Nous sommes actuellement le 16 Avr 2024 6:49

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 34 message(s) ]  Aller vers la page 1, 2, 3  Suivant
Auteur Message
Message Publié : 04 Mai 2008 17:38 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 10 Avr 2002 17:08
Message(s) : 1940
Localisation : Paris
Comme je l'avais indiqué dans la discussion portant sur le rapport de Nicolas Sarkozy à l'Histoire, j'aimerai que nous procédions à une relecture critique du discours prononcé par le président français à Dakar le 26 juillet 2007.

Le but n'est évidemment de polémiquer sur la politique extérieure française (la "Françafrique" et l' "immigration choisie" ne sont pas l'objet de notre débat, même si on devrait de fait être obligé de les évoquer pour éclairer certaines allusions) mais d'analyser en profondeur la vision de l'histoire africaine avancée par N. Sarkozy. Cela me semble d'autant plus utile que ce discours a reçu, en Afrique comme en Occident, un accueil somme toute contradictoire, allant du rejet haineux (une bonne partie du collectif L'Afrique répond à Sarkozy paru chez Philippe Rey) à l'adhésion (le président Mbeki) en passant par des critiques constructives et nuancées.

Le problème que pose l'analyse du discours est qu'il en existe deux versions: la première, effectivement prononcée à Dakar et aujourd'hui assez difficile à se procurer, et la seconde, publiée a posteriori sur le site de l'Elysée. C'est la première version, celle par qui tout a commencé, que je reproduis ci-dessous, mais il va de soi que la comparaison entre les deux versions est très éclairante quant aux tenants et aux aboutissants du débat (ne serait-ce que le passage du tutoiement au vouvoiement), c'est pourquoi je place également un lien vers la deuxième version.

Citer :
Permettez moi de remercier d’abord le gouvernement et le peuple sénégalais de leur accueil si chaleureux. Je veux aussi remercier l’université de Dakar qui me permet de m’adresser pour la première fois à l’élite de la jeunesse africaine en tant que président de la République française.

Je suis venu vous parler avec la franchise et la sincérité que l’on doit à des amis que l’on aime et que l’on respecte. Entre le Sénégal et la France, l’histoire a tissé les liens d’une amitié que nul ne peut défaire. Cette amitié du Sénégal et de la France, elle est grande et belle. Elle est forte. Elle est sincère. C’est pour cela que j’ai souhaité adresser de Dakar le salut fraternel de la France à l’Afrique tout entière.

Je veux m’adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, qui n’ont pas la même langue maternelle, pas la même religion, pas les mêmes coutumes, pas la même culture, pas la même histoire et qui pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Africains.

Oui, je veux m’adresser à vous, habitants de ce continent meurtri et aux jeunes en particulier, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez comme frères dans la souffrance et dans l’humiliation, frères dans la révolte et dans l’espérance, frères par le sentiment que vous éprouvez d’une destinée commune, frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, qui se transmet de génération en génération et que l’exil luimême ne peut effacer.

Je ne suis pas venu, jeunesse africaine, pour pleurer avec toi sur les malheurs de l’Afrique. Car l’Afrique n’a pas besoin de mes pleurs.

Je ne suis pas venu, jeunesse africaine, pour m’apitoyer sur ton sort parce que ton sort est entre tes mains. Que ferais-tu fière jeunesse de ma pitié ?

Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s’efface pas.

Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes.

Il y a eu la traite négrière, il y a eu l’esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l’homme, un crime contre l’humanité,

Et l’homme noir qui éternellement « entend de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer ». Cet homme noir qui ne peut s’empêcher de se répéter sans fin « Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ». Cet homme noir a le visage de tous les hommes. Cette souffrance de l’homme noir c’est la souffrance de tous les hommes. Cette blessure ouverte dans l’âme de l’homme noir est une blessure ouverte dans l’âme de tous les hommes.

Mais nul ne peut demander aux générations d’aujourd’hui d’expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères.

Jeunesse d’Afrique, je ne suis pas venu te parler de repentance. Je suis venu te dire que je ressens la traite et l’esclavage comme des crimes envers l’humanité. Je suis venu te dire que ta déchirure et ta souffrance sont miennes. Je suis venu te proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et de cette souffrance.

Je suis venu te proposer, jeunesse d’Afrique, non d’oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser.

Je suis venu te proposer, jeunesse d’Afrique, non de ressasser ensemble le passé mais d’en tirer ensemble les leçons et de regarder ensemble vers l’avenir.

Je suis venu, jeunesse d’Afrique, regarder en face avec toi notre histoire commune. L’Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers d’autres Africains. Et l’on s’est entretué en Afrique au moins autant qu’en Europe. Mais il est vrai que jadis, les Européens sont venus en Afrique en conquérants. Ils ont pris la terre de tes ancêtres. Ils ont banni les dieux, les langues, les croyances, les coutumes de tes pères. Ils ont dit à tes pères ce qu’ils devaient penser, ce qu’ils devaient croire, ce qu’ils devaient faire. Ils les ont coupé de leur passé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l’Afrique.

Ils ont eu tort.

Ils n’ont pas vu la profondeur et la richesse de l’âme africaine. Ils ont cru qu’ils étaient supérieurs, qu’ils étaient plus avancés, qu’ils étaient le progrès, qu’ils étaient la civilisation.

Ils ont eu tort.

Ils ont voulu convertir l’homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu’ils avaient tous les droits, ils ont cru qu’ils étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l’Afrique, plus puissants que l’âme africaine, plus puissants que les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d’Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond des âges.

Ils ont eu tort.

Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux. Ils ont abîmé une sagesse ancestrale.

Ils ont eu tort.

Ils ont créé une angoisse, un mal de vivre, Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus difficile l’ouverture aux autres, l’échange, le partage parce que pour s’ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut être assuré de son identité, de ses valeurs, de ses convictions. Face au colonisateur, le colonisé avait fini par ne plus avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par la peur de l’autre, par la crainte de l’avenir.

Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.

Il a pris mais il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. Car tous les colons n’étaient pas des voleurs, tous les colons n’étaient pas des exploiteurs.

Il y avait parmi eux des hommes mauvais mais aussi des hommes de bonne volonté, des hommes qui croyaient remplir une mission civilisatrice, des hommes qui croyaient faire le bien, des hommes généreux et courageux. Ils se trompaient mais ils étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l’aliénation. Ils croyaient briser les chaînes de l’obscurantisme, de la superstition, de la servitude. Ils forgeaient des chaînes plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante, car c’étaient les esprits, c’étaient les âmes qui étaient asservis. Ils croyaient donner l’amour sans voir qu’ils semaient la révolte et la haine.

La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l’Afrique. Elle n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs. Elle n’est pas responsable du fanatisme. Elle n’est pas responsable de la corruption et de la prévarication. Elle n’est pas responsable des gaspillages, de la pollution.

Mais la colonisation fut une grande faute qui fut payée par l’amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait tant.

La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l’estime de soi et fit naître dans son coeur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres.

La colonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l’embryon d’une destinée commune.

La colonisation fut une faute qui a changé le destin. de l’Europe et le destin de l’Afrique et qui les a mêlés. Et ce destin commun a été scellé par le sang des Africains qui sont venus mourir dans les guerres européennes.

Et la France n’oublie pas ce sang africain versé pour sa liberté.

Nul ne peut faire comme si rien n’était arrivé.

Nul ne peut faire comme si cette faute n’avait pas été commise.

Nul ne peut faire comme si cette histoire n’avait pas eu lieu.

Pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l’homme africain et l’homme européen.

Jeunesse d’Afrique, tu es l’héritière des plus vieilles traditions africaines et tu es aussi l’héritière de tout ce que l’Occident a déposé dans le coeur et dans l’âme de l’Afrique.

Jeunesse d’Afrique, la civilisation européenne a eu tort de se croire supérieure à celle de tes ancêtres, mais désormais elle t’appartient aussi.

Ne cède pas à la tentation de la pureté qui est une maladie de l’intelligence et qui est ce qu’il y a de plus dangereux au monde.

Ne te coupe pas de ce qui t’enrichit, ne t’ampute pas d’une part de toi même. La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance. La pureté est un fantasme qui conduit au fanatisme. Je veux te dire, jeunesse d’Afrique, que le drame de l’Afrique n’est pas dans une prétendue infériorité de son art ou de sa pensée, ou de sa culture. Car, pour ce qui est de l’Art, de la pensée et de la culture, c’est l’Occident qui s’est mis à l’école de l’Afrique. Car l’art moderne doit presque tout à l’Afrique. Car l’influence de l’Afrique a contribué à changer non seulement l’idée de la beauté, non seulement le sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même dit Senghor, la manière de marcher ou de rire du monde du XXème siècle.

Je veux te dire, Jeunesse africaine, que le drame de l’Afrique ne vient pas de ce que l’âme africaine serait imperméable à la logique et à la raison. Car l’homme africain est aussi logique et raisonnable que l’homme européen. C’est en puisant dans l’imaginaire africain que t’ont légué tes ancêtres, c’est en puisant dans les contes, dans les proverbes, dans les mythologies, dans les rites, dans ces formes qui depuis l’aube des temps se transmettent et s’enrichissent de génération en génération que tu trouveras l’imagination et la force de t’inventer un avenir qui te soit propre, un avenir singulier qui ne ressemblera à aucun autre, où tu te sentiras enfin libre, libre d’être toi même, libre de décider pour toi même.

Je suis venu te dire que tu n’as pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu’elles ne te tirent pas vers le bas mais vers le haut, qu’elles sont un antidote au matérialisme et à l’individualisme qui asservissent l’homme moderne, qu’elles sont le plus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l’aplatissement du monde.

Je suis venu te dire que l’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec elle depuis des millénaires.

Je suis venu te dire que cette déchirure entre ces deux parts de toi même est ta plus grande force et ta plus grande faiblesse selon que tu t’efforceras ou non d’en faire la synthèse.

Mais je suis aussi venu te dire qu’il y a en toi deux héritages, deux sagesses, deux traditions qui se sont longtemps combattues : celle de l’Afrique et celle de l’Europe.

Je suis venu te dire que cette part africaine et cette part européenne de toimême forment ton identité déchirée.

Je ne suis pas venu, jeunesse d’Afrique, te donner des leçons.

Je ne suis pas venu te faire la morale.

Mais je suis venu te dire que la part d’Europe qui est en toi est le fruit d’un grand péché d’orgueil de l’Occident mais qu’elle n’est pas indigne.

Car elle est l’appel de la liberté, de l’émancipation et de la justice.

Car elle est l’appel à la raison et à la conscience universelles.

Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.

Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais il reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout est écrit d’avance.

Jamais il ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique est là. Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire. C’est de puiser en elle l’énergie, la force, l’envie, la volonté d’écouter sa propre histoire.

Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas parce qu’il n’a jamais existé. Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. Le problème de l’Afrique, c’est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter. Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de s’inventer un passé plus ou moins mythique pour s’aider à supporter le présent mais de s’inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de se préparer au retour du malheur, comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les moyens de le conjurer.

Le défi de l’Afrique, c’est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile. Le défi de l’Afrique, c’est d’apprendre à regarder son accession à l’universel non comme un reniement de ce qu’elle est mais comme un accomplissement. Le défi de l’Afrique, c’est d’apprendre à se sentir l’héritière de tout ce qu’il y a d’universel dans toutes les civilisations humaines. C’est de s’approprier les droits de l’Homme, la démocratie, la liberté, l’égalité, la justice comme l’héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes.

C’est de s’approprier la science et la technique modernes comme le produit de toute l’intelligence humaine.

Le défi de l’Afrique est celui de toutes les civilisations, de toutes les cultures, de tous les peuples qui veulent garder leur identité sans s’enfermer parce qu’ils savent que l’enfermement serait mortel.

Les civilisations sont grandes à la mesure de leur participation au grand métissage de l’esprit humain.

La faiblesse de l’Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage. Elle a payé cher ce désengagement du monde qui l’a rendue si vulnérable. Mais de ses malheurs, l’Afrique a tiré une force nouvelle en se métissant. Ce métissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraie force et la vraie chance de l’Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale.

La civilisation musulmane, la chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l’universel et à l’histoire. Ne te laisse pas, jeunesse d’Afrique, voler ton avenir par ceux qui ne savent opposer à l’intolérance que l’intolérance, au racisme que le racisme.

Ne te laisse pas, jeunesse d’Afrique, voler ton avenir par ceux qui veulent t’exproprier d’une histoire qui t’appartient aussi parce qu’elle fut l’histoire douloureuse de tes parents, de tes grands-parents et de tes aïeux.

N’écoute pas, jeunesse d’Afrique, ceux qui veulent faire sortir l’Afrique de l’histoire au nom de la tradition parce qu’une Afrique ou plus rien ne changerait serait de nouveau condamnée à la servitude.

N’écoute pas, jeunesse d’Afrique, ceux qui veulent t’empêcher de prendre ta part dans l’aventure humaine, parce que sans toi l’aventure humaine sera moins belle.

N’écoute pas non plus, jeunesse d’Afrique, ceux qui veulent te déraciner, te priver de ton identité, faire table rase de tout ce qui est africain, de toute la mystique, la religiosité, la sensibilité, la mentalité africaine, parce que pour échanger il faut avoir quelque chose à donner, parce que pour parler aux autres il faut avoir quelque chose à leur dire.

Ecoute plutôt, jeunesse africaine, la grande voix du Président Senghor qui chercha toute sa vie à réconcilier les héritages et les cultures au croisement desquels les hasards et les tragédies de l’histoire avaient placé l’Afrique.

Il disait, lui l’enfant de Joal, l’enfant qui avait été bercé par les rhapsodies des Griots, il disait : « nous sommes des métis culturels et si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s’adresse aussi aux Français et aux autres hommes ».

Il disait aussi : « le français nous a fait don de ses mots abstraits si rares dans nos langues maternelles. Chez nous les mots sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang ; les mots du français eux rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit ». Ainsi parlait Léopold Senghor, ce grand poète et ce grand Africain qui voulait que l’Afrique se mit à parler à toute l’humanité et qui écrivait en français des poèmes pour tous les hommes.

