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Message Publié : 27 Août 2005 5:06 
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Le XVIIIème siècle de Voltaire et Rousseau n'est pas né de rien. C'est un lent cheminement où de multiples auteurs apportèrent leur pièce à l'édifice, à commencer par les humanistes, je pense en premier lieu à Montaigne.

Quoiqu'il en soit voici d'abord un thème abordé sous forme de devoir puis, à la fin l'ouverture d'un débat.


DIDEROT ECRIT EN 1760 : « NOUS AVONS EU DES ANCETRES SOUS LOUIS XIV ». EXPLIQUEZ.


INTRODUCTION :

Une révolution se donne souvent le prestige de la tradition. Bien qu’encore loin de la révolution française de 1789, l’enseignement philosophique du XVIIIème siècle est bien une sorte de révolution des idées et c’est certainement ce qu’a du penser Diderot en écrivant cela. En effet, ce « nous » désigne les philosophes du XVIIIe siècle qui avec lui forment l’aboutissement d’idées pré-révolutionnaires déjà apparues au siècle précédent sous Louis XIV. On peut effectivement trouver cinq ou six grands noms qui ont préfiguré leur programme.


DEVELOPPEMENT :

1) L’idée de progrès
Elle est née dans la science balbutiante du XVIIe siècle avec Descartes et Pascal. Elle culminera au XVIIIe siècle avec l’ « Encyclopédie » dont Diderot justement fut le directeur. Cette idée de progrès déborde dans la littérature avec la « Querelle des Anciens et des Modernes »: dispute initiée par le poème de Charles Perrault, « Le Siècle de Louis XIV » dans lequel il proclame la primauté de la suprématie littéraire antique face aux amateurs de genres nouveaux (opéra, contes, romans).

2) La réforme morale et religieuse
Le mouvement libertin très épris de sciences et de libertés politiques avait déjà fait son apparition sous louis XIV. Ce courant sera renforcé par les exilés protestants victimes de la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 et qui infiltreront en France la libre pensée de leurs pays d’adoption, l’Angleterre, les Pays-Bas et la Prusse.

A travers « Les Précieuses Ridicules » ou « Le bourgeois Gentilhomme », Molière dénonça les travers de la société en ridiculisant des personnages types. Il s’attaqua aussi au pouvoir déviant de la religion avec « Tartuffe ». Jean de la Fontaine, le grand moralisateur auteur des « Fables » n’hésita pas à s’attaquer aux injustices sociales. Dans sa fable, « Les animaux malades de la peste » où il s’attaque aux injustices de cour il termine ainsi : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

3) La réforme politique et économique
Les abus de la monarchie sont grandement dénoncés par La Bruyère, notamment les privilèges accordés aux incompétents, le triomphe des oisifs auxquels s’oppose la misère des paysans. Dans « l’injustice sociale » il dénonce les grands de ce monde financièrement riches mais futiles d’esprits face auxquels il oppose la misère paysanne au cœur et à l’esprit humble.

Fénelon, moraliste chrétien et penseur politique, projette dans les « Tables de Chaulnes », d’entourer le roi de conseils provinciaux qui briseraient l’absolutisme.

Citons pour terminer Vauban, disgracié pour avoir osé publié un projet d’impôt proportionnel et supporté par tous: « La dîme royale ». Ce projet, ancêtre de l’impôt sur le revenu, sera maintes fois repris au XVIIIème siècle pour n’aboutir qu’avec la Révolution.

CONCLUSION :

Ainsi Diderot a raison. Il aurait même pu se chercher des ancêtres chez les humanistes du XVIème siècle, Rabelais ou Montaigne. Mais, c’est bien sous Louis XIV que les sources d’oppositions commencent à prendre un sens même si elles ne se cristalliseront qu’avec les philosophes du XVIIIème siècle. Louis XIV avait cherché à paralyser la noblesse en utilisant la bourgeoisie, enlevant trop aux uns, ne donnant pas assez aux autres. D’où leur union dans le concert des critiques.




