Nous sommes actuellement le 28 Avr 2024 6:46

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 32 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3  Suivant
Auteur Message
Message Publié : 18 Sep 2010 0:58 
Hors-ligne
Hérodote
Hérodote

Inscription : 30 Mars 2010 2:50
Message(s) : 3
Nietzsche incarne le concept un peu darwinien de l'individualisme aristocratique, qui partage donc avec le nazisme la reconnaissance d'une légitimité en vertu d'une position de force naturelle, justifiée par les qualités. Le principal point de divergence est que le nazisme reconnait cette légitimité à un groupe défini qui bénéficie de qualités innées par lesquelles il a les moyens - et le devoir, par son destin - de dépasser les autres. La doctrine nazie aspire à permettre l'épanouissement de ce groupe sur lequel repose une véritable foi. Là dessus, on est assez loin des concepts nietzschéens.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 18 Sep 2010 14:04 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Tout le 19è pense que les hommes sont inégaux et qu'il y a une hiérarchie des races avec des races inférieures et des races supérieures, des forts et des faibles pour Nietzsche. Il n'y a pas que Spencer, Darwin, Gobineau et Lapouge à le penser mais aussi entre autres: Broca, Pierre Larousse, et tous nos colonialistes français, les pionniers de la République, Gambetta et son ami jules Ferry notamment.
En 1903, Jean Jaurès déclare à la chambre des Députés: " J'ajoute que la France a autant le droit de prolonger au Maroc son action économique et morale, qu'en dehors de toute entreprise, de toute violence militaire, la civilisation qu'elle représente en Afrique auprès de indigènes est certainement supérieure à l'état présent du régime marocain". Même Jaurès croit à une supéririté de l'européen et à son devoir d'intervenir, mais il a l'art de l'exprimer avec mesure.
Le nazisme amplifie et théorise l'idée que le fort et le plus capable est chargé d'une mission mais il change totalement la nature du concept et passe à l'inacceptable, la suppression des hommes qu'il décrète inférieurs, ce qui n'avait jamais été envisagé par personne et révèle sa nature criminelle. L'application aux juifs du concept n'a en plus aucun sens. Nietzsche aurait hurlé devant la politique antisémite d' Hitler. Il admirait le peuple de la Bible et le voyait plutot comme un peuple supérieur, susceptible de contribuer au renouveau.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 19 Sep 2010 16:54 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Citer :
nature du concept et passe à l'inacceptable, la suppression des hommes qu'il décrète inférieurs, ce qui n'avait jamais été envisagé par personne et révèle sa nature criminelle


Cher alain, on ne peut pas dire que cela n'ait jamais été envisagé par personne: relisez les citations de FN que j'ai données en début de fil sur l'élimination des faibles et des "biologiquement ratés" , elles sont sans ambiguité: FN écrit explicitement que se débarrasser de ces catégories est hautement souhaitable.
En voici une autre allant dans le même sens: "la vie ne reconnaît pas de solidarité, pas de droits égaux entre parties saines et parties dégénérées d'un organisme, on doit couper ces dernières, ou l'ensemble périra".
Recommandation expéditive que l'on ne trouve ni chez Gobineau, hostile à toute politique de sélection et d'eugénisme raciste, ni chez Darwin, pour les auteurs que vous citez que je connais.
Est-ce que la "cote" de FN auprès des nazis ne viendrait pas du fait qu'il serait le seul à préconiser de telles pratiques d'élimination des "socialement inutiles" et à légitimer l'usage de méthodes très brutales pour réaliser cet objectif?
Et plus généralement, ne viendrait-elle pas du fait qu'il est, à ma connaissance, le seul penseur majeur, à non seulement légitimer mais à glorifier et à "glamouriser" la violence, posée chez lui comme bonne pourvu qu'elle soit exercée par les individus appartenant à la race des maîtres (race étant pris dans un sens non strictement ethnique chez lui) et pourvu qu'elle soit mise au service d'entreprises qualifiées par le philosophe de nobles , supérieures , culturelles, spirituelles, créatrices etc.

