Salut Ungern,
Pour continuer sur cette notion de disproportion, je me permets de poster un petit complément à mon précédent message. Le sujet est difficile et je ne suis pas sur de bien le maîtriser, ce qui suis est donc une amorce de discussion sur le sujet, pas une critique de ton texte.
Dans le cadre du conflit armé, une disproportion peut être observée au niveau :
1) Du potentiel (au sens donné par de Montbrial soit la capacité à contrôler les ressources à disposition et la liste des objectifs atteignables)
2) De la puissance (idem, soit la combinaison du potentiel et du passage à l'acte)
3) Du pouvoir (au sens donné par Arendt, soit l'aptitude à agir elle-même accordée, à un homme ou un groupe, par une communauté.)
La disproportion peut être d'ordre dissymétrique ou asymétrique. La dissymétrie représente une différence sur un plan commun au deux belligérants - elle est le plus souvent capacitaire, au niveau qualitatif ou quantitatif (Baud) - l'asymétrie fait référence à une différence au niveau des plans sur lesquels s'exerce la dialectique des adversaires, elle représente la plupart du temps une différence dans l’action, l’organisation ou la réflexion des deux adversaires (Metz et Johnson). L'on peut donc avoir une dissymétrie au niveau du potentiel (missiles balistiques contre cailloux par exemple), une asymétrie au niveau du potentiel (potentiel militaire et potentiel médiatique par exemple), une dissymétrie au niveau de la puissance (ce serait le cas au Liban actuellement selon notre Président), une asymétrie au niveau de la puissance (l'occupation d'un terrain par une armée contre une action terroriste par exemple - ou contre une prise d'otages...
) et finalement une dissymétrie au niveau du pouvoir (soit la sympathie dont peut bénéficier un belligérant aux yeux du monde) ou une asymétrie au niveau du pouvoir (par exemple l'action d'un belligérant peut être légitimé par le droit international, et son adversaire va légitimer son action par un droit d'ordre religieux).
L'absence de proportion suppose une absence d'égalité et cette absence d'égalité suppose elle même une absence de justice, dans la mesure ou l'absence de proportion n'est pas réglementée, explicitement ou implicitement, c'est à dire soumise à des contraintes qui la rende normale ou acceptable. Hors le conflit armé représente à la fois le théâtre des inégalité les plus grandes (les morts et mutilés d'un côté et les vivants de l'autre) et celui ou la réglemention est la plus flexible, précisément parce qu'il s'agit d'un "champs de vie et de mort" pour reprendre Sun Tzu ou les belligérants ont toujours beaucoup à perdre. Donc, l'absence de proportion dans le conflit armé tend naturellement à être perçue comme une injustice. L'exception élémentaire étant le conflit conventionnel, la convention étant ici comprise comme une "règle du jeu" explicite, formulée avant que le conflit ne débute et ayant acquise une valeur quasi-universelle- ce qui explique pourquoi l'on ne s'est jamais beaucoup ému du massacre des vaincus consécutif à l'issu des batailles rangées.
A partir de là, comment se figurer l'absence de proportion dans la conduite du conflit armé?
1) L'absence de proportion est réglementée auquel cas elle est normale et donc acceptée. (ex: les bombardements stratégiques anglo-saxons, voir les bombardements atomiques)
2) L'absence de proportion n'est pas ou n'est plus réglementée, auquel cas elle est:
---- a) une erreur de l'acteur, en terme de stratégie (soit, en ce qui nous concerne, une mauvaise perception de la règle du jeu) ou en terme de rationalité soit précisément une action irrationnelle, motivée par la passion.
---- b) une erreur de l'observateur, fruit d'une mauvaise évaluation de la règle du jeu ou d'une mauvaise perception de l'environnement objectif ou subjectif dans lequel évolue l'acteur soit en somme d'une mauvaise appréciation des facteurs qui ont motivé l'action. Enfin, cela peut provenir d'une mauvaise évaluation de l'acteur selon qu'il soit considéré comme unité notionnelle (mettons un Etat),unité identifiée (L'Etat X) ou unité personnalisée (le chef de l'Etat X) (Simon).
---- c) un signal, soit la volonté de l'acteur de briser une règle pour transmettre un message. Le conflit armé étant une dialectique des volontés, un acte disproportionné peut contribuer à accroître la charge émotive du message que l'on veut transmettre ou/et être précisément une réponse à ce que l'on estime être une transgression par l'adversaire d'une règle du jeu. Dans tous les cas, il s'agit d'une redéfinition de règles qui viennent d'être brisées.
Au final,
1) la disproportion s'inscrit sur une grille verticale (potentiel - puissance - pouvoir) et sur une grille horizontale (dissymétrie -asymétrie): si l'on veut vraiment la comprendre il faut la placer dans un contexte plus large que celui de la puissance.
2) dans le cadre du conflit armé, la disproportion peut (au moins) être évaluée selon quatre hypothèses. Il est donc préférable à mon sens de s'interroger sur la pertinence de celles-ci en fonction du cas retenu avant de tirer une conclusion.
Thomas