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Message Publié : 19 Nov 2002 19:22 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 12 Juil 2002 22:33
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Le christianisme s'est bien inspiré d'Aristote en parti!


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Message Publié : 21 Nov 2002 10:02 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Inscription : 01 Mai 2002 9:45
Message(s) : 537
Le Christianisme c'est parfois intérréssé à Aristote, mais la doctrine Chrétienne et plutôt l'application religieuse de la pensée Platonnicienne ! :wink:

_________________
VIVE L'EMPEREUR !!!
Hypolite.


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Message Publié : 14 Nov 2003 18:25 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 07 Oct 2003 17:27
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Localisation : Allauch
Platon s'inscrit en pleine pensée de la trifonctionnement sociétale de la pensée indo européenne:

tête/roi philosophe/fonction souveraine /Zeus
coeur/aristocratie/ Ares
Sexe/fonction productive/Demeter.

_________________
"La France n'est plus qu'un simple simulacre. On ne peut plus parler de déclin, ni de décadence. Nous sommes devant la mort et la disparition." Jean de Viguerie


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Message Publié : 18 Nov 2003 11:32 
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Thucydide
Thucydide
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Inscription : 10 Nov 2003 0:48
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Localisation : PARIS
Citer :
Hypolite : Pour les Grecs de l'époque, Socrate était un décadent qu'ils considéraient comme particulierement dangereux car il déstructurait la pensée des jeunes Hélenes !


Je pense que ce n'est pas précis. Ne doit-on pas remplacer Grecs par Athéniens et jeunes hélènes par jeunes soldats athéniens.

Ce que vous dites Hypolite, c'est le motif de l'accusation mais ce motif étant corrompu, on voir mal comment on pourrait lui porter crédit.

Oubliez vous les implications de la guerre du péloponnèse ? les sympathies de Socrate pour Sparte, l'épisode d'Alcibiade comme l'a dit quelqu'un. De plus nombres d'anciens disciples de Socrate avaient participé à la tyrannie des Trente, et la critique d'une démocratie corrompue ont sans doute contribué à l'assassinat POLITIQUE de Socrate.

Quant à dire, que Socrate n'avait pas de conception esthétique parce qu'il était soi disant laid, c'est pur folie. Il n'y a que les gens beaux (selon une certaine définition en plus) qui sont capables d'avoir une esthétique civilisée ! Cela ma rappelle certaines théories très dangereuses...

_________________
Je ne saurais emplir un récipient qui fuit, Ni abreuver de mots sensés un imbécile. (Euripide)


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 Sujet du message : Platon
Message Publié : 21 Fév 2005 22:43 
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Polybe
Polybe

Inscription : 22 Déc 2004 21:32
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Localisation : France
J'ai été très surpris d'apprendre que Platon aurait fait brûler les innombrables livres de Démocrite. (???)

_________________
md


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Message Publié : 24 Oct 2005 14:20 
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Hérodote
Hérodote

Inscription : 16 Oct 2005 10:47
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Bonjour,

[cette discussion date un peu, mais au cas où quelque tison couverait encore sous la cendre, vous me permettrez de souffler dessus, puisqu'aussi bien je n'ai rien de mieux à faire en ce moment...]

pour répondre à la question posée, moi j'aime beaucoup Platon et les néo-platoniciens, qu'ils soient grecs, latins ou arabes.

Et à ce propos, je suis assez déçu des interventions précédentes. Elles reflètent une profonde méconnaissance de cette pensée.
D'abord, qualifier le christianisme de "décadence de la pensée", est philosophiquement inepte et de plus, suranné. Lisez donc Denys l'Aréopagite, ou encore Duns Scott, dit le « docteur subtil », et trouvez-moi une conception du monde plus élevée, plus puissante intellectuellement que la leur, avant que d’en parler. Et Nietzsche en comparaison, c’est du vent, point final.
Ensuite, je souhaiterais vous rappeler que quand on parle de Platon, Plotin, Proclus, Avicenne, etc., on parle d’une des plus hautes traditions spirituelles de l’humanité, d’hommes qui ont honoré l’esprit humain, en ont illustré l’origine divine, d’une façon qui peut difficilement être égalée.
Comme disait Charles Péguy :

« on ne voit pas que nul homme jamais, ni aucune humanité, en un certain sens, qui est le bon, puissent intelligemment se vanter d’avoir dépassé Platon. Je vais plus loin. J’ajoute qu’un homme cultivé, vraiment cultivé, ne comprend pas, ne peut même pas imaginer ce que cela pourrait bien vouloir dire que de prétendre, avoir dépassé Platon. »

Quand on parle de Platon ou des néo-platoniciens, on parle de ce que l’humanité a produit de plus haut, de plus précieux, de quelque chose d’infiniment plus précieux que nos droits de l’homme ou notre démocratie, et que tout le bavardage qui, depuis l’époque des « Lumières », se donne pour de la philosophie. En tout cas, il serait bon de ne pas parler d’un courant de pensée aussi important, puisqu’il a irrigué toute la civilisation occidentale pendant des millénaires (sans compter la civilisation islamique), avec une telle légèreté et un tel manque d’égards, comme si l’on parlait de quelque chose de totalement insignifiant et dépassé (alors que Péguy montre clairement qu’il n’en est rien).

Enfin, excusez-moi, mais pour ce qui est des tentatives modernes (Foucault) pour réhabiliter la sophistique contre Platon, laissez-moi rire. Elles ne sont rien d’autre qu’un bel exemple de régression philosophique. Elles ont été analysées à fond par un penseur contemporain, J.Borella, qui écrit notamment :

« Au reste, se proposer une réhabilitation de la sophistique contre la dialectique de Platon, c’est faire acte d’allégeance à la « souveraineté du signifiant », puisque la sophistique consiste tout entière à définir le sens du discours comme un pur produit du langage, en quoi il n’est effectivement qu’un jeu, c’est-à-dire un fonctionnement de la chaîne sémiotique, conception (nous y reviendrons) tout simplement contradictoire et qui trahit l’idéologie industrialiste, « ingénieurique », qui l’inspire : on peut tout fabriquer, même le sens, il suffit de laisser fonctionner les signifiants – ce qui montre dans le sophiste l’homme de la puissance pure et aveugle, la forme par excellence de la tyrannie absolue, la violence comme telle, et non point la victime de la « volonté de vérité », comme si la pire « volonté de vérité » n’était pas précisément la « vérité à volonté » du sophiste. »