Chez Nietzsche, les principes qui ont été les plus dévastateurs aux mains des nazis sont, selon moi, d'une part le rejet de l'éthique commune d'inspiration chrétienne et le rejet de la notion d'égalité des droits entre individus et d'autre part la supériorité attribuée à certains individus du fait même qu'il rejettent ces normes d'éthique communes et créent leurs propres règles et leurs propres valeurs (ce qui préfigure le culte du chef dans le nazisme et le fascisme).
Certes, il n'y a chez FN aucune apologie de la force en soi; le pouvoir de l'homme supérieur est toujours décrit comme une force sublimée, qui intègre l'élément primitif en le transcendant, opération qui reflète le schéma nietzschéen de la sublimation du dyonisiaque par l'apollinien.
Et donc, ce qui constitue essentiellement un individu comme supérieur chez lui, ce n'est pas sa force physique mais son mental: sa volonté de puissance, sa capacité de s'affranchir de toutes les contraintes, de repousser les limites, tant les limites extérieures que les siennes propres, le mouvement qui l'entraîne dans un dépassement de soi permanent--toujours plus haut, toujours plus loin--et sa démarche fondamentalement créatrice.
D'où la distinction nietzschéenne entre la force matérielle, la violence (Kraft et Gewalt) et pouvoir sublimé et créateur (Macht). Certes, cette distinction est faite mais ces individus qui s'élèvent au-dessus des hommes ordinaires parce qu'ils sont "plus complets" sont aussi "des bêtes plus complètes" rappelle FN. Si l'on comprend bien: leurs instincts primitifs sont aussi plus intenses que chez l'homme ordinaire.
Et surtout ces qualifications permettant de reconnaître l'homme supérieur sont extrêmement vagues--il est noble, spirituel, sublimé, autonome, créateur etc. Ce ne sont pas des critères précis mais des jugements de valeur: finalement, il est supérieur parce qu'il est supérieur. Du fait du caractère subjectif de ces critères, la désignation d'un individu comme supérieur se fait selon une logique circulaire/tautologique et essentiellement sur la base d'une affirmation de la part de Nietzsche.
Il y a quand même à ses yeux une preuve concrète de la supériorité: elle se révèle par le combat, qui est l'épreuve de vérité, le test par excellence car c'est la guerre qui fait sortir du lot l'individu supérieur et qui crée l'aristocratie. Et dans ce combat, la violence n'est plus nécessairement sublimée, elle est, si besoin est, physique.
Bien sûr, ce n'est pas le recours à la violence en soi qui pose l'individu comme appartenant à la race des maîtres, c'est sa volonté de puissance, mais l'exercice concret de la volonté de puissance passant nécessairement par l'usage de la violence, la nuance est largemement symbolique, et en pratique ça revient au même. Logique circulaire de nouveau, si un individu démontre sa valeur spirituelle, morale etc parce qu'il gagne dans un affrontement, il s'ensuit que le fait de gagner, au besoin par la violence, sera le signe reconnaissable de la (plus grande) valeur morale. D'où auto-proclamation de supériorité inévitable par le vainqueur qui ouvre évidemment la porte à toutes les dérives: n'importe quelle brute ou tyran mégalomaniaque réussissant à imposer sa loi par des moyens violents peut s'autoproclamer représentant de la race des maîtres et poser dans la foulée que les buts qu'ils poursuit sont supérieurs, nobles , etc--personne n'osera lui dire le contraire.
On peut dire avec vous alain, que FN n'aurait pas pu, du fait du style indélébilement plébéien d'AH, voir en lui un représentant de cette élite naturelle, mais il n'était plus là pour le dire; de fait, en posant grosso modo l'équation victoire = supériorité morale et supériorité morale = légitimité à utiliser la violence et à rejeter toutes les contraintes éthiques, il a mis entre les mains des nazis (et de tous les aspirants postérieurs à la tyrannie) une arme de destruction idéologique massive, leur fournissant des rationalisations propres à justifier toutes les atrocités.