Des poèmes qui étaient des chants et qui parlaient à tous les hommes des êtres fabuleux qui gardent les fontaines, chantent dans les rivières et se cachent dans les arbres. Des poèmes qui leur faisaient entendre les voix des morts du village et des ancêtres. Des poèmes qui leur faisaient traverser des forêts de symboles et remonter jusqu’aux sources de la mémoire ancestrale, que chaque peuple garde au fond de sa conscience comme l’adulte garde au fond de la sienne le souvenir du bonheur de l’enfance.

Car chaque peuple a connu ce temps de l’éternel présent, où il cherchait non à dominer l’univers mais à vivre en harmonie avec lui. Temps de la sensation, de l’instinct, de l’intuition. Temps du mystère et de l’initiation. Temps mystique ou le sacré était partout, où tout était signes et correspondances. Temps des magiciens, des sorciers et des chamanes. Temps de la parole qui se répète de génération en génération et transmet de siècle en siècle des légendes aussi vieilles que les dieux. L’Afrique a fait se ressouvenir à tous les peuples de la terre qu’ils avaient partagé la même enfance. Elle en a réveillé les joies simples, les bonheurs éphémères et ce besoin de croire plutôt que de comprendre, de ressentir plutôt que de raisonner, d’être dans l’harmonie plutôt que dans la conquête. Ceux qui jugent la culture africaine arriérée, ceux qui tiennent les Africains pour de grands enfants, tous ceux-là ont oublié que la Grèce antique, qui nous a tant appris sur l’usage de la raison, avait aussi ses sorciers, ses devins, ses cultes à mystères, ses sociétés secrètes, ses bois sacrés et sa mythologie qui venait du fond des âges et dans laquelle nous puisons encore un inestimable trésor de sagesse humaine.

L’Afrique, qui a aussi ses grands poèmes dramatiques et ses légendes tragiques en écoutant Sophocle, a entendu une voix plus familière qu’elle ne l’aurait crû et l’Occident a reconnu dans l’art africain des formes de beauté qui avaient jadis été les siennes et qu’il éprouvait le besoin de ressusciter. Entends, Jeunesse africaine, combien Rimbaud est africain quand il met des couleurs sur les voyelles comme tes ancêtres en mettaient sur leurs masques, « masque noir, masque rouge, masque blancetnoir ». Ouvre les yeux, Jeunesse d’Afrique et ne regarde plus, comme l’ont fait trop souvent tes aînés, la civilisation mondiale comme une menace pour ton identité mais comme quelque chose qui t’appartient aussi. Dès lors que tu reconnaîtras dans la sagesse universelle une part de la sagesse que tu tiens de tes pères et que tu auras la volonté de la faire fructifier, alors commencera la Renaissance africaine.

Dès lors que tu proclameras que l’homme africain n’est pas voué à un destin qui serait fatalement tragique et que partout en Afrique il ne saurait y avoir d’autre but que le bonheur, alors commencera la Renaissance africaine. Dès lors que tu déclareras qu’il ne saurait y avoir d’autres finalités pour une politique africaine que l’unité de l’Afrique et l’unité du genre humain, alors commencera la Renaissance africaine.

Dès lors que tu regarderas bien en face la réalité de l’Afrique et que tu la prendras à bras le corps, alors commencera la Renaissance africaine. Car le problème de l’Afrique, c’est qu’elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause.

Et ce mythe empêche de regarder en face la réalité de l’Afrique. La réalité de l’Afrique, c’est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible.

La réalité de l’Afrique, c’est encore trop de famine, trop de misère. La réalité de l’Afrique, c’est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l’Afrique, c’est le développement qui ne va pas assez vite, c’est l’agriculture qui ne produit pas assez, c’est le manque de routes, d’écoles, d’hôpitaux.

La réalité de l’Afrique, c’est un grand gaspillage d’énergie, de courage, de talents, d’intelligence.

La réalité de l’Afrique, c’est celle d’un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu’il n’arrive pas à se libérer des mythes. La Renaissance dont l’Afrique a besoin, toi seule Jeunesse, tu peux l’accomplir parce que toi seule en auras la force. Cette Renaissance, je suis venu te proposer que nous l’accomplissions ensemble parce que de la Renaissance de l’Afrique dépend pour une large part la Renaissance de l’Europe et la Renaissance du monde.

Je sais l’envie de partir qu’éprouvent un si grand nombre d’entre vous confrontés aux difficultés de l’Afrique. Je sais la tentation de l’exil qui pousse tant de jeunes Africains à aller chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille.

Je sais ce qu’il faut de volonté, ce qu’il faut de courage pour tenter cette aventure, pour quitter sa patrie, la terre où l’on est né, où l’on a grandi, pour laisser derrière soi les lieux familiers où l’on a été heureux, l’amour d’une mère, d’un père ou d’un frère et cette solidarité, cette chaleur, cet esprit communautaire qui sont si forts en Afrique. Je sais ce qu’il faut de force d’âme pour affronter le dépaysement, l’éloignement, la solitude.

Je sais ce que la plupart d’entre eux doivent affronter comme épreuves, comme difficultés, comme risques. Je sais ce que seront leurs souffrances. Je sais qu’ils iront parfois jusqu’à risquer leur vie pour allerjusqu’au bout de leur rêve. Mais je sais que rien ne les retiendra. Rien ne retient jamais la jeunesse quand elle est portée par ses rêves. Rien ne retient jamais la jeunesse quand elle veut partir à la découverte du monde. Je ne crois pas que la jeunesse africaine ne soit poussée à partir que pour fuir la misère. Je ne crois pas que les difficultés de l’Afrique soient la seule raison qui pousse la jeunesse africaine à partir. Je crois que la jeunesse africaine s’en va parce que, comme toutes les jeunesses, elle veut conquérir le monde. Comme toutes les jeunesses, elle a le goût de l’aventure et du grand large. Comme toutes les jeunesses, elle veut aller voir comment on vit. comment on pense, comment on travaille, comment on étudie ailleurs. Comme toutes les jeunesses, elle veut échapper à la pesanteur des habitudes, elle veut s’émanciper, elle veut voler de ses propres ailes. L’Afrique n’accomplira pas sa Renaissance en coupant les ailes de sa jeunesse. La Renaissance de l’Afrique commencera en apprenant à la jeunesse africaine à vivre avec le monde, non à le refuser.

La Renaissance de l’Afrique commencera quand la jeunesse africaine aura le sentiment que le monde lui appartient comme à toutes les jeunesses de la terre. La Renaissance de l’Afrique commencera quand la jeunesse africaine aura le sentiment que tout deviendra possible comme tout semblait possible aux hommes de la Renaissance. Jeunesse africaine, tu ne dois pas être la seule jeunesse du monde assignée à résidence. Tu ne dois pas être la seule jeunesse du monde qui n’a le choix qu’entre la clandestinité et le repliement sur soi. Jeunesse africaine, tu dois pouvoir acquérir hors d’Afrique la compétence et le savoir que tu ne trouverais pas chez toi.

Tu dois aussi à la terre africaine de mettre à son service les talents que tu auras développés. Il faut revenir bâtir l’Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence le dynamisme de ses cadres.

Tu n’as pas besoin qu’on te prenne par la main. Tu n’as pas besoin que l’on te fasse la charité. Ce que tu veux, c’est avoir les moyens de réaliser tes rêves. Ce que tu veux, c’est que l’on te respecte, c’est que l’on te comprenne. Ce que tu veux, c’est ne pas être à la merci des passeurs sans scrupules qui jouent avec ta vie. Ce que tu veux, c’est que ta dignité soit préservée. Ce que tu veux, c’est pouvoir faire des études, c’est pouvoir travailler, c’est pouvoir vivre décemment. C’est au fond, ce que veut toute l’Afrique. L’Afrique ne veut pas de la charité, elle ne veut pas d’aide, elle ne veut pas de passe droit. Ce que veut l’Afrique et ce qu’il faut lui donner, c’est la solidarité, la compréhension et le respect. Ce que veut l’Afrique, ce n’est pas que l’on prenne son avenir en main, ce n’est pas que l’on pense à sa place, que l’on décide à sa place. Ce que veut l’Afrique, ce que veut la France, c’est la coopération, c’est l’association, c’est le partenariat. Jeunesse africaine, tu veux la démocratie, tu veux la liberté, tu veux la justice, tu veux le Droit ? C’est à toi d’en décider. La France ne décidera pas à ta place. Mais si tu choisis la démocratie, la liberté, la justice et le Droit, alors la France est prête à s’associer à toi pour les construire. Jeunesse africaine, la Mondialisation telle qu’elle se fait ne te plaît pas. L’Afrique a payé trop cher le mirage du collectivisme et du progressisme pour céder à celui du laisser-faire. Jeunesse africaine, tu crois que le libre échange est bénéfique mais que ce n’est pas une religion. Tu crois que la concurrence est un moyen mais que ce n’est pas une fin en soi. Tu ne crois pas au laissez-faire. Tu sais qu’à être trop naïve l’Afrique serait condamnée à devenir la proie des prédateurs du monde entier. Et cela tu ne le veux pas. Tu veux une autre Mondialisation, avec plus d’humanité, avec plus de justice, avec plus de règles. La France la veut aussi. Elle veut se battre avec l’Europe, elle veut se battre avec l’Afrique, elle veut se battre avec tous ceux qui dans le monde veulent changer la Mondialisation. Jeunesse africaine, tu veux le développement, tu veux la croissance, tu veux la hausse du niveau de vie.

Mais le veux-tu vraiment ? Veux-tu que cesse l’arbitraire, la corruption, la violence ? Veux-tu que la propriété soit respectée, que l’argent soit investi au lieu d’être détourné ? Veux-tu que partout l’Etat se remette à faire son métier, qu’il soit allégé des bureaucraties qui l’étouffent, qu’il soit libéré du parasitisme, du clientélisme, que son autorité soit restaurée, qu’il domine les féodalités, qu’il domine les corporatismes ? Veux-tu que partout règne l’État de droit qui permet à chacun de savoir raisonnablement ce qu’il peut attendre des autres ?

Si tu le veux, alors la France est prête à le faire avec toi. Tu veux qu’il n’y ait plus de famine sur la terre africaine ? Tu veux que sur la terre africaine il n’y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherche l’autosuffisance alimentaire. Alors développe les cultures vivrières. L’Afrique a d’abord besoin de produire pour se nourrir. Si c’est ce que tu veux, Jeunesse africaine, qui tient entre tes mains l’avenir de l’Afrique, alors la France est prête à y travailler avec toi. Tu veux lutter contre la pollution ? Tu veux que le développement soit durable ? Tu veux que les générations actuelles ne vivent plus au détriment des générations futures ? Tu veux prendre des précautions ? Tu veux que chacun paye le véritable coût de ce qu’il consomme ? Tu veux développer les technologies propres ? C’est à toi de décider. Mais si tu le décides, la France le fera avec toi.

Tu veux la paix sur le continent africain ? Tu veux la sécurité collective ? Tu veux le règlement pacifique des conflits ? Tu veux mettre fin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? Décide-le et la France sera là.

Tu veux l’unité africaine ? La France le souhaite aussi. La France souhaite l’unité de l’Afrique qui rendra l’Afrique aux Africains. Ce que veut faire la France avec l’Afrique, c’est regarder en face les réalités. C’est faire la politique des réalités et non plus la politique des mythes. Ce que la France veut faire avec l’Afrique, c’est le co-développement, c’est-à-dire le développement partagé. Ce que la France veut faire avec l’Afrique, ce sont des projets communs, ce sont des pôles de compétitivité communs, ce sont des universités communes, ce sont des laboratoires communs. Ce que la France veut faire avec l’Afrique, c’est élaborer une stratégie commune dans la Mondialisation. Ce que la France veut faire avec l’Afrique, c’est une politique d’immigration négociée ensemble, décidée ensemble pour que la jeunesse africaine puisse être accueillie en France et dans toute l’Europe avec dignité et avec respect.

Ce que la France veut faire avec l’Afrique, c’est une alliance de la jeunesse française et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un monde meilleur.

Ce que veut faire la France avec l’Afrique, c’est préparer l’avènement de l’Eurafrique, ce grand destin commun qui attend l’Europe et l’Afrique. A ceux qui, en Afrique, regardent avec méfiance ce grand projet de l’union méditerranéenne que la France a proposée à tous les pays riverains de la Méditerranée, je veux dire que dans l’esprit de la France il ne s’agit nullement de mettre à l’écart l’Afrique qui s’étend au sud du Sahara mais qu’au contraire, il s’agit de faire de cette union le pivot de l’Eurafrique, la première étape du plus grand rêve de paix et de prospérité qu’Européens et Africains sont capables de concevoir ensemble. Alors l’enfant noir de Camara Laye, à genoux dans le silence de la nuit africaine, saura qu’il peut lever la tête et regarder avec confiance vers l’avenir. Et il sentira réconcilié en lui les deux parts de lui même. Et il se sentira enfin un homme comme tous les hommes.


La deuxième version:

http://www.elysee.fr/elysee/elysee.fr/f ... 79184.html

_________________
"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 04 Mai 2008 19:51 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Jan 2008 16:29
Message(s) : 1815
Localisation : France
Je n'avais jamais lu le texte intégral, il faut un peu de temps pour le digérer.
Je note deux parties : une première où le président parle de l'Afrique et de l'Homme africain. Et une seconde où il parle de ce qu'il faudrait faire pour sortir de la situation actuelle, et du projet de la France et de l'Europe en ce sens.

A première lecture, j'ai le sentiment que la première partie a causé de très vives réactions parce qu'elle était dite par l'homme blanc, représentant l'ex puissance coloniale. Je me demande quelles auraient été les réactions si ce texte avait été dit mot à mot par Nelson Mandela, ou Thabo Mbeki (dont j'ai le sentiment qu'ils auraient pu le dire)...

Le seul passage qui m'a un peu surpris, c'est celui où il parle de l'Homme africain rural, dont la mentalité serait un frein au progrès. Ca me semble oublier la très forte urbanisation de l'Afrique depuis 30 ans ; il y a maintenant une très nombreuse population urbaine, qui même si on peut imaginer qu'ils n'ont pas oublié du jour au lendemain les coutumes et la culture paysanne, vivent aujourd'hui dans un environnement très différent.