Débat proposé:

En quoi Molière aurait-il réellement été un "ancêtre" des lumières? Certes, il attaque des institutions, notamment l'institution religieuse avec "Tartuffe" et "Dom Juan", mais Molière, protégé de Louix XIV est "au-dessus de la cour dont il se moque royalement à travers "Le Bourgeois gentillhomme" ou "Les précieuses ridicules". Il dîne à la table du roi (grand privilège!). Et c'est justement le fait de se moquer de la cour qui le fait aimer de Louix XIV (qui lui veut dominer et contrôler cette cour!). En quoi donc Molière pourrait - ou ne pourrait pas être considéré comme un "ancêtre des lumières"? Y-a-t-il chez lui une quelconque volonté d'évolution sociale si ce n'est que les jeunes hommes et les juenes femmes qui s'aiment puissent se marier librement, choses certainement "révolutionnaire" mais tout de même?...

Pour La Fontaine, même problème. Très proche du Roi lui aussi. Moralisateur, certes, mais les morales de ses fables, si intemporelles soient-elles sont-elles tellement révolutionnaires avant l'heure? Elles concernent tout-un-chacun dans sa vie de tous les jours mais ne reflètent pas vraiment des grandes idées philosophiques de liberté ou d'égalité et donc dans ce cas, en quoi, lui-aussi, pourrait-il être qualifié d'"ancêtre des lumières"? Excepté bien sûr cette fable: "Les animaux malades de la Peste" citée dans le devoir. Rien que pour celle-là il peut être qualifié de la sorte mais... mais... quelle était à l'époque les relations entre la justice et le roi et surtout comment Louix XIV a-t-il pris cette fable et surtout cette maxime "selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs"?

Voilà, débattez!


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Message Publié : 27 Août 2005 8:23 
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Puisqu'il faut débattre, alors je me lance dans quelques critiques.

Citer :
1) L’idée de progrès
Elle est née dans la science balbutiante du XVIIe siècle avec Descartes et Pascal.

J'ai du mal à voir où vous trouvez une idée si prégnante du progrès chez Descartes et à plus forte raison chez Pascal. Et puis l'idée de progrès est beaucoup plus anicenne: elle est par exemple à la base de tout le courant humaniste (cf la pédagogie humaniste qui a foi en les prgrès de l'élève qui permettra un progrès de la connaissance en général). En revanche, tout à fait d'accord avec vous sur la querelle des Anciens et Modernes qui sur ce point est l'héritière directe des ambiguïtés de l'humanisme (pour qui le progrès passe par un retour à l'antique) [Voir sur ce point le récent livre de Levant Yelmaz intitulé Le Temps moderne, Gallimard 2005)..

Citer :
Elle culminera au XVIIIe siècle avec l’ « Encyclopédie » dont Diderot justement fut le directeur.

Elle culmine surtout avec Condorcet et son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain.

Citer :
Le mouvement libertin très épris de sciences et de libertés politiques avait déjà fait son apparition sous louis XIV.

Le mouvement libertin (Sorel, Cyrano, Saint-Amant, etc.) triomphe surtout sous Louis XIII et la condamnation à mort de Théophile de Viau tend à le freiner sérieusement sous le règne de Louis XIV.

Citer :
Mais, c’est bien sous Louis XIV que les sources d’oppositions commencent à prendre un sens même si elles ne se cristalliseront qu’avec les philosophes du XVIIIème siècle.

C'est un peu une évidence: comment s'opposer à "l'absolutisme" avant même qu'il exite? Avant Louis XIV, on ne peut que trouver des inspirations puisque le mouvement libertin du XVIIe par exemple n'est pas tant une opposition à "l'absolutisme" qu'une victime de l'avénement de celui-ci.


