Pour moi les liens entre l'éthique de la Bible et celle d'autres peuples anciens peuvent être liés à des sortes de principes communs évidents (condamnation de la mort, valorisation de l'institution familiale et de l'Etat pour des besoins de stabilité, etc.). Sinon les liens avec les civilisations voisines (Mésopotamie, Egypte, Anatolie) existent parce qu'il y a en gros un même contexte culturel, ces histoires d'"âge axial" je n'y croit pas vraiment, on est quand même en présence de pensées bien différentes.
JPCC a écrit :
"La spécificité de la morale vétérotestamentaire ne réside donc pas dans la découverte de nouvelles normes éthiques, mais dans l'ancrage des directives traditionnelles en l'autorité de Yahvé et de son Alliance", ...
La particularité de l'éthique monothéiste serait ainsi d'être entièrement contenue dans sa "mythologie", il y aurait fusion complète du divin et de l'éthique par l'intermédiaire de la parole divine, alors que l'éthique grecque se situerait dans un plan distinct de celui de leur mythologie, les dieux grecs ne parlant aux hommes que de façon contingente, pour favoriser tel ou tel de leur protégé dans une circonstance particulière.
La spécificité de la Bible hébraïque est de comprendre sa spécificité comme un processus historique : il y a une conversion d'Abraham, son Alliance avec Dieu qui lie ses descendants, et situe le peuple hébreu dans une posture spécifique par rapport à l'ordre du monde. Celui-ci est voulu par le Dieu unique, qui peut interagir avec son peuple. Tout repose sur la volonté divine, qui détermine l'ordre du monde, et sur l'alliance qui lie le peuple et Dieu, donc un accord entre les deux. Cette relation est aussi plus passionnelle, moins rationnelle si on veut, que chez les autres peuples antiques. Ces derniers percevaient le destin et l'ordre de l'univers comme immuable, il y avait des règles éternelles à suivre parce qu'il en était ainsi de tout temps, point barre. Il y avait une manière rationnelle de deviner les volontés divines (par l'observation des messages divins et leur interprétation basée sur l'expérience hérité de l'observation de la marche du monde) : dans l'absolu, rien n'est imprévisible, quasiment tout est potentiellement découvrable ; encore que, dans les faits on trouve des textes mésopotamiens disant en substance que les voies du Ciel sont impénétrables, puisque les dieux peuvent aussi être soumis aux passions et donc difficiles à prévoir, la limite vaut donc avant tout pour les humains. Les Hébreux doivent aimer leur dieu, le vénérer, et après suivre ses commandements, mais il y a toujours une part d'imprévisible. L'opposition entre les deux formes d'éthique, pour reprendre votre terme (il s'agit plutôt d'une conception de l'ordre du monde en général) n'est évidemment pas si tranchée que cela. La vision hébraïque dérive de celle qui est présente chez les peuples polythéistes voisins, en gros on peut même la voir comme une simplification des choses qui concentre tout en une seule volonté, celle du Dieu unique (et pas un ensemble de dieux ayant chacun leur domaine où ils président plus ou moins à l'ordre des choses), et explique aisément la difficulté qu'on peut avoir à la comprendre. Encore que comme je l'ai dit dans d'autres discussions il y a le phénomène d'hénothéisme qui montre que des peuples voisins (notamment les Assyriens) avaient des perceptions qui lorgnaient vers celles des Hébreux. N'oublions pas pour finir qu'on parle là de ce qui concerne surtout le milieu des élites, plus réceptif aux tendances unificatrices à ce qu'il me semble, que celui du peuple en général qui est plus réservé face à cela en général, aussi bien à l'époque du premier monothéisme hébreu qu'à celui des débuts du judaïsme ou du christianisme ... mais je ne dévie pas plus pour ce sujet.
Tout cela pour dire que la source que vous citez (Hans Küng), me paraît en accord avec ce que j'ai lu sur le sujet, sans que je la connaisse. En revanche les anthropologues d'il y a cent ans et les idées d'âge axial, vous aurez compris que je n'y accorde pas beaucoup de crédit ou d'intérêt. Quant aux comparaisons avec les dieux grecs, elles ne valent pas vraiment pour le monothéisme hébreu (on est loin du contexte culturel), par contre pour le christianisme c'est sans doute pertinent, mais là-dessus je passe la main à d'autres.