Pour le reste, en première lecture, ça me paraît un très bon texte, dont on doit pouvoir discuter sereinement.

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 07 Mai 2008 18:40 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 10 Avr 2002 17:08
Message(s) : 1940
Localisation : Paris
Citer :
A première lecture, j'ai le sentiment que la première partie a causé de très vives réactions parce qu'elle était dite par l'homme blanc, représentant l'ex puissance coloniale. Je me demande quelles auraient été les réactions si ce texte avait été dit mot à mot par Nelson Mandela, ou Thabo Mbeki (dont j'ai le sentiment qu'ils auraient pu le dire)...


A vrai dire, en lisant le texte, on a parfois l'impression de lire du Senghor ("l’émotion est nègre"), lui-même imprégné des vieux cliché de l'Afrique pourvoyeuse d'arts, de rythmes, de sensations, de forces et d'insctincts plutôt que de modernité et de technologie.

Pour alimenter la discussion, j'introduis un autre texte, fort long également mais non moins intéressant, duquel on a fréquemment rapproché le discours de Dakar: la partie de La Raison dans l'histoire dans laquelle Hegel traite de l'Afrique:

Citer :
L’Afrique est d’une façon générale le pays replié sur lui-même et qui persiste dans ce caractère principal de concentration sur soi. Elle se compose de trois parties que nous devons rigoureusement distinguer. La diversité de sa constitution géographique est si remarquable que son caractère spirituel lui-même, dans sa diversité, reste lié aux déterminations physiques. L’Afrique est, pour ainsi dire, composée de trois continents qui sont totalement séparés l’un de l’autre et n’ont aucune communication réciproque. L’un se trouve au sud du désert du Sahara : c’est l’Afrique proprement dite, le haut pays qui nous est totalement inconnu, avec d’étroites bandes côtières au bord de la mer. L’autre, situé au nord du désert, est l’Afrique, pour ainsi dire, européenne, un pays de côtes. Le troisième est le bassin du Nil, la seule vallée d’Afrique, qui se rattache à l’Asie.

L’Afrique septentrionale donne sur la Méditerranée et s’étend, vers l’ouest, jusqu’à l’Atlantique. Elle est séparée de l’Afrique méridionale par le grand désert, qui est une mer asséchée, et par le Niger. Le désert sépare davantage que la mer, et la nature des peuples que l’on rencontre sur le Niger manifeste cette séparation de façon particulièrement nette. C’est un territoire qui s’étend jusqu’à l’Egypte ; sa partie septentrionale est barrée par des régions désertiques et des montagnes. Entre les montagnes il y a de larges vallées fertiles qui en font une des plus belles et des plus riches contrées du monde. Là se trouvent le Maroc, Fas (et non pas Fez), Alger, Tunis, Tripoli. On peut dire que toute cette zone n’appartient pas à l’Afrique, mais à l’Espagne avec laquelle elle forme un bassin. Le polygraphe écrivain politique français de Pradt dit, pour cette raison, qu’en Espagne on est déjà en Afrique. Cette partie de l’Afrique est sa partie non autonome, celle qui a toujours été en relation avec l’extérieur. Elle n’a pas été, elle-même le théâtre d’événements historiques, mais elle a été toujours dépendante des grands bouleversements extérieurs. Ce fut d’abord une colonie des Phéniciens qui parvinrent à établir à Carthage une puissance indépendante. Elle fut ensuite une colonie des Romains, de l’empire byzantin, des Arabes, des Turcs sous la domination desquels elle se désagrégea en petits états de pirates berbères. C’est un pays qui ne fait que suivre le destin de tout ce qui arrive de grand ailleurs, sans avoir une figure déterminée qui lui soit propre. Tournée, comme l’Asie Mineure, vers l’Europe, cette partie de l’Afrique pourrait et devrait être rattachée à l’europe, comme du reste ont tout récemment tenté de le faire, avec succès, les Français.

L’Egypte, c’est-à-dire le bassin du Nil, qui tire son existence et sa vie de ce fleuve, appartient en revanche à ces territoires dont nous avons dit qu’ils formaient un centre, qu’ils étaient destinés à devenir les centres de civilisations grandes et autonomes. Sa participation au trafic de la Méditerranée, au début interrompue, fut ensuite développée de façon intense.

L’Afrique proprement dite est la partie de ce continent qui en fournit la caractéristique particulière. Ce continent n’est pas intéressant du point de vue de sa propre histoire, mais par le fait que nous voyons l’homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation. L’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans lien avec le reste du monde ; c’est le pays de l’or, replié sur lui-même, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit. S’il en est ainsi fermé, cela tient non seulement à sa nature tropicale, mais essentiellement à sa constitution géographique. Encore aujourd’hui elle demeure inconnue et sans aucun rapport avec l’Europe. L’occupation des côtes n’a pas incité les Européens à avancer vers l’intérieur. Le pays forme un triangle : à l’ouest, c’est la côte atlantique où le golfe de Guinée forme un profond angle rentrant ; à l’est, du Cap de la Bonne Espérance jusqu’au Cap Gardafui, c’est la côte du Grand Océan ; au nord, c’est le désert et le Niger. La partie la plus septentrionale a un autre caractère à cause de sa relation avec les Européens. Le pays dans son ensemble semble être un haut plateau qui ne présente qu’une bande côtière très étroite, habitée seulement en un petit nombre d’endroits. Dès qu’on avance vers l’intérieur, on trouve, presque partout, une ceinture marécageuse. Elle forme le pied d’une ceinture de hautes montagnes, traversée par quelques rares fleuves qui eux-mêmes ne permettent aucune relation avec l’intérieur, car leur percée n’a eu lieu que peu audessous du niveau des montagnes et seulement en des lieux étroits où se forment fréquemment des chutes d’eau non navigables, et des courants qui se croisent avec violence.

La partie septentrionale de l’Afrique proprement dite semble elle aussi fermée par une semblable barrière montagneuse, les Monts de la Lune, au sud du Niger. La zone côtière de l’Afrique a été, depuis des siècles, occupée par les Européens, mais ces derniers n’ont pénétré à l’intérieur que depuis une quinzaine d’années. Dans les contreforts du Cap de Bonne Espérance, les missionnaires ont récemment franchi les montagnes. A Mozambique, sur la côte orientale, à l’ouest sur le Congo et sur le Loango, et aussi sur le Sénégal qui coule à travers des déserts de sables et des montagnes, et en Gambie, les Européens se sont fixés sur la bande côtière. Mais s’il y a désormais trois siècles ou trois siècles et demi qu’ils la connaissent et qu’ils y ont affermi leur domination sur quelques endroits, pendant toute cette période, ils ne se sont aventurés que rarement, en quelques points et pour peu de temps sur ces rnontagnes, et ils ne s’y sont pas établis. La zone côtière est en partie sablonneuse et peu habitable ; mais plus loin, vers l’intérieur, elle est fertile. Si l’on avance encore vers l’intérieur, on rencontre une bande marécageuse à la végétation luxuriante, qui abrite toute sorte d’animaux féroces et qui dégage une atmosphère pestilentielle, presque empoisonnée. C’est ce qui, comme à Ceylan, a rendu presque impossible toute pénétration. Les Anglais et les Portugais ont souvent envoyé à cet effet des troupes en nombre suffisant, mais dans cette région la plupart des hommes mouraient et les autres étaient toujours mis en déroute. Puisque tant de fleuves coupent les chaînes montagneuses, on pourrait croire que l’accès à ces régions serait possible par la voie fluviale. Mais on a vu pour le Congo, qui est considéré comme une dérivation du Niger, et pour l’Orange, qu’ils ne sont navigables que sur une courte portion et qu’ils sont ensuite barrés par des chutes fréquentes et infranchissables. Étant donné cette configuration naturelle, les Européens n’ont pu acquérir que peu de connaissances sur l’intérieur de l’Afrique. En revanche, des peuples en sont parfois sortis, qui se sont montrés si barbares et sauvages que toute possibilité de nouer des relations avec eux était exclue. Ces incursions ont lieu de temps en temps, elles constituent les traditions les plus anciennes de cette partie du monde. On rapporte qu’aux XV-XVI siècles, d’horribles hordes, venant de l’intérieur, se sont abattues, en plusieurs endroits très éloignés les uns des autres, sur les habitants plus paisibles des pentes et des régions côtières. Plusieurs nations qu’on rencontre sur la côte ouest semblent être des vestiges de ces invasions. Des hordes de nègres ont pénétré aussi en Abyssinie. Quand leur rage prit fin, elles se sont installées dans la région côtière où elles se sont apaisées ; aujourd’hui elles se montrent douces et industrieuses et rien, à première vue, ne semble indiquer une quelconque barbarie. Cette tempête a-t-elle été provoquée par un mouvement intérieur et lequel ? On ne sait. Ce que l’on a su toutefois de ces hordes c’est le contraste de leur attitude, qui manifestait, dans ces guerres et ces expéditions l’inhumanité la plus irréfléchie et la brutalité la plus répugnante ; mais, leur rage ayant pris fin, elles se montraient, dans le temps calme de paix, douces et bonnes pour les Européens avec lesquels elles avaient fait connaissance. Il en est ainsi des Fullahs, des Mandingues, qui habitent les terrasses montagneuses du Sénégal et de la Gambie.

Dans cette partie principale de l’Afrique, il ne peut y avoir d’histoire proprement dite. Ce qui se produit, c’est une suite d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas ici un but, un État qui pourrait constituer un objectif. Il n’y a pas une subjectivité, mais seulement une masse de sujets qui se détruisent. Jusqu’ici on n’a guère prêté attention au caractère particulier de ce mode de conscience de soi dans lequel se manifeste l’Esprit. De nombreuses relations sont parvenues des régions les plus diverses, qui semblent pourtant incroyables à la plupart. Elles s’attardent en effet à rapporter des détails épouvantables plutôt qu’à tracer un tableau précis ou à dégager des principes, ce que précisément nous voulons essayer de faire ici. La littérature qui concerne ce sujet relève d’un genre assez mal défini, et celui qui veut s’occuper des détails doit recourir à ce qui se trouve dans des ouvrages bien connus. La meiheure description d’ensemble de l’Afrique se trouve dans la « Géographie » de Ritter.

Nous allons essayer maintenant de mettre en évidence l’esprit universel, la forme générale du caractère africain, à partir de ce qui en est manifesté dans ses aspects particuliers. Ce caractère est difficile à comprendre, car il diffère complètement de notre monde culturel ; il a en soi quelque chose d’entièrement étranger à notre conscience. Il nous faut oublier toutes les catégories qui sont à la base de notre vie spirituelle, et cesser de subsumer les choses sous ces formes. La difficulté consiste dans le fait que nos représentations sont toujours sournoisement présentées.

D’une façon générale, nous devons dire que, dans l’Afrique intérieure, la conscience n’est pas encore arrivée à l’intuition de quelque chose de. Solidement objectif, d’une objectivité. Par objectivité solide il faut entendre Dieu, l’éternel, le juste, la nature, les choses naturelles. Dans la mesure où il est en rapport avec une semblable entité bien consistante, l’esprit sait qu’il dépend d’elle, mais, en même temps, dans la mesure où il s’élève vers elle, il sait aussi qu’elle est une valeur. Les Africains, en revanche, ne sont pas encore parvenus à cette reconnaissance de l’universel. Leur nature est le repliement en soi. Ce que nous appelons religion, état, réalité existant en soi et pour soi, valable absolument, tout cela n’existe pas encore pour eux. Les abondantes relations des missionnaires mettent ce fait hors de doute. L’unique voie qui rapproche dans une certaine mesure le nègre de la culture semble être l’Islam ; les Mahométans d’ailleurs connaissent, mieux que les Européens, le moyen de pénétrer dans l’intérieur du pays.

Ce qui caractérise en effet les nègres, c’est précisément que leur conscience n’est pas parvenue à la contemplation d’une quelconque objectivité solide, comme par exemple Dieu, la loi, à laquelle puisse adhérer la volonté de l’homme, et par laquelle il puisse parvenir à l’intuition de sa propre essence. Dans son unité indifférenciée et concentrée, l’Africain n’en est pas encore arrivé à la distinction entre lui, individu singulier, et son universalité essentielle ; d’où il suit que la connaissance d’un être absolu, qui serait autre que le moi et supérieur à lui, manque absolument. L’homme, en Afrique, c’est l’homme dans son immédiateté. L’homme en tant qu’homme s’oppose à la nature et c’est ainsi qu’il devient homme. Mais, en tant qu’il se distingue seulement de la nature, il n’en est qu’au premier stade, et est dominé par les passions. C’est un homme à l’état brut. Pour tout le temps pendant lequel il nous est donné d’observer l’homme africain, nous le voyons dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore il est resté tel. Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa barbarie et son absence de discipline. Pour le comprendre, nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu spirituel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité, de tout ce qui s’appelle sentiment, si nous voulons saisir sa nature. Tout cela, en effet, manque à l’homme qui en est au stade de l’immédiateté : on ne peut rien trouver dans son caractère qui s’accorde à l’humain. C’est précisément pour cette raison que nous ne pouvons vraiment nous identifier, par le sentiment, à sa nature, de la même façon que nous ne pouvons nous identifier à celle d’un chien, ou à celle d’un Grec qui s’agenouillait devant l’image de Zeus. Ce n’est que par la pensée que nous pouvons parvenir à cette compréhension de sa nature ; nous ne pouvons en effet sentir que ce qui est semblable à nos sentiments.

