Wagner n'est pas un missile ni Prokoviev une région pétrolifère, nous sommes bien d'accord. Mais si la géopolitique porte sur les rivalités, affrontements en vue d'un territoire, la musique du XXe s appartient, sur un mode mineur, certes, à ces rivalités. Pour rebondir sur l'intervention de Tonnerre, il y a bien un paysage sonore à occuper pendant la guerre, faire entendre en France la musique de l'adversaire. Le Philarmonique de Berlin ne peut évidemment pas être comparé à une armée d'occupation mais il y a bien "une rivalité d'influence" sur les populations pour citer la définition de wikipedia. Même chose pour le concours Bach de 1950 que j'évoque plus haut. Si on estime qu'il s'agit d'un conflit idéologique où toutes les forces sont mobilisées, il n'est pas étonnant que la musique soit convoquée. Et pourtant, la musique instrumentale peut difficilement être instrumentalisée
, apparemment : elle ne délivre pas un message univoque, comme la littérature ou la peinture figurative. On peut même penser que les nazis ont utilisé Mozart et Beethoven à rebours du message que porte leur musique. C'est ce qui me semble ici intéressant.
Pour prolonger la réflexion, est-ce que cette utilisation comme manifestation de la puissance ou de l'identité n'est pas plus ancienne que le XXe s ? Sans remonter aux Te Deum célébrant les victoires royales, je pense au mouvement des nationalités au XIXe s. La célébration d'une musique d'origine populaire (Dvorak, Chopin) constitue un moyen d'affirmer un peuple sans Etat. Verdi, par le choeur de Nabucco, a été un symbole pour le ralliement des patriotes italiens contre les Autrichiens (Viva Verdi). Enfin, de manière tout à fait prosaïque, je rappelle que chaque Etat a un drapeau et un hymne national.
Bref, je ne trouve pas du tout indu l'idée d'affirmer que la musique classique (y compris à son corps défendant) est un instrument pour affirmer la puissance ou l'identité d'une nation face aux autres (j'essaye de faire l'économie du mot géopolitique qui est un casus belli...), avec évidemment un moment privilégié durant les grands affrontements idéologiques du XXe s.
Il y a enfin l'aspect plus agréable, celui de la musique qui rapproche les peuples, si on s'éloigne de la définition allemande de la géopolitique. Un exemple récent avec le philarmonique de NY en Corée du Nord ou le concert commun entre l'orchestre de la Corée du Nord et le Philar' le 14 mars 2012
Citer :
« Seule la musique a le pouvoir de jeter un pont entre les nations », nous dit Myung-Whun Chung. Le Maestro, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France est originaire de Séoul, en Corée du Sud et depuis longtemps déjà, il cherche à favoriser les échanges entre la Corée du Nord. Convaincu que la paix, la détente et la compréhension mutuelle ne peuvent passer que par un langage commun, universel : la musique.
Bon tout cela n'a pas empêché les Coréens d'envoyer une fusée qq semaines plus tard