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Message Publié : 15 Jan 2018 9:49 
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Autant le dire d'entrée, contrairement à Coluche, je n'ai pas tout lu Freud ! :mrgreen:

Je veux dire par là que je ne connais de Marx que les grandes lignes, et que je ne suis jamais allé regarder de près tous les points clés de sa doctrine.

(Je dois expliquer que les cours sur le matérialisme dialectique, prodigués par une prof de psycho-pédagogie communiste, que j'ai dû me taper vers 78-80 en tant qu'élève instituteur - les communistes essayaient de noyauter la formation des futurs hussards de la République - m'ont définitivement dégoûté de chercher à me documenter sur les théories marxistes.)

Toutefois, des documentaires récents à l'occasion du centenaire de la révolution de 1917 m'ont intrigué sur un point : il semble que Lénine ait complété à sa sauce la théorie marxiste, et donc que l'inspiration théorique du régime qui a suivi reposait sur le "marxisme-léninisme".

J'ai donc deux questions : en quoi et sur quels points Lénine a-t-il fait évoluer la théorie marxiste ? Ces apports léninistes ont-ils pesé réellement sur la nature du régime qu'il a mis en place, ou s'agit-il simplement d'un cadre théorique jamais appliqué (et trahi) dans la pratique ?

Merci d'avance pour vos lumières.

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Message Publié : 15 Jan 2018 11:39 
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Grégoire de Tours
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Pour ce que j'en sais, et arrive à peu près à expliquer, l'apport de Lénine porte, entre autres, sur la notion de la dictature du prolétariat (il y a aussi l'apport sur l'impérialisme et la colonisation mais il est me semble peu important pour la nature du régime soviétique).

Je vais commencer par un bref rappel pour planter le décor. La « dictature du prolétariat » est évoqué par Marx et Engels vers 1850 (où il est question de "dictature de classe du prolétariat"). C'est la phase intermédiaire entre la société capitaliste bourgeoise, abattue par la révolution, et l'avènement de la société sans classe (socialiste/communiste). Marx n'explicite pas vraiment ce concept (les seules choses à avoir en tête est que « dictature » à l'époque est une référence à celle de Rome, elle s'oppose, en fait, à « tyrannie » ; et la dictature du prolétariat de Marx succède, pour lui, à la dictature de la bourgeoisie ; l'évolution se fait donc moins dans l'évolution des affaires politiques que dans la classe qui exerce le pouvoir politique). Mais, au-delà de cela, Marx n'est pas très explicite. Et c'est Lénine qui va donc apporter son complément, sa vision à la dictature du prolétariat.

Il va développer ainsi une réflexion sur les étapes, les événements qui doivent avoir lieu durant cette dictature pour conduire à l'état communiste sans classe. Et notamment, il assimile la dictature du prolétariat avec la phase de socialisation des biens, c'est-à-dire que, sous la dictature du prolétariat, l'Eta devient le propriétaire des moyens de productions (ce sera le collectivisme), avant la mise en place de la société communiste. Il dissocie aussi les termes de « socialisme » (1ère étape) et « communisme » (2ème et étape finale)

En parallèle, sur le plan idéologique/philosophique/politique, Lénine décline le concept de matérialisme dialectique, le poussant plus loin que Marx. Comme il est ici question de « science » (pour les marxistes), il en tire la conclusion qu'il est possible de déterminer, de définir la réalité, le « vrai » et que l'idéologie marxiste est en fait une science, donc une vérité absolue que l'on peut connaître. Qui plus est, la théorie (i.e. la science) est forcément conforme au réel, ou plutôt le réel est nécessairement conforme à la théorie scientifique qu'est le marxisme (ce qui explique, par la suite, le fait d'un refus de voir la réalité en face par les dirigeants soviétiques et même les marxistes léninistes en général, parce que constater que la réalité n'est pas conforme à ce que décrit la théorie, cela remet en fait tout l'édifice en cause).