Dans l’ensemble, nous trouvons ainsi, en Afrique, ce qu’on a appelé l’état d’innocence, l’unité de l’homme avec Dieu et avec la nature. C’est en effet l’état d’inconscience de soi. Mais l’esprit ne doit pas s’arrêter à ce point, à ce premier état. Ce premier état naturel est un état animal. Le « paradeisos » est un parc habité par des animaux, dans lequel l’homme vivait lui aussi dans l’état animal et était innocent, ce que précisément l’homme ne doit pas être. L’homme n’est vraiment homme que lorsqu’il connaît le bien et, par suite, son opposé, que lorsqu’il s’est divisé à l’intérieur de lui-même. Il ne peut en effet connaître le bien que lorsqu’il connaît aussi le mal. C’est pourquoi l’état paradisiaque n’est pas un état parfait. Cet état premier de perfection dont parlent les mythes de tous les peuples signifie que son fondement n’était que la détermination abstraite de l’homme. Quant à savoir si elle existait dans la réalité effective, c’est une autre question. On a confondu ici le fondement avec l’existence réelle. Le fondement est en effet le concept de l’esprit, et il a été présupposé comme déjà doué d’existence. Pour nous aussi, il est fondement, mais c’est en même temps le but de l’esprit que de produire un tel fondement. Sur le plan de l’existence réelle, il est le dernier degré, mais en tant que fondement, il est le premier. On parle beaucoup de l’intelligence supérieure de l’homme à l’état primitif, qui serait attestée de façon fragmentaire, comme le soutient Schlegel, par la sagesse des anciens Hindous en matière d’astronomie, et ainsi de suite. Mais, en ce qui concerne cette sagesse des Hindous, nous avons déjà remarqué que leurs traditions se sont révélées parfaitement misérables, et que leurs mathématiques ne sont que des fabulations vides.

Nous allons parcourir les moments principaux de l’esprit africain, et nous devrons en éclairer certains aspects particuliers qui jettent de la lumière sur son essence. Mais ce qui nous occupera en propre sera seulement la représentation générale du sujet. Tournons-nous donc, avant toute chose, vers la religion de l’Africain. Selon nos idées, le fait proprement religieux c’est que l’homme reconnaisse un être suprême, qui est en soi et pour soi, totalement objectif, absolue essence déterminante, pouvoir supérieur par rapport auquel l’homme est quelque chose de plus faible et de plus bas. Cet être peut être représenté comme esprit, ou comme force naturelle qui gouverne la nature, bien que ce ne soit pas sa forme véritable. Il peut aussi avoir dominé la vision imaginative, si bien que les hommes ont adoré la lune, le soleil, les fleuves. Avec leur imagination ils ont donné une âme à ces formes, mais elles ont été pour eux, quoi qu’il en soit, des réalités douées d’une potentialité tout à fait autonome. La religion commence avec la conscience de l’existence de quelque chose qui soit supérieur à l’homme. Cette forme d’expérience n’existe pas chez les nègres. Le caractère de l’Africain manifeste seulement l’antithèse initiale entre l’homme et la nature. Voici comment il se représente la situation : il y a lui et la nature, et ils sont opposés l’un à l’autre, mais c’est lui qui domine l’élément naturel. Voilà la situation fondamentale, dont nous trouvons chez Hérodote déjà le plus ancien témoignage. Nous pouvons en effet résumer le principe religieux de ces hommes par les mots d’Hérodote : « En Afrique, tous les hommes sont des magiciens ». Cela veut dire que l’Africain, comme être spirituel, s’arroge un pouvoir sur la nature, et c’est ce que signifie un tel pouvoir magique. Les relations des missionnaires s’accordent aussi sur ce point. Or, dans la magie, il n’y a pas l’intuition d’un dieu, d’une croyance morale, mais bien au contraire l’homme y est représenté comme la puissance suprême, comme celui qui, avec les forces de la nature, n’a d’autre rapport que celui du commandement. On ne parle donc pas d’une adoration spirituelle de Dieu, ni d’une souveraineté du droit. Dieu tonne et n’est pas reconnu. Pour l’esprit de l’homme, Dieu doit être davantage qu’une chose tonnante, mais chez les nègres il n’en est pas ainsi. Les Africains ne voient que la nature opposée à eux : ils en dépendent, et les forces naturelles sont terribles pour eux. Le fleuve peut les engloutir, le tremblement de terre peut détruire leurs demeures. L’abondance des moissons et des fruits dépend du temps. Ils ont tantôt trop de pluie, tantôt pas assez, ils ont besohi de la tempête, de la saison des pluies, de sa cessation. La pluie aussi bien que la sécheresse ne doivent pas durer trop longtemps. Mais ces forces naturelles, et aussi le soleil, la lune, les arbres, les animaux, sont bien pour eux des forces, mais des forces qui n’ont pas derrière elles une loi éternelle, une providence, et par conséquent ne constituent pas une force naturelle solide et universelle. L’Africain se rend compte qu’elles le dominent, mais pour lui ce sont des forces dont l’homme peut, d’une manière ou d’une autre, se rendre maître. Il domine ces puissances naturelles. Il ne faut pas penser ici à une adoration de Dieu ni à la reconnaissance d’un esprit universel opposé à celui de l’individu. L’homme ne connaît que luimême, et luimême comme opposé à la nature : c’est à cela que se réduit la rationalité chez ces peuples. Ils reconnaissent la force de la nature et cherchent à la dominer. C’est ainsi qu’ils croient que l’homme ne meurt jamais naturellement, mais que c’est la volonté d’un ennemi qui le tue par un pouvoir magique ; pour empêcher cela, comme contre toute force naturelle, ils se servent à leur tour de la magie.

Tout individu n’a pas ce pouvoir magique qui, au contraire, est concentré dans des personnes singulières. Ce sont elles qui commandent aux éléments, et cela précisément a le nom de magie. Beaucoup d’hommes se consacrent exclusivement à ordonner, à prédire et à effectuer ce qui est utile aux individus ou aux peuples. Les rois ont des ministres et des prêtres, parfois organisés en une hiérarchie complète, qui ont officiellement pour fonction de faire des sortilèges, de commander aux forces naturelles et de faire la pluie et le beau temps. Lorsque leurs commandements ont manqué trop longtemps d’efficacité, ces faiseurs de sortilèges sont bâtonnés. Chaque pays possède, de cette façon, ses propres sorciers qui se livrent à des cérémonies spéciales accompagnées de toutes sortes de mouvemements, de danses, de bruits, de cris, et qui édictent leurs ordonnances au milieu de tout ce vacarme. Si l’armée est en guerre et que surviennent les ouragans, qui sont si épouvantables, les sorciers doivent s’acquitter de leur tâche, menacer les nuages, leur adresser des ordres, afin de les apaiser. De la même façon, en période de sécheresse, ils doivent faire pleuvoir. Pour ce faire ils n’invoquent pas Dieu. Le pouvoir vers lequel se tournent ces hommes n’est pas un pouvoir supérieur, puisqu’ils croient produire eux-mêmes ces effets. Pour se préparer, ils se mettent dans un état d’enthousiasme extraordinaire. Avec des chants et des danses furieuses, en mangeant des racines et en buvant des liquides enivrants, ils se mettent dans un état de transe extrême et profèrent alors leurs commandements. Quand ces ordres restent longtemps infructueux, ils désignent parmi les assistants, qui peuvent être leurs parents les plus chers, ceux qui doivent être massacrés, et les autres les dévorent. En bref, l’homme se considère comme l’entité suprême qui a le pouvoir de commander. Souvent le prêtre passe plusieurs jours en proie à un état dans lequel il est livré à la folie, tue des hommes, boit leur sang et le fait boire aux assistants. Ainsi quelques hommes seulement ont, en fait, le pouvoir sur la nature, et eux-mêmes ne l’ont que lorsqu’ils s’élèvent audessus d’euxmêmes en un état d’horrible exaltation. Tout cela se rencontre chez les peuples africains sans distinction, chaque peuple ayant en sus, sur cette base commune, ses institutions particulières. Le missionnaire Cavazzi par exemple, rapporte différentes histoires du même genre à propos des nègres. Chez les Draks ou Dschaks, il y avait des prêtres, appelés Khitomes, qui avaient la réputation de protéger, au moyen d’amulettes, les hommes contre les animaux et contre l’eau.

Le second moment de leur religion consiste dans le fait qu’ils font de leur pouvoir un objet de représentation extérieur à leur conscience et lui donnent une figure. lls élèvent à la dignité de génie toute chose qu’ils unaginent avoir de la puissance sur eux, animaux, arbres, pierres, figurines de bois. Les individus se procurent de semblables objets en se les faisant donner par les prêtres. C’est en cela que consiste le fétiche, mot employé par les Portugais et qui dérive de « feitizo », magie. Dans le fétiche il semble que se manifeste une autonomie objective en face du libre vouloir de l’individu. Mais, attendu que cette objectivité n’est rien d’autre que le même arbitraire individuel parvenant à la contemplation de luimême, ce libre vouloir reste maître de son image. Ce qu’ils se représentent comme leur pouvoir n’est pas, ainsi, quelque chose d’objectif, de solide en soi-même, de différent d’eux. Le fétiche reste en leur pouvoir, et ils le répudient s’il n’agit pas selon leur volonté. Ils élèvent alors un autre fétiche au rang de puissance supérieure et ils s’imaginent qu’il s’agit d’une force qui dépasse la leur, mais ils la maintiennent d’autre part en leur pouvoir pour la même raison. S’il arrive, en effet, quelque chose de désagréable que le fétiche n’a pas su empêcher, si les réponses se révèlent fausses et tombent dans le discrédit, si la pluie vient à manquer et si la récolte est mauvaise, ils l’attachent et le bâtonnent, ou même ils le détruisent et l’éliminent, et en même temps en créent un autre. Cela veut dire que leur dieu reste en leur pouvoir. Ils le créent et le déposent à plaisir, ils ne s’élèvent pas, par conséquent, au delà du libre vouloir. Un tel fétiche n’a ni l’autonomie religieuse ni, encore moins, l’autonomie artistique. Il reste une pure créature qui exprime l’arbitraire du créateur et qui demeure toujours entre ses mains. En un mot il n’y a aucun rapport de dépendance dans cette religion. La même chose arrive à propos des esprits des morts auxquels ils attribuent, comme aux sorciers, un pouvoir de médiation. Dans ce cas aussi, il s’agit d’hommes, mais le moment supérieur est constitué par le fait qu’ils sont des hommes qui ont été dépouillés de leur immédiateté. De là dérive le culte des morts, dans lequel les ancêtres défunts sont considérés comme une force dirigée contre les vivants. Ies individus se tournent vers eux comme vers des fétiches, leur font des sacrifices, les évoquent par des incantations ; mais quand cela n’a pas réussi, ils punissent le défunt lui-même, en jettent les ossements et le déshonorent. D’autre part, ils ont l’idée que les morts se vengent quand leurs besoins ne sont pas satisfaits, et ils leur attribuent tout spécialement les malheurs qui les touchent. Nous avons déjà rappelé l’opinion du nègre selon laquelle ce n’est pas la nature ou un processus naturel qui rend malade ou fait mourir l’homme. Selon sa croyance, tout cela dérive du pouvoir exercé par un sorcier ou un ennemi, ou de la vengeance voulue par un mort. C’est la croyance aveugle dans la sorcellerie, qui a été terriblement dominante aussi en Europe. Or cette magie est combattue par des magiciens plus puissants. Il arrive que le préposé au fétiche ne soit pas disposé à le faire agir, alors on le bâtonne et on l’oblige à se livrer à ses incantations. Une des principales incantations des Khitomes consiste à apaiser les morts, ou à les contraindre, au moyen des plus horribles atrocités. Par ordre des morts, qui s’incarnent dans les prêtres, des sacrifices humains ont lieu. L’élément objectif reste, ainsi, toujours soumis à l’arbitraire. Le pouvoir des morts sur les vivants est reconnu, mais non respecté, puisque les nègres don nent des ordres à leurs morts et les ensorcellent. De cette façon l’élément substantiel reste toujours au pouvoir du sujet. Voilà la religion des Africains, elle ne va pas plus loin.

Il y a en elle, certes, la domination de l’homme sur la nature, niais sous le mode de l’arbitraire. C’est la volonté contingente de l’homme qui s’élève au-dessus du moment naturel qu’elle considère comme un moyen, auquel elle ne fait pas l’honneur de le traiter de façon appropriée à son essence, mais au contraire donne des ordres. Tout cela contient toutefois un principe plus juste que celui qui est impliqué dans le culte de la nature, que l’on considère souvent comme une forme de la piété, dans la mesure où on dit que les phénomènes naturels sont 1’œuvre de Dieu, en laissant entendre que l’œuvre humaine, l’œuvre de la Raison, n’est pas divine elle aussi. Le degré de conscience de la nature auquel les nègres sont parvenus, n’est pas, en effet, la conscience de son objectivité, et encore moins la conscience de Dieu comme Esprit, c’est-à-dire comme quelque chose qui est en soi et pour soi supérieur à la nature. D’autre part, il ne s’agit pas non plus de l’intelligence qui réduit la nature à l’état de moyen, qui, par exemple, navigue sur la mer, et en un mot se rend maîtresse de la nature. Le pouvoir du nègre sur la nature est seulement une force de l’imagination, une domination imaginaire.

En ce qui concerne les rapports humains, il résulte comme second moment, du fait que l’homme est considéré comme réalité suprême, qu’il n’a aucun respect, ni pour luimême, ni pour les autres. Cela impliquerait en effet une valeur supérieure, absolue, que l’homme recélerait en lui-même. L’homme n’atteint une position qui lui assure le véritable respect qu’avec la conscience d’un être supérieur. Si, en effet, le libre vouloir est l’absolu, s’il est l’unique objectivité solide qui se présente à l’intuition, l’Esprit, quand il en reste à ce degré, ne peut avoir aucune idée d’universalité. Pour cette raison, il n’existe pas, chez les Africains, ce qu’on appelle l’immortalité de l’âme. Ils connaissent, eux aussi, ceux que nous appelons chez nous des spectres mais il ne s’agit pas vraiment de l’iminortalité qui implique que l’homme soit en soi et pour soi une réalité spirituelle, immuable, éternelle. Les nègres ont, à cause de cela, un mépris total pour l’homme, et c’est ce mépris, qui, du point de vue juridique et éthique, constitue leur principale caracté ristique. La dévalorisation de l’homme est poussée jusqu’à un point incroyable. L’ordre existant peut être jugé comme une tyrannie, mais cette tyrannie n’est ni considérée ni ressentie comme une injustice. A cela est lié le fait que l’usage de manger de la chair humaine est admis comme un usage licite et partout répandu. Il en est ainsi chez les Ashanti, plus bas sur le cours du Congo, et dans la partie orientale du pays. Cet usage se présente immédiatement comme quelque chose de sauvage et d’abominable qui doit répugner à l’instinct. Mais chez l’homme on ne peut parler d’instinct : celui-ci est toujours en corrélation avec le caractère de l’esprit. Il suffit que l’homme ait un peu progressé dans sa conscience pour qu’il ait du respect pour l’homme en tant que tel. Abstraitement, on peut dire : la viande, c’est de la viande, tout est une question de goût. Mais on pense que cette viande est de la chair humaine, la même que celle du corps qui a une telle pensée. Le corps humain est un corps animal, mais il est essentiellement corps d’un être pensant ; il est lié à la vie de l’âme. Chez les nègres rien de tel ne se produit. Ie fait de dévorer des hommes correspond au principe africain. Pour la matérialité [Sinnlichkeit] du nègre, la chair humaine est seulement quelque chose de sensible, de la viande et rien d’autre. Cette chair, du reste, n’est pas exclusivement employée comme nourriture. A l’occasion de fêtes, en effet, des centaines de prisonniers sont torturés et décapités, et leurs corps sont rendus à ceux qui les avaient faits prisonniers et qui en font ensuite la distribution. Dans certains endroits, on a vu de la chair humaine exposée sur des marchés. A la mort d’un individu riche, des centaines d’hommes sont tout bonnement massacrés et dévorés. Les prisonniers sont assassinés et taillés en pièces, et la règle veut que le vainqueur mange le cœur de son ennemi tué. Dans les incantations, il arrive souvent que le sorcier tue le premier venu et le donne en pâture à la foule.

