Dans la Guerre des Gaules, César prétend que lorsque les gaulois appelaient à un rassemblement dans le but de faire la guerre, le dernier arrivé était supplicié et exécuté.... Ceci dit, ça reste des propos de César: il ne dit rien de façon gratuite, et il faut toujours avoir un oeil critique sur son texte.
Punir ceux qui fuient le combat est d'une logique imparable: demander à des masses d'êtres humains de se battre, de risquer leurs vies ou leur intégrité, dans des conditions parfois absurdes et souvent terribles, pour des raisons parfois également absurdes ou ne concernant pas directement les combattants ("la guerre, ce sont des gens qui se battent et ne se connaissent pas pour le compte de gens qui ne se battent pas mais se connaissent), c'est parfois peu évident, et la discipline était très rude dans la plupart des armées de l'antiquité à nos jours. Même dans des cultures guerrières qui exaltent le guerrier et la mort au combat (Japon féodal, Celtes....etc), les combattants, même aguerris, restent des hommes. Un élan de panique, un traumatisme aura vite fait de lui faire perdre ses moyens et de lui faire tourner les talons.
Dans l'antiquité, la bataille se gagne de cette manière: on exerce une pression constante sur l'ennemi jusqu'à le faire céder psychologiquement (le gros des pertes a lieue dans la poursuite de l'ennemi en déroute, non dans le combat en lui-même). Impressionner l'ennemi, par des parures guerrières, un tumulte, des provocations et des cris de guerre, était extrêmement important, et une bataille pouvait se jouer avant même d'avoir commencé (les Celtes étaient spécialistes de ce genre de guerre psychologique).
La guerre est avant tout une affaire psychologique. La peur de la mort, l'instinct de survie est si profondément ancrée en chaque être humain (en chaque être vivant même) que pour faire la guerre, et exposer des tas d'êtres humains à des situations très dangereuses et traumatisantes, il faut inhiber chez eux cet instinct de survie. Pour cela deux solutions:
- Enrober la guerre dans un mysticisme et une dialectique du héros, de la mort au combat qui ouvre la porte du paradis dans l'au-delà (les champs elyséens par exemple), qui rend immortel par le souvenir que ça laissera, ou de manière plus rationnelle récemment, de la défense de la mère patrie dont l'importance est mise au-dessus de l'individu (on reste dans le domaine du sacré). On a d’innombrables exemples de société guerrière pour lesquelles la guerre est une activité quasiment religieuses (cela peut avoir des inconvénient: un mauvais présage peut ternir la détermination d'une troupe, la défaite étant vécue comme un désaveu des dieux eux-mêmes).
Certaines (Celtes, Japon) sont même allé jusqu'à encourager le suicide, parfois sans même que ça apporte un avantage à son propre camp (les attaque "banzai" des japonais comme à Guadalcanal). La période industrielle (dont l'illustration la plus flagrante est 14-18) mettra à mal cet enrobage de la guerre dans une dialectique sacrée du héros, de la gloire etc. Là, le nombre de victimes, qui les rend totalement anonymes, la puissance d'armes nouvelles, qui interdisent de plus en plus l'exploit personnel et la prise de risque, et l'absurdité d'une guerre mécanique et froide vide l'idéal du héro de son sens, même si ça a été encore largement utilisé pendant la Grande Guerre. Pourtant, il était encore très présent durant les guerres napoléoniennes.
- deuxième solution, celle dont il est question ici: instaurer une discipline de fer et des punitions très graves qui rendent la peur du combat moins importante que celle des représailles en cas de défaillance. Toutes les armées du monde ont connues cette justice de guerre expéditive. Ceci dit, elle implique tout de même une certaine organisation centrale et la notion d'un enjeu allant au-delà de l'intérêt privé. Au Moyen Age, la discipline dans l'ost féodal est inexistante. C'est l'exploit personnel et la protection d'intérêt privés qui est recherché par la noblesse. Qu'une guerre s'enlise, soit trop lointaine, et on ne compte pas le nombre de défections des vassaux. Je ne connais pas non plus de sanctions imposées à des nobles en cas de manquement à ce niveau (si ce n'est sociale en cas de lâcheté, et encore!).