Pour aider à mieux comprendre les enjeux véritables de la philosophie de Platon, et ce qu’elle peut encore nous apporter aujourd’hui, et aussi pour élever un peu le débat, qui jusqu’à présent est resté bien en-dessous du sujet, je vous invite à lire cet autre texte de Borella, qui fait une remarquable synthèse sur la question :

PLATON

OU LA RESTAURATION DE L'INTELLECTUALITE OCCIDENTALE



Il n’est pas facile de prendre une exacte mesure de l’importance de Platon dans l’histoire de l’intellectualité occidentale : il est à la fois trop connu et méconnu. Trop connu – son nom n’a-t-il pas donné naissance à un adjectif de la langue courante ? – pour qu’on ait envie de prendre contact réellement avec une doctrine d’une extrême subtilité : chacun s’imagine en savoir suffisamment là-dessus, et se contente des quelques schémas que lui fournit la culture commune, par exemple celui de la distinction du monde sensible et du monde intelligible dont on donne même la formulation grecque : Kosmos noètos. Et cependant Platon n’a jamais employé cette expression (1) ! Méconnu d’autre part, parce qu’une tradition universitaire (qui date en réalité du XIX° siècle a prétendu reconnaître l’origine de ce qu’elle entend par philosophie (par souci d’authentifier sa propre pratique), alors qu’il n’y a guère de rapport entre le scepticisme négatif et destructeur de la raison critique, chez les modernes, et la dialectique platonicienne, laquelle doit conduirel’intellect jusqu’à la contemplation déifiante de « l’immense Océan du Beau » (Banquet, 210 d) qui est au-delà de la beauté et de la laideur (relatives, ibid., 211 a), jusqu’à cette Réalité qui « se montrera à lui en Elle-même et par Elle-même, dans l’éternelle unicité de son Essence » (auto kath’auto meth’autou monoéïdés aeï on, ibid., 211 b). Ce Beau en soi, qui n’est aucune beauté particulière, ni d’ordre sensible, ni d’ordre intelligible, que l’âme contemple au terme de son ascension, auquel elle s’unit, et par lequel elle devient immortelle (ibid., 212 a), cet immense Océan de la suprême Beauté, n’est autre que le Bien suprême, Celui dont toutes les choses tiennent leur être et leur essence (ousia), « quoique le Bien ne soit pas essence (ousia = identité ontologique), mais quelque chose qui transcende infiniment l’ordre ontologique par Sa majesté et Sa puissance » (République, VI, 509 b). Le Bien suprême (car il y a un bien non-suprême, dont parle le Philèbe) est donc au-delà de l’être et de l’essence, au-delà de toute idée ; Il est l’Un qui contient en Lui la multiplicité innombrables des êtres et des essences ; de Lui, nous ne pouvons rien dire : nous ne pouvons parler que de « Son Fils qui est son Image la plus ressemblante » (ibid. 506 d), ou encore « Son Fruit » (ibid., 507 a), c’est-à-dire le Soleil.

Pour bien saisir la signification véritablement providentielle de la « manifestation » de Platon, à l’aurore de la culture occidentale, il faut d’abord rappeler sa naissance « virginale » telle que nous la rapporte Diogène Laërce, et qui fait de lui un avatâra d’Apollon, donc de l’aspect solaire du Principe (1 bis). Il faut ensuite observer que son œuvre écrite se présente avec des traits bien singuliers. Elle nous est parvenue en entier (alors que les quatre cinquièmes de celle d’Aristote sont perdus) et a joui tout de suit d’un immense prestige (on a retrouvé en Egypte des fragments de manuscrits postérieurs de 50 ans seulement à la mort du Maître) (2). Pendant plus de mille ans, elle fut commentée à l’intérieur de l’Académie (l’ashram platonicien), à l’instar d’un texte révélé. Enfin elle représente comme un « commencement absolu », tant par sa forme que par son contenu. Et c’est à ce point que nous voudrions consacrer l’essentiel de nos remarques.

Cette forme est celle du dialogue philosophique. Platon en est l’inventeur. Nous pourrions déjà remarquer que, pour être radicalement nouvelle, cette forme atteint pourtant d’emblée chez lui une perfection telle qu’elle ne sera même jamais égalée, ce qui est un fait rarissime, la plupart des formes culturelles exigeant généralement un certain temps pour parvenir à leur pleine maturité. Mais là n’est pas l’essentiel. Il est bien plutôt dans la rupture que représente ce nouveau mode d’exposition relativement à ceux qui l’ont précédé d’une part, et dans ce qu’il signifie pour la doctrine elle-même qu’il est chargé de véhiculer d’autre part.Cette rupture est telle qu’à proprement parler il nous est impossible de remonter au-delà. Platon constitue si bien un commencement qu’on peut dire que nous pensons à partir de lui ; c’est lui qui a ordonné et structuré notre champ spéculatif, si bien qu’il nous est très difficile, à travers la forme platonicienne qu’a revêtue la gnose en Occident, de pénétrer et de comprendre l’esprit des textes pré-platoniciens. Tant il est vrai que toute Ecriture se lit à travers une tradition vivante et ininterrompue, à défaut de quoi elle devient quasiment lettre morte.

Il est vrai que la pure métaphysique fournit précisément le moyen de dépasser toutes les formes en les saisissant, malgré leurs limitations inévitables, dans leur unique essence. Mais il semble bien qu'une telle universalité « explicite », l’affirmation rigoureuse et « ouverte » de l’unité transcendante des formes sacrées, était réservée à notre temps, à cause sans doute de l’imminence de fin du cycle. Le temps n’est plus des grandes synthèses doctrinales particulières comme celle de Platon, et, mille deux cents ans plus tard, celle de Shankara. L’opus metaphysicum, aujourd’hui, consiste plutôt à montrer clairement l’unité de ce que F. Schuon a nommé les « divers langages du Soi ». C’est précisément cette gnose universelle qui nous permet de reconnaître, chez ceux qu’on a appelés les pré-socratiques, les mêmes vérités que celles qu’on rencontre dans toutes les traditions métaphysiques et cosmologiques (3). Héraclite, Parménide, Empédocle, pour n’en citer que quelques-uns, nous paraissent pouvoir être considérés comme des porte-parole authentiques de la tradition métaphysique universelle.

