L'essentiel de l'enseignement ce faisait de bouche à oreille, par l'intermédiaire de "maîtres" de guerre: les instructeurs militaires existent depuis longtemps, souvent mercenaires (je pense en particulier au célèbre Xanthippos, mais les aventuriers talentueux sont innombrables aux époques classiques et hellénistiques). Pour les membres de familles royales, ou pour les grandes aristocraties, cet enseignement commence très tôt, y compris par la pratique.
Ainsi Hannibal bénéficie des leçons de Sosylos, qui lui apprend la langue et la culture grecque. Mais Sosylos est aussi et surtout Spartiate, nul doute que ses leçons furent tout autant militaires que littéraires. En parallèle, dès l'âge de 9 ans, il accompagne son père dans ses campagnes espagnoles. En 229, lorsque son père Hamilcar meurt au combat, Hannibal et son frère Hasdrubal font partie de l'armée vaincue, alors âgés respectivement de 17/18 ans et 15/16 ans; ils ont alors déjà plusieurs années de vie militaire derrière eux, vivant en compagnie des vétérans. Et dès les années suivantes, donc à peine âgé de 18 ans, Hannibal devient de bras droit de son beau-frère Hasdrubal (à ne pas confondre avec son frère, ils ne sont pas très originaux dans le choix des prénoms, les Carthaginois), où il se distingue dans les combats. De sorte qu'il pourra s'excuser à Carthage de son manque de manière, n'ayant connu dès son plus jeune âge que le dure vie des camps et la compagnie des soudards.
C'est à peu près le même parcours pour un Alexandre le Grand qui vit dans une cour militaire dans l'intimité des généraux parfois talentueux (les Parménion, Antipater, Coelios, Perdiccas... qui l'accompagneront par la suite, sans compter son père, politique et militaire d'exception particulièrement attentif à la formation du fiston). Cette cour de Macédoine est une véritable académie militaire, où toute l'élite sociale et militaire du royaume est formée; Aristote n'est qu'un des très nombreux autres maîtres qu'ils côtoient. Et l'efficacité du système est prouvé par le nombre incroyable de généraux talentueux issu de cette génération (les Compagnons d'Alexandre, puis les Diadoques). Très tôt, il est immergé dans les responsabilités de son rang (adolescent à peine sorti de l'enfance, il accueille les émissaires perses et les questionne (déjà !) sur leur empire, la géographie, les forces militaires perses, etc.). A 16 ans, il est régent en l'absence de son père, et à ce titre livre sa première campagne militaire autonome (victorieuse, bien entendu). A 18 ans, il commande toute la cavalerie macédonienne à Chéronée (encadré par des officiers d'expérience certes, mais quand même). A son accession en trône en 336, il dispose non seulement d'un savoir faire théorique mais aussi pratique.
Ensuite, les ouvrages théoriques existent aussi. Des manuels militaires sont rédigés, certains nous sont conservés (pas forcément les plus intéressant, souvent sous forme de recueil de stratagème). Xénophon et Polybe, pour ne cité qu'eux, en ont concocté. Et puis l'Histoire, la matière, se justifie aussi en bonne partie pour enseigner la stratégie militaire, c'est du moins l'opinion de Polybe (lui-même général et chef d'état).
Lire par exemple
Le commandant de cavalerie de Xénophon.
Le roi Pyrrhus, particulièrement célèbre dans l'Antiquité pour ses talents militaires (et parmi ses fans, un certain Hannibal qui le place au premier rang des généraux), a lui aussi rédigé des manuels de tactiques (perdus). Il est probable que cet ouvrage a dû largement contribuer à sa réputation de stratège sans pareil (parce que dans les faits... c'est moins brillant !
). Pour la petite histoire, il est aussi l'inventeur du "wargame": il fut le premier à représenter les troupes ennemies avec de petits cubes de bois qu'il déplaçait dans dans tente pour expliquer les manoeuvres à ses officiers !
Donc pour ce qui concerne la formation proprement militaire (tactique et stratégique, mais aussi tout ce qui va avec diplomatie, discipline, rhétorique, géographie, histoire...) des Antiques, il ne faut pas se faire de soucis, ils sont très bien formés (en nuançant bien sûr en fonction des dates, des lieux et des civilisations).
Ungern a écrit :
Comment s'embarquaient-ils dans des opérations si lointaines sans connaissances géographiques exactes ?
Le renseignement géographique est effectivement un de leur soucis majeur. Dans les grandes lignes, ils connaissent à peu près la géographie de leur monde (qui reste assez restreint). A part Alexandre qui s'est vraiment engagé dans une aventure au-delà du monde connu, les autres opérations militaires se passent plus ou moins en territoire connu; dans les très grande ligne, chaîne de montagne, grands fleuves, routes principales, noeuds de communications, villes, sont connues, suffisamment pour définir les grandes lignes d'une stratégie (par exemple décider de gagner l'Italie en traversant les Alpes, c'est envisageable, ce n'est pas un plongeon dans l'inconnu, les distances, les divers itinéraires possibles et les principaux obstacles géographiques et politiques sont connus et analysés, et les mesures préparées en vue d'y remédier: activité diplomatique préparatoire, collecte de renseignement, préparations des convois de vivres, organisation de marchés intermédiaires, etc.).
Reste les détails: sans carte d'état-major, il faut des guides pour ne pas se tromper de route et perdre du temps (ou pire), et toutes les armées s'en trouvent, volontaires ou forcés (avec les risques que cela implique: ainsi Hannibal est tombé dans une souricière, parce que son guide a mal compris la destination souhaité : il souhaitait se rendre à "Casinum" (preuve qu'il connaissait très bien la géographie de l'Italie), mais son latin devait être approximatif, ou son accent très marqué, et le guide l'a conduit à "Casilinum"
Moins amusant, le sort du guide, crucifié...). Mais sans guide, même en connaissant les grandes lignes, une armée est perdue. Ainsi lors de la retraite de 10 000, le guide qui les conduisait vers les rives de la mer Noire s'est enfui après avoir été maltraité par Chirisophe. Eh bien pour plusieurs jours, les Grecs avancent à l'aveuglette. Ils se doutent qu'il faut aller vers le nord, alors ils y vont; mais ce faisant, ils s'enfoncent dans l'Arménie: le Pont-Euxin était au nord-ouest. Il leur faut de nouveaux guides pour retrouver enfin leur route. Plusieurs semaines difficiles gâchées en pure perte.
Dans cette lutte pour le renseignement de terrain, les marchands sont particulièrement précieux; il est assez amusant ainsi de constater que de passage à Massalia, Scipion Emilien et Polybe ont essayé de tirer les vers du nez aux marchands massaliotes, qui inquiets pour leurs monopoles commerciaux, se sont tus ou restés vagues sur la Gaule et la Bretagne, d'où l'accusation d'affabulations dont les taxe Polybe
! César utilisera à nouveau leur service, et largement, pendant la Guerre des Gaule. En effet, le marchand a l'avantage d'être fiable, plus en tout cas qu'un prisonnier ou un paysan raflé au passage.