Je n'ai rien à ajouter aux propos de Plantin-Morétus, sa
Plantin-Moretus a écrit :
Romeo a écrit :
Au 18° siècle la tactique militaire des marines anglaises et françaises était assez différente.
Alors que les marins français avaient tendance à essayer d'immobiliser les navires adversaires en visant la mature, les navires anglais avaient eut plutôt tendance à carrément essayer de couler les navires opposés en tirant 'en plein bois'.
Ce qui explique en partie la suprématie navale anglaise.
Comment explique t-on les choix tactiques des différentes marines ?
Quelques éléments de réponse :
D’abord un bilan calculé par D. Dessert pour corroborer votre analyse (
La Royale, Fayard) : de 1661 à 1815, dans les 38 combats entre escadres qui les opposent, les Français perdent 123 navires, les Anglais seulement 7 !
Il faut d’abord préciser que les Français ont ordre depuis Louis XIV de ne pas trop exposer leur flotte, car ils engagent les combats souvent en infériorité numérique. Encore, à la fin du XVIIIème siècle le théoricien naval John Clerk of Eldin remarque que « les Français nos ennemis ont montré dans toutes leurs rencontres avec nos escadres, un système suivi et l'intention constante de désemparer nos vaisseaux, et d'éviter d'amener les leurs en bataille serrée.»
Cette prudence s’explique aussi par la gérontocratie qui caractérise le commandement français, tout du moins jusqu’à la guerre d’indépendance américaine : les « marins-courtisans » veulent avant tout éviter de perdre leurs navires, quitte à perdre de bonnes occasions de victoire en engageant résolument leur flotte.
Pour infliger des dégâts significatifs , il fallait être assez près alors que le combat d’artillerie se faisait traditionnellement « à longue distance », c’est-à-dire en fait un peu moins de 500 m. Mais les membrures des coques des navires anglais étaient très rapprochées, de sorte que les plus gros calibres français (boulets de 36 livres) étaient peu efficaces. (voir Corvisier :
Histoire militaire de la France).
C’est pourquoi les tirs français visent à démâter : un navire immobilisé est condamné, mais les pertes ennemies sont faibles. Cette tactique suppose en outre une quantité astronomique de boulets lancés.
Au contraire, la tradition anglaise veut que l’ennemi soit combattu sans réserve ; l’entraînement va dans ce sens : les canonniers anglais parviennent à une redoutable efficacité en précision et en rapidité car on leur apprend à utiliser le tangage et le roulis et non à le subir.
Cette attitude résulte aussi du fait que la flotte est pour l’Angleterre l’instrument essentiel de leur stratégie, au contraire de la France (« Qu’est-ce qu’une bataille navale ? On se canonne, on se sépare, et la mer demeure aussi salée qu’auparavant », disait Maurepas).
Voilà, je n’ai pas suffisamment de compétences techniques pour développer davantage, en particulier les nombreux travaux sur la technologie des vaisseaux et leurs armements (voir
le vaisseau de 74 canons, de Jean BOUDRIOT), mais d’autres vous donneront sûrement des informations complémentaires...
Plantin-Moretus a écrit :
C.Douville a écrit :
Bonjour,
Si la flotte Française paraît inférieure à l'Anglaise pendant certains conflits, la guerre d'indépendance Américaine a pourtant démontré le contraire. En plein siège de Yorktown, la bataille de Chesapeake voit la flotte de l'amiral de Grasse repousser la flotte Anglaise, succès décisif pour la création des Etats-Unis. La campagne des Indes, menée par le Bailli de Suffren, est également un exemple d'avantages pris par notre flotte sur l'Anglaise. Quelques corrections ont été apportées à notre tactique ? Merci d'avance.
Voici quelques éléments de réponse, que vous pourrez approfondir, avec, entre autres,
L’histoire ignorée de la marine française, Etienne Taillemite, Perrin
L’empire des mers, M. Acerra / J. Mayer, Nathan
La vie des marins au grand siècle, J. Merrien, terres de brumes
La Royale, Daniel Dessert, Fayard
Influence de la stratégie maritime dans l’histoire, A.T. Mahan, C. Tchou (celui-ci difficilement disponible cependant, je l’ai payé une fortune)
La puissance maritime dans l’histoire, Actes du colloque international de paris 2001, Presses de l’université Paris-Sorbonne
De 1762 à 1771 Choiseul commence à entreprendre le redressement de la marine, en piteux état après la Guerre de Sept Ans, mais il est remplacé par Bourgeois de Boynes, qui commet l’erreur de vouloir calquer l’organisation de la marine sur celle de l’armée de terre ; il est renvoyé à l’avènement de Louis XVI en 1774.