Par ailleurs, puisque le marxisme décrit scientifique la réalité, que le marxisme est « vrai », alors le parti du prolétariat ne peut que défendre cette idée. Et rejeter les autres, conduisant au parti unique avec un alignement général de la pensée. En effet, celui qui défendrait une autre idée ferait des erreurs scientifiques dans son raisonnement et il est logique de l'écarter. Tout ceci s'incarnant dans le parti du prolétariat. C'est ce que Lénine désigne par "centralisme démocratique" (la notion est de lui). (je rajouterai, avis personnel, qu'à terme cela ne peut conduire qu'à une centralisation du pouvoir sur une seule personne, le meilleur scientifique marxiste - un avis que partageait Luxemburg et même Trotski avant de se rallier à lui : un évident risque de despotisme d'un petit groupe avec à leur tête un dictateur, là au sens contemporain).

Le marxisme léninisme se compose en deux fois : un premier jet après la révolution de 1905 avec les écrits de Lénine puis un second qui correspond à la mise en oeuvre pratique de la théorie à partir de 1917 (c'est là que vont apparaître les éléments les plus durs, selon nous en tout cas, du régime marxiste puis soviétique, même si les germes sont déjà dans la pensée de Lénine dès 1905/06).


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Message Publié : 15 Jan 2018 17:25 
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Jean Froissart
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ThierryM a écrit :
Pour ce que j'en sais, et arrive à peu près à expliquer, l'apport de Lénine porte, entre autres, sur la notion de la dictature du prolétariat (il y a aussi l'apport sur l'impérialisme et la colonisation mais il est me semble peu important pour la nature du régime soviétique).

Je vais commencer par un bref rappel pour planter le décor. La « dictature du prolétariat » est évoqué par Marx et Engels vers 1850 (où il est question de "dictature de classe du prolétariat"). C'est la phase intermédiaire entre la société capitaliste bourgeoise, abattue par la révolution, et l'avènement de la société sans classe (socialiste/communiste). Marx n'explicite pas vraiment ce concept (les seules choses à avoir en tête est que « dictature » à l'époque est une référence à celle de Rome, elle s'oppose, en fait, à « tyrannie » ; et la dictature du prolétariat de Marx succède, pour lui, à la dictature de la bourgeoisie ; l'évolution se fait donc moins dans l'évolution des affaires politiques que dans la classe qui exerce le pouvoir politique). Mais, au-delà de cela, Marx n'est pas très explicite. Et c'est Lénine qui va donc apporter son complément, sa vision à la dictature du prolétariat.
En lisant "Le Manifeste du Parti Communiste" (1847/48) j'avais relevé le concept de suppression de la classe bourgeoise mais sans indications quant à la "forme", les moyens utilisés : suppression en la "diluant" ou en l'éliminant physiquement ?
C'est là qu'on comprend la facilité des dictatures communistes à éliminer, exterminer tout ce qui est + ou - "bourgeois", comme les porteurs de lunettes au Cambodge, considérés comme "intellectuels", donc dangereux etc.

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Message Publié : 15 Jan 2018 17:36 
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Marc Bloch
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Cette question est examinée en détail dans la première partie de l'étude de Raymond Aron intitulée " plaidoyer pour l'Europe décadente"


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Message Publié : 15 Jan 2018 19:22 
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On peut ajouter que les bolcheviks sont minoritaires au sein des adhérents du Parti ouvrier socialiste russe.
Ce qui les différencie véritablement des autres - les mencheviks, marxistes plus "orthodoxes" - c'est davantage au sujet de la prise du pouvoir que dans son usage (la dictature du prolétariat chez Marx s'entend déjà par une mainmise complète de la société par le prolétariat au pouvoir, via les rouages étatiques hérités de l'ordre bourgeois. Une fois ce dernier disparu, l'omnipotence étatique tombera d'elle même...).
En effet, pour la majorité des marxistes russes, il est impossible qu'une révolution prolétarienne puisse se produire dans un pays composé très majoritairement de moujiks et dans lequel les prolétaires sont si minoritaires. C'est pour cela que la Russie ne leur semble pas encore prête à entrer dans cette phase de la lutte des classes. Certains infléchissent quelque peu leurs positions après 1905, mais cela leur semble doctrinairement peu réaliste.
Dans le même ordre d'idée, ils attendent que les masses (de prolétaires) fassent appel à eux et les portant au pouvoir. La vision de Lénine et des siens est de passer par un coup d'Etat, au travers de que quelques noyaux de révolutionnaires activistes (professionnels en quelque sorte) faisant tomber le pouvoir par la violence, sans bénéficier au préalable du soutien des masses.
Cette théorie est inconcevable pour un marxiste orthodoxe. En ce sens Lénine "innove" et fabrique d'une certaine manière ce groupe de "guides", qui ouvrira les yeux d'un peuple - qui ne lui demande pas forcément quelque chose...- par cette "libération".

