Ma petite contribution.
Non volontaire EOR, pour cause d'anti-militarisme primaire. Je ne remets pas en cause ce choix : j'étais dans la lignée soixante huitarde... Incorporé 74/08 dans les transmissions en Allemagne. Il y avait une arrivée de bleus tous les deux mois. La "08" était connue pour être composée en majorité de sursitaires. De fait il y avait dans ma chambrée un prof d'allemand, un agrégé de maths, un docteur en économie de 27 ans que nous appelions "papy", moi même jeune ingénieur, et quelques autres appelés plus jeunes et un peu intimidés. Tout s'est à peu prés bien passé, les activités physiques et le tarot étant des éléments fédérateurs, et les sursitaires n'étant pas à priori les plus efficaces pour marcher et manier le fusil. Après un mois de classes, un peu poussé par les autres et le peu d'envie de faire douze mois de corvées, j'ai fait le peloton de sous-off. J'ai donc appris à manier certaines armes, dont les explosifs.
Puis encore deux mois de classes de spécialité comme chiffreur-télégraphiste. Là, tout le monde avait au minimum un bac+2. Les autres spécialités étaient "radio", avec apprentissage particulièrement pénible du Morse, et "Faisceau hertziens" où l'on apprenait à déployer sur le terrain un réseau radio nodal en haute fréquence, dit aussi "câbles hertziens".
Après cette formation, les chiffreurs et les radios étaient envoyés dans les unités stationnées dans le sud de l'Allemagne, ce qui était un sort peu enviable pour certains qui se retrouvaient très éloignés de la frontière française et donc de Mulhouse, gare de départ en permission. Je suis resté à Fribourg au 53° RCT. J'ai eu la chance de participer à plusieurs manoeuvres sur le terrain. Bien que les conditions y aient été dures (il fait très froid en forêt noire pendant l'hiver), l'ambiance était plus souple qu'à la caserne, et nous alternions moments de détente et travail, avec une certaine convivialité avec les gradés : il est vrai qu'ils touchaient des primes pendant les manoeuvres, ce qui les rendait particulièrement heureux de partir sur le terrain et donc un peu plus souples avec les appelés.
Un soir, pour déconner, j'envoie un bleu chercher auprès du sergent-chef un "rouleau de câble hertzien". Trouvant la plaisanterie amusante, celui-ci renvoie le bleu à l'adjudant. Idem vers le lieutenant, le capitaine... le nombre de galons augmentait, et pour finir le bleu se retrouve devant une tente où des poireaux (généraux) planchaient devant une grande carte sur leur manoeuvre. Là, devant les éclats de rire, le pauvre bidasse a compris qu'il était victime d'une mauvaise plaisanterie. Il doit encore m'en vouloir !
Le système de commandement et de transmission de la 3° division, à laquelle j'appartenais, était assez intéressant et reflétait bien l'esprit de la guerre que nous préparions. Il y avait deux compagnies de pc (rouge et bleu) qui alternaient leurs déplacements. Le but du jeu était d'arriver sur la zone désignée avec tous les véhicules, assembler les shelters et tentes nécessaires à l'état major, et mettre en place les transmissions. Puis au bout de 24 h sur place, le pc devait déménager. J'étais affecté à une troisième compagnie de pc (jaune) dit "moyens réservés", censé remplacer le pc bleu ou rouge en cas d'atomisation. Nous avions un équipement plus léger afin d'être discrets et mobiles. Nous nous entrainions d'ailleurs à la situation où les deux pc, rouge et bleu, auraient été atomisés, et l'état major (ou ce qu'il en restait) aurait du se déplacer rapidement (je suppose en battant en retraite vers la frontière française).
J'ai passé le permis poids lourd sur des GMC de la seconde guerre mondiale. Je me souviens de l'un d'eux qui nécessitait, outre le double débrayage, un bon coup de pied sur le levier de vitesse pour que la vitesse rentre ! Quant au freinage de ces engins... heureusement que nous ne les sortions pas de la caserne ! J'ai particulièrement apprécié la conduite des Unimog Mercedes sur le terrain : véhicule à ponts surélevés, à capacité de franchissement assez impressionnante. Nous prenions un malin plaisir à franchir des fossés plutôt que passer sur le chemin voisin. Il fallait juste veiller à ne pas les mettre trop en dévers car ils avaient une stabilité latérale assez limitée.
En Allemagne, les manoeuvres s'effectuaient sur terrain ouvert. Une fois les troupes et les véhicules repartis, une commission passait sur place avec des civils allemands pour évaluer les dégâts infligés aux cultures et indemniser les propriétaires. Nous avions pour consigne de minimiser les traces de notre passage, mais lorsqu'un camion s'embourbait et qu'il fallait le sortir !
Nous devions faire face à deux risques sur le terrain : - atomisation du pc par l'adversaire, situation contre laquelle bien sur nous ne pouvions pas faire grand chose : je suppose que dans un vrai conflit nous aurions pu creuser sous le sol pour nous protéger, -infiltration de commandos ennemis. Les équipements de vision nocturne n'étant pas encore en service, nous étions entrainés à l'observation de nuit. Heureusement les gradés ne nous imposaient pas ce type de boulot lorsqu'il faisait froid ou qu'il pleuvait.
En dehors des manoeuvres, le temps à la caserne pouvait paraître un peu long. Tarot... entrainement à la frappe... tarot... corvées... De temps en temps des permanences au pc de division à Fribourg. Ce qui nous amusait le plus était de retransmettre les motifs de punition qui, pour des cas graves, remontaient à Paris. J'étais soumis au secret, mais puisqu'il y a maintenant quarante ans, il y a prescription... J'ai vu passer un cas de viol collectif : une brimade qui a dégénéré. Et le plus drôle, deux engagés (caporal chef et sergent) qui avaient récupéré des balles inutilisées dans une séance de tir. Le soir, dans leur chambrée, ils ont tiré sur un pot de nescafé. Le pot a explosé et il a fallu les emmener à l'hosto criblés d'éclats de verre ! Ce qui faisait le plus de dégâts humains était l'alcool...
Peu de mauvais souvenirs. Globalement le souvenir d'avoir perdu pas mal de temps. J'en ai retiré, avec du recul, une certaine expérience due au brassage social (limité dans les transmissions), une petite expérience de vie en collectivité et de commandement qui a pu me servir par la suite. Et, peut-être le plus inattendu, un changement de mentalité vis à vis des militaires et de l'armée. A partir du moment où on comprend la nécessité d'avoir une défense nationale, et qu'on l'a vue fonctionner de l'intérieur, on cherche à comprendre les évolutions ultérieures qu'on peut constater, en tant que citoyen et contribuable.
Je n'ai pas été surpris par le passage à l'armée de métier. Je regrette que cette période d'intégration sociale, qui pourrait d'ailleurs se réaliser aussi avec un service civil, n'existe plus pour les jeunes d'aujourd'hui. La désindustrialisation galopante de notre pays, qui procède entre autres de la croyance que le tertiaire peut fonctionner sans des secteurs primaire et secondaire à effectifs suffisants, va entrainer de gros problèmes de financement des services publics. On finira un jour ou l'autre par se poser la question d'instituer un service civil et, ce jour là, on se dira que peut-être une partie des appelés à ce service pourrait servir dans l'armée...
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