Or, un fait frappe immédiatement tous ceux qui abordent ce genre de textes vénérables, si on les compare aux textes platoniciens, dont pourtant les sépare seulement au maximun une centaine d’années, ou peut-être beaucoup moins : leur caractère extrêmement « hermétique », et le caractère « explicite » de l’œuvre de Platon (4). Il a fallu qu’un événement important se produise dans cet espace de soixante à quatre-vingts ans qui sépare le début du Ve siècle du début du IVe, un événement d’une exceptionnelle gravité, capable d’entraîner la ruine définitive de l’intellectualité occidentale. Si le platonisme n’avait pas providentiellement redressé le mouvement de destruction qui s’était alors emparé de l’intelligence grecque, le sort de l’Occident eût assurément été différent. Les doctrines chrétiennes et islamiques n’eussent point trouvé, dans leur rencontre avec le platonisme, la synthèse métaphysique qui, à travers tous ces « fils de Platon » que furent Clément, Denys, Augustin, Sohrawardî (Shaykh al-Ishrâq), Ibn’Arabi (shaykh al-Akbar), leur permit de maintenir et de sauver la lumière de la véritable gnose, et, par là, de vivifier de l’intérieur les formes les plus exotériques de la théologie comme de la vie religieuse.

En quoi consiste donc ce caractère hermétique ? Les fragments, peu nombreux, qui nous restent des pré-socratiques, présentent tous une unité remarquable de ton et de style. Il s’agit d’une littérature fondamentalement symbolique et gnomique. Symbolique, en effet, parce que la pensée ne s’y exprime presque jamais d’une manière abstraite, rationnelle, philosophique, mais directement imagée ou mythologique. Il s’agit pourtant bien de métaphysique. Mais, même lorsque le langage désigne les réalités principielles en elles-mêmes, et non plus par des images, par exemple quand Parménide parle de l’Etre, il baigne tout entier dans une lumière de révélation et de présence. Celui qui parle ainsi est le prophète d’une réalité immédiate, ce dont il parle est directement perçu et non point signifiée par concept. Gnomique, d’autre part, parce que chaque phrase est une sentence, isolée en elle-même, un joyau enrobé de silence, bref un éclair qui semble nous échapper aussitôt qu’entrevu, et qui, pourtant illumine durablement le ciel de notre âme métaphysique. Ici, peu ou point de développement analytique et d’argumentation dialectique, mais la frappe d’une maxime qui nous marque de son irréfutable réalité. Si l’on veut représenter symboliquement le régime intellectuel correspondant à cette littérature, on pourra figurer les Sages-Poètes et chacune de leur sentence comme autant de points sur un cercle, mais comme des points isolés les uns des autres et tournés uniquement vers le Centre dont ils reçoivent directement la lumière, ou encore comme des points déterminés par la rencontre des rayons jaillissant du Centre-Principe avec la circonférence du monde culturel humain. En face de cette littérature gnomique et symbolique de la Grèce du début du Ve siècle, le lecteur habituel des Ecrits de le l’Orient ou de l’Extrême-Orient n’éprouvent aucun dépaysement. Il reconnaît ce ton grave et sacré, tissé de métaphores brèves, où semblent retentir un écho du Verbe primordial.

Mais enfin il faut bien en venir à l’événement qui se produit au cours du Ve siècle et qui interrompt brutalement (ou progressivement, nous n’en savons rien) la tradition gnomique. Culturellement, cet événement est constitué par l’apparition des Sophistes. On peut sans doute hésiter sur la nature historique de ce phénomène culturel, sur le nombre et la fonction exacte de ces hommes qui, tels Protagoras ou Gorgias, parcouraient la Grèce en tous sens, et faisaient métier de la parole. On ne saurait, croyons-nous, hésiter sur sa signification métaphysique : il s’agit essentiellement d’une corruption de la parole, du logos (indissociablement raison et discours), qui de moyen devient fin en soi et s’enivre d’une puissance indéfinie. Ce qui le prouve, c’est évidemment la guerre que Socrate leur livre, dans les dialogues de Platon, parce que ces corrupteurs du verbe doivent être vaincus avec leurs propres armes, si bien qu’on pourrait définir tout le platonisme comme une anti-sophistique. Mais c’est aussi le fait irrécusable que la parole, qui était d’abord prophétie de l’Etre, devient source de profit. Parole à vendre au plus offrant …
Ainsi les mots sont-ils déliés du lien qui les unissait au choses ; leur amarre ontologique est rompue, ils peuvent flotter « librement » sur la mer des passions humaines ; la parole n’a plus de poids.

Pour rendre compte d’un tel bouleversement, il faut bien supposer une sorte de mutation de la pensée humaine, qui préfigure, deux mille ans avant, celle qui se produira avec l’apparition du monde moderne, et qui fut, elle aussi liée à une crise du langage et de la pensée, le nominalisme. Cette mutation peut être décrite de deux façons. C’est d’abord un changement dans l’orientation profonde de l’intelligence humaine, qui cesse d’être tournée activement vers la lumière de la Réalité divine, c’est-à-dire qui refuse d’être pure réceptivité à l’égard de l’acte illuminant du Soleil suprême, dans l’humilité parfaite et l’oubli de soi-même. Du même coup elle perd la connaissance des reflets cosmiques du Soleil principiel : elle ne sait plus parler le langage symbolique des choses. C’est ensuite la découverte de sa propre puissance, c’est-à-dire d’elle-même comme d’un instrument universel. En effet, l’intelligence est à la fois vision (ou audition) et relation (5), et relation au service d’une vision ou comme conséquence discursive d’une vision. Si l’intelligence distingue le réel de l’illusoire, c’est en fonction de la vision originelle de l’Etre. Si elle relie telle réalité à telle autre, c’est en vertu de la perception de leur commune essence. Tel est l’ordre naturel des choses. Toutefois, lorsque l’intelligence renonce à la réceptivité contemplative, elle ne perd pas pour autant sa puissance analytique (de distinction et de liaison). Tout au contraire, cette puissance n’étant plus soumise à la vision intellective, s’apparaît à elle-même comme pure capacité. N’étant plus déterminée par son objet transcendant, elle se découvre disponible pour toutes les tâches. Elle est à la fois maîtresse (illusoire) de l’univers, et maîtresse du vrai et du faux : le vrai n’est plus fonction de l’être mais du discours, et c’est là proprement ce qu’on appelle la sophistique.