C'est ce cocktail qui est potentiellement dangereux parce que les qualifications qui précisent ce qui fait le surhomme étant de purs jugements de valeur, et les restrictions introduites par Nietzsche étant concrètement inapplicables, en pratique, c'est celui qui a gagné qui décide--de qui est moralement supérieur, comme de qui est juif :mrgreen: .
Le nombre de brutes ou d'imbéciles qui peuvent tirer de Nietzsche la notion que transgresser les normes de la morale commune et se conduire en "barbares" est glorieux et fait d'eux des surhommes est potentiellement illimité; de ce point de vue, on peut voir FN , par l'intermédiaire de certains philosophes français nietzschéens récents (vous voyez à qui je pense) comme à l'origine du n'importe quoi transgressif qui a sévi il y a une trentaine d'années.
C'est ce qui fait de FN, selon moi et beaucoup d'autres, un philosophe "à ne pas mettre entre toutes les mains", car mortel s'il tombe entre les mains d'imbéciles, d'irresponsables ou de sociopathes, un peu comme un médicament toxique à certaines doses et pour certains individus qui serait vendu sans ordonnance et sans avertissement sur la boite.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 12:26 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Citer :
qu'il est, à ma connaissance, le seul penseur majeur, à non seulement légitimer mais à glorifier et à "glamouriser" la violence,


Je voulais dire : le seul penseur majeur moderne, bien entendu, j'aurais du le préciser. De Maistre légitime et même sanctifie la violence mais il ne la glamourise pas: elle est une nécessité sociale absolue, et dans le plan providentiel, elle est encore plus importante mais il ne la voit pas comme test d'une supériorité morale. C'est chez lui une fonction, un rôle indispensable, ce n'est pas une qualité.
Et je ne crois pas qu'on puisse le classer dans les penseurs de la droite moderne.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 14:50 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Il y a eu pourtant des apotres de la violence pour conduire l' Etat comme Machiavel. Robespierre et Saint Just voyaient en elle une nécessité morale pour construire une nouvelle société plus juste. Georges Sorel théorise la violence sociale et a certainement influencé Hitler. Lénine en fait aussi l'apologie et on sait que les nazis ont été impressionnés par la manière dont avec une petite minorité on prend le pouvoir par la violence. Lénine glorifie la violence.
Hitler n'avait vraiment pas besoin de lire Nietzsche pour utiliser la violence comme moyen et morale de l'action. Tous les apprentis révolutionnaires de l'époque ne parlaient que de celà et avaient leurs auteurs, très nombreux. Aucun à ma connaissance ne fait appel à Nietzsche. Ce sont des intellectuels, pas des politiques qui évoquent Nietzsche. Depuis peu de temps d'ailleurs me semble t-il! FN est un auteur pour un petit nombre d'initiés. Son influence politique est négligeable.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 15:33 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Citer :
Il y a eu pourtant des apotres de la violence pour conduire l' Etat comme Machiavel. Robespierre et Saint Just voyaient en elle une nécessité morale pour construire une nouvelle société plus juste. Georges Sorel théorise la violence sociale et a certainement influencé Hitler. Lénine en fait aussi l'apologie et on sait que les nazis ont été impressionnés par la manière dont avec une petite minorité on prend le pouvoir par la violence. Lénine glorifie la violence.
Hitler n'avait vraiment pas besoin de lire Nietzsche pour utiliser la violence comme moyen et morale de l'action.