Citer :
En quoi Molière aurait-il réellement été un "ancêtre" des lumières? Certes, il attaque des institutions, notamment l'institution religieuse avec "Tartuffe" et "Dom Juan", mais Molière, protégé de Louix XIV est "au-dessus de la cour dont il se moque royalement à travers "Le Bourgeois gentillhomme" ou "Les précieuses ridicules". Il dîne à la table du roi (grand privilège!). Et c'est justement le fait de se moquer de la cour qui le fait aimer de Louix XIV (qui lui veut dominer et contrôler cette cour!). En quoi donc Molière pourrait - ou ne pourrait pas être considéré comme un "ancêtre des lumières"? Y-a-t-il chez lui une quelconque volonté d'évolution sociale si ce n'est que les jeunes hommes et les juenes femmes qui s'aiment puissent se marier librement, choses certainement "révolutionnaire" mais tout de même?...

Molière n'est pas Beaumarchais et voir en lui un révolutionnaire me semble anachronique: Molière ressasse les thèmes du théâtre de son siècle et il ne dénonce pas le système politique en place mais les grands "vices" des hommes (avarice, hypocrisie, etc.). On trouve la même chose déjà chez Ben Johnson un siècle plus tôt et de l'autre côté de la Manche.

Citer :
Pour La Fontaine, même problème

Non La Fontiane n'est pas un ancêtre des Lumières mais un proche parent des Moralistes de son siècle. Et puis n'oublions pas que ces critiques envers la justice de son temps sont essentiellement dû au protectorat de Fouquet.

_________________
"Il est plus beau d'éclairer que de briller" (Thomas d'Aquin).


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Message Publié : 27 Août 2005 19:25 
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Inscription : 15 Fév 2005 1:19
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C'est justement ce que je voulais entendre.

Ce que je voulais dire c'est que - sans désacraliser Molière ou La Fontaine - on nous les a peut-être mis à travers l'école à une place qui n'est pas la leur justement. On nous les a présentés trop souvent comme "révolutionnaires" pour leur siècle ce qui n'est effectivement pas forcément vrai. Ceci dit, comment en parler à travers cette phrase de Diderot "Nous avons eu des ancêtres sous Louix XIV" sachant que La Fontaine et Molière sont par principe incontournables dans leur siècle ?


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Message Publié : 27 Août 2005 19:58 
Et Bartholomé de Las Casas, n'est -il pas un précurseur des Lumières?


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Message Publié : 24 Août 2008 19:17 
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Plutarque
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Inscription : 24 Août 2008 16:03
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Pour relancer ce sujet :

Si, comme l'école de la République l'apprend depuis longtemps, on retient des Lumières l'Encyclopédie, il faut entre autres remonter à Pierre Bayle et son Dictionnaire historique et critique, référence reconnue par tous, notamment Voltaire ! Si l'on parle de Voltaire, on pense alors à la tolérance, et encore une fois, nous retrouvons Pierre Bayle, avec cette fois le Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ "Contrains les d'entrer".

Pour évoquer les influences des Lumières, précisons d'abord que depuis une trentaine d'années, les historiens des idées et/ou philosophes s'accordent sur la définition de deux "types" de Lumières : les Lumières radicales et les Lumières modérées. Les premières peuvent être qualifiées de "branche libertine et athée", la seconde de "courant moraliste normatif".

Selon Panajotis Kondylis, un historien grec, les Lumières - radicales et modérées - sont précédées par une phase de l'histoire intellectuelle qu'il a qualifiée de rationalisme moderne ("neuzeitlichen rationalismus"). Durant cette période, Kondylis met en avant le rôle de Spinoza. Il s'inscrit dans une perspective totalement différente de celle choisie par Jonathan Israel, qui fait de Spinoza et de son système - le spinozisme - le cœur des Lumières radicales.

