Bonjour,
J'ai envie de citer deux exemples tirés de ma période de prédilection :
1) D'abord le maréchal autrichien Von Gyulai (et à travers lui, l'ensemble de l'état-major de Vienne du moment, excepté le baron Von Hess...), lors de la campagne de Lombardie en 1859. Il fut un grand ami de l'adjudant-général personnel du Kaiser François-Joseph, le Comte Karl Ludwig Grünne, homme sans grande expérience militaire qui hésite à prendre résolument l'offensive afin d'essayer d'effacer sur le plan européen la "bêtise" de l'ultimatum viennois. Il préféra suivre les conseils malheureux de ce dernier plutôt qu'écouter le chef d'état-major général de l'armée autrichienne, savoir le Feldmaréchal baron Von Hess (le vainqueur de la bataille de Novare en 1849 aux côtés de Radzetski et l'un des meilleurs esprits stratégiques autrichiens à l'époque). Von Gyulai, tiraillé entre ces deux autorités et complètement dépassé par les évènements alors que son armée de 100 000 hommes détenait l'initiative horaire des hostilités depuis le 26 avril et qu'elle était déjà massée face à seulement 65 000 Sardes dispersés le long de la Dora Baltea et au sud du Pô, resta trop longtemps indécis entre les deux opportunités qui s'offraient à lui : offensive contre la ligne de la Dora Baltéa (celle-ci tenue par un maigre rideau de troupes piémontaises : 20 000 hommes tout au plus) ou défensive derrière les lignes de la Sésia, du Tessin et au sud du Pô (afin de mieux recevoir une attaque franco-sarde qui ne manquerait pas de se produire une fois les deux armées alliées réunies). Lors de sa timide offensive du 29 avril 1859, ses troupes ne parcoururent que 32 kilomètres en 4 jours (par un temps affreux et sur des routes en pitueux état il est vrai...). Tout pouvait être terminé avant le 7 mai suivant, mais Von Gyulai agît trop lentement et, alors que ses troupes ne sont plus qu'à 20 kilomètres de Turin, il est déjà trop tard : à la même date, les troupes françaises qui accourent au secours de leurs alliés piémontais débarquent à Gênes et à Suse. Von Gyulai a perdu l'initiative des opérations et est donc contraint de "plier les gaules" pour aller se réfugier sur l'autre rive de la Sésia...
2) Le général Fossard ensuite (et içi, j'en profite pour remettre les pendules à l'heure concernant les accusations portées contre le maréchal Bazaine lors de cette bataille). Le procès à charge selon lequel le maréchal Bazaine a laissé Frossard se faire battre à Spicheren est dénué de fondement selon Ronald Zins (Spicheren, 6 août 1870-Editions Historic'one). Les dépêches, les témoignages et les évènements eux-mêmes démontrent que Bazaine a tout fait pour soutenir le 2ème corps d'armée français. Dans la journée du 6 août, il est indéniable qu'il a répondu aux demandes de Frossard et qu'il a donné les ordres pour que les divisions de son 3ème corps se rapprochent du 2ème et se tiennent à sa disposition. Cependant, il est vrai que les généraux Montaudon et Castagny ont fait preuve de lenteur criminelle lors de cette journée. On a reproché à Bazaine de ne pas s'être personnellement déplacé à Forbach pour diriger le combat. Mais qu'aurait-on dit alors si en son absence les Prussiens avaient débouché face à Saint-Avold et, s'emparant de cette place, avaient coupé l'armée du Rhin en deux ? C'est Emile Ollivier qui a le mieux justifié le comportement de Bazaine (L'Empire libéral, tome 16, pages 229-230) : " En sa qualité de chef d'armée il était obligé de se tenir en un point central d'où pussent arriver et partir à tout instant des renseignements et des ordres venus des trois corps d'armée. S'il disparaissait de ce centre, toute unité d'action s'évanouissait et chcun était livré au hasard. Si, pendant qu'il galopait au hasard à la recherche de son lieutenant, un incident était survenu, un péril imprévu eût surgi, que n'aurait-on pas dit d'un général en chef qui désertait la direction générale pour aller faire le coup de feu sur un point particulier... Cette obligation de ne pas déserter le centre de son commandement s'imposait