Ce n'est pas DU TOUT la question que j'ai discutée cher alain; une lecture trop rapide vous a fait manquer plusieurs qualifications et nuances majeures B) .
Et d'autre part, est il vraiment nécessaire de rappeler que pas mal de gouvernants ont utilisé la violence avant FN :mrgreen:)
Ce que Nietzsche est seul à faire en tant que philosophe (laissons de côté Sorel, postérieur à FN), ce n'est pas de poser la violence comme une nécessité politique et/ou un apanage légitime de l'exercice du pouvoir;
c'est de laisser penser (nuance : à distinguer de "penser" svp )par ceux auxquels le sens des nuances échappe, que la violence serait à prendre comme le signe glorieux et valorisant d'une supériorité morale (morale au sens de "virtu", non au sens éthique bien sûr), confusion rendue possible par le fait que la définition de cette supériorité morale est toujours laissée à l'appréciation subjective.
La conséquence perverse de cette notion étant que la transgression des normes de morale communes ferait de vous ipso facto un être supérieur.
Je ne vois rien de tel chez Saint Just, qui de plus n'est pas un philosophe, rien de tel chez Machiavel, penseur du politique mais non exactement philosophe, rien de tel chez de Maistre, où pourtant le thème de la sainteté du bourreau et de la nécessité de la violence , tant à des fins politiques que dans sa fonction métaphysique, jouent un rôle considérable.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 16:35 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Il est vrai que nous traitons chacun un aspect du sujet qui est: " l'héritage de Nietzsche dans l'idéologie nazie ". Pour ma part, je démontre que le nazisme a puisé ailleurs que chez Nietzsche et qu' Hitler n'a pas manqué de références pour glorifier la violence. il y a abondance.
Vous, Tonr, vous vous attachez au philosophe, ses idées, son apport, ce qu'il en est d' autres "philosophes", au regard de la glorification de la violence....
Pourtant Hitler ne parle pas philosophie mais politique. Je crois plus à l'influence de Lénine sur sa pensée et sa pratique qu'à un appel à la philosophie.
Le nazisme ne figure pas dans l'histoire des idées politiques, ni Nietzsche d'ailleurs.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 17:10 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Citer :
Pourtant Hitler ne parle pas philosophie mais politique. Je crois plus à l'influence de Lénine sur sa pensée et sa pratique qu'à un appel à la philosophie.
Le nazisme ne figure pas dans l'histoire des idées politiques, ni Nietzsche d'ailleurs.