La position d'Israel est critiquée, notamment par Pierre-François Moreau, qui pose de manière ironique la question suivante : "Spinoza est-il spinoziste ?" Moreau insiste sur le fait qu'Israel présente, sous le terme de spinozisme, des systèmes de pensées qui ne sont pas compatibles avec certaines idées de Spinoza. Ce que met en avant Pierre-François Moreau, c'est l'omission d'un élément fondamental de la pensée de Spinoza : l'évaluation positive de la religion. De la lecture spinoziste de la religion, la tendance est de mettre en avant la critique de la superstition. C'est oublier que Spinoza distingue dans la religion trois éléments positifs : la justice, la charité, la reconnaissance d'un credo minimal. Moreau écrit ainsi : « À propos de la religion révélée, Spinoza prend systématiquement une tierce position. Les deux camps des Lumières luttent pour le déclin de la religion révélée […]. [De son côté], Spinoza montre, d’une part, que la religion révélée, à cause du caractère ambivalent de la connaissance par l’imagination dont elle relève, peut être l’arme la plus efficace dans les mains de ceux qui tentent de dominer la multitude. Mais d’autre part, il y a un noyau dur de convictions religieuses dans toutes les religions révélées qui incitent l’homme à obéir à Dieu en prenant soin de leurs prochains. […] Ce qui importe ce n’est pas de viser la mort de la religion révélée mais de ménager un culte permanent de la vraie religion, par opposition à la superstition » (Pierre-François MOREAU, « Spinoza-est-il spinoziste ? », in Catherine SECRETAN, Tristan DAGRON et Laurent BOVE (dir.), Qu’est ce que les Lumières “ radicales ” ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, p. 304-305. Pour ceux qui s’intéressent à cette question des sources des Lumières, cet ouvrage est une véritable mine. Je tire en grande partie mes réflexions de la lecture des articles de Moreau et Walther).

Spinoza propose donc une lecture fine de la religion, qui l’amène à développer dans le Traité théologico-politique le concept d’orthopraxie. De cette notion, Spinoza donne lui-même la définition la plus claire qui soit : « Il suit enfin que la Foi requiert moins des dogmes vrais que des dogmes pieux » (Spinoza, TTP, Paris, Flammarion, 2005, ch. XIV, p. 242. Il convient de noter que le terme d’orthopraxie ne se trouve pas sous la plume de Spinoza : il a été forgé au XXe siècle). Or, avec ce concept d’orthopraxie, nous retrouvons Pierre Bayle, la référence occultée par l’éclat des Lumières, si l’on me permet l’image ! En effet, Élisabeth Labrousse a montré qu’en invoquant les « droits de la conscience errante » dans le Commentaire philosophique…, c’est bien l’avènement de l’orthopraxie qu’assure le protestant exilé à Rotterdam. Avec l’orthopraxie, Spinoza et Bayle se place « au-delà de la tolérance » (cf. Jacqueline LAGREE, « Spinoza et la question de la tolérance », http://www.librairiedialogues.fr/dossiers.php?theme=2&id=45). En effet, ce n'est plus accepter l'autre à défaut de pouvoir l'éliminer qui prévaut (la "tolérance de dissentiments"), mais le respect mutuel des individus et des croyances de chacun.

Ainsi, en remontant la généalogie du concept de tolérance, mis en avant par les philosophes des Lumières, nous retrouvons deux de leurs références ou « ancêtres » : Spinoza et Bayle. Si ce dernier est lu et relu par les Voltaire et autres Diderot, les leçons qu’ils en tirent sont d’ailleurs en demi-teintes : plusieurs spécialistes de Bayle soulignent que ce dernier va plus loin que ses successeurs du XVIIIe, précisément sur la question de la tolérance.

_________________
L'avantage avec le passé, c'est qu'il est passé.
"Je pense donc je suis". Mieux vaut donc ne pas penser.
Personne n'est revenu de la mort. Pas fou.
- Paul Rancoeur -


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Message Publié : 13 Août 2011 19:06 
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Pierre de L'Estoile
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Inscription : 09 Juin 2010 14:22
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Bonjour,

Ayant déjà dit ailleurs que je gardais un retrait avec l’idée que le siècle des lumières soit réellement « la naissance de l’opinion publique », par honnêteté et pour laisser place à la contradiction je signale cet article dont voici la thèse :

Notre hypothèse est la suivante : l’avènement de la réflexion sur le sens que l’on peut accorder au siècle de lumières correspond à un moment où se constitue un tribunal, qui, plutôt que tribunal de la raison, se donne comme un tribunal de l’opinion voué à jugé certaines productions de l’esprit et à attester ou non de ses progrès


http://revolution-francaise.net/2009/03 ... n-publique

Bien à vous

_________________
et tout le reste n'est que littérature


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