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Message Publié : 15 Jan 2018 19:49 
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Grégoire de Tours
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Robert Spierre a écrit :
En lisant "Le Manifeste du Parti Communiste" (1847/48) j'avais relevé le concept de suppression de la classe bourgeoise mais sans indications quant à la "forme", les moyens utilisés : suppression en la "diluant" ou en l'éliminant physiquement ?

Justement, Marx n'a jamais vraiment explicité ce concept de dictature du prolétariat, et encore moins les méthodes pour passer du système capitaliste au système sans classe. En fait, on a le début, on a la fin mais le milieu... il ne s'est jamais aventuré sur ce point.


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Message Publié : 15 Jan 2018 19:57 
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Grégoire de Tours
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Duc de Raguse a écrit :
On peut ajouter que les bolcheviks sont minoritaires au sein des adhérents du Parti ouvrier socialiste russe.
Ce qui les différencie véritablement des autres - les mencheviks, marxistes plus "orthodoxes" - c'est davantage au sujet de la prise du pouvoir que dans son usage (la dictature du prolétariat chez Marx s'entend déjà par une mainmise complète de la société par le prolétariat au pouvoir, via les rouages étatiques hérités de l'ordre bourgeois. Une fois ce dernier disparu, l'omnipotence étatique tombera d'elle même...).
En effet, pour la majorité des marxistes russes, il est impossible qu'une révolution prolétarienne puisse se produire dans un pays composé très majoritairement de moujiks et dans lequel les prolétaires sont si minoritaires. C'est pour cela que la Russie ne leur semble pas encore prête à entrer dans cette phase de la lutte des classes. Certains infléchissent quelque peu leurs positions après 1905, mais cela leur semble doctrinairement peu réaliste.
Dans le même ordre d'idée, ils attendent que les masses (de prolétaires) fassent appel à eux et les portant au pouvoir. La vision de Lénine et des siens est de passer par un coup d'Etat, au travers de que quelques noyaux de révolutionnaires activistes (professionnels en quelque sorte) faisant tomber le pouvoir par la violence, sans bénéficier au préalable du soutien des masses.
Cette théorie est inconcevable pour un marxiste orthodoxe. En ce sens Lénine "innove" et fabrique d'une certaine manière ce groupe de "guides", qui ouvrira les yeux d'un peuple - qui ne lui demande pas forcément quelque chose...- par cette "libération".


Quelques remarques :
- Lénine se considère, et les bolcheviks, aussi comme des marxistes orthodoxes.
- Il faut également souligner que le terme prolétariat n'est pas, chez Marx, un, synonyme d'ouvriers. Pour lui, le prolétariat est l'ensemble des salariés (ou ceux qui ont vocation à l'être, comme les chômeurs), c'est-à-dire ceux qui vendent leur force de travail à celui qui détient l'outil de production (c'est la définition qu'il donne dans Le Capital). Donc, y intégrer les paysans non propriétaires n'est en rien en contradiction avec le sens que donne Marx à prolétariat ; en revanche, il est vrai que Marx n'aimait pas les paysans parce qu'il les considéraient comme fondamentalement réactionnaires, se basant sur leur adhésion à Napoléon III dès 1851 puis leur vote monarchiste en 1871, face à la Commune. C'était donc une hostilité plus liée aux faits qu'une hostilité de principe. Il était convaincu de pouvoir rallier la paysannerie à la révolution prolétarienne à terme.
- Ensuite, il est évident que le silence de Marx sur la phase de transition laissait la porte ouverte à toutes les interprétations et évolutions doctrinales et idéologiques.


