Selfmademan3 a écrit :
Calade, tout d'abord, je pense que lorsque l'on traite d'une question à l'échelle du contient, on peut considerer comme quantité négligeable la minorité des "chefs traditionnels" puis des "fonctionnaires coloniaux" africains. Je ne les occulte en aucun cas, vous avez totalement raison dans parler. Mais, le petit nombre qui a su en profiter est hors de mon propos car quantité négligeable à l'échelle de la population africaine du contient.
De plus, et SURTOUT (à tel point que mon premier point n'est même plus à prendre en considération), je ne parle en aucun cas des apects matériels ou du "prestige". Que ce soient les chefs traditionnels en Haute Volta, les paysans en Urundi ou les informateurs militaires algériens, je persiste, tous étaient assujettis, dominés par une force d'occupation étrangère. Bien plus que de la force militaire, je parle de la domination morale. C'était la perte de la Liberté.
Ce gars le dit mieux que moi dans
Discours sur le colonialisme, 1955:
[...]Moi je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificenses artistiques anéanties [...]surtout
[...]Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à leur sagesse. [...] Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le desepoir, le larbinisme.[...] Aimé Césaire
C'est de cela dont je parle
On retombe sur les mêmes problèmes.
1) Avant la colonisation, les Africains (et les Africains noirs, puisque c'est de cela dont il semble être plus particulièrement question) se sont montré parfaitement capables de commettre des massacres. Après la colonisation, ils l'ont montré à nouveau, et les explications du type "c'est à cause de la colonisation, ou des interventions occidentales en Afrique, que les Africains se massacrent aujourd'hui" ont parfois une certaine pertinence, mais ne sont jamais suffisantes.
2) En termes de "complexe d'infériorité", "tremblement", "désespoir", "larbinisme", etc., les situations sont très variables. Dans certains pays comme la Guinée et le Sénégal, ou même au Sud de la Côte-d'Ivoire, le complexe d'infériorité et autres phénomènes assimilables sont bien moins prégnants que dans certains pays sahéliens, entre autres parce que le colonisateur y a recruté la plupart des fonctionnaires (notamment instituteurs et militaires). Au Gabon et en République du Congo en particulier, mais le phénomène existe aussi ailleurs, le "larbinisme" est souvent perçu par les populations noires comme un moyen de "manipuler" l'autre, et surtout, le Blanc, donc comme un moyen de manifester sa supériorité...
Puisqu'on parle de morale, de perte de la liberté, bref pas forcément des grands drames mais surtout de la "vision du monde" et des rapports entre personnes, j'ajoute qu'actuellement, en Afrique noire (et c'est une observation qu'on retrouve dans beaucoup de récits de voyage en Afrique précoloniale et coloniale), les "riches", les "chefs", les "proches du pouvoir", bref les puissants, au sens large, se conduisent avec leur compatriotes d'une façon
bien plus odieuse que les Européens l'ont fait et le font actuellement. (Je parle du comportement au quotidien, insultes, mauvais traitements, mais aussi de l'exploitation économique ou de violences plus graves).
Aimé Césaire (qui, je me permets de le remarquer, utilise dans ce passage des outils intellectuels très "blancs" : "religion", "magnificence artistique"...), comme beaucoup de ceux qui ont contribué à une certaine "renaissance culturelle et intellectuelle" de l'Afrique, exprime une vision qui peut être poétique et avoir des résonances politiques intéressantes (l'Europe agresse l'Afrique, si je simplifie outrageusement). L'historien ne peut pas voir les choses de cette manière là : tout ce qu'il y a, ce sont des situations locales, dans lesquelles intervient, selon des modalités très variables, un élément perturbateur européen ; cet élément perturbateur fait évoluer les situations locales susdites. La perturbation peut être l'exécution de tel chef local pour le remplacer par un autre, la construction de telle ligne de chemin de fer ou l'imposition du port du pantalon. Ce sont les causes, les modalités et les conséquences de ces perturbations qu'il faut étudier si l'on s'intéresse à l'histoire coloniale, sans parler de "bien", de "mal", de "vivre plus ou moins bien", etc.
Dans le cas particulier qui a donné naissance à ce débat, il me semble qu'on peut faire réfléchir les élève sur la façon dont la colonisation à modifié les modes de vie en Afrique noire, sans aborder la question en termes de morale.