CEN_EMB a écrit :
Je rajouterais cependant que les Romains ont voulu posséder la totalité de la gamme tactique et des spécialités (cavalerie lourde, archerie montée, etc.), ce qui nécessairement a obéré leur force principale qui était la solidité de leur infanterie en réclamant du potentiel alors que celui-ci apparaissait de plus en plus limité. Le recours au recrutement barbare a également permis un renforcement à court terme, mais un affaiblissement de la culture de la guerre romaine à plus longue échéance, et notamment de la supériorité tactique des légions peu à peu occultée par les cultures ou les coutumes guerrières des nouveaux combattants.
Cette logique est en place dès Auguste et la professionnalisation de l'armée. La culture de guerre romaine, fondée sur le soldat-citoyen et donc une violence intrinsèque de la société romaine disparaît avec la pacification de l'espace civique. C'est la raison d'un glissement du recrutement vers les marges moins intégrée comme le Nord de la Gaule ou l'illyria, vers des endroits de l'Empire où le rapport à la violence est moins affaibli qu'en Italie. Ibn Khaldoun a très bien montré cette logique et parle de perte d'assabiya, d'une forme de cohésion sociale.
Cependant l'armée romaine tarde-républicaine n'est pas non plus une armée magique malgré ses capacités hors normes ; elle est relativement en difficulté face aux tactiques iraniennes, le désastre de Carrhes est assez éloquente, d'autant que la campagne suivante de Marc Antoine n'est pas bien probante. Et précisément ce sont des contingents alliés qui tirent le mieux le épingle du jeu, à savoir la cavalerie gauloise. Parce que précisément les Romains ont toujours exploité les capacités es alliés pour renforcer leur propre outil militaire. Mais quand on a conquis le bassin méditerranéen où sont les alliés ? Alors la solution est simplement d'utiliser les forces disponibles dans le barbaricum. A cela deux stratégies s'opposent, l'une étant bien plus problématique que l'autre. D'abord inclure des contingents barbares à l'armée régulière ; c'est la solution qui n'induit pas beaucoup de soucis puisque la structure militaire reste entre les mains de l'Empire. L'autre sera de faire confiance à des unités indépendante et liées par traité, le feodus. Cela fut nettement moins probant.
En tout cas vous avez parfaitement raison sur l'idée de nécessité. Les Romains ont fait ce qu'ils ont pu selon les moyens disponibles et surtout selon leur logique de la guerre. Rien ne les obligeait à vouloir couvrir complètement les frontières si ce n'est l'idée que Rome apporte la paix à ses provinces. Ce que les concurrents perses n'ont jamais fait. Mais c'était la garanti de la stabilité de la notion impériale. Au IIIe siècle des expériences de gouvernance plus localisée apparurent justement face à l'incapacité du pouvoir central de garantir la paix.
CEN_EMB a écrit :
La division entre limitanei et comitatenses obéit d'ailleurs à cette logique de simplification qui est subie plus que voulue, un peu similairement à l'armée thématique au VIIe siècle, qui conserve un noyau tagmatique qui ne demandera qu'à s'étendre quand l'empire aura survécu à la grande crise du VIIe siècle.
Ce n'est pas que cela ; la logique est surtout d'apporter une capacité à répondre à la diversité dans l'échelle de la menace. On comprend mal la stratégie romaine si on ne replace pas les choses dans le contexte militaire de l'époque ; les Romains affrontent essentiellement de la petite guerre face aux Germains et même pourrait on dire du brigandage endémique, le fait de quelques centaines de combattants tout au plus. Face à cela la légion traditionnelle est inopérante et au IIIe siècle elles ont surtout été tournées en bourrique, incapables de colmater les brèches et laissant des boulevards aux autres dès qu'elles partaient. Les Romains se sont donc adaptés ; ils ont fragmenté les légions en vexiliations et on trouvé cela plus efficace dans la gestion de la nouvelle menace.