Alain, vous le savez bien, d'abord toute pensée politique et même toute politique renvoie implicitement à une philosophie, c'est à dire à une vision fondamentale de l'homme et du monde. La philosophie de la droite serait, en très gros , fondée sur une approche plus pessismiste de la réalité, avec la notion que les hommes et la société ne peuvent ni ne doivent être trop transformés, qu'il y a des invariants et des différences/inégalités naturels, que les motivations des actions humaines ne sont pas essentiellement altruistes etc. Réciproquement, pratiquement toutes les philosophies ont des implications politiques explicites: Platon est vu comme correspondant à une conception aristocratique de la politique, la philosophie des Lumières aboutit à la conception libérale etc.
Ensuite, je veux bien que FN ne figure pas l'histoire de la pensée politique, quoique son aristocratisme, son individualisme, son mépris des masses et son refus de l'égalitarisme soient déjà des positions politiques.
Mais écrire que le nazisme ne figure pas dans l'histoire des idées politiques, c'est une bourde tellement énorme (sans vouloir vous offenser) que je préfère penser que vous avez fait une faute de frappe :mrgreen:
Le fascisme, le nazisme, le totalitarisme le communisme font non seulement partie de l'enseignement de l'histoire des idées politiques dans toutes les universités d'Europe et des US, mais de plus ils sont couverts en 101, c'est à dire en tout premier semestre de cours, aux EU du moins.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 19:04 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
Tonr a écrit :
Mais écrire que le nazisme ne figure pas dans l'histoire des idées politiques, c'est une bourde tellement énorme (sans vouloir vous offenser) que je préfère penser que vous avez fait une faute de frappe .
Le fascisme, le nazisme, le totalitarisme le communisme font non seulement partie de l'enseignement de l'histoire des idées politiques dans toutes les universités d'Europe et des US, mais de plus ils sont couverts en 101, c'est à dire en tout premier semestre de cours, aux EU du moins.
Dans mon esprit, le fascisme, le nazisme, le communisme ne font pas partie de l'histoire à proprement parler des "idées politiques" mais de l'histoire des systèmes politiques ou de l'histoire politique, qui sont bien sur enseignés à ce titre.
J'irais voir à l' IEP de Paris si c'est toujours ainsi de distinguer les penseurs politiques ( Machiavel, Hobbes, Locke, Rousseau, Burke ...) et les doctrines, les systèmes appliqués. Je suis loin de l'université depuis longtemps.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 20:27 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Ce qui est intéressant, c'est que Nietzsche était bien conscient de la possibilité que son oeuvre soit annexée par des groupes politiques qui l'interpréteraient de façon abusive et la détourneraient, sans avoir du tout besoin de la falsifier, simplement en n'en retenant que certains aspects qui coincidaient avec leurs vues et en ignorant d'autres, ou en ignorant les caveats et spécifications posés par l'auteur sur certains concepts.
Il y a cette lettre à sa soeur Elizabeth Forster, de 1884: "Je suis terrifié par la pensée de l'espèce de gens qui pourraient un jour invoquer mon autorité".
Sa pensée en fait, est éminement détournable, parce qu'elle est fondamentalement ambigue et contradictoire. Un penseur qui dit tout et son contraire peut en conséquence être invoqué par toutes sortes de groupes de tendances opposées.
D'après ce que dit FN, c'était déjà le cas de son vivant; il constate: "je bénéficie d'un respect étrange et presque mystérieux parmi toutes sortes de groupes radicaux: socialistes, nihilistes, antisémites, wagnériens, un fait comique".
Donc il comprenait très bien le risque de malentendu que comportait cette ambiguité et ce manque de cohérence interne, ce manque de rigueur théorique pourrait on dire , et pourtant il a choisi de ne pas préciser sa pensée sur des points cruciaux, de ne pas sortir de la polysémie.
De peur sans doute d'en limiter la portée en lui donnant un sens trop univoque?
Parce que, étant un philosophe vitaliste, et la vie ne se souciant pas de cohérence interne ni de logique et se manifestant dans la diversité et éventuellement dans l'autocontradiction, il aurait trahi sa propre philosophie en essayant de lui donner une cohérence parfaite qui n'appartient qu'à la raison abstraite et "désséchée"?
Ou tout simplement parce que ça l'amusait de voir la bêtise humaine bourdonner autour de son oeuvre, qu'il se réjouissait, en bon iconoclaste, du spectacle comique de ces différents groupes, chacun se réclamant de lui tout en se disputant entre eux?
Nietzsche, comme l'homme supérieur tel qu'il le conçoit, a t'il préféré garder ses distances, rester dans une certaine indéchiffrabilité, ne pas s'expliquer totalement sur lui même, rester quelqu'un sur l'oeuvre de qui on continuerait à se poser des questions bien après sa mort? Eh bien, justement, nous ne le saurons jamais :mrgreen: .
Une autre convergence que j'ai oublié de souligner entre la philosophie nietzschéenne et l'idéologie nazie est leur idéal commun de la création d'un homme nouveau; certes , l'homme nouveau de FN est fort différent de l'homme nouveau nazi, ne serait-ce que par le contenu racial donné à sa nouveauté, mais les nazis ont repris au moins la notion de l'impératif qu'il y a de créer cet homme nouveau. Et donc d'abolir l'homme ancien. Par des moyens violents si besoin est. Et ça, ce n'est pas du tout éloigné de la pensée de FN.
Je reviens à ce qui distingue l'homme supérieur selon le philosophe; j'avais mentionné le côté autoproclamé de cette distinction: l'homme supérieur, c'est celui qui sort vainqueur de la lutte, or celui qui domine se considèrera habituellement comme supérieur de ce fait même. J'ai trouvé une citation encore plus nette à ce sujet: ce qui signale l'homme supérieur, en dernière analyse nietzschéenne, c'est la certitude intérieure. Je cite "une certaine certitude fondamentale qu'un âme noble a sur elle même, qui ne peut être ni trouvée ni perdue".
Donc, pratiquement, il suffit de se croire supérieur pour l'être. Non seulement l'appartenance à la race des maîtres est fondée sur un pur jugement de valeur mais en plus, c'est un jugement qu'on passe soi-même sur soi-même. De tels énoncés sont un chèque en blanc signé à tous les mégalomanes; ils ne permettent pas simplement un détournement, ils le garantissent.
Bien sûr, le nazisme aurait existé sans Nietzsche mais le philosophe a fourni la caution de la haute culture et de la haute pensée à des agissements de criminels et de brutes et il a été conscient que cela pourrait se produire, puisque cela s'était déjà produit de son vivant, sur un mode infiniment moins lourd de conséquences certes.
Considérez vous, alain , que des rappeurs qui appellent à tuer des flics tiennent un discours qui peut avoir des conséquences dangereuses dont ils doivent assumer en partie la responsabilité? Moi oui, c'est la raison pour laquelle, quand FN appelle explicitement à se débarrasser des biologiquement inaptes (je re-cite: "que l'on écarte et que l'on refoule sans pitié la vie dégénérescente, par exemple en ce qui concerne le droit de procréer, le droit de naître, le droit de vivre"). Là, ce n'est même pas ambigu.
Comme l'interroge Derrida: "pourquoi et comment ce qui est appelé si naivement une falsification est possible? On ne peut pas falsifier n'importe quoi".