La fuite, en outre, n'est pas forcément perçue comme une lâcheté. On a d'innombrables exemples de chevaliers ou nobles tournant les talons dès que l'engagement devient défavorable. Le fait est également que les guerres médiévales sont des conflits privés, qui ne menacent pas, dans l'entrelacs des pouvoirs féodaux, l'intégrité d'un territoire, d'une société ou d'une civilisation, sauf rares cas (les Croisades, où une discipline inhabituelle s'instaure dans les armées croisées comme dans les armées musulmanes, et la Guerre de Cent Ans, où apparaissent les premiers soubresauts d'un sentiment d'appartenance nationale et qui signe la mort de la guerre féodale et de l'exploit personnel....). Les puissants avaient d'ailleurs énormément recours à des mercenaires, bien plus fiables tant qu'on avait de quoi les payer. D'autres armées, à d'autres époques, ont pratiqué une discipline de fer très dure, comme la décimation dans les légions romaines (et apparemment chez les Mongols d'après Hugues de Hador). La marine, où des centaines d'hommes s'entassent sur des navires où règnent des conditions très dures et où les combats sont très violents et sanglants, a imposée très tôt une discipline cruelle à bord (pourtant, le risque de fuite est limité...).
En outre, cette discipline se renforce à mesure qu'un conflit se durcit. L'URSS de 42 ne faisait pas le moindre cadeau à ses soldats, pas plus que l'Allemagne de 44/45 ou que la France de 1916......
Quoiqu'on en pense d'un point de vue moral et social, il est froidement logique que ce genre de mesures exceptionnelles soient prises en temps de guerre. Même en ayant modelé l'esprit d'une population (autour de ce mysticisme de la guerre que j'évoquais plus haut), le gros des combattants n'est pas directement intéressé dans une guerre, sauf rares cas (les guerres civiles souvent, qui sont d'ailleurs souvent les plus dures).
Souvent, ils ne sont même pas volontaires pour la faire, et auraient largement préféré rester chez eux que d'aller faire la guerre au nom d'idées et d'intérêts qu'ils comprennent mal (que ce soit le paysan arverne en 52 avant JC, le guerrier mongol "de base " du XIIIème ou le paysan conscrit de 14-18). Non seulement, on les envoie loin de chez eux, dans des conditions de vie rarement agréables, mais en plus on leur demande de risquer leurs vies, de tuer, et de supporter toutes les horreurs de la guerre. Sans la menace de sanctions radicales, une armée en temps de guerre ne tiendrait pas plus de quelques semaines.
La guerre est un état que l'on a du mal à nous imaginer, où le droit individuel fondamental à la vie tout comme l'interdiction fondamentale de tuer sont abolis. En outre, nous restons des mammifères soumis à un certain nombre d'instincts, notamment lié à la préservation de sa vie et de son intégrité physique et morale.
J'avais lu un très intéressant article sur la psychologie des militaires/guerriers en situation de combat, rédigé par des médecins militaires, et fournissant de très nombreux exemples de situations réelles. Dans un combat, il a été prouvé que très très peu de combattants gardent une pensée froide et rationnelle. Dans un échange de tirs, apparemment, très peu de soldats cherchent réellement à viser l'ennemi, mais se contentent de tirer dans la direction de sa position. L'instinct de survie et de conservation restent des priorité absolues, même chez les combattants les plus aguerris, qu'ils en soient conscients ou non. La peur est une de nos émotions les plus fortes, elle peut très facilement prendre le pas sur la conscience.
Même sans parler de la guerre, une situation de panique fait parfois prendre des décisions aux mieux intentionnés d'entre nous qui surprennent l'intéressé lui-même. Actuellement, et toujours d'après cet article, elle est considérée comme normale par le personnel militaire, car essentielle pour justement se préserver (un soldat mort n'est plus utile à qui que ce soit....). Ceci dit, c'est un attitude récente où la guerre, comme le reste, a été ultra rationalisée. Avant, on pouvait chercher la mort au combat, et toute attitude de peur ou de panique pouvait être considérée comme de la lâcheté.... C'est aussi pour cela que la justice militaire s'est allégée depuis un demi siècle (en Occident tout du moins, et il faut dire que nous n'avons pas connu de conflits majeurs comme les guerres mondiales, où c'est l'intégrité de tout un Etat et de toute une société qui sont menacées).
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