ilelogique a écrit :
[..] je reste médusé de constater qu’il semblerait bien qu’il n’y ait donc jamais trop eu d’argumentaire un tant soit peu « solide » dans la littérature ?....
Merci.
Bonjour à tous.
Ilelogique, dans la saynette que vous nous représentez, votre aristo-crato-bourgeois du 2ème siècle après Louis XII pourrait être le marquis du Chatelet, qui laissa son épouse Emilie écrire et publier absolument tout ce qu'elle voulait en matière de sciences ; ce qu'elle ne manqua pas de faire, au point d'être reconnue comme une vraie scientifique par les savants de son temps (Maupertuis et autres) ; et pas seulement par le truchement du célèbre Voltaire.
A ceci près que ladite Emilie ne pouvait siéger à l'Académie des Sciences.
Pourquoi ?
Quels sont les arguments ? nous demandez vous.
A chercher dans la littérature (c'est votre demande), vous pourriez commencer par la Bible, car elle pèse encore sur l'organisation sociale du 2ème siècle après Louis XII : "
Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c’est ce qui convient" (Epître de Paul aux Colossiens) ou "Ce n’est pas l’homme, en effet, qui a été tiré de la femme, mais la femme qui a été tirée de l’homme" (Epitre aux Corinthiens)... etc. Voilà un fil sur lequel vous pourriez tirer pour dérouler la pelote de la Littérature.
Mais peut-être aussi que ni l'aristo-crato-bourgeois du 2ème siècle après Louis XII ni son épouse, ont ressenti le besoin d'argumenter des choses qu'ils tenaient pour évidentes, à commencer par l'évidente diffé
rence des sexes, voulue par la nature (ou par Dieu, selon le temps, le lieu, ou l'obédience), d'où découlait une irréductible différence de fonctions, d'où la nécessité et l'utilité de la différen
ciation des sexes.
Cette différenciation a toutes les apparences d'une opposition de l'homme et de la femme, vue non comme une opposition créée pour en faire des ennemis, mais voulue par la nature pour mieux les unir dans la complémentarité. L'argument est connu, multiséculaire : ce sont les seins et l'utérus qui déterminent le destin de la femme : enfanter et materner.
Donc : à l'homme la puissance physique, le pouvoir, la raison ; à la femme, la sensibilité, le dévouement aux siens et la soumission. Longtemps, cela a suffit comme argument ; un argument qui n'empêchait pas les femmes savantes du 1er siècle après Louis XII de tenir salon littéraire ni celles du 2ème de traduire Newton ou Leibnitz, si le mari le voulait bien ; et il semblerait qu'ils le voulaient plus souvent qu'on ne pense ; ne serait-ce que parce qu'une épouse tenant salon regaussait d'autant plus le prestige du mari).
Dans son ordre, la femme est souvent vue comme "géniale", "ultra spécialisée" par la nature ; nettement plus spécialisée que l'homme. Cette évidence est visible à son organisation physique comme nous l'avons dit (les seins et l'utérus), qui détermine son destin naturel : enfanter et materner.
Le corps de l'homme est moins éloquent, moins prédéterminé à une seule fonction ; il est donc "pluridimensionnel", plus libre aussi de ses choix. La reproduction lui échappe, mais c'est à lui qu'est réservée la création.
C'est en raisonnant ainsi en termes de "nature" et de "finalité" qu'on a construit une argumentation justifiant une vision radicalement dualiste de l'univers humain, et la transgression de cette différenciation fondée sur la différence de nature est toujours perçue comme une menace. La femme veut-elle s'amuser de mathématique ou de physique ? Rien ne le lui interdit si sa fonction naturelle à l'endroit de son époux, de ses enfants et de son ménage lui en laisse le temps. A-t-elle quelque talent exceptionnel dans ces domaines scientifique ? Fort bien ! Qu'elle en use comme il se doit dans l'ordre social pluriséculaire : en auxiliaire des hommes. Mais qu'elle n'aille pas plus loin car une femme qui imite l'homme en s'emparant de son rôle (et inversement), apparaît comme un danger pour l'ordre du monde et une source de malheur humain. La nature, pense-t-on, ne pardonne pas ces sortes de défis.
C'est un fait qu'en raisonnant ainsi en termes de nature et de finalité, on a construit un système propre à enfermer les femmes dans leur spécificité, leur laissant peu d'espoir d'en sortir sans dommage. Cela était vrai aussi pour les hommes (malheur à celui qui inclinait à vouloir transgresser la spécialisation), encore qu'on ait moins d'exemples d'hommes ayant aspiré à adopter la condition des femmes de leur temps.