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Message Publié : 15 Jan 2018 22:32 
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Oui il me semble avoir déjà lu que le communisme a triomphé dans le seul grand pays européen où Marx jugeait la révolution impossible, à cause de la faiblesse de la classe ouvrière et de la majorité de paysans... :rool:

Merci à tous pour vos indications, en particulier à ThierryM pour son long exposé sur l'aspect doctrinal.

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Message Publié : 15 Jan 2018 23:30 
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Inscription : 25 Juil 2007 21:37
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ThierryM a écrit :
Quelques remarques :
- Lénine se considère, et les bolcheviks, aussi comme des marxistes orthodoxes.
- Il faut également souligner que le terme prolétariat n'est pas, chez Marx, un, synonyme d'ouvriers. Pour lui, le prolétariat est l'ensemble des salariés (ou ceux qui ont vocation à l'être, comme les chômeurs), c'est-à-dire ceux qui vendent leur force de travail à celui qui détient l'outil de production (c'est la définition qu'il donne dans Le Capital). Donc, y intégrer les paysans non propriétaires n'est en rien en contradiction avec le sens que donne Marx à prolétariat ; en revanche, il est vrai que Marx n'aimait pas les paysans parce qu'il les considéraient comme fondamentalement réactionnaires, se basant sur leur adhésion à Napoléon III dès 1851 puis leur vote monarchiste en 1871, face à la Commune. C'était donc une hostilité plus liée aux faits qu'une hostilité de principe. Il était convaincu de pouvoir rallier la paysannerie à la révolution prolétarienne à terme.
A noter que l'on retrouve cela chez Lénine et Staline.

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Message Publié : 15 Jan 2018 23:33 
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Grégoire de Tours
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Bien que relativement muet sur les aspects pratiques de la révolution, en effet, Marx attendait la révolution dans un pays clairement industriel : France, Allemagne ou Angleterre. Parce qu'il pensait (et à juste titre) que les ouvriers étaient les plus conscients de la lutte des classes et de leur opposition de classe à la bourgeoisie, qu'il serait donc plus facile de les mobiliser, les convaincre pour la concrétisation de son rêve (par opposition aux paysans dont il constatait que les actions venaient bien plus souvent dans le sens de la classe bourgeoise). Il suffit de regarder ses pérégrinations, se rendant à chaque fois dans le pays où avait lieu une révolution : 1848 en France, puis part en Allemagne quand la révolution s'y étend, revient en France puis part an Angleterre, qui, outre la capacité d'accueil, lui semblait le pays le plus propice à la révolution, à cause de sa réussite dans la révolution industrielle (chose assez ironique puisque l'Angleterre sera, au final, le pays où le marxisme a le moins pris).


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Message Publié : 15 Jan 2018 23:44 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 23 Déc 2010 13:31
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Robert Spierre a écrit :
ThierryM a écrit :
Quelques remarques :
- Lénine se considère, et les bolcheviks, aussi comme des marxistes orthodoxes.
- Il faut également souligner que le terme prolétariat n'est pas, chez Marx, un, synonyme d'ouvriers. Pour lui, le prolétariat est l'ensemble des salariés (ou ceux qui ont vocation à l'être, comme les chômeurs), c'est-à-dire ceux qui vendent leur force de travail à celui qui détient l'outil de production (c'est la définition qu'il donne dans Le Capital). Donc, y intégrer les paysans non propriétaires n'est en rien en contradiction avec le sens que donne Marx à prolétariat ; en revanche, il est vrai que Marx n'aimait pas les paysans parce qu'il les considéraient comme fondamentalement réactionnaires, se basant sur leur adhésion à Napoléon III dès 1851 puis leur vote monarchiste en 1871, face à la Commune. C'était donc une hostilité plus liée aux faits qu'une hostilité de principe. Il était convaincu de pouvoir rallier la paysannerie à la révolution prolétarienne à terme.
A noter que l'on retrouve cela chez Lénine et Staline.


