Rapentat a écrit :
Bonjour,
J'ai l'impression à lire les interventions, que les déçus du " service " sont surtout ceux l'ayant effectué dans l'Infanterie, il est vrai demandeur de gros effectifs. Apparemment ceux l'ayant fait dans d'autres armes, plus spécialistes, comme Marine, Aviation, Génie etc... ont moins de griefs à exprimer.
Cordialement
J'ai fait mon service dans l'aviation. J'ai eu la chance de le faire dans une unité très technique. Mais, elle était divisée en 2 section : une qui équipait des camions et les transformaient en station de communication et l'autre chargée de mettre en place ces matériels. On sentait déjà une nette différence entre ces 2 sections. Dans la première, le niveau technique était plus important que le grade et on m'a parlé d'un appelé second classe élève-ingénieur en électronique qui donnait des directives aux sous-officiers qui l'encadraient. La seconde section avait besoin d’appelés en tant que force de travail et là, la distanciation entre les grades était déjà plus marquée.
Nous étions un peu à part de la base, mais nos chambres étaient dans la base principale. Là, j'ai entendu les témoignages de copains qui étaient dans des services plus "classiques". Les fusiliers-commandos avaient des conditions de vie qui semblent très proches de celles racontées par les biffains. On désirait des soldats obéissants qui se plient aux injonctions hiérarchiques. Et il n'y a pas 36 000 manières pour obtenir se résultat. En fait, il y avait de sacré différence de traitements en fonction du type d'unité. Plus l'unité de service (section, compagnie, ...) était technique ou proche des parties techniques et plus la situation était proche de l'industrie avec des rapports assez conviviaux entre les engagés et les appelés. Plus l'unité avait un rôle militaire strict, et plus on sentait le poids de la hiérarchie.
Mais même les officiers ou sous-officiers sentaient la différence. Sur la base, il y avait des troupes de paras. Lors du bal annuel de mon unité, le lieutenant-colonel avait émis le désir de voir la salle décorée de quelques toiles de parachutes. Après avoir passé un coup de fil à son homologue para, quelques appelés, accompagnés d'un lieutenant et d'un sergent étaient allés réceptionner les parachutes de réforme. Quand ils sont revenus, les engagés disaient avoir été surpris par la manière dont les choses s'étaient passées. Ils s'attendaient à devoir signer pas mal de papiers, et à lambiner de bureau en bureau. Non! en 15 minutes tout avait été réglé. Ils se sont présentés, dit pourquoi ils venaient au caporal de semaine. Celui-ci avait appelé un de ses supérieurs (et il savait déjà qui il devait appeler !). Le supérieur est venu tout de suite, il a accompagné l'escouade jusqu'à un magasin où attendaient déjà alignés contre un mur les parachutes. Chez nous, çà ne se serait pas passé ainsi ...
Il me semble qu'il y avait aussi un certain malaise dans le rôle que devait avoir la conscription. Tout le monde était officiellement pour une armée citoyenne composée d'engagés et d’appelés. Mais, quand on lit les articles sur comment aurait pu se dérouler une éventuelle Troisième Guerre mondiale, surtout initié sur le front européen ... on peut être sceptique sur la capacité mobilisatrice. En cas d'attaque surprise, les troupes du Pacte de Varsovie étaient sensée balayer très vite le rideau défensif en place en Allemagne. Pendant ce temps, il aurait fallu mobiliser, armer, transporter les unités formées sur le sol métropolitain pour se porter à la rencontre de ses troupes et les arrêter. En lisant entre les lignes, on savait quel était le sort qui nous étaient promis. Et le sort promis aux engagés qui se trouveraient en première ligne.
Un collègue qui servait dans les grenadiers-voltigeurs a appris durant ses classes que la durée de vie estimée pour un soldat de son unité au front était de ... 7 minutes. 7 Minutes après son engagement, son régiment ne serait plus opérationnel parce qu'il aurait été décimé ! Mais, cet engagement était primordial pour permettre la mise en place d'autres unités qui devaient interdire l'envahissement du territoire national. C'était aussi dans cette optique qu'a été développée l'arme nucléaire tactique. Son objectif était de "geler" la progression des forces du Pacte de Varsovie en attendant que les unités issues de la mobilisation soient prêtes. Quitte à vitrifier une partie du territoire allemand et une partie des territoires français proches de la frontière Est...
J'avais été surpris par la réaction de certains engagés. A cause de la situation au Tchad, certains d'entre eux avaient été mis en alerte un peu avant Noël. Ils nous avaient raconté leurs angoisses à passer les Fêtes en famille avec le pacquot fait, prêt à être empoigné avec le doute sur la date de retour. L'angoisse à chaque coup de fil qui pouvait être le coup de fil disant qu'il fallait se rendre au lieu de rendez-vous. Le fait qu'il fallait essayer de garder la ligne libre ... J'étais un peu idéaliste à l'époque et je croyais que tous les militaires rêvaient d'être des héros ... et je découvrais des hommes avec leurs peurs et leurs faiblesses.
Un autre point important. Les engagés de mon unité avaient monté une équipe de football. Les noms de famille étaient tous d'origine polonaise, de pays de l'Est, de Corse, de ... En fait, il y en avait un seul qui avait un nom français, il s’appelait Martin (sergent-chef Martin, si j'ai bon souvenir), c'était un noir qui venait des Antilles.
Le service militaire était une espèce d'impôt que payait la jeunesse française. Ce fut une leçon de vie en communauté. J'y ai vu des choses bien avec une entraide qui se mettait en place à certains moments. J'y ai vu des choses dégueulasses, mesquines, petites. Aussi bien de la part des appelés que des engagés. Je regrette de ne pas avoir su maintenir de liens avec certains, et je suis content de ne plus avoir eu de nouvelles d'autres.