Il y a un article du colonel Goya qui évoque la stratégie américaine et qui souligne ses carences :
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Lorsque Robert Mc Namara, est mis à la tête du Pentagone en 1963, il ne connaît rien au problème et l’équipe des « petits sorciers » (whizards kids) qui l’entoure, pas plus. Il l’avouera dans ses mémoires : « Mes collègues et moi décidions du destin d’une région dont nous ignorions tout ». Sur le moment pourtant, il ne s’en inquiète pas beaucoup. Issu de la division de statistiques de l’armée de l’air, ce technocrate est persuadé que rien ne résiste aux recettes générales du « management scientifique », méthodes qu’il a déjà appliquées avec succès chez Ford et qu’il appliquera maintenant à la guerre au Vietnam.
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Sur place, au Sud-Vietnam, il n’y pas de lignes de front qui avance ou recule, pas même de front véritable mais des zones plus ou moins contrôlées et surtout des forces imbriquées au milieu des populations. Rien ne distingue vraiment l’ennemi local, le Viêt-Cong, de la population, ce qui est normal puisqu’il en est issu. On sait juste qu’il est soutenu par le Nord-Vietnam, qui engage aussi largement ses propres unités de combat, et qui, croit-on, constitue le bras armé du monde communiste. On admet la nécessité d’intervenir militairement massivement au sud, pour sauver un Etat qui ne parvient pas à s’en sortir seul, mais aussi l’impossibilité d’envahir le nord, le risque d’engagement de la Chine étant trop important.
Pour le reste, dans ce cadre stratégique admis, il suffira d’appliquer une pression suffisamment forte sur l’ennemi pour l’amener à renoncer par un simple « calcul coûts-bénéfices ». Au Nord et sur la piste Ho Chi Minh qui court le long de la frontière du sud-Vietnam, on bombardera. Au sud, on tuera au combat le maximum de combattants de l’armée nord-vietnamienne (ANV) et Viêt-Cong (VC). Il suffira que le nombre de morts dépasse la production pour que l’ennemi finisse par céder. Après les premiers combats de la vallée de Ia Drang en 1965, on s’accorde pour penser qu’avec un kill ratio de 10 tués ennemis pour seul 1 américain, la guerre sera vite gagnée.
Le piège logique se referme alors sur des forces américaines persuadées, dans l’esprit du libéralisme, que de la somme des actions individuelles positives (micro-victoires) découlera « naturellement » un effet global également positif à long terme et qu’en gagnant toutes les batailles à n’importe quel prix économique, on gagnera forcément la guerre.
Cette idée du "kill ratio" qui fait gagner les guerres va donner naissance à la pratique du "body count", une pratique dont Goya décrit toutes les dérives. On connaît le mot usuel qui courait les rangs : si c'est mort et vietnamien, ça compte comme du Viet-Cong.
Philip Caputo : "Enflammés par le fameux discours de Kennedy nous avions demandé ce que nous pouvions faire pour notre pays, et celui-ci avait répondu : Tuez des Viet-Congs" (Kill VC !)
Goya décrit le suivi mensuel du "kill ratio" à l'échelle d'un pays, qui allait permettre de prévoir à quelle date la guerre serait gagnée, et le système de reporting complètement fou mis en place pour cela :
https://lavoiedelepee.blogspot.com/2017/12/datapocalypse-big-data-et-guerre-du.htmlAu passage, même s'il y a eu pendant cette guerre de véritables affrontements armés entre unités du nord et Américains, dans l'ensemble la fragmentation des opérations n'a pas permis de rendre populaire tel ou tel général américain qui s'y serait illustré.