Dupleix,
ce que vous dites est intéressant. Permettez-moi de faire quelques remarques.
Dupleix a écrit :
La direction de la politique française sous Louis XV et Louis XVI est certes parfois un peu difficile à suivre...
Cependant, je ne suis pas sûr que la question soit bien posée. A mon avis, aucune des guerres du XVIIIème siècle ne s'est terminée par une franche victoire de la France.
La Succession d'Autriche et la Guerre d'Amérique sont quand même des victoires. Sinon, la victoire anglaise lors de la Guerre de Sept Ans n'est pas non plus une franche victoire...
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En 1744, Louis XV entre en guerre pour soutenir le prétendant bavarois et pour affaiblir les Habsbourg. En 1748, le prétendant est mort et les Habsbourg ont perdu la Silésie. De plus, la guerre coûte cher, une armée russe marche vers le Rhin, les Autrichiens occupent l'Italie du Nord et les Anglais ont pris Louisbourg. Vouloir tenir les Pays-Bas serait le plus sûr moyen de liguer toute l'Europe contre lui, comme l'a démontré le règne de Louis XIV. La position de la France n'est pas si forte qu'il y paraît.
Vouloir tenir tous les Pays-Bas eut été suicidaire, nous sommes bien d'accord. Quoique...
Mais marchander quelques avantages lors des négociations de paix était tout à fait faisable: retour de l'Acadie et de la Baie d'Hudson dans le giron de la Nouvelle-France par exemple (ce que la France avait perdu au Traité d'Utrecht en 1713), quelques avantages aux Pays-Bas autrichiens... Avouez que l'absence de tout avantage, pire même, le don de Dunkerque aux vaincus Anglais a de quoi laisser rêveur...
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De même, lors de la Révolution américaine, la France entre en guerre pour affaiblir l'Angleterre en aidant les insurgés. De Grasse se fait battre sévèrement aux Saintes, Suffren n'arrive à rien de tangible en Inde. Là encore, la France n'a pas spécialement de quoi négocier, et ses buts sont atteints avec l'indépendance américaine.
Si c'est le Traité de Paris qui reconnaît l'indépendance américaine, c'est quand même pour quelque chose... Cette guerre est une victoire française sur l'Angleterre quoi qu'on en pense.
Mais vous avez raison de dire que les objectifs de départ sont atteints. Ce qui est difficilement compréhensible, c'est justement que cet objectif de départ n'ait été que d'humilier l'Angleterre et de prendre une revanche morale. Déclarer et gagner une guerre pour l'honneur...
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Finalement, dans les deux cas, la France a atteint son objectif. Ce qui me paraît le plus discutable à chaque fois c'est la manière dont a été prise la décision d'entrer en guerre. Il semble que dans les deux cas ce soit essentiellement la pression de l'opinion publique (pour ce que vaut ce terme au XVIIIème siècle) relayée par un parti à la cour, qui conduit à la guerre, sans réelle analyse des coûts et des avantages. Et par conséquent, un coût (notamment financier) disproportionné aux avantages qu'en retire la France (même lorsqu'elle gagne).
Oui. Tout à fait d'accord. C'est un peu ce que je disais dans un message précédent quand je parlais de vision geopolitique des dirigeants anglais par exemple, contrairement à leurs homologues français. Ceci dit, rien n'eut empêché les Français de réclamer quelques récompenses lors des négociations finales.
En fait, à chaque fois, les circonstances d'entrée en guerre et de négociation de paix qui encadrent la guerre elle-même sont relativement aberrantes, tandis que, sur le terrain, les armées sont plutôt victorieuses.
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Cela dit, si on prend un peu de recul : en tant que puissance européenne dominante de la période (même si en 1783 cela commence à être moins vrai), la France doit redouter essentiellement une alliance générale des autres puissances contre elle. Dans ce contexte, renoncer à des avantages territoriaux pour soi-même tout en maintenant l'équilibre entre les rivaux est une solution sensée. D'ailleurs, au vu du traité de Vienne on pourrait de la même manière se demander pourquoi l'Angleterre a fait la guerre à la France pendant 12 ans (1803-1815)
L'équilibre des puissances sur le continent est une question de survie pour l'Angleterre, d'où le principe "diviser le continent pour mieux régner" érigé en pierre de touche de la politique extérieure de Londres. De ce point de vue, le Traité de Vienne est une victoire ouvrant la voie à un siècle de domination anglaise.
Ce qui est, je dirais presque choquant dans la politique française du XVIIIème siècle, c'est l'absence de toute vision géopolitique, erronée ou non (peu importe finalement). Celle-ci était présente sous François Ier et ses successeurs, sous Richelieu (au sommet même), Mazarin, Louis XIV. Elle sera à nouveau présente sous Napoléon, Napoléon III etc... Certains de ces personnages avaient une vision remarquable, d'autres un peu moins, mais tous avaient le mérite d'en avoir une! De ce point de vue, le XVIIIème siècle français apparaît un peu comme un trou noir: on ne comprend rien, on voit des actions sans suite, sans continuité politique, on voit des guerres dont on se demande bien pourquoi on les fait. C'est décousu, c'est illogique, c'est tout et son contraire... Le degré 0 de la géopolitique, pourtant une des spécialités de l'histoire de France.