Si nous nous référons au schéma précédent, il faudra figurer cette sophistique comme le mouvement d’une pensée, qui ayant rompu son rapport au Centre-Principe, court allégrement et sans fin sur la circonférence, allègrement parce que libérée de la position que lui assignait le rayon issu du Principe, et sans fin parce que la circonférence n’a ni commencement ni fin en elle-même (son origine et son terme étant le centre).
Il est clair que cette sophistique, dont le caractère moderne n’échappera à personne, constituait la menace la plus grave pour l’intellectualité hellénique, et, partant, pour la civilisation méditerranéen et occidentale, étant donné le rôle culturel majeur que la Grèce était appelée à jouer : déjà répandue au VIe siècle en maints endroits du bassin Méditerranéen (Pythagore est un Italique), elle atteint avec l’ancien élève d’Aristote, Alexandre, jusqu’au cœur de l’Orient, et se répandra, avec l’Empire romain son vainqueur, aux extrémités de l’Occident européen, couvrant ainsi les aires providentielles d’expansion de l’islam et du christianisme (6). C’est contre elle que se dresse la mystérieuse figure de Socrate ; c’est elle que l’œuvre de Platon fut chargée, non certes d’anéantir, mais d’emprisonner et de maîtriser.

Il nous semble qu’on peut situer cette œuvre à la rencontre de trois enseignements : Socrate, l’Egypte, Pythagore. Platon reçoit de Socrate l’exemple d’une sagesse vivante, d’origine transcendante, peut-être hyperboréenne et même primordiale : Socrate est sans généalogie. De l’Egypte, où il séjourna longtemps, il reçoit la connaissance des sciences sacrées et des mystères sacerdotaux (7). Du pythagorisme, auquel il fut initié, sans doute par Archytas de Tarente (qui lui procura, dit-on, les livres secrets du maître), Platon reçoit la doctrine métaphysique. Enfin, ce triple enseignement s’exprime souvent chez lui dans un langage emprunté aux mystères éleusyniens.

Comment donc Platon entend-il redresser la déviation sophistique de l’intelligence ? L’une des lois fondamentales de l’histoire c’est que « lorsque le vin est tiré, il faut le boire ». Comme l’enseigne l’exemple prototypique du péché originel, une fois perdu le Paradis, on ne peut faire simplement retour à l’état antérieur. En ouvrant une brèche dans la sphère de l’intellectualité contemplative, la sophistique actualise définitivement une possibilité de la pensée humaine (comme simple instrument rationnel) que l’on ne saurait effacer, au moins sur le plan de la collectivité. Il faut donc tenir compte de cette nouvelle dimension, analytique et dianoétique, dont l’intelligence s’est trompeusement accrue, et l’utiliser pour son propre salut. Cette opération restaurative, c’est la dialectique dont le dialogue est la réalisation pratique.

Nous avons défini la sophistique comme le « mouvement perpétuel » du logos (= raison), c’est-à-dire, au fond, comme la manifestation de l’activité indéfinie du « moulin mental », qui livré à lui-même, ne connaît plus de raison de s’arrêter. La dialectique qui, pour Platon, est la plus haute des sciences (République, VIII, 531 sq.), est aussi une méthose, c’est-à-dire étymologiquement, un « cheminement », une marche, un mouvement : c’est la « réalisation spirituelle » elle-même, si bien désignée par Guénon, autrement dit la prise de conscience de la réalité de l’Esprit, réalisation qui s’effectue par la connaissance, Noèsis, ou « intellection non discursive », donc par l’acte du logos réalisant sa propre nature : « Seule la méthode dialectique a ce caractère que, bousculant les hypothèses, elle suit son chemin, par ce moyen, jusqu’au Principe lui-même (l’anhypothéton = l’inconditionné, 510 b), afin de s’établir en Lui d’une façon solide ; et l’œil de l’âme, véritablement enfoui dans je ne sais quel bourbier barbare, elle le tire tout doucement et l’amène en haut » (533 d).
Comment la dialectique y parvient-elle ? Nous ne pouvons entrer ici dans le détail d’une démarche très élaborée. Nous dirons seulement que la dialectique, qui seule conduit à la théoria du Bien, consiste au fond à épuiser l’énergie du logos sophistique en allant jusqu’au bout de son mouvement.

Telle quelle, la dialectique est aussi une réaction contre l’immobilisme d’une pensée qui court le risque, tant elle est absorbée par son objet transcendant, de confondre l’objet de la pensée, le concept qui le pense et le symbole (langagier ou non) qui l’exprime. Lorsque la pensée reflète obédientiellement l’être, et le discours la pensée, on s’expose à perdre de vue la différence qu’il y a entre la réalité, son reflet mental et son expression sensible. Si le discours est toujours vrai parce qu’il ne peut proférer que l’être, il tend à oublier qu’il n’est qu’un discours. En termes védantins, on dira que Mâyâ disparaît et qu’on perd la conscience de la Lîlâ divine. C’est sans doute là l’erreur de l’éléatisme parménidien.

Au contraire, les sophistes ont une telle conscience de l’autonomie de la parole (logos) qu’elle devient un pur jeu, sans référence à la norme du réel. Or, qui dit jeu, dit liberté et puissance. La parole est magie, dit le sophiste Gorgias. Si l'on observe que Mâyâ, c’est aussi le pouvoir magique de l’Etre divin, on voit en quel sens la sophistique s’identifie elle-même à l’illusion, alors que l’intelligence, et la parole qui l’exprime, ont pour fonction d’identifier l’illusion, c’est-à-dire de discerner le réel de l’apparent. Le sophiste s’enorgueillit de son pouvoir, parce que, habile à soutenir les contradictions avec la même rigueur (apparente), il se croit maître du vrai et du faux et s’imagine qu’ils lui obéissent.
La dialectique platonicienne consiste, non pas à revenir à la confusion possible des mots et des choses ; tout au contraire, Platon marque bien leur différence, et montre qu’Ulysse (qui peut mentir) est préférable à Achille (incapable de mensonge) parce qu’Ulysse sait ce qu’il dit quand il dit la vérité, et distingue la parole de l’être. Mais elle consiste à déloger le sophiste de son illusoire puissance en lui révélant sa contradiction. Cette contradiction est extrêmement simple : s’il était vrai que le pouvoir de la parole fût tel qu’elle créât le vrai et le faux, selon son bon plaisir, alors elle n’aurait aucun pouvoir, car il n’y aurait plus ni vrai ni faux. En réalité la sophistique est dans la plus grande illusion sur elle-même. Le pouvoir qu’elle croit résider dans la parole comme telle, réside dans les idées du vrai et du faux auxquelles continuent d’adhérer ceux auxquels elle s’adresse, sinon la parole sophistique n’aurait précisément aucun pouvoir sur eux. Ainsi la parole reconnaît implicitement la valeur immuable du vrai qu’elle sembler nier explicitement. Assurément il y a du « jeu » entre l’être et logos (8). Dans cet interstice la sophistique peut se glisser pour « fausser le jeu » ; mais elle ne saurait créer le vrai, elle ne peut que le contrefaire, l’imiter.