Une telle dévalorisation de l’homme explique que l’esclavage soit, en Afrique, le rapport de base du droit. L’unique rapport essentiel que les nègres ont eu, et ont encore, avec les Européens, est celui de l’esclavage. Les nègres n’y voient rien de blâmable, et ils traitent en ennemis les Anglais qui ont pourtant fait plus que tous les autres peuples en faveur de l’abolition du commerce des esclaves et de l’esclavage. Pour les rois, en effet, il est d’importance primordiale de vendre leurs ennemis prisonniers ou même leurs propres sujets, et en ce sens l’esclavage a contribué à éveiller un plus grand sens de l’humanité chez les nègres. Ils sont réduits en esclavage par les Européens et vendus en Amérique, et pourtant leur sort dans leur propre pays est presque pire, dans la mesure où ils y sont soumis à un esclavage aussi absolu. L’esclavage suppose en effet, de façon générale, que l’homme n’a pas encore la conscience de sa liberté, et qu’il tombe ainsi au niveau d’une chose, d’un objet sans valeur. Dans tous les royaumes africains connus des Européens, l’esclavage est une institution indigène et domine naturellement. Mais la distinction entre maîtres et esclaves est fondée seulement sur l’arbitraire. La leçon que nous pouvons tirer de l’état d’esclavage qui existe chez les nègres, leçon qui constitue le seul aspect intéressant de la question est celle que nous connaissons déjà pour l’avoir déduite de l’idée, à savoir que l’état de nature est, par lui même, l’état de l’injustice absolue et complète. De la même façon, tous les degrés intermédiaires entre cet état et la réalité de l’Etat rationnel comportent encore des éléments d’injustice. C’est pourquoi nous trouvons encore l’esclavage dans l’etat grec et dans l’Etat romain, et que le servage s’est perpétré jusqu’à l’époque plus récente. Mais dans la mesure où il prend place à l’intérieur de l’Etat, l’esclavage est en lui-même un moment du progrès par rapport à la pure existence isolée et sensible, un moment de l’éducation, une sorte de participation à une vie éthique et culturelle supérieure. L’esclavage est une injustice en soi et pour soi, parce que l’essence de l’homme est la liberté. Mais pour arriver à la liberté, l’homme doit acquérir d’abord la maturité nécessaire. L’élimination graduelle de l’esclavage est, pour cette raison, plus opportune et plus juste que son abolition brutale.

L’esclavage ne doit pas exister, car il est en soi et pour soi injuste selon le concept de la chose. Mais le « doit » exprime quelque chose de subjectif, il est, comme tel, non historique. Ce qui manque encore au « doit », c’est la substantiabilité éthique d’un État. L’esclavage n’existe pas dans les États rationnels, mais, avant l’apparition de tels États, l’idée vraie ne peut exister sous certains aspects, que comme un pur devoir être ; dans ce cas, l’esclavage est encore nécessaire. C’est un moment de passage à un degré supérieur. On ne peut prétendre de façon absolue que l’homme, par le seul fait qu’il est un homme, soit considéré comme essentiellement libre. Il n’en était rien chez les Grecs et les Romains eux-mêmes. L’Athénien n’était libre qu’en tant que citoyen d’Athènes et ainsi de suite. Notre idée générale, c’est que l’homme est libre en tant qu’homme ; mais autrement il n’a de valeur que sous quelque aspect particulier : époux, parents, voisins, concitoyens, n’ont de valeur que l’un pour l’autre. Chez les nègres, cela ne se produit qu’à un faible degré. Les sentiments éthiques, entre eux, sont d’une extrême faiblesse, ou, pour mieux dire, n’existent pas du tout. Le premier rapport éthique, celui de la famille, est absolument indifférent aux nègres. Les hommes vendent leurs femmes, les parents vendent leurs enfants, et inversement, selon le rapport réciproque de puissance qui existe dans chaque cas. La violence de l’esclavage fait disparaître tous les liens de respect moral que nous avons réciproquement, et il ne vient pas à l’esprit des nègres d’exiger les uns des autres ce que nous pouvons exiger chez nous. Ils ne se préoccupent pas de leurs parents malades, si l’on excepte le fait que parfois ils vont prendre conseil des sorciers. Les sentiments humains, comme ceux de l’amour et d’autres sentiments semblables, impliquent une conscience de soi qui n’est plus seulement conscience de la personne singulière. Ainsi, dans la mesure où j’aime quelqu’un, je suis conscient de moi dans l’autre ; comme dit Gœthe, j’ai un cœur vaste. C’est un élargissement de moi-même. La polygamie des noirs a souvent pour fin la génération d’un grand nombre d’enfants qui pourront tous être vendus comme esclaves. Ils ne ressentent absolument pas l’injustice du procédé. Cette triste situation prend chez eux des proportions énormes Le roi du Dahomey a 3 333 femmes ; tout homme riche en a plusieurs avec de nombreux enfants qui lui rapportent de l’argent. Des missionnaires racontent qu’un nègre se rendit à l’église des Franciscains et se mit à se lamenter affreusement en disant qu’il était désormais dans la misère, car il avait déjà vendu tous ses parents, même son père et sa mère.

Dans le mépris des nègres pour l’homme, ce qui est caractéristique, ce n’est pas tant le mépris pour la mort que le manque de respect pour la vie. La vie a aussi peu de valeur que n’en a l’homme. Elle n’a, en effet, de valeur que dans la mesure où il y a dans l’homme, quelque chose d’une valeur supérieure. Le mépris du nègre pour la vie n’est pas un dégoût de vivre, il n’est pas le résultat d’une satiété accidentelle, c’est la vie en général qui n’a pas de valeur pour lui. Le nègre se suicide souvent, quand il est blessé dans son honneur ou quand le roi l’a puni. S’il ne se tuait pas, on le tiendrait pour vil. Il ne pense pas à la conservation de la vie, et même pas à la mort. Il faut pourtant attribuer à ce mépris pour la vie le grand courage, soutenu par une énorme force physique, des nègres, qui se font tuer par milliers quand ils guerroient contre les Européens. Dans la guerre des Ashanti contre les Anglais, les nègres se précipitèrent sur les bouches des canons et ne reculèrent pas, bien qu’il en tombât cinquante à la fois. Car la vie n’a de valeur que là où les fins qu’elle vise ont de la dignité.

Si nous nous mettons maintenant à examiner les traits principaux de la constitution, il résulte en propre de la nature des choses qu’il ne peut y avoir vraiment de constitution en Afrique. La forme de gouvernement doit être essentiellement la forme patriarcale. Ce stade de l’évolution a pour caractéristique l’arbitraire déterminé par les sens, l’énergie de la volonté sensible. Et, lorsque l’arbitraire prédomine, les rapports éthiques en sont encore à un stade tout à fait rudimentaire, car ils ont un contenu essentiellement universel et ils ne considèrent pas la conscience comme existante et valable pour soi dans sa singularité, mais au contraire ils ne reconnaissent sa valeur que dans son universalité intérieure, et cela sous des formes diverses, juridique, religieuse ou morale. Là où cet universel est faible ou lointain, la structure politique peut néanmoins être caractérisée de façon que des lois libres et rationnelles gouvernent l’Etat. Ainsi, comme nous l’avons vu, l’éthique familiale est peu vigoureuse. Quant au mariage et à l’organisation domestique, c’est la polygamie qui prédomine, ce qui détermine l’indifférence réciproque entre parents, entre parents et enfants, et entre enfants mêmes. Ce qui manque ainsi, c’est, d’une manière générale, un lien qui limiterait l’arbitraire. Dans de telles conditions, cette plus vaste association d’individus que nous appelons État ne peut se former, car elle est fondée sur l’universalité rationnelle qui est une loi de la liberté. Une force extérieure est nécessaire pour maintenir ensemble les volontés arbitraires. Par lui-même, en effet, l’arbitraire n’a rien qui pousse les hommes à s’accorder, car il consiste avant tout, pour l’homme, à faire prévaloir sa volonté particulière. C’est alors que se produit le régime du despotisme, dans lequel la force extérieure elle-même est arbitraire, parce qu’il n’existe pas d’esprit rationnel commun dont le gouvernement pourrait être le représentant et le réalisateur. Un maître commande, car la grossièreté sensible ne peut être domptée que par une force despotique. Le despotisme s’impose parce qu’il dompte le libre vouloir qui peut avoir en soi de l’orgueil, mais non de la valeur. Pour cette raison, le libre vouloir du despote est respectable du point de vue formel, car il rend possible la vie en commun, de façon générale, et représente par là un principe supérieur à celui du libre vouloir particulier. Le libre vouloir doit en effet avoir un motif de cohésion, et, que la volonté soit sensible ou réfléchie, cet élément de cohésion ne peut être que la force extérieure. Quand le libre vouloir trouve devant lui quelque chose de supérieur et se sent impuissant, il s’agenouille, mais s’il acquiert le pouvoir, il devient orgueilleux à l’égard de ce qu’il adorait un instant auparavant. Il existe nécessairement, en conséquence, de nombreuses variantes dans les manières dont se manifeste l’arbitraire. Là où précisément nous voyons dominer le plus sauvagement le despotisme, nous voyons aussi qu’il exclut le libre vouloir en retournant contre lui sa propre force. A côté du roi, dans les etats nègres, on trouve toujours le bourreau, dont la fonction est extrêmement importante, car il sert au roi pour se débarrasser des suspects, et aux notables pour tuer le roi quand ils en ont envie. Les sujets, en effet, qui sont des hommes également violents, limitent, à leur tour, l’autorité du maître. Des compromis sont passés, et, dans l’ensemble, les despotes doivent faire des concessions au libre vouloir des puissants. Le despotisme prend alors la forme dans laquelle il y a au sommet de la hiérarchie un chef, que nous pouvons appeler roi, mais qui a au-dessous de lui des grands, des chefs, des généraux, qu’il doit consulter en toute occasion et sans l’assentiment desquels il ne peut, en particulier, entreprendre des guerres, conclure des traités de paix, imposer des tributs. Il en est ainsi chez les Ashanti, où le roi a comme vassaux de nombreux princes qui paient tribut. Ies Anglais eux-mêmes lui paient un tribut qu’il partage avec ses chefs.

Le despote africain peut, dans cette sphère, exercer une autorité plus ou moins grande, et à l’occasion se débarrasser de tel ou tel chef, par la ruse ou par la violence. Les rois possèdent en outre certains privilèges. Chez les Ashanti le roi hérite de tous les biens laissés par ses sujets. Ailleurs, toutes les jeunes filles appartiennent au roi, et celui qui veut avoir une femme doit lui en acheter une. Mais si les nègres sont mécontents de leur roi, ils le déposent et le tuent. Un royaume encore peu connu, près du Dahomey et qui a quelque chose comme une histoire propre : c’est celui du roi de Eyio. Il est situé tout à fait à l’intérieur, là où il n’y a pas seulement de grands déserts arides. Et même, partout où on a pu pénétrer à l’intérieur, on a découvert de grands royaumes. Or, en des temps plus reculés, racontent les Portugais, deux cent mille hommes environ prirent part à une guerre. Le roi de Eyio lui-même possède deux cent mille cavaliers. Comme chez les Ashanti, il est entouré de grands qui ne sont pas inconditionnellement soumis à son libre vouloir. Quand il ne gouverne pas bien, ils lui envoient une ambassade qui lui remet trois œufs de perroquet. Les envoyés lui tiennent ensuite un discours : ils le remercient de la peine qu’il prend pour les gouverner justement et ajoutent que, pourtant, ses efforts doivent l’avoir trop fatigué et qu’il doit avoir certainement besoin de sommeil pour se reposer. Le roi les remercie pour leurs bons conseils, reconnaît leur bienveillance, et se retire dans la pièce contigüe. Là, pourtant, il ne se met pas à dormir, mais il se fait étrangler par ses femmes. De façon analogue, il y a vingt ans, a été déposé un roi des Ashanti que les cajoleries de sa femme avaient poussé à rester dans le royaume de son beau-père. Les grands l’invitèrent à revenir pour la fête annuelle, mais, comme il n’était pas revenu, ils nommèrent roi son frère.

