Noacyl a écrit :
Vous jouez sur les mots
Je sais Noacyl, vous me l'avez déjà dit, je joue sur les mots. Mais comment vous dire : Pour celui qui ne fait de différences qu'entre les fruits et les légumes, l'orange n'est jamais qu'un gros citron -en un peu moins jaune. Seulement, un botaniste à qui vous iriez faire part de votre découverte soufflerait sans doute un bon coup, prendrait un air gêné, et réfléchissant à par où il pourrait commencer, finirait sans doute par vous dire : "Oui, c'est vrai, tu as raison, après tout. Les citrons et les oranges, c'est un peu pareil. D'ailleurs, tiens ! ajouterait-il peut-être l'air presqu'heureux, tous les deux contiennent de la vitamine C !"
C'est un petit peu pareil si vous allez voir un juriste ou un philosophe du droit en disant que "tradition" et "droit", c'est pareil. Que voulez-vous qu'on vous dise ? Bien sûr, vous avez raison, d'ailleurs tous deux sont un ensemble d'énoncés prescriptifs.
Par ailleurs, lorsque vous ajoutez que ces règles que vous évoquez sont celles qui sont apprises par l'éducation, vous vous dirigez encore vers un autre paradigme, culturaliste celui-là, qui n'a strictement rien à voir avec Clastres. Mais bon, tant qu'on est dans les fruits, une bonne salade, ça se refuse pas.
Pour Clastres, je vous le dis en un mot, la problématique n'est absolument pas celle du droit, ni de la règle. C'est celle du pouvoir. Et sa définition du pouvoir n'est absolument pas la votre : Aucune notion de souveraineté chez Clastres, pas de "pouvoir détenu par toute la société", simplement : un rapport au pouvoir et à la
force différent dans les sociétés an-historiques, qui selon lui les différencie fondamentalement des sociétés historiques. Mais cela ne change rien à la question de l'autorité elle-même -qui est due au prestige, selon Clastres, du moins en temps de paix- et surtout, n'a rien à voir avec la règle ou le droit. C'est tout simplement un autre sujet.
Trouvez des liens si vous voulez, il y en a peut-être, mais argumentez, et commencez s'il vous plait par le
lire. Au moins lisez ici :
http://www.passion-histoire.net_ ... sc&start=0Noacyl a écrit :
répondu que cela s’appelait "droit positif" et qu’il était au contraire subjectif. Le jusnaturalisme est ce que j’ai appelé "droit naturel".
Aaah ? C'est donc cela que vous appelez les "droits naturels" ?
Mais cher Noacyl, vous en donnez une telle définition que je pensais que nous ne parlions pas de la même chose ! Tiens, par exemple, pourquoi semblez-vous les
opposer à l'Etat, ces "droits naturels" ?
Votre "exemple", que bien entendu, vous n'avez pas trouvé chez Locke, tendait ainsi à dire ceci : Les droits naturels sont les droits inaliénables de l'individu, irréductibles à l'autorité de l'Etat. En particulier, les droits de l'individu et les prérogatives de l'Etat sont divergents. Il s'agit donc de défendre ces droits contre la mainmise de l'Etat lorsqu'il outrepasse les pouvoirs -quand il exige l'impot par exemple.
Donc ça, pour vous, c'est le jusnaturalisme, n'est-ce pas ? Une sorte de société contre l'Etat, comme vous le disiez si mal, bref un anarchisme de bon aloi, "moral".
Et bien, moi je vous propose une autre version : La théorie des droits naturels cherche à expliquer pourquoi et comment le droit, bien qu'il soit issu de l'Etat, soit irréductiblement produit par les citoyens, souverains. Ceux-ci étant alors considérés à la fois comme sujets et objets du droit.
Dans cette perspective, il n'y a donc absolument pas antagonisme entre l'Etat et le citoyen, au contraire, il y a convergence. Et ce qui définit la constitution de la société, c'est justement l'
abandon des droits naturels de l'homme au profit du pouvoir politique, et qui plus est, un abandon
volontaire.
Alors, puisque vous citez Locke, votre philosophe "préféré", mais sans pouvoir hélas le citer, moi je vous propose quelques références à l'appui de cette thèse.
