Duc de Raguse a écrit :
La consommation des produits créés par les hommes était aussi commune, sans propriété privée. C'est le communisme primitif..." [/b][/i] Friedrich Engels : L'Origine de la famille
Attention, le terme "communisme primitif" sous la plume d'Engels doit être pris avec circonspection, et ne reflète pas la pensée de Marx.
D'abord parce qu'Engels est souvent en porte-à-faux avec les analyses de Marx, ou qu'il le comprend mal. C'est son plus fidèle soutien, certes, c'est aussi le premier à infléchir et quelque part dévoyer la pensée marxienne (c'est une conception chère à toute une génération anti-PCF ou anti-communiste tout court de l'après-guerre, je pense notamment à Maximilien Rubel et Michel Henry, mais sous l'éclairage des faits, et du fait même de la position d'Engels à la mort de Marx, elle me semble loin d'être fausse).
Ensuite, et ça me semble important à savoir : la doctrine qui est élaborée par Marx (et Engels) et qui se veut un "socialisme scientifique" se construit précisément
contre les tenants d'un communisme primitif !
Contre le néo-babouvisme aux accents chrétiens et pacifiques (Cabet), contre le rousseauisme à la française, la Parousie saint-simonienne, contre la nostalgie allemande du christianisme primitif (Weitling), etc...
Dans ces conditions, il me paraît quand même difficile de trouver dans les textes de Marx une espérance dans le "retour" au "communisme primitif" (vision avec laquelle, dans les débats du temps, encore très influencés par le christianisme, il rompt radicalement).
On peut toujours considérer le prolétariat comme un nouveau Messie, et le communisme comme l'union
originelle retrouvée des hommes ; mais il me semble que c'est une vision qui privilégie l'idée d'un âge d'or et d'un retour au passé. Or la prophétie marxienne est tout entière tournée vers l'avenir. Le premier monde est une nature hostile, devant laquelle l'homme est désarmé ; le communisme est une société d'abondance, à laquelle l'homme parvient après des millénaires de progrès matériels et techniques.
Sinon, pour en revenir au sujet, Bergame, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit :
Citer :
Chercher les causes du communisme sanglant dans les écrits de Marx me semble de toutes façons une démarche relativement inepte.
Le chercher là exclusivement, oui. Rejeter la responsabilité en niant la force d'incitation d'un texte aussi diffusé et lu que le
Manifeste communiste, non.
Il y a quand même deux poids deux mesures.
"Accuser" Hegel d'être à l'origine du goulag parce qu'il a glorifié "le travail du négatif" (c'est une idée qu'on retrouve souvent chez les essayistes peu sérieux) ou Nietzsche d'avoir engendré fascisme et nazisme parce qu'il en a appelé au "Surhomme", oui, c'est facile et inepte.
En revanche, réclamer le renversement de l'ordre social "par la violence" n'est pas anodin.
Un texte n'est pas seulement un poids mort radicalement théorique que l'on médite seul dans une chambre ; les idées sont aussi dans le siècle et quelque écart qu'on postule entre un texte et sa réception, il faut leur reconnaître une valeur incitative lorsqu'elle est réelle (tout en oubliant pas que c'est rarement le seul facteur en cause).
Parce que si un auteur n'est plus responsable des choses qu'il écrit en son temps et
pour son temps, on a dû se tromper en condamnant Céline et en fusillant Brasillach, non ?