Ainsi ce despotisme lui-même, n’est pas complètement aveugle. Les peuples ne sont pas seulement esclaves, ils font aussi valoir leur volonté. En Afrique orientale, Bruce a traversé un etat dans lequel le premier ministre est le bourreau, et qui ne peut, cependant, couper la tête à d’autres qu’au roi. Jour et nuit l’épée est ainsi suspendue sur la tête du despote. D’autre part le despote a un pouvoir absolu sur la vie de ses sujets. Là où la vie n’a pas de valeur, elle est gaspillée sans égards. Les peuples se combattent dans des batailles sanglantes qui durent souvent jusqu’à huit jours sans interruption et dans lesquelles périssent des centaines de milliers d’individus. Le résultat décisif est déterminé, d’habitude, par un événement accidentel. Alors, les vainqueurs massacrent tous ceux qu’ils peuvent rattraper. De nombreux princes, du reste, ont pour bourreau leur premier ministre. Dans tous les États nègres, dont beaucoup sont voisins entre eux, la même chose arrive à peu près. La diginité de chef est la plupart du temps héréditaire, mais elle s’acquiert rarement de façon pacifique. Le prince est très honoré, mais il doit partager son pouvoir avec ses guerriers. Chez les nègres, aussi, il y a des jugements et des procès. Dans le nord, où les Maures ont propagé l’islamisme, les coutumes sont plus douces. Les nègres avec les quels les Anglais entrèrent en contact étaient eux aussi mahométans.

Cette mentalité des Africains implique qu’ils sont au plus haut degré exposés à subir l’influence du fanatisme. Le pouvoir de l’esprit est si faible chez eux, et si intense pourtant l’esprit en lui-même, qu’une seule idée qui s’impose à eux est suffisante pour les pousser à ne rien respecter et à tout détruire. On les voit vivre longtemps de la façon la plus tranquille et la plus débonnaire, mais cette douceur est capable de se transformer, à l’improviste, en fureur. Si peu de choses méritent en elles mêmes du respect à leurs yeux, que l’idée qui s’empare d’eux devient leur seul mobile et les pousse à tout détruire. Toute idée jetée parmi des nègres est saisie et réalisée avec toute l’énergie de la volonéé. Mais, dans le même temps, au cours de cette réalisation, tout est détruit. Ces peuples sont longtemps tranquilles, mais d’un moment à l’autre ils entrent en fermentation et sortent alors complètement d’eux-mêmes. La destruction, qui est la conséquence de ce mouvement violent, a sa raison d’être en ce que ce n’est pas un contenu idéal, une pensée, qui provoque ces impulsions, mais un fanatisme plus physique que spirituel. Nous voyons ainsi, souvent, des populations se précipiter avec une fureur singulière sur la côte et tout massacrer, sans autre raison que la fureur et la folie, avec un courage qui est le propre des seuls fanatiques. Dans ces Etats, toute résolution a un caractère fanatique, d’un fanatisme supérieur à tout ce qu’on peut imaginer. Un voyageur anglais raconte que, lorsque chez les Ashanti une guerre est décidée, elle est précédée par des cérémonies solennelles : entre autres, les ossements de la mère du roi doivent être lavés avec du sang humain. Comme prélude à la guerre, le roi ordonne un assaut contre sa propre capitale, comme pour exciter sa propre fureur. Un peuple qui avait refusé de payer le tribut devant être puni par une guerre, le roi envoya ce message au résident anglais Hutchinson : « Chrétien, sois sur tes gardes, et veille sur ta famille. Le messager de la mort a mis l’épée au clair et il frappera les têtes de nombreux Ashanti. Quand le tambour battra, ce sera le signal de la mort pour beaucoup. Viens auprès du roi, si tu peux, et ne crains rien pour toi. » Le tambour battit ; les guerriers du roi, armés de courtes épées, sortirent pour se livrer au massacre et un carnage terrible commença. Tous ceux que les nègres furieux rencontraient sur leur chemin étaient percés de coups. Cette fois, cependant, il n’y eut pas beaucoup de victimes, car le peuple avait eu vent de la chose et pris ses précautions. En de telles occasions, le roi fait tuer tous ceux qui lui sont suspects, et cette action assume alors le caractère d’une fonction sacrée. La même chose se produit dans les funérailles. Tout a le caractère de la sortie hors de soi-même, de l’être hors de soi-même. Les esclaves du défunt sont abattus, la tête, dit-on, appartient au fétiche, le corps aux parents qui le dévorent ensuite. Au Dahomey, quand le roi meurt, une émeute éclate dans tout son palais, qui est immense. Tout le mobilier est détruit, et un massacre général se produit. Les épouses du souverain (qui sont, comme on l’a dit, 3- 333), se préparent à la mort. Elles en admettent la nécessité, se parent pour l’occasion et se font tuer par leurs esclaves. Tout lien social, dans la cité et dans le royaume, est rompu. Partout se produisent des meurtres et des vols, et les vengeances privées se donnent libre cours. Dans une occasion semblable, cinq cents femmes furent tuées au palais en six minutes. Les hauts fonctionnaires se hâtent de proclamer le nouveau souverain le plus vite possible, pour mettre fin aux débordements et aux carnages.

Le cas le plus épouvantable est celui d’une femme qui, dans l’intérieur du Congo, règne sur les Dschaks. Convertie au Christianisme, elle retomba dans l’idôlatrie, puis se convertit de nouveau. Elle vivait de façon très dissolue, en lutte contre sa mère qu’elle chassa du trône, et elle fonda un etat féminin qui se fit connaître par ses conquêtes. Elle répudia publiquement tout amour pour sa mère et pour son fils. Elle broya ce dernier, qui était un petit enfant, dans un mortier, devant l’assemblée, se barbouilla de son sang, et ordonna que fût toujours prête une provision de sang d’enfants broyés. Ses lois étaient terribles. Elle fit chasser ou assassiner les hommes, et toutes les femmes devaient tuer leurs enfants mâles. Les femmes enceintes devaient quitter le campement et accoucher en secret. A la tête de ces femmes, elle exécuta les plus épouvantables dévastations. Comme des furies, elles détruisaient tout dans le voisinage, se nourrissaient de chair humaine, et, ne cultivait pas la terre, elles n’avaient que le pillage comme moyen de subsistance. Plus tard, il fut permis aux femmes de prendre pour époux les prisonniers de guerre qu’elles faisaient esclaves, et même de leur donner la liberté. Il en fut ainsi de nombreuses années. Il est du reste caractéristique du type de vie africain que les femmes participent à la guerre. Dans l’Ashanti et au Dahomey, il existe un corps de femmes avec lequel le roi accomplit des expéditions militaires. Au Dahomey — celui qui le voudrait pourrait y voir une réalisation partielle de la république platonicienne — les enfànts n’appartiennent pas à leur famille, mais reçoivent une éducation publique, et peu après leur naissance ils sont répartis dans les différents villages. Une grande multitude entoure le roi : celui qui veut se marier doit déposer devant le palais quelques thalers et obtient ainsi une femme. Chacun doit prendre celle qui lui est assignée, qu’elle soit jeune ou vieille. Les épouses des rois guident les candidats à l’état conjugal, elles leur donnent d’abord une mère, qu’ils doivent accepter, puis ils doivent revenir une autre fois pour avoir uile femme.

Il résulte de tous ces différents traits que ce qui détermine le caractère des nègres est l’absence de frein. Leur condition n’est suceptible d’aucun développement, d’aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie de l’arbitraire naturel qui les domine, le moment moral n’a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. Là-dessus, nous laissons l’Afrique pour n’en plus faire mention par la suite. Car elle ne fait pas partie du monde historique, elle ne montre ni mouvement, ni développement et ce qui s’y est passé, c’est-à-dire au Nord, relève du monde asiatique et européen. Carthage fut là un élément important et passager. Mais elle appartient à l’Asie en tant que colonie phénicienne. L’Egypte sera examinée au passage de l’esprit humain de l’Est à l’Ouest, mais elle ne relève pas de l’esprit africain ; ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non-développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle.

_________________
"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 07 Mai 2008 19:31 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Jan 2008 16:29
Message(s) : 1815
Localisation : France
Je me demande ce que Rousseau aurait pensé de ce texte !

Et surtout, je m'étonne que le collectif qui avait intenté une action contre Pétré-Grenouilleau ne se soit pas encore associé au type qui voulait bannir Tintin au Congo pour faire interdire Hegel 8-|
Ils ne doivent pas l'avoir lu.

Trève de plaisanterie, on peut quand même dire que le texte du président est davantage tourné vers l'avenir et plein d'espérance, là où celui de Hegel est d'un absolu pessimisme.
Je note d'ailleurs que malgré cela, Hegel ne dénie pas l'humanité ni la dignité humaine des africains ; il n'en fait pas des "sous-hommes".

Je dois avouer que les passages sur les massacres et l'indifférence à la vie d'autrui m'ont fait spontanément penser au Rwanda ; je ne suis d'ailleurs pas très fier de cette association d'idée spontanée...

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 18 Mai 2008 11:02 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 30 Sep 2007 12:09
Message(s) : 468
Localisation : Klow / Nouillorc
Il est quand même curieux qu'avec le lamentable bilan de l'histoire européenne, (guerres monstrueuses et incessantes, génocides répétés, dictatures loufoques), on en soit encore à donner des leçons d'intelligence et de culture aux africains.

_________________
"Les gosses n'apprennent plus rien à l'école; en histoire-géo par exemple, ils doivent se débrouiller comme ils peuvent. Bientôt, un gamin nous dira par déduction que l'an 1111 correspond à l'invasion des Huns....."

Compte rendu de réunion d'une communauté d'agglomération


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 18 Mai 2008 19:05 
Ce que dit Vitalis est très intérréssant surtout que la colonisation est une chose qui est arrivé en pleine figure des Africains et qui n'a fait que détruire notre continent. Le discours de Nicolas Sarkozy est quand même bien rôdé car il dit les choses sans les exposer totalement.


Haut
  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Mai 2008 22:16 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 01 Nov 2006 16:49
Message(s) : 544
Localisation : Triangle des bermudes
Même dans mon salon, les volets fermés et la radio éteinte, même là, je vis cette oppression. Ils sont où les chanteurs, compositeurs, architectes, écrivains, poètes, couturier... Que de la politique, même sur ce thème, ils sont où les africains renvoyé(e)s dans leur pays parfois d'une façon violente, ils sont où les criminelles de guerre, ils sont où les travailleurs demandeurs d'asile... Sûrement pas dans ce genre de discours, ni dans ce forum qui ne traite pas de cette actualité.

_________________
Liberté, Egalité, Fraternité


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Mai 2008 23:06 
Hors-ligne
Salluste
Salluste
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 11 Déc 2005 0:25
Message(s) : 254
Mais quel discours hyprocrisie !!!
8-| Déja il y a certains phrases de ce texte qu'il n'a pas prononcé à Dakar.
Ce discours est mal vu et mal accepté par la marjorité Afrique Francophone et Anglophone puis abarophone.

JE sais très bien que Si l'Afrique plutot Afrique Subsaharienne se développe comme l'Irlande ou la Chine, ce sera catatrophe pour l'Europe.
les Majorité des Africains savent très bien. Et arretez les prendre pr des c....

Qui finance la guerre ? qui sont les prodcuteurs des armes ? pourquoi la guerre civile en Cote d'Ivoire 2004 ? et au Congo-Khinshasa ? au Tchad 200. ?

Quand une partie Pays tiers monde décident de prendre le controle de pétrole dans le monde : quel effet ca fait en Europe ???? >:)
Et en ce moment, la chine......

Alors imaginez pour la matiere premiere en Afrique ? le chocolat, le bois, les pierres précieuses, banane, uranium, etc..... que les Européens en ont besoin...

Je pense que Sarkozy arrete de donner de lecon moral et ferme sa "g....."
C'est que le Africains demandent.

_________________
Scorpion du Sable rouge


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Mai 2008 23:14 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Jan 2008 16:29
Message(s) : 1815
Localisation : France
Akasuna a écrit :
C'est que le Africains demandent.


Pas tous, loin de là. Le discours a été en effet diversement reçu, mais il n'y a pas que Mbeki pour l'avoir approuvé. Ca mérite un peu de nuance dans l'analyse probablement.

PS : à part pour quelque pays très en retard comme la Corée du Sud, la Birmanie, le Cambodge, par exemple, on ne parle plus guère de Tiers Monde pour l'Asie et l'Amérique latine. Le monde a changé : ce sont maintenant des pays en développement accéléré. Qualifier la Chine, ou l'Inde, de Tiers-Monde, c'est inadéquat.

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 22 Mai 2008 23:11 
Hors-ligne
Salluste
Salluste
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 11 Déc 2005 0:25
Message(s) : 254
Citer :
à part pour quelque pays très en retard comme la Corée du Sud


8-| Corée du Sud ???? je vois que tu n'as jamais mis le pied au Pays du matin calme !! Etant pratiquant de Tae Kwon Do, je suis parti labas comme stagiaire, Qu'est ce que je pense ce pays ?? ben c'est un pays très avancé, très moderne et très beau pays, pays chaleureux et....un pays riche ! Il y a meme un TGV coréen : KTX ! ca ressemble beaucoup à TGV classique !

Ou alors tu as confondu avec la Corée du Nord ??

Puis je n'ai pas dit que la Chine ou l'inde fait partie de Tiers Monde?
Quand je disais le tiers monde, c'est à l'époque des année 60-70 la ou les pays Arabes, anciens pays colonés ont pris le controle de Pétrole en créant l'OPEP.
Ne dis pas des choses que j'ai pas dit Okai ??? peut etre j'ai mal exprimé mais ne mélange pas des choses.

Citer :
Le discours a été en effet diversement reçu, mais il n'y a pas que Mbeki pour l'avoir approuvé. Ca mérite un peu de nuance dans l'analyse probablement.

JE vois que tu as trop suivi la tv francaise ou TV5....
Il faut aller sur place pour comprendre ! Mbeki a accepté seulement les affaires mais pas le reste....Sarkozy est la pour faire Business, encor Business, rien que Business...le reste il s'en fout.

_________________
Scorpion du Sable rouge


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 23 Mai 2008 0:08 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Jan 2008 16:29
Message(s) : 1815
Localisation : France
Akasuna a écrit :
Citer :
à part pour quelque pays très en retard comme la Corée du Sud


8-| Corée du Sud ???? je vois que tu n'as jamais mis le pied au Pays du matin calme !! Etant pratiquant de Tae Kwon Do, je suis parti labas comme stagiaire, Qu'est ce que je pense ce pays ?? ben c'est un pays très avancé, très moderne et très beau pays, pays chaleureux et....un pays riche ! Il y a meme un TGV coréen : KTX ! ca ressemble beaucoup à TGV classique !