Le roi, on le sait, a eu une prédilection certaine pour la mer, les voyages, la géographie ; dans le contexte monarchique, l’impulsion royale est essentielle.
Il nomme Sartine à la tête de la marine (8/11/1774), et son action sera déterminante ; avec lui, la bureaucratie s’efface au profit de l’institution militaire. Les ordonnances de septembre 1776 portent sur la réorganisation des arsenaux, le recrutement (moins aristocratique qu’on ne l’a dit, car on savait passer sur les titres quand on reconnaissait la valeur), et l’administration à bord.
Surtout, un programme naval ambitieux est lancé : la flotte comprenait à son arrivée 66 vaisseaux de ligne et 60 frégates, dont beaucoup hors d’état de naviguer ; il y en respectivement 79 et 66 en 1779, 82 et 71 (plus 174 plus petits navires) en 1780. cette augmentation en masse s’accompagne d’une standardisation : 3 types de vaisseaux subsistent, de 110, 80 et 74 canons, ce qui facilite la construction et la maintenance. La plupart des navires bénéficient maintenant, à l’exemple anglais du doublage de leur coque en cuivre.
En outre, de grands travaux sont engagés dans les ports, en particulier à Cherbourg, pratiquement ex nihilo (Cherbourg ne sera terminé qu’au milieu du XIXème siècle).
Bien sûr, l’effort financier est conséquent : le budget passe de 17,7 millions de livres en 1774 à 41 millions en 1777 et 74 millions en 1778 (on voit ici les effets des préparatifs de la guerre).
Bref, en un temps très court, la marine était redevenue un instrument performant et qui tiendra ses promesses, comme vous l’avez indiqué.
Les navires français et anglais du XVIIIe combattaient en ligne de file parallèle, chaque navire d'une même nation placé à la queue leu leu. Cela offrait plusieurs avantages :
- protéger la proue et la poupe des navires, dépourvues d'artillerie ;
- pouvoir tirer sur les flancs sans toucher de navire ami ;
- compter sur l'appui derrière soi.
L'artillerie était disposée sur les flancs du navire, en batteries superposées, de calibre décroissant avec la montée au-dessus de la ligne de flottaison. Pourquoi cette disposition ? Pour une évidente raison de stabilité : un centre de gravité proche de la ligne de flottaison, et même un peu en dessous, amortissait le tangage et le roulis au combat. Le navire français de 74 canons, dit Jean Boudriot, comportait :
- 28 canons de 36 à la batterie basse ;
- 30 canons de 18 à la batterie au-dessus ;
- 16 canons de 8 sur les gaillards ;
On se posera la question : pourquoi une disposition en quinconce ? Il faut répondre :
- l'énorme poids du canons (plus de 4 tonnes pour un canon de 36 avec affût en bois) imposait que tous les canons ne devaient pas reposer sur les mêmes couples de charpente (risque de casse, sans la quinconce)
- les flamèches du tir ne devaient pas retomber sur un canon immédiatement en dessous (risque d'explosion de la poudre)
Cela dit, la stratégie navale qu'a inventée Suffren à la bataille de Provédien, aux Indes, au large du sultanat de Mysore, était d'envelopper le centre et l'arrière-garde de l'amiral anglais Hugues en s'avançant en deux lignes parallèles, mettant l'anglais entre elles. Mais les capitaines français n'ont pas compris cette stratégie, pourtant répétée lors d'un brifing. Je souligne qu'il n'y avait malheureusement pas, en France, de "band of brothers" comme fera Nelson sur mer, avec ses capitaines. Louis XVI a fini par donner à son grand bailli grand croix de l'Ordre de Malte la permission de casser les carrières des capitaines incapables, mais la mesure n'était pas aussi redoutable qu'en Angleterre.
Dans la marine anglaise, soit on gagnait et on avait des récompenses, soit on perdait et c'était le peloton d'éxécution ou la cour martiale. C'est dur, mais j'admire ce système.