Ainsi, la « foi » métaphysique de Platon consiste-t-elle à montrer que, si déformés que soient les reflets de l’être dans les miroirs qui l’expriment, ils demeurent cependant reconnaissables, et source possible de réminiscence. Autrement dit, aucune parole, fût-elle la plus mensongère, ne peut se situer en dehors de l’être et du vrai. L’être et le vrai embrassent toutes choses, jusqu’aux aspects les plus inférieurs et même les plus repoussants du monde corporel, car, dit Platon dans le Parménide, « il y a une essence de la boue, de la crasse et du cheveu » (130 c). A l’encontre de la sophistique, la dialectique est l’art d’accoucher les esprits de la vérité qu’ils portent en eux, et même l’esprit du sophiste, porteur, malgré lui et à son insu, d’une vérité à laquelle il ne croit plus. Les droits de l’erreur, du mensonge et de l’illusion sont nécessairement limités, partiels, apparents. Seule la vérité a des droits illimités, seule elle est tout-puissante, seule elle vainc tout, parce qu’elle est présente partout et que le philosophe la rencontre partout. Mâyâ peut bien voiler Atmâ, le voile même dont elle Le cache serait invisible s’il n’était traversé par la lumière du Soi. Et n’oublions pas que les essences elles-mêmes font partie de ce voile, et qu’elles ne constituent pas l’Immuable dont la connaissance seule fait le philosophe. C’est ce que montre le symbolisme de la Caverne, qui n’est rien d’autre qu’une figuration du théâtre cosmique. Or, les modèles dont les ombres se projettent sur le mur de la Caverne ne sont encore que des marionnettes, portées par des êtres réels, mais cachés par un mur. Il faut aller jusqu’au Soleil du Bien pour saisir la Réalité, ou, plutôt, pour être saisi par Elle, et pour découvrir en Elle les principes des essences manifestées (9).
Les essences manifestées peuvent également être figurées par les étoiles, points lumineux scintillants sur le velours sombre de la nocturne Mâyâ. L’œil de l’âme, grâce à la puissance dialectique, monte progressivement vers elles, comme vers les réalités principielles et ordonnatrices du cosmos. Mais, à mesure qu’il s’en approche, il découvre que ces entités lumineuses sont en réalité des « vides », des échancrures dans le voile céleste, et donc des ouvertures, des portes, au-delà desquelles resplendit l’unique Soleil de l’Etre, et par où jaillissent ses rayons intelligibles. Vues d’en bas, les essences sont des unités lumineuses et distinctes, sur un fond noir et indistinct. Vues d’en haut, elles sont des rayons qui revêtent la forme de l’ouverture céleste, l’œil divin (10) par où ils jaillissent. Cette forme est en réalité une détermination, c’est-à-dire une limitation de l’unique Lumière intelligible qui, en Elle-même, est sans forme et sans limite. Autrement dit ces unités-ouvertures sont précisément le « lieu » où s’effectue le passage du créé à l’Incréé et de l’Incréé au créé. La manifestation informelle est la limite supérieure du manifesté, passage-limite où Dieu se fait monde pour que le monde devienne Dieu. Elle n’est pas la racine sur-ontologique de Mâyâ, laquelle réside dans le mystère de l’infinitude du Soi, mais elle est le premier acte de Mâyâ, le premier (et le dernier) acte de la tragi-comédie cosmique.

Tel est, pensons-nous, le véritable sens de la dialectique platonicienne et de la doctrine du monde intelligible qu’Aristote n’a pas comprise, parce que, incapable de concevoir l’être autrement que sous le forme de l’existence d’une chose, il n’a vu dans les Idées de Platon que des « choses » intelligibles, qui dès lors « doublaient » inutilement le monde des choses sensibles, tandis qu’elles sont des rayons, des principes unificateurs de tous les degrés de la réalité (11). Etant, en elles-mêmes indépendantes de tout degré d’être déterminé, merveilleusement libres, elles sauvent par là-même la multiplicité de sa propre dispersion « en direction du néant », et la ramène à l’unique Essence, au Bien sur-essentiel, à l’Océan du Beau, à l’Un sans second. D’une certaine manière, la doctrine des Idées est aussi un « mythe philosophique » : pour la raison profane, c’est une véritable fable. Et plus encore, c’est toute la doctrine et l’œuvre de Platon elle-même qui sont un mythe, le mythe de la « philosophie », comme amour de la divine Sophia. Par la puissance et le charme d’une œuvre, littérairement incomparable, au moyen de la figure extraordinairement vivante de Socrate, Platon a réussi à doter l’âme spéculative de l’Occident d’un nouvel « imaginaire métaphysique », un upâya gnostique, si bien enraciné dans la substance de notre intelligence qu’elle ne peut penser sans rêver aux essences, sans éprouver la nostalgie de ces « Formes divines » dont l’appel continue de retentir dans l’âme la plus déchue. A travers l’œuvre du divin Maître c’est leur voix même que nous entendons et dont nous subissons de nouveau l’attraction. Percevant cette voix au fond de lui-même, le logos sophistique, que nous avons laissé tournant sans fin à la périphérie du cercle du devenir, s’arrête, pour écouter son chant et goûter son parfum. S’il se meut encore, cette fois c’est pour découvrir le chemin qui conduit au Centre principiel ; et s’il tourne encore, cette fois c’est en spirales qui se rapprochent de plus en plus du Cœur immuable de la Réalité.
Ce texte a paru en 1981 dans le numéro 471 de la revue « Etudes traditionnelles »