Oui. Parce qu'ils leur adressaient le même reproche que Marx, à savoir être, à leurs yeux, réactionnaires et rétifs à toute forme de collectivisation des moyens de production. Il est vrai qu'on peut alors s'étonner de ce marxisme paysan qui caractérise l'Orient. Evidemment, la Chine de Mao mais le Vietnam et le Cambodge s'inscrivent dans la même logique. Pour moi, il y a 2 raisons :
- d'une part, les révoltes chinoises historiques sont le fait des paysans ; donc Mao n'était pas totalement idiot en pensant que c'est sur eux qu'il fallait s'appuyer comme Marx pensait qu'il fallait s'appuyer sur les ouvriers en observant les acteurs des révolutions de son siècle.
- d'autre part, il avait une vision imaginée du paysan. Ou plutôt, ayant élaboré sa théorie marxiste, et comme le marxisme se veut science, la réalité devait coller à sa théorie (et on a vu à quel point les deux sont en adéquation avec le Grand Bon en Avant). Pour moi, c'est là le cœur du problème du marxisme : se vouloir être une science au départ alors qu'elle ne l'est pas, ou du moins une science globale. Science économique, oui, mais pas une science générale explicative de toute l'histoire humaine et de son devenir.


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Message Publié : 16 Jan 2018 6:12 
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ThierryM a écrit :
Pour moi, c'est là le cœur du problème du marxisme : se vouloir être une science au départ alors qu'elle ne l'est pas, ou du moins une science globale. Science économique, oui, mais pas une science générale explicative de toute l'histoire humaine et de son devenir.

Si j'ai bien compris votre exposé, c'est moins le marxisme que le matérialisme dialectique, érigé en religion par Lénine, qui se veut une description scientifique totale de la réalité des sociétés.

On peut considérer, je pense, que la vision de Marx pouvait être inquiétante. (Clemenceau, avant-guerre : "Je suis un humaniste. Je n'aime pas les couvents et les casernes que vous nous préparez.") Le ver était dans le fruit.

Je ne sais pas qui a lancé le slogan "Lénine réveille toi, ils sont devenus fous !" (je pense que ce sont les Tchèques, en 68) mais en réalité c'est bien Lénine, si j'ai bien suivi, qui a enfoncé les clous du cercueil et verrouillé l'orthodoxie marxiste, avec cette confusion permanente entre la réalité et la théorie politique.

Pourtant il croyait à son utopie bienfaisante. (Mais c'est peut-être justement le problème : "qui veut faire l'ange fait la bête".) Dans son remarquable "Jours tranquilles à Belleville", Thierry Jonquet raconte le long combat de son association pour obtenir la construction de toilettes publiques gratuites (pour les clochards !) dans son quartier, et commente :" J'ai repensé au camarade Vladimir Illitch, qui disait qu'avec l'avènement du communisme l'or des banques servirait à décorer les murs des pissotières. Pauvre Lénine ! Nous étions là précisément à nous battre pour obtenir des... chiottes publiques, contre le monopole parisien de Decaux sur les toilettes payantes. On était bien loin de ses rêves dorés ! "

Pauvre Lénine, en effet. Quand on pense à la façon dont Staline a accaparé son héritage, commençant son OPA avant même la mort de Lénine, qui malade et paralysé a sans doute eu le temps de voir le "tsar rouge" qui se profilait, sans que lui-même, ni sa femme après lui, ne puisse s'y opposer.

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Message Publié : 16 Jan 2018 6:35 
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ça me rappelle une blague russe qui circulait en douce à Moscou :
Karl Marx redescendu du ciel se présente devant l'immeuble du Politburo, et demande un créneau à la télévision pour s'adresser au peuple russe. Un peu contraints - mais tout de même, c'est Marx en personne ! - les apparatchiks le lui accordent. Marx s'installe devant la caméra, approche le micro, et s'exclame : " Prolétaires de tous les pays... excusez-moi ! " lol

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Message Publié : 16 Jan 2018 17:51 
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Grégoire de Tours
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Pierma a écrit :
Si j'ai bien compris votre exposé, c'est moins le marxisme que le matérialisme dialectique, érigé en religion par Lénine, qui se veut une description scientifique totale de la réalité des sociétés.
On peut considérer, je pense, que la vision de Marx pouvait être inquiétante. (Clemenceau, avant-guerre : "Je suis un humaniste. Je n'aime pas les couvents et les casernes que vous nous préparez.") Le ver était dans le fruit.
Je ne sais pas qui a lancé le slogan "Lénine réveille toi, ils sont devenus fous !" (je pense que ce sont les Tchèques, en 68) mais en réalité c'est bien Lénine, si j'ai bien suivi, qui a enfoncé les clous du cercueil et verrouillé l'orthodoxie marxiste, avec cette confusion permanente entre la réalité et la théorie politique.


