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Du coup, et c'est ce que vous ne parvenez pas à comprendre, plus on a des instruments précis, moins il y aura d'erreur relative et plus on restera sur le bon chemin
Il est évident que plus les instruments dont on dispose sont précis, moins on s'écarte de sa route et je n'ai bien sûr jamais prétendu le contraire. Je m'étonne que vous me prêtiez de tels propos, surtout après que j'ai rappelé l'accident de la flotte britannique en 1707 en précisant qu'il est survenu justement faute d'instruments de navigation précis.
Cette discussion sur les qualités respectives des différentes classes de navires est partie de votre remarque :
Ils avaient besoin d'instruments plus précis parce que leurs navires allaient plus vite, plus loin.Je suis en désaccord. Il n'y a pas de lien de cause à effet entre les progrès en architecture navale et les progrès dans les techniques de navigation mais simultanéité. L'impulsion donnée aux deux provient d'une volonté d'expansion : établir et intensifier des relations commerciales lointaines, découvrir le monde, conquérir des territoires. Le mouvement a été initié par Henri le Navigateur et s'est poursuivi. Les Chinois ont eu brièvement des velléités similaires mais celles-ci sont demeurées sans suite, non pour des raisons techniques, mais pour des raisons politiques. Techniquement, il n'est pas vrai que l'apparition de navires plus gros et plus rapides ait créé un besoin d'amélioration des techniques de navigation. Je ne dirais pas que le capitaine Cook n'avait pas besoin de navigation astronomique, bien au contraire, mais que Christophe Colomb en aurait eu encore plus besoin et qu'il a dû s'en passer. Il s'en est bien sorti, contrairement à l'amiral Showell qui n'a pas eu la même chance. Si l'on observe l'évolution des besoins en moyens de navigation depuis la Caravelle de Christophe Colomb jusqu'au porte-conteneur des années 1980, on relève que le besoin de recourir à la navigation astronomique est devenu de moins en moins impérieux au fil du temps, sans devenir totalement inutile bien entendu. La raison en est que la navigation à l'estime a progressé en même temps que la navigation astronomique. Il ne faudrait surtout pas s'imaginer que la navigation astronomique a remplacé la navigation à l'estime. Le point astronomique ne se fait que ponctuellement. Il ne sert qu'à recaler l'estime qui est toujours entretenue en permanence. Une position exacte n'est connue en permanence que depuis l'exploitation du GPS, ce qui est tout récent.
Les instruments utilisés pour l'estime au temps du capitaine Cook étaient le compas magnétique et le loch. Les compas présentaient alors deux gros défauts. Le premier était qu'il indiquait le nord magnétique et non le nord géographique. Or la différence entre les deux, la déviation magnétique, varie selon le lieu et, sur un même lieu, varie dans le temps. La connaissance en tous lieux de la déviation et de sa variation passe par des missions scientifiques qui n'ont pas été menées en un jour. Le second était qu'il était perturbé par les masses métalliques présentes à bord. La précision du compas du capitaine Cook était donc mauvaise. Par la suite la déviation a été mieux connue et les compas ont été correctement compensés. Enfin, il a été remplacé par le compas gyroscopique qui indique le nord géographique avec précision. Le loch primitif consistait en une ligne marquée de nœuds soutenue par des flotteurs de bois. Pour connaître la vitesse du navire sur l'eau, on lançait l'extrémité de la ligne et l'on comptait le nombre de nœuds qui défilaient pendant un temps donné déterminé au moyen d'un sablier. C'était peu précis et, surtout, on ne mesurait pas la vitesse en permanence. Ensuite sont venus le loch à hélice, généralement rangé dans une boîte, qu'on sortait lorsqu'on en avait besoin mais qu'on pouvait laisser longtemps en place, puis le loch à tube pitot fixé à demeure sous la coque et enfin le loch électro-magnétique. Cerise sur le gâteau, sur les bâtiments récents, un calculateur d'estime intègre en permanence les données fournies par le compas et le loch plus les paramètres de courant et de dérive saisis manuellement. Il faut encore compter avec la documentation nautique qui renseigne sur les courants, ce dont ne disposait pas, ou de façon très lacunaire, le capitaine Cook. Avec tout cela, l'estime entretenue sur les bâtiments actuels est très précise, d'autant plus que leur vitesse élevée minimise les effets des courants. Dans de telles conditions, sur une même distance parcourue, l'estime entretenue est devenue très sûre au point que le recours aux astres est devenu bien moins nécessaire qu'au cours des deux siècles précédents. C'est devenu plus une précaution qu'un impératif.