Sur le nazisme enseigné dans l'histoire des idées politiques, c'est une évidence , il suffit de vérifier sur le net, par exemple ce sujet figure ainsi dans le cursus suivant:

"Fascisme et nazisme- IEP Grenoble, année universitaire 2009/2010. Cours 1re année-Histoire des idées politiques"

http://tumultieordini.over-blog.com/art ... 54173.html

Et dans l' "Histoire des idées politiques", E. Pisier, PUF.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 20 Sep 2010 23:08 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 21 Sep 2008 23:29
Message(s) : 1522
Localisation : Belgique
Tonnerre et Alain,

un grand merci pour ce débat duquel j'ai beaucoup appris. Il y a quelques années que j'ai eu le même débat sur un forum anglais avec une femme bulgare pour être concret. Je n'avais pas encore l'érudition de vous deux et peut-être je ne l'aurai jamais, mais en grandes lignes j'ai trouvé dans le temps à peu près ce que Tonnerre dit dans une manière plus élaborée et élégante (surtout le français). Le débat sur le forum anglais était plutôt un dialogue, faute d'intervenants anglais (pensants peut-être pas apte de discuter ce sujet?) et est éteint à cause de la connaissance rudimentaire de la langue anglaise de la Bulgare.

J'étais en train de préparer une réponse, mais entretemps Tonnerre a envoyé un message, qui explique encore mieux dans mon humble opinion ses pensées et anticipe les remarques que j'étais en train de formuler.

Néanmoins, je pense, si j'ai bien compris Alain, qu'on doit considérer l'idéologie nazie comme un conglomérat de toutes sortes d'emprunts modifiés et modellés à sa besoin. Et comme Alain dit on pouvait puiser d'un tas. Le Darwinisme social avec même une mauvaise interpretation du "survival of the fittest" d'abord par Spencer et puis accepté par Darwin lui-même.
http://en.wikipedia.org/wiki/Survival_of_the_fittest
Et on avait aussi Galton et son eugénisme. Il voulait même séparer et stériliser toutes les classes qui ne contribuaient pas à l'eugénisme de la société.
Je suis en train de lire une étude de 500 pages de l'historien Cor Hermans pour un doctorat à l'université d'Amsterdam: (dommage pas en français, ni en anglais): Interprétations précoces du théorie de Charles Darwin concernantes la sélection naturelle 1859-1918. Mais je reviens à ça dans le fil de Narduccio, parce qu'ici c'est hors sujet.

Pour conclure ce que je voulais dire Tonnerre: Je suis entièrement d'accord avec vous comme vous dites dans votre dernier message:
"J'ai trouvé une citation encore plus nette à ce sujet: ce qui signale l'homme supérieur, en dernière analyse nietzschéenne, c'est la certitude intérieure. Je cite "une certaine certitude fondamentale qu'un âme noble a sur elle même, qui ne peut être ni trouvée ni perdue".
Donc, pratiquement, il suffit de se croire supérieur pour l'être. Non seulement l'appartenance à la race des maîtres est fondée sur un pur jugement de valeur mais en plus, c'est un jugement qu'on passe soi-même sur soi-même. De tels énoncés sont un chèque en blanc signé à tous les mégalomanes; ils ne permettent pas simplement un détournement, ils le garantissent."
Et avec leure seule volonté ils pouvaient vaincre tout (Triumph des Willens).

Mais on ne doit pas dans l'idéologie nazie tout voir comme un emprunt de Nietzsche dans mon opinion. Par exemple et entre autre l'eugénisme de Galton, qui était emprunté via un détour par les États-Unies et les pays nordiques où ces systémes étaient déja répandu avant le Nazisme...

Un autre exemple peut-être que le Fascisme (et peut-être toutes les dictatures) emprunte et modifie un peu partout est le "corporatisme" d'abord conçu par l'église catholique comme réponse au Socialisme...dans le seul but de dominer les masses...