Notes
(1) Il parle toujours en effet de topos noètos, c’est-à-dire de « lieu » ou de « région », et associe parfois ce terme (topos) à celui de chôra (le réceptacle universel) qui est à peu près synonyme de materia prima ou Prakriti, au moins sous certains de leurs aspects (cf. timée, 52 b : « tout être est … en un certain lieu (topô), occupe une certaine place (chöran). »
(1 bis) Apollon, l’Hyperboréen, est également une signature « polaire », donc référant à la Religio perennis.
(2) Platon est mort en 347, à l’âge de 81 ans. Le plus ancien fragment du Phédon découvert date de 290 av. J.C. Pour la plupart des écrivains anciens, il faut estimer à sept cents ou huit cents ans, au minimun, le temps écoulé entre leur mort et les premiers manuscrits que nous avons de leurs œuvres.
(3) Signalons en particulier le travail remarquable et unique en son genre de Jean Biès sur Empédocle d’Agrigente. Essai sur la philosophie présocratique, paru aux Editions Traditionnelles, 1969. Malgré toute sa sagacité, l’auteur, fidèle lecteur de Guénon, n’est cependant pas parvenu à élucider toutes les énigmes du texte.
(4) Une impression assez semblable est fournie par la comparaison de Gaudapada avec de Shankara.
(5) C’est ce que montre la double signification étymologique de intelligere que saint Thomas interprète comme intus legere = « lire à l’intérieur », mais qui dérive en réalité de inter legere = « lire entre », d’où le sens de « discerner ». D’une part l’intelligence est lecture, saisie du sens de l’être, d’autre part elle relie et distingue. Lire et lier dérivent d’ailleurs de la même racine (cf. collecte et lecture).
(6) Cette remarque relative aux rôles d’Alexandre et de César est due à F. Schuon.
(7) Platon est à peu près notre seule source de connaissances sur l’Atlantide (Critias). Or Guénon enseigne que l’Egypte fut héritière de la civilisation atlantéenne.
(8) Métaphysiquement, l’être, le logos et le « jeu » correspondent au ternaire : Absolu, Perfection, Infinitude (cf. F. Schuon, Le jeu des hypostases, Etudes traditionnelles, oct-déc 80). Ce ternaire est d’ailleurs identique à celui par lequel la Révélation upanishadique « définit » le Suprême Brahma : « Brahma est réalité (sat), connaissance (jnâna), infinitude (ananta) » Taittiriya Up., Adrien-Maisonneuve, 1948, p. 27. Formule classique que Shankara interprète dans son commentaire (bhâshya) à cette upanishad comme désignant des attributs non-relatifs entre eux, mais seulement relatifs à Brahma : « Les mots réalité, connaissance, infinitude ne sont pas en relation mutuelle, car, en raison de leur signification transcendante, ils désignent le sujet lui-même (…).Il faut donc entendre : Brahma est réalité, Brahma est connaissance, Brahma est infinitude » (trad. O. Lacombe, L’absolu selon le Vedânta, Geuthner, p. 82).
(9) Il faut donc distinguer les essences comme archétypes du créé, « nombres cosmiques », et les essences comme « possibilités principielles » in divinis. Mais, évidemment, il s’agit des mêmes réalités intelligibles envisagées à deux niveaux ontologiques différents.
(10) Dans la métaphysique islamique al-‘ayn désigne l’essence archétype ; il signifie aussi en arabe : l’œil, la source. (T. Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l’islam, Derain, p. 64). Le symbolisme dont nous usons présentent rend compte du rapport entre essence et œil.
(11) L’aristotélisme ressortit au Samkhya, le platonisme au vedânta. Le raisonnement d’Aristote contre les Idées est le suivant. On postule l’essence pour rendre compte de la communauté de nature entre deux êtres individuels, deux hommes par ex. qui tous deux participent de la « forme » humaine. Or, si l’essence est aussi une réalité existant en elle-même (thèse de Platon), il faudra supposer un « troisième homme » pour rendre compte de la communauté de nature entre tel homme et l’essence « Homme », et ainsi de suite. On voit que l’horizon ontologique d’Aristote est limité à l’exister individuel, et qu’il ne conçoit pas que l’essence puisse être parfaitement réelle sans pour autant exister à la manière d’un chat ou de Callias. (Métaphysique, livre II, 9, 980 b). Aristote a perçu aussi vivemement que Platon la nécessité de lutter contre les Sophistes. Il a lui aussi clairement compris qu’il s’agissait d’une crise de l’intelligence analytique dévoyée par la découverte de sa propre puissance instrumentale. Mais la solution qu’il propose est significativement différente. Au lieu de découvrir dans le contenu de cette intelligence les traces du vrai et de l’être et, à partir de ces qualités immanentes, de la retourner vers son Principe, Aristote veut redresser l’intelligence analytique sur son propre plan et dans sa forme même : il invente la logique formelle, c’est-à-dire l’art de raisonner juste indépendamment de l’essence ou de la chose même (ibidem, XIII, 4, 1078 b 25), art auquel on donna justement à partir du VIe siècle, le nom d’Organon, c’est-à-dire d’instrument.


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 Sujet du message : vertige
Message Publié : 24 Oct 2005 16:35 
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Polybe
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Inscription : 22 Déc 2004 21:32
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Ce post vole si haut que j'en ai un "haut de coeur". Pour moi, enfant de la "régression philosophique" (comme dit l'auteur), ce texte a un goût de paradis perdu. Nous avons été nourris de nausée, de mains sales, de mouches, de mots et avons l'impression d'avoir ingurgité du canigou plutôt que de l'hydromel, hélas!
Peut-on encore parler de Péguy, de Guénon; ces auteurs qu'on lisait en cachette? Il faut savoir qu'une citation de Platon dans une dissertation vous mettait en tête de la liste noire; un soupçon de Platon à l'examen d'entrée à l'Ecole Normale vous faisait couler (véridique!).
C'est promis, j'imprime le texte de Borella et je le lis, au goutte à goutte, à tête reposée.
Pour les grands malades de ma génération, l'intelligence se prend à dose homéopathique.