Second Traité du gouvernement civil, c'est pas compliqué, ça commence dès le §1 avec la spécificité du pouvoir politique, §2, définition de ce pouvoir comme droit de faire les lois et de les faire exécuter, au besoin en recourant à la force et aux sanctions pénales. Naturellement, §3 : uniquement en vue du bien public.
Traité du gouvernement civil. Tenez, vous le trouverez ici :
http://classiques.uqac.ca/classiques/lo ... civil.html je vais détailler un peu :
§87 : "Chacun des membres s'est dépouillé de son pouvoir naturel, et l'a remis entre les mains de la société etc."
§88 : "Pour toute les causes dans lesquelles il peut appeler au Magistrat, il a remis en même temps à la société le droit d'employer toute sa force pour l'exécution des jugements de la société."
§74 : Car effectivement, le Prince n'exerce son pouvoir que parce que le peuple y consent. Mais vous noterez bien que Locke dit : "consentement". Une fois que les droits naturels ont été abandonnés, ils l'ont été pour la vie. Locke précise d'ailleurs que l'individu est lié à son Prince, à son territoire et à ses lois. Ainsi :
§119 : Le consentement tacite : "Je dis que tout homme qui a quelque possession, qui jouit de quelque bien [...] donne par là son
consentement tacite, et est obligé d'obéir aux lois de ce gouvernement, tant qu'il jouit des biens qui y sont renfermés etc."
En revanche, les enfants ne sont pas engagés par cette fidélité, mais je ne sais plus où c'est dans le texte.
§94 : Le Sénat, Parlement, comme adjuvant au Prince : "Personne, sans doute, dans la société civile ne peut etre exempte d'en observer les Lois".
§98 : "Ou
le plus grand nombre ne peut conclure et obliger le reste à se soumettre à ses décrets ; [...] là on ne saurait résoudre et exécuter la moindre chose ; et par conséquent, cette espèce de corps de société se dissoudrait d'abord." Ca, c'était pour votre (mauvaise) lecture de Tocqueville.
Par ailleurs, je pense que cela va être un choc pour vous, mais Locke était fondamentalement égalitariste, comme c'est dit par exemple §123.
Pour comprendre quels droits naturels sont abandonnés dès lors qu'on entre en l'état de société, lire à partir de §129
Etc. etc.
Et puis, pendant que vous y serez, je vous propose de lire tout le chapitre III qui s'intitule De l'Etat de Guerre : Vous comprendrez peut-être ainsi ce que la pensée de Locke doit à Hobbes, cela vous évitera sans doute à l'avenir de les opposer naïvement.
Toujours est-il que, comme vous le voyez, on est très loin de l'anarchiste qui érigerait les droits inaliénables de l'individu en face du monstre-Etat. Ca, c'est autre chose, c'est Nietzsche, c'est Proudhon, c'est Engels même, à la limite (éventuellement) mais ce n'est pas le libéralisme.
Et vous voyez également que chez Locke, le droit, bien qu'issu des droits naturels
abandonnés par les individus à l'autorité, est garanti par la force et le pouvoir de l'Etat. Et Locke répète assez régulièrement que l'état de nature est un état de confusion, de discordes, de guerre, pour qu'on ne s'y trompe pas
quand on le lit.
Par conséquent, aucun doute : Pour Locke, quiconque résidant sur le territoire d'un Etat doit se soumettre à ses lois, y compris -et surtout !- lorsqu'il s'agit de l'impot.
C'est que, voyez-vous, les philosophes libéraux pensaient simplement qu'en l'état de société, on n'a pas que des droits, on a aussi des devoirs. Et que l'Etat est là pour assurer que chacun les respecte et les assume. Etonnant, n'est-ce pas ?
Bref, vous serez gentil à l'avenir de ne pas sortir à nouveau des noms d'auteur sans venir avec des références, svp. Celles-ci m'ont prises assez de temps, j'espère que vous saurez en tenir compte. Parce que je pense sérieusement que vous n'avez lu vous-même aucun des auteurs que vous citez, et que vous vous contentez de répéter bêtement ce que vous disent vos profs de Dauphine ou d'Assas.
Ce qui n'est pas très
libre-penseur non plus, je vous le signale au passage.
Cordialement.