Cordialement et avec estime pour les deux,

Paul.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Sep 2010 9:04 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Citer :
qu'on doit considérer l'idéologie nazie comme un conglomérat de toutes sortes d'emprunts modifiés et modellés à sa besoin. Et comme Alain dit on pouvait puiser d'un tas. Le Darwinisme social avec même une mauvaise interpretation du "survival of the fittest" d'abord par Spencer et puis accepté par Darwin lui-même.
http://en.wikipedia.org/wiki/Survival_of_the_fittest
Et on avait aussi Galton et son eugénisme. Il voulait même séparer et stériliser toutes les classes qui ne contribuaient pas à l'eugénisme de la société.


Merci Paul pour vos appréciations et votre contribution au débat.
Oui l'idéologie nazie est un conglomérat, et c'est vrai que l'eugénisme était une idée assez répandue au XIXe siècle, dans le monde anglo-saxon en particulier.
Vous citez Galton qui préconisait la stérilisation des inaptes. Nietzsche va plus loin, il parle bien du droit de naître et de procréer, qui débouche concrètement sur la stérilisation. Il parle aussi bel et bien du droit de vivre, qui débouche concrètement sur l'euthanasie forcée. Je ne sais pas, en fait je doute, que les tenants officiels de l'eugénisme soient allés aussi loin.
Un autre point commun entre nietzschéisme et idéologie nazie que vous évoquez est l'accent mis sur la volonté de puissance servie par la volonté tout court. L'homme supérieur se reconnait au fait qu'il peut accomplir de projets surhumains, qu'il peut ébranler des peuples, changer le monde, soulever des montagnes par la seule force de sa volonté.
Ce thème, celui du "triomphe de la volonté" , on le trouve constamment chez Hitler, dans ses discours mais aussi dans ses réflexions personnelles: la volonté peut tout, suffit à tout. Peu importe qu'un projet soit démesuré, apparemment impossible, jugé comme fou et irréalisable, la seule force mentale de l'homme supérieur concentrée sur un objectif poursuivi avec une obstination implacable vaincra tous les obstacles. Et ce n'était pas seulement un argument aux fins de propagande, Hitler y croyait vraiment, cela explique en partie ses prises de risque démentes, payantes au début, catastrophiques à partir de Barbarossa.
Cette croyance en la toute puissance de la volonté renvoie au noyau irréductible d'irrationalité du nazisme, irrationalité qui ne concerne pas seulement le projet politique mis en oeuvre mais la mise en oeuvre elle même, les processus de prise de décision des leaders; en fait, cela renvoie en à une mentalité qu'il faut bien appeler magique.
Cette irrationalité , cette démesure est aussi au coeur de la philosophie nietzschéenne; sa prose m'a toujours frappé par son caractère exalté, excessif, grandiloquent, voire un brin mégalomane, à tel point que je me suis demandé, à le lire, si le philosophe n'était pas mentalement dérangé bien avant de l'avoir été reconnnu officiellement.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Sep 2010 14:08 
Hors-ligne
Georges Duby
Georges Duby
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 27 Juil 2007 15:02
Message(s) : 7445
Localisation : Montrouge
J'ai acheté l"histoire des idées politiques" de jean Touchard, un ouvrage de base des sciences politiques. Nietzsche y est seulement évoqué en quelques mots, et il ne figure pas dans les sources innombrables du nazisme.
L'ouvrage cite comme sources principales, notamment:
- Fichte: l'Allemagne a une mission spirituelle
- Hégel: le peuple allemand est prédestiné
- List: la race germanique a été désignée par la providence pour diriger le monde et civiliser les peuples barbares
- Darwin: Allan Bullock indique que " les idées politiques de Hitler procèdent du plus pur darwinisme"
- Gobineau, Lapouge, Chamberlain sur la supériorité de certaines races
- La prusse et Bismarck: les allemands sont les supérieurs des slaves
- L'exaltation de la guerre qui est bienfaisante est dans Treitschke
- Spengler, dont l'influence est développée; l'Allemagne a une mission contre l' Asie et les "peuples de couleur"; exalte les valeurs prusiennes d'autorité et d'ordre
- Georges Sorel (développé) pour la conception du mythe qui ébranle les foules et les fait vibrer et le role des minorités agissantes qu'il baptise avant-garde. Sorel, le théoricien de la violence comme mythe, a exercé une grande influence sur le 20è siècle. Il veut écarter les intellectuels de la révolution, ainsi que la démocratie.
Cette "histoire des idées politiques" de Jean Touchard, constamment rééditée, est un ouvrage captivant, qui éclaire l'histoire politique.