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Donc, comme entre 2 points, un navire lent aura moins fait d'écarts.
C'est faux. L'estime du plus rapide est plus précise que celle du plus lent. Il se peut qu'en raison de sa vitesse le plus rapide doive faire des points à intervalles de temps plus rapprochés mais, en fin compte, le nombre de points qu'il aura dû faire au cours de son voyage sera au plus égal à celui du plus lent.
L'estime est entachée de quatre erreurs :
- la dérive due aux courants,
- la dérive due au vent,
- l'erreur sur le cap,
- l'erreur sur la vitesse par rapport à l'eau.
L'effet du courant dure le temps du parcours dans la zone où se manifeste le courant. Ce temps est d'autant plus court que le navire est plus rapide. Un courant affecte donc moins un navire rapide qu'un navire lent. Considérons deux navires identiques partant du même point pour la même destination distante de 100 milles. La vitesse, sur l'eau, du premier est de 10 kt, celle du second de 5 kt. Leur cap est la direction AB. Il y a un courant d'une vitesse de 1 kt.
Si le courant est dans le sens de la route, il provoquera une erreur de vitesse de 10% sur le plus rapide et de 20% sur le plus lent.
S'il est perpendiculaire, le navire le plus rapide sera dévié de 6° et le plus lent de 11°.
Les effets des trois autres erreurs ne dépendent pas de la vitesse du navire. Mais, si nous comparons des générations de navire successives, par exemple, caravelle, frégate du dix-septième siècle, clipper du dix-neuvième, nous constatons qu'une génération nouvelle a de meilleures qualités nautiques que la précédente. Elle garde mieux le cap, elle est plus rapide et tient mieux le près. Le navigateur fera donc moins d'erreur dans l'appréciation de la dérive et la tenue du cap, d'autant plus que les instruments, compas et loch ont été améliorés.
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Pour parer ces erreurs relatives, on a très vite deviné une méthode efficace : multiplier les mesures et en faire la moyenne. Seul problème, cela impose de rester plus longtemps en panne pour avoir un point de référence fixe. Donc, on perd du temps. Mais, on peut aussi multiplier les gens qui font des mesures ... Mais cela suppose que sur le navire il y ait plusieurs personnes ayant ces capacités. Sur un esquif qui a 5 à 10 marins, il y a souvent une, voire deux personnes ayant les connaissances nécessaires à faire le point. Sur un navire de ligne, un certain nombre d'officiers ont suivi des cours sur la navigation, on peut donc réaliser plusieurs points en même temps et faire des statistiques en éliminant les 2 mesures extrêmes et en faisant la moyenne des autres
Multiplier les mesures, c'est ce qu'a fait l'amiral Showell avant de décider de ne pas en tenir compte. Car si les résultats sont nombreux et éparpillés, ce ne sont que des données aléatoires et donc inexploitables. En un tel cas, ce n'est pas la moyenne qu'il faut prendre en compte, c'est la mesure de l'opérateur le plus expérimenté. A cette époque (1707), on n'utilisait pas encore l'octant mais l'arbalète. Le maniement de cette dernière était malaisé dès que la plate-forme bougeait un peu et il pouvait être nécessaire de procéder à plusieurs visées. Mais dès que l'arbalète à été remplacée par le sextant, dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle, tout a changé. Le sextant est d'emploi très aisé et, avec un peu d'habitude, on parvient très bien à maintenir l'image de l'astre dans la lunette et la descendre sur l'horizon. Inutile de multiplier démesurément les mesures. Le même opérateur en fait posément trois, cinq au maximum, sur des astres différents, c'est bien suffisant. Lorsqu'on applique la méthode des droites de hauteur de Marcq-Saint Hilaire, on trace des droites, normalement trois, qui doivent converger. Si le ciel est clair et l'horizon bien visible, elles dessinent un tout petit triangle d'incertitude, voire convergent effectivement en un point.
La multiplication des mesures ne portait pas sur les hauteurs lues au sextant mais sur les horloges parce que le gros problème n'était pas les mesures astrales mais la garde du temps. Beaucoup de navires embarquaient trois horloges. Le temps exact était donné par les deux horloges concordantes, on ne faisait pas la moyenne des trois. Sur certains navires il a pu y avoir jusqu'à huit horloges.
Se mettre en panne pour faire le point ? A quelle époque cela a-t-il été fait ? C'était peut-être parfois nécessaire lorsqu'on employait l'arbalète, mais on devait éviter autant que possible de le faire : mettre en panne un voilier est une opération compliquée qui prend du temps et mobilise l'équipage. Avec un sextant, c'est inutile. On ne met pas en panne pour faire un point au sextant.