Inscription : 09 Juin 2010 14:22 Message(s) : 2087
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Bonjour JPCC, Une fois de plus vous lancez un sujet qui ne demande qu’à être captivant. Existe-t-il une différence de nature entre l’Homme occidental et oriental anciens. Nous avons déjà discuté de cela, vous savez que je suis assez réticent à l’idée d’établir un système de classement qui ne pourra qu’être artificiel. Vous parlez et de religion ethnique, il en est fait mention dans l’extrait ci-dessous. Il préfère parler de religion de l’autochtone. Une fois encore, j’ai du mal. La Bible hébraïque ne cesse de relater des guerres au sein des hébreux. Royaume d’Israël, royaume de Juda polythéisme, hénotheisme et monothéisme sont très difficilement dissociables. Déjà que parler de Dieu national, j’étais dubitatif, mais alors religion ethnique très peu pour moi. On parle de quoi exactement ? Déjà de nos jours il est proprement impossible de définir précisément ce qu’est une ethnie, alors avant… Matériel génétique ? Culture commune ? Mais alors un fils d’Israël grandissant au pays des philistins, c’est quoi ? Et inversement d’ailleurs. Si comme une thèse le propose, les hébreux sont des autochtones nomades qui ont fini par se sédentariser, leur matériel génétique doit être très proche des édomites par exemple. Ils ne mangeaient pas de porc, voilà un critère sur lequel on peut éventuellement s’entendre. Parce qu’il semble que c’était une particularité des hébreux à la différence de ses voisins (ossements de porcs).C’est un peu léger. Bref, tout ça pour dire qu’il est difficile d’admettre le concept de religion ethnique. C’est un sentiment partagé par tous. La Bible montre exactement le contraire. L’individu du Moyen-Orient (polythéiste) est profondément pluriel. D’une cité à l’autre, on peut se retrouver avec des dieux différents. J’imagine que l’on doit bien pouvoir trouver qu’au sein de la même cité il pouvait y avoir des différences (la Bible en donne d’ailleurs des exemples saisissants). Ceci est une chose. Est une autre chose de rappeler à quel point le croyant oriental et le croyant occidental sont intimement liés (voir le chapitre ci-dessous)car il est indiscutable que l’individu antique est avant tout un croyant. Polythéistes monothéistes pas de différence à ce niveau. La Vérité peut bien être révélée par un Dieu transcendant, je ne vois pas bien de différence de nature . Cela voudrait-il dire que les polythéistes se considéraient eux-mêmes comme des superstitieux ? J’ai du mal à y croire, je ne vois, je me trompe certainement, que des croyants.J’apprécie énormément votre manière de questionner l’histoire, mais je dois bien avouer que je vois la réalité comme beaucoup plus complexe . Pour nourrir votre réflexion voici un extrait de chapitre d’un livre, certes ancien,mais qui peut servir de point de départ. En général, dans les idées des peuples anciens, l’homme est considéré comme autochthone ou né de la terre qui le porte. Et le plus souvent, dans les récits qui ont trait à sa première apparition, nous ne trouvons pas trace de la notion qui le fait créer par l’opération toute-puissante d’un dieu personnel et distinct de la matière primordiale. Les idées fondamentales de panthéisme et d’émanatisme, qui étaient la base des religions savantes et orgueilleuses de l’ancien monde, permettaient de laisser dans le vague l’origine et la production des hommes. On les regardait comme issus, ainsi que toutes les choses, de la substance même de la divinité, confondue avec le monde ; ils en sortaient spontanément, par le développement de la chaîne des émanations, non par un acte libre et déterminé de la volonté créatrice, et on s’inquiétait peu de définir autrement que sous une forme symbolique et mythologique le comment de l’émanation, qui avait lieu par un véritable fait de génération spontanée. [2] « Du vent Colpias et de son épouse Baau (le chaos), dit