Je pense qu'il est difficile de dissocier le marxisme du matérialisme dialectique. Ce serait un peu comme les chiffres et les mathématiques ; sans le concept des chiffres, il sera dur de faire des maths ; en même temps, avec le seul concept des chiffres… vous êtes quand même plus que fortement orientés pour faire des mathématiques (à la limite, on pourrait me dire de la comptabilité mais en dehors de ça…). Mais, je suis entièrement d'accord : le ver est dans le fruit. J'en suis convaincu depuis des années en ce qui me concerne. Une idéologie qui est, ou se considère plutôt, une science, elle ne peut que conduire à l'absence de pluralité des idées puisque les autres seront scientifiquement fausses et donc, rationnellement, il n'y a pas vraiment d'intérêt à les défendre.

Pierma a écrit :
Pourtant il croyait à son utopie bienfaisante. (Mais c'est peut-être justement le problème : "qui veut faire l'ange fait la bête".) Dans son remarquable "Jours tranquilles à Belleville", Thierry Jonquet raconte le long combat de son association pour obtenir la construction de toilettes publiques gratuites (pour les clochards !) dans son quartier, et commente :" J'ai repensé au camarade Vladimir Illitch, qui disait qu'avec l'avènement du communisme l'or des banques servirait à décorer les murs des pissotières. Pauvre Lénine ! Nous étions là précisément à nous battre pour obtenir des... chiottes publiques, contre le monopole parisien de Decaux sur les toilettes payantes. On était bien loin de ses rêves dorés ! "


Je n'ai guère de doutes sur le fait que Marx croyait à son utopie et espérait vraiment le meilleur pour les plus pauvres. Pour Lénine, je m'interroge plus ; oui, il y a eu, au départ, un engagement pour aider les plus faibles, les ouvriers etc. mais la terreur, la violence font parties intégrantes de son programme et des modalités d'action qu'il prônen bien plus que chez Marx.

Pierma a écrit :
Pauvre Lénine, en effet. Quand on pense à la façon dont Staline a accaparé son héritage, commençant son OPA avant même la mort de Lénine, qui malade et paralysé a sans doute eu le temps de voir le "tsar rouge" qui se profilait, sans que lui-même, ni sa femme après lui, ne puisse s'y opposer.


Pauvre Lénine, sauf que c'est quand même la « pauvre victime » qui fournit à son assassin l'arme du crime. Si Staline a pu agir ainsi, c'est bien qu'avait été mis en place un chef unique à la tête d'un parti unique soutenu par une police politique. Et s'il ne pouvait plus s'opposer à Staline à la fin, c'est à cause de régime politique qu'il avait lui-même d'abord défini puis réalisé. Pour moi, on est quand même dans la situation de la personne qui établit les plans d'une bombe, en achète les matériaux, la fabrique puis la confie à un tiers. Alors, oui, c'est triste si cette personne se fait tuer par la bombe utilisée par ce tiers ; mais enfin, cette personne l'aura quand même un peu cherché, non ?


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Message Publié : 16 Jan 2018 18:02 
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Marc Bloch
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Sans être un expert je voudrais pousser une hypothèse : et si le marxisme n'était pour certains (voire beaucoup) de ses adeptes que l'habillage philosophique de pulsions sommaires ? ces pulsions pouvant être la haine des riches, l'amour des pauvres mais aussi la haine de l'étranger (chez Mao par exemple) et la haine de la culture (chez Pol Pot par exemple).

Avec Mao, Pol Pot et Kim il Sung le marxisme même léninisme s'apparente à une sorte de fascisme fondé sur la totale soumission de la société à l'Etat-Parti en guerre contre le monde entier !


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