Pour comprendre le peu de mobilité de l’armée de Louis XIV sur le champ de bataille, je vais donner quelques exemples parmi les nombreuses évolutions tactiques qui vont se mettre en place au cours du 18e siècle à titre de comparaison.
Je ne parle ici que de la tactique élémentaire. « ... la tactique élémentaire a pour objet de mouvoir un régiment dans toutes les circonstances que la guerre peut offrir, de même la grande tactique a celui de mouvoir une armée d'après toutes les données possibles. » Guibert - 1772
Le fusil et les méthodes de tir
Une partie des modifications dans les évolutions et les manœuvres de l’infanterie au cours des batailles découlent du remplacement du mousquet à mèche par le fusil à platine; puis par la généralisation de la cartouche à balle, améliorant la maniabilité et la vitesse du tir ; avec pour corollaire une augmentation de la puissance de feu (pas forcément encore de la fiabilité du tir); enfin de l’adoption de la baïonnette à douille qui entraîne la disparition des piques de l’infanterie au début 18e du siècle. Si le fusil apporte une plus grande cadence de tir en comparaison au mousquet, sa portée et son efficacité restent aléatoires, par la mauvaise qualité des armes et de la poudre, par l’absence de formation des soldats. Les progrès techniques réalisés sur la qualité des matériaux, l’accroissement de la fiabilité des fusils, des soldats mieux entraînés, la réduction des feux à commandement au profit d’un feu plus ajusté vont progressivement changer la donne. Et le progrès suivant, en matière d’arme à feu, sera tout aussi progressif et tardif avec l’amorce en fulminate ou l’adoption en 1854 de la carabine pour les chasseurs de Vincenne, ..
Le pas cadencé
Chaque soldat de Louis XIV marche comme il le veut à son pas pour se mettre en bataille. Pour le maréchal de Saxe , vers 1750, la force de l’infanterie est dans ses jambes ; il est partisan du tact pour régler le pas du fantassin. Il s’opposait à Puységur qui ne voyait pas d’utilité au pas cadencé, ni même aux rangs serrés pour les évolutions. C’est sous l’impulsion du comte de Bombelles que l’infanterie française adopte en 1754 le pas cadencé et le pas emboîté ; c’est-à-dire le fait de marcher en file serrée, en cadence, de manière à ce que le pied de l’homme qui suit se pose à la place que quitte le pied de l’homme qui le précède. L’adoption du pas cadencé apporte une amélioration considérable. Les mouvements de l’infanterie se faisaient en rangs ouverts, lentement et avec beaucoup d’espace. Le pas cadencé permet de réaliser les mouvements plus rapidement et en rangs serrés sur des espaces beaucoup plus réduits.
L’ordre mince remplace l’ordre profond
L’infanterie de Louis XIV tire sur sur cinq ou six rangs, et l’on faisait tirer soit l’ensemble des rangs soit par deux ou trois rangs à la fois. Ces feux nécessitent des manœuvres et des conversions compliquées pour réaliser les emboîtements nécessaires à ce type. Ils sont aussi très dangereux pour les soldats et les officiers des premiers rangs. Pour illustrer ce que devaient être ces formations, leur complexité et leurs dangers, voici un extrait de la Doctrine militaire La Fontaine en 1672 où il décrit la méthode pour tirer sur cinq rangs ; à cette époque, sont encore des mousquetaires armés de mousquets : « on faisait mettre les deux premiers rangs à genoux, le troisième étoit fort courbé, le quatrième l’étoit moins et le cinquième debout. » Pas question de relever la tête dans les premiers rangs et les officiers placés en avant devaient mettre ventre à terre ! Et en note Blondel dans son Elémens de Tactique écrite à propos du feu sur 4 rangs : « Malgré cette attention [d’avoir quatre rangs très resserrés], il arrive souvent dans les exercices, lorsqu’on fait tirer les soldats, que ceux du premier rang ont les cheveux brûlés, et que les officiers ont des coups de feu dans leurs habits. » Heureusement, les exercices se font sans balles, ce ne sont que des traces de la cartouche de papier et des résidus de poudre, mais sur le champ de bataille … Le milieu du 18e consacre l’avènement de l’ordre mince. Et c’est l’ordonnance du 6 mai 1755 qui institue définitivement la formation sur trois ou six rangs, la première pour le feu et la seconde pour l’assaut et le choc avec la formation en colonne. « Toutes les fois que l’infanterie prendra les armes, pour quelque occasion que ce soit, elle sera formée sur trois rangs ; et pour l’exercer sur une plus grande profondeur, on lui fera doubler les files, afin de la mettre de six de hauteurs… » Voici le sentiment de Napoléon sur le sujet, extrait de ses mémoires écrites à Sainte Hélène : « Au commencement de 1700, Louis XIV a supprimé les piquiers et armé toute son infanterie de fusils avec baïonnettes. Elle a continué cependant pendant quelque temps à se former sur quatre rangs ; mais on n’a pas tardé à en sentir l’inconvénient ; car le quatrième rang ne peut pas se servir de son fusil ; on l’a donc supprimé, et depuis lors la formation de l’infanterie a été sur trois rangs. On a cependant reconnu l’inconvénient du feu du troisième rang, ce qui obligeait à prescrire que le premier rang mît un genou en terre au feu de peloton et de bataillon ; mais le seul feu en usage à la guerre est le feu à volonté, par la droite et par la gauche de chaque peloton. On a varié sur la manière de tirer parti du troisième rang dans ce feu. D’abord on l’a fait tirer comme les deux premiers rangs, passant le canon de son fusil sur 1'épaule droite de l’homme du second rang ; mais, le canon du fusil n’ayant que 4 pieds 8 pouces, la bouche de celui du troisième rang dépasse à peine de 8 pouces la poitrine du premier rang, et lui blesse la main gauche lorsque ce rang met en joue. Les accidents étaient si nombreux qu’on s’est décidé à abandonner le feu du troisième rang comme impraticable. On a fait charger le fusil du second rang par le troisième, le second rang n’étant plus chargé que de tirer. On a cru avoir amélioré le feu ; l’expérience a démontré que le second rang n’en tirait pas davantage et tirait plus mal. Le feu des tirailleurs est le meilleur de tous ; celui d’un rang seul vient après ; celui de deux rangs est encore bon ; mais celui de trois rangs est mauvais. Le troisième rang ne peut rien faire qui puisse accroître le feu des deux premiers rangs, ce qui prescrit la formation de l’infanterie sur deux rangs. »
Progrès encore avec les prémices de la formation divisionnaire au début du siècle, plus avancée encore durant la guerre de Sept Ans, qui sera à mon sens une des avancées tactiques majeure des guerres de la Révolution.
Enfin, vous dites qu’il «n’y a pas eut de mutation technologique majeure » Je répondrais par oui et non. Oui par exemple avec l’adoption du fusil, et non parce qu’il faudra pratiquement un siècle pour en faire véritable une arme qui change la donne sur le champ de bataille. Pour l’artillerie de même rien de révolutionnaire, mais beaucoup de progrès comme le forage horizontal des tubes, la réduction du vent du boulet …
Quand au changement de la grande tactique ou stratégie il est en partie lié au changement de la tactique élémentaire (siège vs bataille). Frédéric II ne s’occupe parfois pas des places fortes ennemies, qui ne prennent pas le risque de se dégarnir pour l'attaquer, Frédéric II préfère être mobile.
Voici quelques idées sur la difficulté à mettre en bataille une armée sous Louis XIV. Un livre intéressant et facile à trouver sur le net: L'Infanterie au XVIIIe siècle LA TACTIQUE par Le Commandant d’artillerie COLIN.
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