un des fragments de cosmogonie phénicienne, traduits en grec, qui nous sont parvenus sous le nom de Sanchoniathon, naquit le couple humain et mortel de Protogonos (Adam Qadniôn) et d’Æon (Havah), et Æon inventa de manger le fruit de l’arbre. Ils eurent pour enfants Génos et Généa, qui habitèrent la Phénicie, et, pressés par les chaleurs de l’été, commencèrent à élever leurs mains vers le Soleil, le considérant comme le seul dieu seigneur du ciel, ce que l’on exprime par le nom de Beelsamen. » Dans un autre fragment des mêmes cosmogonies, il est question de la naissance de « l’autochthone issu de la terre, » d’où descendent les hommes. Les traditions de la Libye faisaient « sortir des plaines échauffées par le soleil Iarbas, le premier des humains, qui se nourrit des glands doux du chêne. » Dans les idées des Égyptiens, « le limon fécondant abandonné par le Nil, sous l’action vivifiante de l’échauffement des rayons solaires, avait fait germer les corps des hommes. » La traduction de cette croyance sous une forme mythologique faisait émaner les humains de l’oeil du dieu Râ-Harmakhou, c’est-à-dire du soleil. L’émanation qui produit ainsi la substance matérielle des hommes n’empêche pas, du reste, une opération démiurgique postérieure pour achever de les former et pour leur communiquer l’âme et l’intelligence. Celle-ci est attribuée à la déesse Sekhet pour les races asiatiques et septentrionales, à Horus pour les nègres. Quant aux Égyptiens, qui se regardaient comme supérieurs à toutes les autres races, leur formateur était le démiurge suprême, Khnoum, et c’est de cette façon que certains monuments le montrent pétrissant l’argile pour en faire l’homme sur le même tour à potier, où il a formé l’oeuf primordial de l’univers. [3] Présentée ainsi, la donnée égyptienne se rapproche d’une manière frappante de celle de la Genèse, où Dieu « forme l’homme du limon de la terre. » Au reste, l’opération du modeleur fournissait le moyen le plus naturel de représenter aux imaginations primitives l’action du créateur ou du démiurge sous une forme sensible. Et c’est ainsi que chez beaucoup de peuples encore sauvages on retrouve la même notion de l’homme façonné avec la terre par la main du créateur. Dans la cosmogonie du Pérou, le premier homme, créé par la toute-puissance divine, s’appelle Alpa camasca, « terre animée. » Parmi les tribus de l’Amérique du Nord, les Mandans racontaient que le Grand-Esprit forma deux figures d’argile, qu’il dessécha et anima du souffle de sa bouche, et dont l’un reçut le nom de premier homme, et l’autre celui de compagne. Le grand dieu de Tahiti, Taeroa, forme l’homme avec de la terre rouge ; et les Dayaks de Bornéo, rebelles à toutes les influences musulmanes, se racontent de génération en génération que l’homme a été modelé avec de la terre. N’insistons pas trop, d’ailleurs, sur cette dernière catégorie de rapprochements, où il serait facile de s’égarer, et tenons-nous à ceux que nous offrent les traditions sacrées des grands peuples civilisés de l’antiquité. Le récit cosmogonique chaldéen, spécial à Babylone, que Bérose avait mis en grec, se rapproche beaucoup de ce que nous lisons dans le chapitre II de la Genèse ; là encore l’homme est formé de limon à la manière d’une statue. « Bélos (le démiurge Bel-Maroudouk), voyant que la terre était déserte, quoique fertile, se trancha sa propre tête, et les autres dieux, ayant pétri le sang qui en coulait avec la terre, formèrent les hommes, qui, pour cela, sont doués d’intelligence et participent de la pensée divine [4], et aussi les animaux qui peuvent vivre au contact de l’air. » Avec la différence d’une mise en scène polythéiste d’une part, strictement monothéiste de l’autre, les faits suivent ici exactement le même ordre que dans la narration du chapitre II du premier livre du Pentateuque. La terre déserte [5] devient fertile [6] ; alors l’homme est pétri d’une argile dans laquelle