'avec une telle embarcation il était possible de se rendre du Pérou aux Iles Tuamotu. On sait depuis que les îles polynésiennes n'ont pas été peuplées à partir de l'Amérique mais grâce à Thor Heyerdahl on a progressé dans la connaissance des techniques de construction navale des Incas.
Léonard59 a écrit :
Parmi les outils empiriques, pour savoir si l'on était dans tel ou tel courant, la température de l'eau pouvait renseigner, confirmer ou infirmer. L'invention de thermomètres précis allait également apporter son concours, au même siècle que l'invention du chronomètre.
Alors là, j'aimerais des références. Quoi qu'il en soit, ce ne pouvait être un savoir empirique des Anciens qui ne disposaient pas de thermomètres.