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 21 Sep 2010 15:10 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général

Inscription : 08 Juil 2010 19:35
Message(s) : 240
Citer :
J'ai acheté l"histoire des idées politiques" de jean Touchard, un ouvrage de base des sciences politiques. Nietzsche y est seulement évoqué en quelques mots, et il ne figure pas dans les sources innombrables du nazisme.


Si l'étude du nazisme fait obligatoirement partie, à ma connaissance, des cursus universitaires de premier semestre d'histoire des idées politiques, par contre la reconnaissance de l'importance de l'influence de Nietzsche sur l'idéologie nazie varie selon les auteurs.
Cela dit, dans la liste des auteurs dont les idées ont influencé l'idéologie établie dans l'ouvrage que vous citez, je trouve étrange et mal avisé d'avoir inclus Hegel, et même Gobineau, et d'avoir exclu FN.
Pour tester le fait que ce lien FN/nazisme est autrement plus connu et reconnu que celui Hegel/nazisme, faites une recherche google sur ces termes, et vous verrez que l'association 1 sort autrement plus souvent que la 2.
Je suis même un peu surpris d'y voir Gobineau; certes Gobineau a influencé l'idéologie nazie, mais de loin, et indirectement, essentiellement par Wagner, dont il était proche, par l'oeuvre de H.S. Chamberlain, anglais germanisé et gendre de Wagner, et par les traductions de Ludwig Schemann, proche également des cercles wagnériens et völkisch, traductions qui l'ont fait connaitre en Allemagne mais ont nui à son audience en France, du fait de l'animosité existant alors entre les deux pays.
Surtout, Gobineau est important dans l'histoire des idées politiques parce qu'il a donné une forme théorisée et (apparemment) cohérente et argumentée à des préjugés raciaux communs de son temps;
mais cela dit, au nazisme, il n'a contribué qu'un seul concept central: la supériorité des races aryannes (il écrit aryan, pas aryen) sur les autres, mélaniennes (noires) et asiatiques. Supériorité relative d'ailleurs et qui ne correspond pas à la supériorité raciale totale attribuée par l'idéologie nazie aux arians (Gobineau considérait que la race mélanienne était supérieure aux arians sur plusieurs points, comme celui de la sensibilité et de la créativité artistiques, ce qui aurait fait bondir Hitler :mrgreen: )
J'ai dit par ailleurs qu'il était contre toute pratique raciste, considérant le métissage universel, principe moteur de l'histoire selon lui, comme inévitable et déjà largement accompli. Et surtout, absolument rien chez lui d'explicite dans le sens d'une élimination des biologiquement inaptes, pas de célébration de la violence, pas de mépris de l'intellect, et une grande curiosité et une vraie connaissance des peuples non-européens, nourrie par les déplacements de sa carrière de diplomate, dont témoigne les beaux récits de voyage qu'ils a publiés.
Même s'il est clairement un penseur de droite, à la charnière de la droite classique contre-révolutionnaire genre de Maistre, et de la droite moderne anti-Lumières style Sorel, et que de ce fait, il partage certaines conceptions générales et façons de penser la politique et la société avec FN (antiétatisme/antinationalisme, antiégalitarisme, aristocratisme/individualisme) et l'idéologie nazie (hiérarchie des races), il s'éloigne de cette dernière sur des points beaucoup plus nombreux que FN.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Message Publié : 22 Sep 2010 21:49 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 21 Sep 2008 23:29
Message(s) : 1522
Localisation : Belgique
Re: Message 21 Septembre 10h00.

Tonnerre,

je vous remercie pour votre réponse et je comprends encore mieux ce que vous vouliez dire, spécialement dans l'élaboration du concept "le triomphe de la volonté".

Cordialement et avec estime,

Paul.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 32 message(s) ]  Aller vers la page Précédent  1, 2, 3  Suivant

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 22 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB