Les nations existent depuis toujours.
Dans l'antiquité, des peuplades barbares formaient des confédérations plus larges, auxquelles ils donnaient un nom.
Par exemple, les Francs (les "hardis") regroupaient de multiples tribus
d'ailleurs le terme germanique à l'origine du mot "franc" aurait la même racine que le mot "farouche" en français
idem pour les Alamans ("tous les hommes" alle-männer en allemand)
Dès le moyen-age, les européens avaient conscience d'être divisés entre français, allemands, anglais, italiens etc, même si le sentiment d'appartenance à une communauté supérieure, la chrétienté, dominait.
Ce qui est récent, c'est l'état-nation souverain.
Avant 1789, l'Etat français n'est pas fondé sur la nation, mais sur la continuité dynastique.
La royauté annexe des territoires où l'ont parle des dialectes français: picard, normand, etc, mais aussi d'autres qui ne sont pas ethniquement français: Corse, Alsace, Flandre, etc, mais qui se sentent tout de même plus ou moins attachés au roi de France.
Des pays comme l'Italie ou l'Allemagne pouvaient très bien être constitués d'états différents, tout en appartenant à la même nation.
Inversement, des nations pouvaient très bien vivre sans resentir la nécessité de former un état.
Ce qui change, à mon avis, avec la révolution, c'est la notion de souveraineté nationale: une nation doit correspondre à un état.
Ainsi, aujourd'hui les Autrichiens ne sont plus considérés comme des Allemands parce qu'un autre état que le leur s'est donné le nom d'Allemagne.
L'identité nationale devient exclusive de toute autre, européenne ou régionale.
C'est cette idée funeste qui a ensanglanté l'Europe pendant deux siècles.
Je pense qu'à l'avenir, la nation continuera de vivre mais ne sera plus une notion absolue, mais équilibrée dans une construction à trois niveaux: l'Europe, la nation, la région.
Quant au sentiment national, il était concurrencé au XXe siècle par le sentiment de classe sociale.
Désormais, de multiples formes d'identités se cotoient, la notion d'identité devient de plus en plus complexe.
Il y a bien sûr l'individualisme triomphant, le "c'est mon choix parce que je le vaux bien".
Mais il existe aussi une tendance, consubstancielle à la modernité, qui est l'absolutisme identitaire: on réduit de plus en plus les personnes à une identité unique: la sexualité, l'origine, la religion, les goûts, ce que le marketing appelle les "tribus".
A quoi sert le sentiment national dans tout cela? Peut-être à rassembler tout le monde, au delà des différences.
C'est du moins l'idée française de la nation, le "plébiscite de tous les jours": est française toute personne qui VEUT être française.
Mais avec cette limite aussi: si la nation, c'est n'importe qui, y compris des gens qui ne me ressemble pas du tout, je me sens noyé dans cet ensemble trop large.
D'où, à mon avis, ce délire identitaire que l'on observe de nos jours.
C'est le besoin d'appartenance à un petit groupe homogène dans un monde multiculturel ouvert aux quatre vents.
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_________________ la fortune se joue des affaires humaines comme le chat joue avec la souris, faisant la preuve de son absurdité et de sa nature inexplicable. (Procope de Césarée)
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