l’âme spirituelle et le souffle vital sont communiqués [7]. Un jeune savant anglais, doué du génie le plus pénétrant et qui, dans une carrière bien courte, terminée brusquement par la mort, a marqué sa trace d’une manière ineffaçable parmi les assyriologues, George Smith, a reconnu parmi les tablettes d’argile couvertes d’écriture cunéiforme, et provenant de la bibliothèque palatine de Ninive, que possède le Musée Britannique, les débris d’une sorte d’épopée cosmogonique, de Genèse assyro-babylonienne, où était racontée l’oeuvre des sept jours. Chacune des tablettes dont la réunion composait cette histoire, portait un des chants du poème, un des chapitres du récit, d’abord la génération des dieux issus du chaos primordial, puis les actes successifs de la création, dont la suite est la même que dans le chapitre Ier de la Genèse, mais dont chacun est attribué à un dieu différent. Cette narration paraît être de rédaction proprement assyrienne. Car chacune des grandes écoles sacerdotales, dont on nous signale l’existence dans le territoire de la religion chaldéo-assyrienne, semble avoir eu sa forme particulière de la tradition cosmogonique ; le fonds était partout le même, mais son expression mythologique variait sensiblement. Le récit de la formation de l’homme n’est malheureusement pas compris dans les fragments jusqu’ici reconnus de la Genèse assyrienne. Mais nous savons du moins d’une manière positive que celui des immortels qui y était représenté comme « ayant formé de ses mains la race des hommes, » comme « ayant formé l’humanité pour être soumise aux dieux, » était Êa, le dieu de l’intelligence suprême, le maître de toute sagesse, le « dieu de la vie pure, directeur de la pureté, » « celui qui vivifie les morts, » « le miséricordieux avec qui existe la vie. » C’est ce que nous apprend une sorte de litanie de reconnaissance, qui nous a été conservée sur le lambeau d’une tablette d’argile, laquelle faisait peut-être partie de la collection des poèmes cosmogoniques. Un des titres les plus habituels de Êa est celui de « seigneur de l’espèce humaine ; » il est aussi plus d’une fois question, dans les documents religieux et cosmogoniques, des rapports entre ce dieu et « l’homme qui est sa chose. » [8] Chez les Grecs, une tradition raconte que Prométhée, remplissant l’office d’un véritable démiurge en sous-ordre, a formé l’homme en le modelant avec de l’argile, les uns disent à l’origine des choses, les autres après le déluge de Deucalion et la destruction d’une première humanité. Cette légende a joui d’une grande popularité à l’époque romaine, et elle a été alors plusieurs fois retracée sur les sarcophages. Mais elle semble être le produit d’une introduction d’idées étrangères, car on n’en trouve pas de trace aux époques plus anciennes. Dans la poésie grecque vraiment antique, Prométhée n’est pas celui qui a formé les hommes, mais celui qui les a animés et doués d’intelligence en leur communiquant le feu qu’il a dérobé au ciel, par un larcin dont le punit la vengeance de Zeus. Telle est la donnée du Prométhée d’Eschyle, et c’est ce que nous donne à lire encore, à une époque plus ancienne, le poème d’Hésiode : Les travaux et les jours. Quant à la naissance même des premiers humains, produits sans avoir eu de pères, les plus vieilles traditions grecques, qui trouvaient déjà des sceptiques au temps où furent composées les poésies décorées du nom d’Homère, les faisaient sortir spontanément, ou par une action volontaire des dieux, de la terre échauffée ou bien du tronc éclaté des chênes. Cette dernière origine était aussi celle que leur attribuaient les Italiotes. Dans la mythologie scandinave, les dieux tirent les premiers humains du tronc des arbres, et la même croyance existait chez les Germains. On en observe des vestiges très formels dans les Vêdas ou recueils d’hymnes sacrés de l’Inde, et nous allons encore la trouver avec des particularités fort remarquables, chez les Iraniens de la Bactriane et de la Perse. [9] La religion de Zarathoustra (Zoroastre) est la seule, parmi les religions savantes et orgueilleuses de l’ancien monde, qui rapporte la création à l’opération libre d’un dieu personnel, distinct de la matière primordiale. C’est Ahouramazda, le dieu bon et grand, qui a créé l’univers et l’homme en six périodes successives, lesquelles, au lieu d’embrasser seulement une semaine, comme dans la Genèse, forment par leur réunion une année de 365 jours ; l’homme est l’être par lequel il a terminé son oeuvre. Le premier des humains, sorti sans tache des mains du créateur, est appelé Gayômaretan, « vie mortelle ! » Les Écritures les plus antiques, attribuées au prophète de l’Iran, bornent ici leurs indications ; mais nous trouvons une histoire plus développée des origines de l’espèce humaine dans le livre intitulé Boundehesch, consacré à l’exposition d’une cosmogonie complète. Ce livre est écrit en langue pehlevie, et non plus en zend comme ceux de Zarathoustra ; la rédaction que nous en possédons est postérieure à la conquête de la Perse par les Musulmans. Malgré cette date récente, il relate des traditions dont tous les savants compétents ont reconnu le caractère antique et nettement indigène. D’après le Boundehesch, Ahouramazda achève sa création en produisant à la fois Gayômaretan, l’homme type, et le taureau type, deux créatures d’une pureté parfaite, qui vivent d’abord 3,000 ans sur la terre, dans un état de béatitude et sans craindre de maux jusqu’au moment où Angrômainyous, le représentant du mauvais principe, commence à faire sentir sa puissance dans le monde. Celui-ci frappe d’abord de mort le taureau type ; mais du corps de sa victime naissent les plantes utiles et les animaux qui servent à l’homme. Trente ans après, c’est au tour de Gayômaretan de périr sous les coups d’Angrômainyous. Cependant le sang de l’homme type, répandu à terre au moment de sa mort, y germe au bout de quarante ans. Du sol s’élève une plante de reivas, sorte de rhubarbe employée à l’alimentation par les Iraniens. Au centre de cette plante se dresse une tige qui a la forme d’un double corps d’homme et de femme, soudés entre eux par leur partie postérieure. Ahouramazda les divise, leur donne le mouvement et l’activité, place en eux une âme intelligente et leur prescrit « d’être humbles de coeur ; d’observer la loi ; d’être purs dans leurs pensées, purs dans leurs paroles, purs dans leurs actions. » Ainsi naissent Maschya et Maschyâna, le couple d’où descendent tous les humains. La notion exprimée dans ce récit, que le premier couple humain a formé originairement un seul être androgyne à deux faces, séparé ensuite en deux personnages par la puissance créatrice, se trouve aussi chez les Indiens, dans la narration cosmogonique du Çatapatha Brâhmana. Ce dernier écrit est compris dans la collection du Rig-Vêda, mais très postérieur à la composition des hymnes du recueil. Le récit tiré par Bérose des documents chaldéens place aussi « des hommes à deux têtes, l’une d’homme et l’autre de femme, sur un seul corps, et avec les deux sexes en même temps, » dans la création première, née au sein du chaos avant la production des êtres qui peuplent actuellement la terre. Platon, dans son Banquet, fait raconter par Aristophane l’histoire des androgynes primordiaux, séparés ensuite par les dieux en homme et femme, que les philosophes de l’école ionienne avaient empruntée à l’Asie et fait connaître à la Grèce. Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de François Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres médiques, t. I : Les origines. — Les races et les langues, 9e édition, A. Lévy, Paris, 1881. Tout ceci pour dire que l’historiographie semble être d’accord avec vous et moi non. Bien à vous
_________________ et tout le reste n'est que littérature
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