Ou alors tu as confondu avec la Corée du Nord ??

En effet, je mérite donc un bonnet d'âne :oops:


Akasuna a écrit :
Citer :
Le discours a été en effet diversement reçu, mais il n'y a pas que Mbeki pour l'avoir approuvé. Ca mérite un peu de nuance dans l'analyse probablement.

JE vois que tu as trop suivi la tv francaise ou TV5....
Il faut aller sur place pour comprendre ! Mbeki a accepté seulement les affaires mais pas le reste....Sarkozy est la pour faire Business, encor Business, rien que Business...le reste il s'en fout.


Voici le texte du courrier de T. Mbeki. C'est en anglais, j'en posterai une traduction si j'en trouve une, sinon je le traduirai un peu plus tard.

Thabo Mbeki a écrit :
President
Republic of South Africa
August 2, 2007

Mr President,

Yesterday, striving constantly to overcome my primitive understanding of the French language and its poetry, I found time to read the powerful and moving Address you delivered at the University of Dakar, Senegal, on July 26.

Nevertheless, I have no hesitation in saying many thanks for what you said, and the manner and place where you said it.

I would like to believe that I understand fully the challenge you placed at our feet, as Africans, when you said : ’Mais, de ses malheurs, l’Afrique a tiré une force nouvelle en se métissant à son tour. Ce métissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraie force et la vraie chance de l’Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale’.

I would also like to believe that I understand fully the task you set us, as Africans, when you said : ’Alors, mes chers Amis, alors seulement, l’enfant noir de Camara Laye, à genoux dans le silence de la nuit africaine, saura et comprendra qu’il peut lever la tête et regarder avec confiance l’avenir. Et cet enfant noir de Camara Laye, il sentira réconciliées en lui les deux parts de lui-même. Et il se sentira enfin un homme comme tous les autres hommes de l’humanité ’.

When you spoke at the University of Dakar you addressed both the African youth and all of us as Africans, regardless of age and place of domicile.

You spoke to us, but I sincerely hope that your message will be heard by the entire human society. It cannot be that anybody can claim that humanity is advancing towards the creation of a global people-centred society while Africa remains mired in the entrenched problems with which all thinking human beings are very familiar.

We will do our best to acquaint our people, our continent and the rest of the world with what you said on July 26 at the University of Dakar.

But beyond this, we will assess what we have to do practically to respond to the challenges you had the courage and the honesty to address when you spoke at the University of Dakar.

A few years ago I communicated the opinion to senior French corporate leaders we were privileged to host in our country, that history has defined France as an African citizen. I said then, that this placed us in the fortunate position that, necessarily, we would have France, a fellow citizen of Africa, on our side, as we strived to respond to our challenges as Africans.

What you said in Dakar, Mr President, told me that we are fortunate that we can count on you as such a citizen of Africa, as a partner in the protracted struggle to achieve the true Renaissance of Africa, within the context of the renaissance of Europe and the rest of the world.

My view was confirmed by what you said in Libreville, Gabon, that : ’Nous voulons aider les pays d’Afrique sur la voie du développement et sur la voie de la diversification … J’aime l’Afrique, j’aime les Africains, je les respecte’.

Mr President, please accept the assurance of our highest fraternal consideration.
Thabo Mbeki



Et la réponse que lui a adressée N. Sarkozy:
Nicolas Sarkozy a écrit :
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Paris, le 13 août 2007

Monsieur le Président,

Je tiens à vous remercier très sincèrement pour le message de félicitations que vous avez bien voulu m’adresser à propos du discours que j’ai prononcé à l’Université de Dakar le 26 juillet dernier.

Je suis très touché que vous ayez pris le temps de lire ce discours auquel j’accordais une importance toute particulière et suis sensible à votre proposition de porter mon message au peuple sud-africain mais aussi au continent africain tout entier.

Venant de vous qui êtes un des dirigeants qui incarnez la fierté retrouvée de l’Afrique et qui contribuez sans relâche à insuffler une nouvelle dynamique à ce continent, je ne peux qu’être honoré d’un tel jugement.

Vous voulez bien souligner « le courage et la franchise » de ce discours de Dakar. Je vous en remercie. Mais vous le savez, l’Afrique a besoin d’amis francs pour relever les défis auxquels elle doit faire face et je suis convaincu qu’elle y parviendra.

Soyez persuadé, Monsieur le Président, que vous pouvez compter sur la France et sur moi-même dans vos efforts en faveur d’une renaissance africaine. J’espère vivement avoir très vite l’occasion d’un échange avec vous sur ce sujet.

Je vous prie d’agréer Monsieur le Président, l’assurance de ma haute considération et amicale.
Nicolas Sarkozy


A lire le courrier de T. Mbeki, je n'y vois absolument pas une restriction aux aspects purement économiques du discours français. Il parle bien de la "Renaissance de l'Afrique" nécessaire et va jusqu'à faire du président Sarkozy un "citoyen de l'Afrique".

En revanche, j'ai lu avec attention de nombreuses autres réactions, y compris des réactions au courrier de T. Mbeki. Et ce qu'il me semble, c'est que ceux qui n'ont pas compris, ou qui n'acceptent pas, le texte de T. Mbeki essaient d'en diminuer la portée en le restreignant artificiellement à l'économie.

Curieusement, bien que les sujets soient tout à fait différents, la virulence des réactions spontanées au discours de Sarkozy, ainsi qu'à l'égard des traitres noirs qui osent le défendre (Mbeki, et d'autres, comme par exemple cet article publié dans un quotidien sénégalais que je reproduis ci-dessous) ; curieusement donc, ces réactions indignées me font penser à celles qui ont accueilli le livre controversé de Sylvain Gouguenheim "Aristote au Mont Saint-Michel" dont on parle ici sur PH. On laisse les tabous et l'idéologie obscurcir son jugement et affaiblir l'exercice de la pensée...
C'est bien dommage.

Le Soleil a écrit :
Et si Sarkozy avait raison...


Le message solennel du président de la République, Me Abdoulaye Wade, à l’adresse de la Nation à l’occasion du quarante huitième anniversaire de notre indépendance nationale, plus qu’une exhortation au patriotisme, à l’effort au travail et à la solidarité, a fourni au chef de l’Etat le prétexte, tant attendu, pour inviter ses compatriotes à une courageuse introspection, un retour en eux-mêmes, pour panser leurs problèmes et leur trouver les solutions idoines.

C’est en effet devenu une banalité et une tautologie que d’évoquer avec colère la dégradation du niveau de vie de nos citoyens consécutive à la hausse que subissent aujourd’hui les coûts combinés du baril de pétrole, celui des transports maritimes, celui des denrées de première nécessité comme le riz et le blé, que les producteurs asiatiques et occidentaux ont choisi désormais de conserver chez eux pour leur propre consommation.

C’est le monde dans son entièreté, qui subit des bouleversements démographiques et sociaux auxquels les experts ne s’attendaient pas. Depuis le 11 septembre 2002 qui, décidément, est devenu une date magique, les guerres au Moyen-Orient et la lutte menée contre les terroristes islamistes d’al Qaïda en Afghanistan, ont tant et si bien absorbé l’attention des grandes nations, singulièrement les nations productrices des denrées alimentaires, de lait, de sucre et surtout de riz -cette céréale des pauvres- que le bond vertigineux du prix de ces spéculations les a surpris. Nous devrions dire ouvert, enfin, les yeux sur les vrais problèmes qui devraient mobiliser l’attention des dirigeants et orienter enfin leurs politiques économiques et surtout agricoles.

Depuis le dix-neuvième siècle que le Sénégal subit la dictature tyrannique du riz, qu’ont fait nos dirigeants pour briser cette dictature et rompre cette dépendance tyrannique ?

Des investissements très importants ont été consentis sur la vallée du fleuve Sénégal où 750.000 hectares de terres irrigables sont à la disposition du Sénégal. Mais qu’ont fait et imaginé nos dirigeants pour les mettre à profit en cultivant, précisément, le riz qui nous coûte si cher aujourd’hui et qui constitue notre alimentation ? Ce sont six cents à sept cent mille tonnes de cette céréale au prix faramineux de plusieurs milliards de nos francs arrachées difficilement bon an mal an à un budget national qui a d’autres secteurs stratégiques où s’investir. Et l’Education et les Infrastructures et la Santé et l’économie entreprenariale. qu’allons-nous faire pour atteindre ces objets de développement ?

A cette interrogation angoissée qui sent la peur, le peuple sénégalais a préféré répondre en s’agrippant à ses lubies et autres fantasmes suicidaires que sont le « riz de Siam », le « riz de Cambodge », toujours le « riz de Thaïlande ». Tant d’obscurantisme et d’attachement à des habitudes surannées et suicidaires qui nous viennent du 19ème siècle laisse pantois et rêveur.

L’opinion africaine dite intellectuelle s’est mobilisée, depuis quelques temps, contre le discours de Dakar du Président français Nicolas Sarkozy, considéré, à notre avis, sans raison, de discours raciste, méprisant, humiliant. Et pourtant il ne faisait que nous rappeler. amicalement. sans doute d’une manière brutale et maladroite, qu’il était temps que nous sortions de la préhistoire pour entrer dans l’histoire contemporaine d’un monde qui est faite d’imagination, de techniques, de sciences, au lieu de nous complaire dans la médiocrité actuelle de nos choix.

Il nous faut, en effet, sortir de notre logique fataliste, fondée sur un ancrage intellectuel, philosophique et culturel dans un passé plusieurs fois centenaire alors que le siècle qui frappe à notre porte exige notre entrée dans l’histoire contemporaine. Cette option implique le progrès dans tous domaines de l’action. Progrès scientifique, progrès technique, progrès philosophique et ouverture à un monde où l’imagination toujours en mouvement, impulse et impose le progrès, la créativité, le renouvellement et la modernité dans tous les domaines. Singulièrement ceux de la pensée et de l’action.

Le Coran ne recommande-t-il pas le dépassement et le renouvellement en intégrant les valeurs des autres ? Le moment n’est-il pas enfin venu de nous libérer d’un atavisme qui nous enferme et nous confine à des pratiques millénaires en matière de gestion de notre devenir et de nos vies. Un paysan agrippé depuis des siècles à son « hilaire » ou à sa « daba », subissant sans réagir le cycle infernal d’un hivernage souvent sans pluies suivi d’une implacable sécheresse, sous le seul et unique prétexte que notre existence est ficelée bien avant notre naissance et que nous ne faisons que subir un destin inéluctable dont la maîtrise vient du Tout Puissant nous semble défaitiste.

Il a bon dos Dieu si clément et si miséricordieux ! Ne nous a-t-il pas donné l’intelligence pour panser nos problèmes et leur trouver des solutions ? Des bras pour travailler et faire usage de machines nouvelles, plus performantes ?

Ce n’est donc pas un hasard, si le Président Wade si tourné vers le futur, dans son allocution du 4 avril nous a invités avec insistance au retour à la terre et dans ce retour, à cultiver enfin, le riz que nous mangeons. Toutes les conditions sont réunies pour la réussite de cette initiative qui sera la seule initiative révolutionnaire du Sénégal depuis notre accession à l’indépendance.

Les bras sont là, au travers de la disponibilité d’une jeunesse qui s’est brillamment illustrée au défilé de l’Armée et que l’Etat peut d’ores et déjà former, mobiliser et orienter vers la terre, dans l’agriculture et l’élevage L’argent est là pour opérer enfin, vers l’agriculture sénégalaise et l’élevage, les investissements qui ne seront pas anéantis par des hivernages hypothétiques et illusoires.

Enfin, le marché de consommation de quelque 10 millions de bouches est là pour apporter à l’effort gouvernemental sa récompense dans la rentabilité et la durée.

Alors, cessons nos marches sans doute prévues et acceptées par la Constitution en cas de besoin seulement et investissons nos forces, notre imagination créatrice et nos moyens sur l’objectif qui aujourd’hui, devrait être le seul objectif qui vaille pour obtenir et réaliser le salut public.

Par Bara DIOUF

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 23 Mai 2008 11:55 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 26 Oct 2005 18:58
Message(s) : 544
Beaucoup de choses ont été dites mais bien peu ne permettent d'élever le débat. Je vais donc demander à chaque contradicteur d'être plus précis dans ses propos.

vitalis a écrit :
Il est quand même curieux qu'avec le lamentable bilan de l'histoire européenne, (guerres monstrueuses et incessantes, génocides répétés, dictatures loufoques), on en soit encore à donner des leçons d'intelligence et de culture aux africains.
C'est sans doute l'une des plus belles perles de la bêtise pseudo-historicienne qui m'a été donné de lire et dans tous les sens du terme :
- l'Histoire n'est pas un bilan ;
- Les historiens se gardent bien aujourd'hui de donner des jugements de valeur (je fait référence au "lamentable").
- quant à parler de "lamentable bilan de l'histoire européenne", je suis tout de même ravi qu'avec un tel fond de lamentation nous ayons aujourd'hui atteint un tel niveau de vie en Europe, ce dans tout les domaines et qu'il soit envié par le monde entier.
- Pour en revenir au discours, citez moi donc les passages où des leçons d'intelligence et de culture ont été données ?

Massinissa a écrit :
Ce que dit Vitalis est très intérréssant surtout que la colonisation est une chose qui est arrivé en pleine figure des Africains et qui n'a fait que détruire notre continent.
Oui ça leur est arrivée en pleine figure. Mais, elles sont où les destructions ? Les Français sont partis en ne détruisant rien. Les Africains étaient donc traumatisés à l'aube de leur indépendance ? Il me semble pour l'avoir beaucoup entendu que certains anciens africains regrettent le temps de la colonisation. S'il y a traumatisme c'est dans les premières décennies de leur indépendance : en 1962, le niveau de vie par habitant était supérieur dans les anciennes colonies françaises sub-sahariennes par rapport aux pays de l'Asie du Sud -Est. Qu'en est-il 60 ans après ? Les pays de l'Asie du sud est ont décollé et ceux d'Afrique sub-saharienne se sont enfoncés. Il est là le traumatisme.

Ce traumatisme se double d'une catatonie à se remettre en question. On va chercher le responsable ailleurs et l'ancien colonisateur va servir d'exutoire.