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md


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Message Publié : 25 Oct 2005 11:29 
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Hérodote
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Inscription : 16 Oct 2005 10:47
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Merci pour cette réponse, vibrante et... instructive. Pour les hommes de ma génération - pour qui Foucault et Derrida étaient déjà dépassés - il est difficile de se rendre compte...

Si vous aimez le texte de Borella, il y en a d'autres à cette adresse :

http://membres.lycos.fr/borellajean/

Tous ne sont pas aussi puissants, mais il y en a quelques-uns qui méritent le détour, par exemple Connaissance et réalisation.

Meilleures salutations.


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Message Publié : 31 Oct 2005 19:54 
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Tite-Live
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Plusieurs remarques :


Concernant la pensée néo-platonicienne :

Il y a 2 époques différentes et 2 "mouvements", "philosophies" ou "religions", apparemment assez différents qui correspondent à ce vocable:
-1) entre le IVème et le VIème siècle (Plotin, Hypatie....). Ce mouvement est relativement bien connu, d'une part parce qu'on a certains textes originaux (Plotin) et d'autre part parce qu'une partie de la théologie chrétienne classique en est directement extrapolée ("Denis l'Aréopagite"...).
-2) aux XVème et XVIème (Gémiste Pléton...). Ce mouvement est beaucoup plus mal connu, il est très présent dans les milieux dirigeant bysantins du XVème siècle, particulièrement à Mistra, où il ressemble un peu à une secte, où en tout cas est ressenti comme tel par le clergé orthodoxe. On sait que ce mouvement se présentait comme une religion et comme une sorte de synchrétisme entre l'orthodoxie, la religion catholique et l'islam et qu'il s'est diffusé dans certains milieux dirigeants Italiens à l'occasion du concile de Florence, où Pléton était présent. Laurent le Magnifique et Sigismondo Malatesta auraient été converti à cette occasion, de même probablement qu'un certain nombre d'artistes. A ce sujet, on peut encore visiter à Rimini le "Tempio Malatestino" dont les dispositions atypiques laissent croire qu'il ne s'agissait pas à l'origine d'une église, mais bien d'un temple néo-platonicien au sens du XVème siècle.
Le néo-platonisme de Gémiste Pléton est assez mal connu au niveau de la doctrine et des pratiques religieuses, mais la grande surprise qu'on peut avoir aujourd'hui par rapport à ce mouvement, est qu'il a été assez bien toléré par les pouvoirs en place à Bysance et en Italie, alors que les débats entre néo-platoniciens du VIème siècle et chrétiens étaient très vifs. On doit donc en conclure qu'il intégrait probablement l'essenciel de la théologie chrétienne, y compris la figure du Christ (cf. pseudo Denis...) et qu'il intellectualisait probablement assez massivement ce corpus, y compris peut être par le remploi de thèmes employés à Plotins ou à d'autres textes néo-platoniciens de l'antiquité tardive aujourd'hui perdus. On n'a pas de témoignage d'une diffusion de ce mouvement chez les islamistes. Cependant, on rappelera que la capitale néo-platonicienne au XVème siècle (Mistra) s'est apparement assez bien arrangée de l'occupation turque.




Concernant la pensée platonicienne

La redécouverte d'Aristote date apparement de la fin du XIIème siècle en terre d'Islam (Averroès) et du XIIIème siècle en occident (averroisme latin & thomisme...). Avant ces dates Aristote semble avoir eu assez peu d'influence et ne pas avoir été considéré comme un penseur très original par les lecteurs de l'antiquité.
On doit donc sérieusement s'interroger sur la part véritablement représentative d'Aristote dans la philosophie qui lui est attribuée et sur la part qui correspond plutôt à des concepts ou une vision du monde dont on lui aurait fait endosser abusivement la paternité, par exemple de la part les averroistes (islamiques et chrétiens...) ou des thomistes.
A l'appui de cette thèse, je me rapelle d'un livre de W.Guthrie que j'ai lu il a assez longtemps et qui soutient (de mémoire...) qu'Aristote était probablement un sophiste, cad. parfaitement en phase avec Protagoras, à tel point que la "rhétorique d'Aristote" serait en fait un ouvrage de Protagoras et non pas d'Aristote.
De même, le discours de Protagoras (et d'Aristote....) aurait été assez loin de la caricature qu'en fait Platon, mais en fait centré sur le concept d'"arété" (que l'on traduit généralement par "vertue"...), laquelle ne peut pas s'enseigner directement, mais seulement par l'exemple.

Dans ces conditions, on doit croire la cité greque avait besoin d'hommes publics qui pratiquent l'arété, mais qui disposent également de connaissances pratiques nécessaires à l'exercice des fonctions publiques. Un notable soucieux du bien public se faisait donc probablement un devoir de donner à son fils un enseignement qui tienne compte de ces 2 problématiques. Les sophistes proposent leurs services pour cela en expliquant l'articulation complexe qui existe, selon eux entre l'arété et les connaissances pratiques, dont la rhétorique. Pour résumer, la rhétorique ne peut pas véritablement masquer, ou palier à, l'absence d'arété, mais son aprentissage peut permettre de développer l'arété. De même, à arété équivalente une formation en rhétorique peut faire la différence entre deux orateurs opposés.

Concernant l'histoire Athénienne, on sait que le Vème siècle se termine en crise, avec le désaveu de Périclès, l'exil forcé de Protagoras et la condamnation à mort de Phidias. On rappellera qu'ils étaient proches et au sommet de l'état, alors que Socrate et Platon étaient beaucoup moins visibles dans l'Athène du Vème siècle.

Cette crise était probablement en grande partie due à l'incapacité des dirigeants (dont Péricles..) à assumer véritablement le concept d'"empire", qu'ils avaient commencé à développer, ou qui s'était imposé à eux à cause des évènements externes (guerres médiques...), et qui imposait une vision un peu plus extensive de la "citoyenneté" qu'il n'était d'usage dans les cités grecques. Il est vraissemblable que cette crise a amené également une "perte d'audience" pour l'univers intellectuel dans lequel ces dirigeants avaient vécu, ainsi qu'une "fenètre de tir" pour des concepts un peu plus ésotériques. D'où le succès de Platon, qui avait probablement lui-même emprunté certains points de sa doctrine dans des religions étrangères (Egypte ?...)