d'autant plus à Bazaine que Saint-Avold, point stratégique de première importance à surveiller, pouvait, à tout instant, voir fondre de Sarrelouis une diversion [sic] plus dangereuse que celle qui mettait Frossard en fuite". Achevant son plaidoyer avec lucidité, Emiule Ollivier désigne le véritable responsable de la défaite de Spicheren : "Bazaine a donc bien fait en secourant Frossard de tout son pouvoir, de ne pas aller lui-même sur le champ de bataille où sa présence eût été inutile, peut-être funeste. Sa conduite ce jour-là a été irréprochable. Il n'est responsable ni de près, ni de loin, ni directement, ni indirectement de la défaite volontaire de Forbach, imputable uniquement à l'inexpérience arrogante de Frossard". En effet, il ne faut pas chercher bien loin du champ de bataille le responsable de la défaite de Spicheren. Frossard n'a pris aucune initiative pour détruire les ponts sur la Sarre et il a établi son corps d'armée sur une position défectueuse. Il a accepté sans but une bataille défensive, l'a soutenu sans plan, sans la moindre intention de passer à un moment quelconque à l'offensive. Pourtant, le général prussien Von Kamecke a fait preuve d'une témérité dont il aurait mérité d'être châtié. La docrine de défense passive du 2ème corps français est due uniquement à l'absence de Frossard jusqu'à 17 heures (la bataille a débuté par un duel d'artillerie vers 8 heures du matin...). Celui-ci demeure à son quarier-général, laissant ses subordonnés presque sans ordres, sans instructions au sujet de leur mission, et il abandonne même au général Bataille l'entière disposition de sa division, destinée à former la réserve générale. Quand le combat commence, Frossard demeure à Forbach, éloigné de ses troupes. Il pense battre les Prussiens à moindre frais et ses télégrammes expédiés à Bazaine démontrent qu'il ne se doute nullement de la gravité de la situation. Pendant trois heures, soit de 14H25 à 17H30, Frossard, toujours sûr de lui, ne donne aucun signe de vie au maréchal Bazaine, à ce point que ce dernier, ne cessant d'entendre tonner le canon et préoccupé de la situation à Forbach, lui télégraphie sur les coups de 17 heures : "Donnez-moi de vos nouvelles pour me tranquilliser..." Le chef du 2ème corps répond que la lutte s'apaise (il y eut effectivement une accalmie à ce moment de la journée qui précédait l'entrée en ligne des renforts des IIème et VIIIème corps prussiens), mais il ignore que la lutte reprend de plus belle quelques instants plus tard car il est toujours de sa personne à Forbach, le cul assis près du télégraphe... Quand il daigne enfin se porter sur le champ de bataille, Frossard, visiblement troublé, passe alors d'un optimisme tout à fait injustifié à un pessimisme tout aussi excessif. Il craint d'être tourné sur un de ses flancs et donne alors l'ordre, de manière intempestive, de la retraite générale, alors que tous les témoignages indiquent que le 2ème corps pouvait se maintenir au moins sur les hauteurs depuis Spicheren jusqu'à Oeting, en attendant l'arrivée des renforts demandés à Bazaine. Ainsi, on peut en conclure que Frossard resta totalement passif tout au long de cette journée du 6 août 1870 et que sa seule initiative consista à ordonner une retraite prématurée et encore ! La direction donnée à cette retraite fut complètement incohérente : s'il était impossible en effet de se porter sur Saint-Avold, la marche sur Sarreguemines était encore moins justifiée car elle éloignait le 2ème corps de la masse de l'armée du Rhin. Une retraite sur le plateau de Cadenbronn, que Bazaine lui avait indiqué dans la journée comme point de ralliement et naguère tant vantée par Frossard lui-même, aurait été préférable. Cette retraite précipitée ordonnée par Frossard était d'autant plus regrettable qu'au soir du 6 août, les Prussiens n'avaient nullement l'impression d'avoir remporté un succès décisif...
Cordialement.
_________________ "Vous êtes de la merde dans un bas de soie" (Napoléon à Talleyrand).
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