Akasuna a écrit :
Déja il y a certains phrases de ce texte qu'il n'a pas prononcé à Dakar.
Ce serait bien de nous donner les passages manquants.

Akasuna a écrit :
JE sais très bien que Si l'Afrique plutot Afrique Subsaharienne se développe comme l'Irlande ou la Chine, ce sera catatrophe pour l'Europe.

Ah bon ? Vous pouvez développer. Je suis curieux de savoir pourquoi ce serait une catastrophe pour l'Europe. J'ai plutôt l'impression que Sarko mise sur le développement de l'Afrique.

Akasuna a écrit :
Qui finance la guerre ? qui sont les prodcuteurs des armes ?
Je crois qu'il y a l'Europe (mince, je vais peut-être devoir présenter des excuses ?) et puis il y a la Chine, la Russie...

Akasuna a écrit :
pourquoi la guerre civile en Cote d'Ivoire 2004 ? et au Congo-Khinshasa ? au Tchad 200. ?
J'aurais bien répondu mais nous ne pouvons dépasser je ne sais plus quelle date.

Akasuna a écrit :
Quand une partie Pays tiers monde décident de prendre le controle de pétrole dans le monde : quel effet ca fait en Europe ????
On s'adapte, comme partout dans le monde d'ailleurs.

Akasuna a écrit :
Alors imaginez pour la matiere premiere en Afrique ? le chocolat, le bois, les pierres précieuses, banane, uranium, etc..... que les Européens en ont besoin...
Et les Chinois, les Indiens et bientôt les Américains et les Brésiliens.

Akasuna a écrit :
Je pense que Sarkozy arrete de donner de lecon moral...

Dans quelle partie du discours donne-t-il des leçons de morale ?

Akasuna a écrit :
Sarkozy est la pour faire Business, encor Business, rien que Business...le reste il s'en fout
Je vois pas de différences avec les autres pays.

Personnellement, je pense que ce discours a été maladroit sur plusieurs points. Le principal s'est d'avoir parlé du paysan africain. Mais tout maladroit qu'il soit, ce discours a le mérite de clarifier la pensée de Sarko sur l'avenir des relations entre l'Europe et l'Afrique. A ce moment-là, il voulait vraiment rompre avec les anciennes habitudes. Cela a-t-il changé depuis ? Avec l'éviction de Bockel, je pense que oui. Il a compris que la rupture ne se fera pas en deux temps, trois mouvements, et ceci à cause des leaders africains eux-mêmes. Ce sont eux qui ont tout à perdre dans cette rupture.

Il va falloir pas mal d'efforts, de jujottes et de temps pour que la France se dépettre de ces liens qui empoisonnent les relations des deux continents. Mais comme le disais un diplomate français, en Afrique, quoi que fasse la France, elle a tort.

_________________
Je ne peux changer le passé
mais ne rien dire
tout en sachant
c'est être complice


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 23 Mai 2008 12:14 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 26 Oct 2005 18:58
Message(s) : 544
Je viens à peine finir le message ci-dessus que je tombe sur un article qui conforte mon opinion sur deux points :
Citer :
Ce traumatisme se double d'une catatonie à se remettre en question. On va chercher le responsable ailleurs et l'ancien colonisateur va servir d'exutoire.
Citer :
quoi que fasse la France, elle a tort.


Voilà le texte
Noël Kodia a écrit :
Réseaux Françafrique : la rupture… dans la continuité

Mise en œuvre par De Gaulle après les indépendances africaines, la Françafrique a été un instrument d’une politique hégémonique de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies, hégémonie qui se développera quelque temps après dans d’autres pays non francophones. Mais cette Françafrique, que Nicolas Sarkozy ne voulait plus à cause des relations opaques entre ses prédécesseurs et certains dirigeants africains, a résisté à la tempête de la rupture et continue sa mission dominatrice sur la politique et l’économie du continent.

De De Gaulle à Sarkozy, la politique française en Afrique, s’est caractérisée par un impérialisme politique et économique par le biais de la Françafrique. Respectant la parole de De Gaulle qui spécifiait que la France n’avait pas d’amis, mais seulement des intérêts, tous les présidents français qui se sont succédé après lui ont travaillé avec les dirigeants africains corrompus. Et quand leurs peuples ont voulu décrier leur incurie politique acceptée par la Françafrique, les dirigeants ont été protégés par la France, grâce aux militaires français basés sur le continent, à l’instar de Eyadema de son vivant ou encore aujourd’hui de Deby. Les quelques dirigeants politiques qui ont voulu demander une coopération équitable, à l’instar des réalités sociales occidentales, ont été punis car considérés comme des révoltés qui pourraient mettre en danger la politique néocoloniale d’exploitation des richesses qui paradoxalement ne profitent pas au développement du continent.

Ceux qui ont voulu braver la Françafrique se sont confrontés à l’impérialisme français des années 60 à nos jours, et ont été bien souvent broyés par la machine des réseaux Françafrique. Ces complots politiques se sont réalisés sur fond d’une exploitation des matières premières qui servent certains intérêts français. Le Camerounais Félix Mounié fut empoisonné par les services secrets suisses et français en 1961 et Thomas Sankara assassiné en octobre 1987 par la Françafrique qui ne pouvait accepter sa rébellion et son insoumission vis-à-vis de Mitterrand. Sékou Touré est sévèrement puni par De Gaulle pour avoir demandé son indépendance en 1958.

Le Sénégalais Mamadou Dia est arrêté, condamné et déporté à Kédougou à cause de son discours incendiaire du 8 décembre 1962 (que l’on peut lire dans son Afrique : le prix de la liberté) dans lequel il tentait de « modifier les rapports de subordination au système colonial et d’opérer une complète mutation des structures et des institutions, afin que le progrès économique puisse assurer l’harmonie de la croissance et l’équilibre économique et sociologique traditionnel de la société [sénégalaise] ». Au Congo, pour avoir voulu que l’exploitation du pétrole soit correcte, Marien Ngouabi est curieusement assassiné en mars 1977 au moment où l’armée est consignée, quelque temps après avoir énervé l’ambassadeur français qui n’avait pas apprécié son franc parler au cours d’un meeting populaire.

Et quand en 2007, dans son discours électoral, Sarkozy dénonce les liens mafieux entretenus par ses prédécesseurs avec certains dirigeants africains à travers la Françafrique, l’espoir renaît du côté des jeunes Africains. Mais hélas ! Au pouvoir, Sarkozy se confronte à la puissance françafricaine. Incapable de changer la politique néocoloniale de cette institution, il soutient, comme ses prédécesseurs, Deby dans la dernière guerre du Tchad. Il fait profil bas devant Omar Bongo humilié par les médias français et envoie Claude Guéant et Alain Joyandet à Libreville pour effacer la bavure de Jean Marie Bockel. En aidant Deby à se maintenir au pouvoir, la France a démontré son refus pour des véritables changements démocratiques en Afrique.

Le réseau françafrique a soutenu Deby afin d’empêcher l’accès au pouvoir à des rebelles proches de l’Islam soudanais et soutenus, financés et armés par le Soudan, connu pour ses liens avec la Chine –peu démocratique. Mais, il ne faut pas oublier que c’était surtout l’exploitation du pétrole tchadien par les compagnies françaises qui pouvait être mise en péril.
En écartant Bockel du Secrétariat d’Etat à la Coopération, Sarkozy a renié sa prétendue rupture annoncée pendant sa campagne présidentielle. Et par ce geste, l’acte de décès de la Françafrique n’a pu être signé par Bockel. Aussi, pour narguer Sarkozy qui n’avait pas encore compris les véritables tenants et aboutissants de la Françafrique de De Gaulle à Chirac, Bongo, dans son interview à France 2 déclare ironiquement : « Sarkozy sait ce qu’il veut entendre par la rupture. Est-ce que Sarkozy a dit qu’il va rompre avec l’Afrique ? Non, c’est vous [les journalistes] qui inventez tout cela. ».

Guerre du Tchad et imbroglio entre la France et le Gabon, voilà deux situations qui devraient interpeller les jeunes Africains qui se considèrent comme trahis par leurs dirigeants. Ces derniers ne profitent pas de l’Union Africaine pour avoir les moyens d’en finir avec les réseaux de la Françafrique. Souveraineté politique avec mise en place d’une gouvernance transparente de l’Union africaine pour un réel développement économique avec une monnaie commune (à l’instar de l’Euro pour l’Europe), tel est le leitmotiv qui devrait servir de réflexion aux compétences africaines du continent et de la diaspora, pour une véritable indépendance politique et économique du continent.

Le Dr. Noël Kodia est essayiste et critique littéraire.
Avec la collaboration de http://www.unmondelibre.org

source : [url]http://www.grioo.com/ar,reseaux_francafrique_la_rupture…_dans_la_continuite,13825.html[/url]

_________________
Je ne peux changer le passé
mais ne rien dire
tout en sachant
c'est être complice


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 24 Mai 2008 8:43 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 30 Sep 2007 12:09
Message(s) : 468
Localisation : Klow / Nouillorc
Citer :
vitalis a écrit :
Il est quand même curieux qu'avec le lamentable bilan de l'histoire européenne, (guerres monstrueuses et incessantes, génocides répétés, dictatures loufoques), on en soit encore à donner des leçons d'intelligence et de culture aux africains.
C'est sans doute l'une des plus belles perles de la bêtise pseudo-historicienne qui m'a été donné de lire et dans tous les sens du terme :
- l'Histoire n'est pas un bilan ;
- Les historiens se gardent bien aujourd'hui de donner des jugements de valeur (je fait référence au "lamentable").
- quant à parler de "lamentable bilan de l'histoire européenne", je suis tout de même ravi qu'avec un tel fond de lamentation nous ayons aujourd'hui atteint un tel niveau de vie en Europe, ce dans tout les domaines et qu'il soit envié par le monde entier.
- Pour en revenir au discours, citez moi donc les passages où des leçons d'intelligence et de culture ont été données ?

Massinissa a écrit :
Ce que dit Vitalis est très intérréssant surtout que la colonisation est une chose qui est arrivé en pleine figure des Africains et qui n'a fait que détruire notre continent.
Oui ça leur est arrivée en pleine figure. Mais, elles sont où les destructions ? Les Français sont partis en ne détruisant rien. Les Africains étaient donc traumatisés à l'aube de leur indépendance ? Il me semble pour l'avoir beaucoup entendu que certains anciens africains regrettent le temps de la colonisation. S'il y a traumatisme c'est dans les premières décennies de leur indépendance : en 1962, le niveau de vie par habitant était supérieur dans les anciennes colonies françaises sub-sahariennes par rapport aux pays de l'Asie du Sud -Est. Qu'en est-il 60 ans après ? Les pays de l'Asie du sud est ont décollé et ceux d'Afrique sub-saharienne se sont enfoncés. Il est là le traumatisme.

Ce traumatisme se double d'une catatonie à se remettre en question. On va chercher le responsable ailleurs et l'ancien colonisateur va servir d'exutoire.


En effet 'lamentable' est un adjectif mal choisi car il y a des aspects très positifs dans l'histoire de l'Europe. 'pourri' serait un terme mieux choisit après avoir parcourut les forums sur l'histoire de la première guerre mondiale, l'entre deux guerre, la seconde guerre mondiale, l'histoire récente.
A un moment donné tout de même notre bien aimé président explique concernant l'homme africain que " Jamais il ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. Le problème de l’Afrique est là."
Ayant eu l'occasion de discuter avec des personnes d'origine africaine je n'ait jamais eu ce genre de curieuse impression.
Depuis 2002 la croissance économique moyenne en Afrique 'noire' est de plus de 5% par an soit plus que l'Asie qui est 'plombée' par les mauvaises performances japonaises.
Cette forte croissance économique s'explique dans une large mesure par le boom démographique et par le fait que les africains ne mettent plus en application les politiques qui leur ont été 'conseillé' lors des indépendances.

_________________
"Les gosses n'apprennent plus rien à l'école; en histoire-géo par exemple, ils doivent se débrouiller comme ils peuvent. Bientôt, un gamin nous dira par déduction que l'an 1111 correspond à l'invasion des Huns....."

Compte rendu de réunion d'une communauté d'agglomération


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 24 Mai 2008 12:29 
Hors-ligne
Administrateur
Administrateur

Inscription : 15 Avr 2004 22:26
Message(s) : 15822
Localisation : Alsace, Zillisheim
Vitalis a écrit :
Cette forte croissance économique s'explique dans une large mesure par le boom démographique et par le fait que les africains ne mettent plus en application les politiques qui leur ont été 'conseillé' lors des indépendances.


L'un des reproches des Africains concerne cette aide. Pas l'aide sanitaire pour les catastrophes. Non, l'aide au "développement". Nous avons souvent construit des équipements en dépit du bon sens. Par exemple, les aéroports. Nous en avons fait pas mal qui ne servent pas à grand chose. Pour un développement plus équilibré, il aurait mieux valu créer des lignes de chemin de fer. Pas des LGV, pas tout de suite. Non, simplement aider à la circulation des biens et des personnes qui est génératrice de développement.

J'avais lu un éditorial sur Afrik.com où un économiste comparait notre intervention et celle des Chinois, des Indiens ou des Arabes. Si un dirigeant africain demande un bien d'équipement à l'Europe. Il sait qu'il pourra bénéficier d'aides diverses (et même mettre un peu d'argent de coté, je dis peu vis à vis de la somme globale de l'équipement); mais en contrepartie, nous exigerons que cet équipement soit construit par nos entreprises et souvent, nous chercherons à lui livrer le meilleur de notre technologie. Les Asiatiques, lui livrent ce qu'il demande. Le bien d'équipement correspond plus aux besoins et est mieux utilisé.

Les gens qui en Europe critiquent l'aide au tiers-monde sont dans le vrai lorsqu'ils dénoncent que telle ou telle chose construite avec notre argent est en train de pourrir inutilisée ou mal utiliser. Là ou ils se trompent, c'est lorsqu'ils en rejettent la faute sur les Africains. Si on leur avait "donné" ce qu'ils avaient besoin, ça nous aurait couté moins cher et ce serait mieux utilisé.

_________________
Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 34 message(s) ]  Aller vers la page 1, 2, 3  Suivant

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 3 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB