"Est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer comment se passait une année d'officier dans les années 1780 ?"
Pour répondre à cette question initiale d'Olympia, l'ouvrage suivant, ancien et un peu oublié (mais on le trouve dans les bibliothèques) est une mine d'informations et d'exemples sur la mentalité, les conditions matérielles d'existence et le quotidien des officiers en garnison en temps de paix au XVIIIe siècle :
Albert Babeau,
La vie militaire sous l'ancien Régime, Paris, Firmin Didot, 1890.
Exemple des pages 189-190 (la réflexion de l'auteur dans ce livre concerne le temps assez long, XVIIe-XVIIIe s., en marquant les évolutions, mais il ne semble pas y en avoir eu beaucoup sur ce thème, et la fin de l'extrait suivant concerne de façon précise la fin de l'Ancien Régime) :
"Les congés de semestre étaient accordés d'ordinaire au tiers des officiers. En 1644, ils sont octroyés pendant le quartier d'hiver à la moitié des majors et des enseignes, au quart des capitaines et des lieutenants. Plus tard le nombre des congés était réglé chaque année avant l'hiver par une ordonnance spéciale. Les officiers de chaque régiment se réunissaient chez le colonel pour convenir de la liste des capitaines qui pourraient s'absenter. Dans certains corps, on désigne tantôt sept capitaines et sept lieutenants, tantôt, on en désigne neuf. Sous Louis XV, on est encore obligé de réprimer l'inexactitude des officiers en congé. Le ministre écrit, en 1738, aux inspecteurs généraux : 'Depuis la paix, les officiers croient n'être plus obligés de servir à leurs troupes, au point que lorsqu'on se rend ici difficiles pour les congés, ils s'en vont et ne reviennent pas même à l'expiration de ceux qu'ils ont obtenus... Après avoir accordé sept mois à la moitié des officiers de chaque corps, il n'est pas naturel qu'ils puissent se dispenser de rejoindre.' [note : lettres de 1732, 1733, 1735 et Circulaire du 4 mai 1738. Voir le Recueil Cangé, t. XLIII, XLVII, L, LII.]
Ils ne peuvent s'excuser sur la rigueur et la fatigue [p. 190] du service. leurs occupations sont légères, la plupart du temps, dans les garnisons. Quand l'officier a fini son apprentissage, qu'il a fait le métier de caporal et de sergent, qu'il est reçu officier, l'exercice et les manoeuvres sont loin d'absorber son temps. Il y a bien des époques où il y a des recrudescences de zèle, des velléités et des augmentations de travail, comme dans la période où l'exercice à la prussienne fut à la mode. Il y a bien quelques services extraordinaires, les nuits passées au corps de garde, où l'on s'étend dans un grand fauteuil de malade, qui se baisse et se relève [note : Thomas du Fossé,
Mémoires, t. III, p. 181] ; mais, le reste du temps, l'officier est libre. Surtout dans l'infanteire, il a peu de chose à faire ; "il peut battre le pavé toute la journée" [note : Iung,
Bonaparte et son temps, t. I, p. 99]. Si le soldat a beaucoup de loisirs, il en a bien davantage. [...]"
On trouve aussi de nombreux éléments intéressants dans :
- Bernard Deschard,
L'armée et la Révolution. Du service du roi au service de la nation, Paris, Desjonquères, 1989. En effet, en dépit du titre, plus la moitié de l'ouvrage est consacrée à décrire l'armée française dans la dernière décennie de l'Ancien Régime. Voir le chapitre II, "Les officiers".
--> A lire l'énumération des congés de Bonaparte donnée par Cyril Drouet ci-dessus, on a l'impression que ce jeune officier ne cherchait qu'à passer le moins de temps possible à son corps... De fait, il est connu que durant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle au moins, à défaut d'argent ou d'appuis à la cour, les officiers issus de la noblesse de province n'avaient que peu de perspectives d'avancement ; le mérite ne suffisait pas, non plus que la noblesse. C'était un facteur de démotivation pour un certain nombre de jeunes officiers de valeur. Je cite dans mon livre l'exemple de Jean-Girard Lacuée de Cessac - parce qu'il fut l'auteur d'un traité de petite guerre -, qui fit, sous la Révolution et l'Empire, une belle carrière militaire et politique (il y a une page Wikipedia à son nom). Capitaine en second au régiment de Dauphin infanterie, il est noté présent dans les rapports d'inspection jusqu'en 1787. Il part en novembre 1787 à Agen pour "prendre les eaux", mais ensuite, il est noté absent, tant dans le rapport d'inspection de sept. 1788 que de sept. 1789, et il est encore à Agen durant le semestre d'hiver de 1789 à 1790 ! Voir : Sandrine Picaud-Monnerat, La petite guerre au XVIIIe siècle (Paris, Economica, 2010), p. 156-165 ("Une guerre de 'grands capitaines' ou de capitaines ? Profil professionnel et profil social").
Enfin, pour savoir combien de temps un officier devait au minimum, théoriquement, servir à son régiment, il y a... Le
Dictionnaire de l'Académie française (éditions de 1762 et de 1798). On les trouve en ligne :
http://portail.atilf.fr/cgi-bin/dico1look.pl?strippedhw=semestreSemestre, se dit "du congé de six mois accordé aux militaires". Et : "On dit aussi, qu'un officier a servi son semestre, pour dire, qu'il a servi à son Régiment les six mois qu'il est obligé dy servir."
S. Picaud-Monnerat