Voilà un sujet qui sera bientôt d’actualité dans l’agenda politique de la Suisse. ;-)
Il est intéressant de noter qu’il y a ponctuellement des initiatives pour la suppression, soit de la conscription, soit carrément de l’armée. Est-ce que les spécialistes d’ici savent si ce phénomène se retrouve dans de nombreux autres pays ?
Autre question de ma part : pouvez-vous me donner une référence récente qui dit que durant la Deuxième Guerre mondiale, l’armée suisse a été inutile ? (je précise que c’est une question sérieuse et j’espère que vous aurez des titres à me fournir).
Concernant la capacité de l’armée suisse, disons que j’ai une attitude plutôt partagée. Durant les 2 conflits mondiaux puis durant la guerre froide, la Suisse a réussi à donner une image très forte de son armée. La capacité à mobiliser une grande armée de citoyens soldats avait beaucoup impressionné à l’époque. De plus, certains argumentaires utilisaient le passé glorieux des Confédérés puis la longue tradition du mercenariat. Ces éléments ont contribué à forger, en Suisse comme à l’étranger, l’image d’un pays prêt à se battre farouchement pour son indépendance et l’image d’une armée suisse de milice très puissante dans ses capacités défensives.
C’est un fait incontestable et dans le grand public, ces éléments ont réellement eu un rôle dissuasif ou, du moins, ont fait forte impression. Ensuite, à quel point cette image était présente dans les Etats-majors des autres pays, voilà une chose que j’ignore. Il faudrait étudier au cas par cas et ne pas se focaliser que sur la Deuxième Guerre. Concernant ce conflit, il faudrait aussi mettre en évidence l’évolution de cette perception au fil du temps.
Par contre, il faut émettre 2 réserves : 1) On ne sait pas quelle aurait été la valeur de cette armée si elle avait été entrainée dans le conflit. L’entrainement, le drill, n’est finalement pas grand chose face au choc du vrai combat. Sur ce point, nous devons donc rester prudent et si « théoriquement », l’armée suisse était bien armée, il est impossible de dire si elle aurait passé l’épreuve du feu avec succès. Une fois la politique du Réduit activée, on peut également se demander comment auraient réagi les soldats en voyant une partie du territoire envahie, sachant qu’en se barricadant dans la forteresse des alpes, ils laissaient derrière eux leurs possessions et surtout leurs familles. Très difficile de répondre à cette question, il faudrait comparer avec d’autres exemples plutôt proches (régions occupées de la Grande Guerre par exemple). 2) Je pense qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur les stratèges militaires allemands pour savoir s’ils avaient peur d’attaquer la Suisse ou pas. Nous devons garder à l’esprit que les campagnes militaires ont normalement des rôles précis. Si, à terme, l’Allemagne envisageait bien entendu de mettre un pays partiellement germanophone sous sa botte, la « non-invasion » ne peut pas s’expliquer qu’en termes militaires. C’est aussi parce que l’Allemagne a pu obtenir de la Suisse un certain nombre de concessions sans devoir intervenir militairement. Pourquoi ouvrir un nouveau front si on peut déjà obtenir pas mal d’avantages sans combattre ? Bien entendu les Allemands avaient des plans de bataille, mais il aurait été stupide d’envoyer des troupes au front alors qu’il était possible d’atteindre une partie des objectifs sans ça. En termes Clausewitziens, on pourrait dire qu’il n’y a pas eu besoin de prolonger la politique par d’autres moyens.
Enfin, pour revenir au titre du sujet après cette longue digression, je dirais simplement qu’il est impossible de répondre oui ou non dans l’absolu. Tout dépend du pays, de sa situation géopolitique et de la période en question. En Suisse, durant les deux guerres mondiales, il y avait sûrement très peu de personnes opposées à l’existence de l’armée. Tout au long de la guerre froide, malgré la neutralité officielle du pays, une grande partie de sa population craignait le monde soviétique. D’ailleurs, il était évident aux yeux de l’armée que l’ennemi du pays était « rouge ». Et dans un monde polarisé et préparé à l’apocalypse nucléaire, les mentalités étaient en faveur d’une armée forte.
Je suis donc plus sceptique que Prisma et j’ai le sentiment que l’existence d’une armée, fut-elle de façade, a été pendant très longtemps un moyen complémentaire à la diplomatie pour défendre les intérêts d’un pays. Ce phénomène est d’ailleurs visible durant la Première Guerre mondiale, où les neutres avaient également mobilisés avec des objectifs divers. Car, et je vais terminer là, n’oublions pas qu’une armée peut être utile pour d’autres choses que la guerre contre les Etats : maintien/ contrôle de l’ordre intérieur (cf. la Hollande durant WWI), instrument de cohésion, voire de propagande nationale (en particulier pour les pays avec conscription), employeur et acteur économique, etc.
_________________ Comme disaient les Kennedy, "faut pas se laisser abattre"
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