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 Sujet du message : Appréhensions confirmées...
Message Publié : 31 Oct 2005 21:27 
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Fustel de Coulanges
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Citer :
Pour les grands malades de ma génération, l'intelligence se prend à dose homéopathique.


Je soupçonnais la chose mais en repoussais la réalité pour ne pas céder au réflexe éculé "De mon temps...". Vous confirmez spontanément ce que j'appréhendais. Je compatis sincèrement au sevrage culturel systématique dont votre génération a fait les frais, et salue très respectueusement, avec beaucoup d'admiration, le sursaut méritoire qui vous honore.


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Message Publié : 01 Nov 2005 10:49 
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Jules Michelet
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Inscription : 29 Déc 2003 23:28
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Michiel Adriansoon a écrit :
Laurent le Magnifique et Sigismondo Malatesta auraient été converti à cette occasion, de même probablement qu'un certain nombre d'artistes. A ce sujet, on peut encore visiter à Rimini le "Tempio Malatestino" dont les dispositions atypiques laissent croire qu'il ne s'agissait pas à l'origine d'une église, mais bien d'un temple néo-platonicien au sens du XVème siècle.


Il faut aussi citer Marcile Ficin, qui est un des personnages les plus importants pour le redécouverte de Platon en Europe latine au Quattrocento. Cela s'est fait grâce à Gemisthe Pleton, mais aussi un des ses disciples, Paul (?) Bessarion, futur Cardinal, qui vinrent au concile de Florence et en profitèrent pour enseigner le grec et la philosophie platonicienne.


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Message Publié : 01 Nov 2005 12:16 
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Inscription : 09 Août 2005 12:49
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Zunkir a écrit :
... Cela s'est fait grâce à Gemisthe Pleton, mais aussi un des ses disciples, Paul (?) Bessarion, futur Cardinal, qui vinrent au concile de Florence et en profitèrent pour enseigner le grec et la philosophie platonicienne.



Bessarion est surtout connu pour le rôle clé qu'il a joué un peu plus tard (après la "chute" de Mistra...), en suivant Thomas Paléologue en Italie et en devenant Cardinal de L'Eglise Romaine. Son palais est alors devenu le principal point de raliement des Bysantins réfugiés en Italie, dont le rôle dans la renaissance "Italienne" a été clairement et volontairement occulté dans l'histoire officielle.

Pléton et Bessarion étaient apparemment en bonne relation en 1439 à Florence. Par contre on sait que la fin de Bysance a donné lieu a un certain nombre de "complexités", dont les rivalités entre les 3 frères Paléologues (Constantin, Thomas et Démétrius) et la question de la politique à adopter vis a vis de l'église Romaine et de l'Islam, (collaboration ou refus...).
Par ailleurs, il semblerait que Pléton ait été considéré, notament par le bas clergé orthodoxe, beaucoup plus comme le gourou d'une secte que comme un philosophe néo-platonicien ou éventuellement "néo-dyonisien", véritablement respectueux de l'orthodoxie. Le peu d'information que l'on a sur Pleton et sa "philosophie" semble accréditer cette thèse. Ceci n'est pas forcément contradictoire avec l'information selon laquelle Bessarion aurait pu suivre son enseignement et devenir par la suite un prélat de l'église orthodoxe, puis de l'église catholique, mais cela n'implique pas un accord total entre Bessarion et Pleton sur les questions religieuses.
On sait qu'en 1454, Bessarion a suivi la ligne de Thomas Paléologue (alors despote de Patras) et s'est réfugié avec lui en Italie. Pleton est mort en 1452, mais on sait que les habitants de Mistra on suivi la ligne de Demetrius Paléologue et se sont soumis au régime islamique, la fille de Démétrius épousant dailleurs Méhmed II et devenant de ce fait la mère de Bajazet II et la grand mère de Sélim I.... Considérant qu'il y avait une forte rivalité entre les frères Paléologue et des débats très vifs entre Bysantins sur la politique à suivre, rien ne montre un accord réel entre Bessarion et Pléton(+) sur les questions religieuses en 1454. On peut au contraire croire que le néo-platonisme de Pléton était bien une religion et non pas une philosophie, qu'elle a été tolérée par Rome du vivant de Bysance, parce qu'elle permettait d'affaiblir les extrémistes orthodoxes et donc d'aider à l'union des église, mais que cette tolérance est vite retombée après 1454 et que Bessarion n'avait jamais été adepte de cette secte, sans quoi il n'aurait pas pu devenir cardinal romain.


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Message Publié : 04 Avr 2006 0:46 
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Polybe
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Platon... De beaux mythes, c'est certain. Une belle plume, c'est sûr ! Mais sa philosophie est à l'opposé de l'idéal grec. Plein de morgue dans ce Platon ennemi des arts et ami de Sparte. Sorte d'aristocrate qui n'a pas digéré la Révolution.
L'humaniste véritable lui préférera Aristote, de loin plus humain que son illustre maître.

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L'Homme est la mesure de toute chose.


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Message Publié : 04 Avr 2006 9:29 
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Protagoras a écrit :
Platon... De beaux mythes, c'est certain. Une belle plume, c'est sûr ! Mais sa philosophie est à l'opposé de l'idéal grec. Plein de morgue dans ce Platon ennemi des arts et ami de Sparte. Sorte d'aristocrate qui n'a pas digéré la Révolution.
L'humaniste véritable lui préférera Aristote, de loin plus humain que son illustre maître.

je pense que quand on compare, par exemple, les "écrits de" Platon, avec ceux d'Aristote et St. Thomas d'Acquin, on compare des textes qui sont, d'une part, des pamphlets relativement percutants et incisifs, et d'autre part, des polycopiés d'un cours relativement généraliste (Aristote), ou des notes de cours en quasi-sténo, destinées aux successeurs de l'auteur au poste de prof. de théologie (St. Thomas).
Il est donc vraissemblable que la "perspective rédactionelle" retenue par Platon nous convienne sensiblement mieux que celles d'Aristote ou de St Thomas. Cela n'est pas le même point que la question d'aprécier la teneur de ces philosophies.
Enfin, concernant les sophistes, j'aurais tendance à suivre Guthrie qui attribue la paternité de la "Rhétorique d'Aristote" à Protagoras, ce qui peut amener à revoir la perspective la plus courante sur la nature même de la "philosophie d'Aristote"....
.


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