La démocratie est le sujet. Or, je n'ai parlé que d'elle. Si je cite Tocqueville, ou plutôt si je l'explicite, c'est qu'il a été le grand penseur de cette notion aussi fréquemment invoquée que mal saisie. Son oeuvre princeps s'intitule "De la démocratie en Amérique" et son autre ouvrage, "L'Ancien Régime et la Révolution", ne parle que d'elle aussi. Il est allé jusqu'à parler de sa monomanie. Or, l'histoire comparative est passionnante. Pour moi, elle l'est. Je tiens pour acquis que c'est la vocation profonde des études historiques que de fournir des éléments de comparaison à la façon qu'on a de vivre ensemble. Des façons de vivre ensemble, il en a existé un très grand nombre, mais, d'un autre côté, il peut sembler qu'il n'y a jamais eu que quelques idéal-types déjà discernés par Aristote: démocratie, oligarchie, tyrannie. Soit un seul, soit quelques uns, soit tous ... Quelques penseurs ont continué à chercher une "logique" à l'histoire : Cicéron, Machiavel, Hobbes, Locke, Montesquieu, Rousseau, Jefferson, Constant, Stuart Mill, ... Tocqueville. Ce que ce dernier a apporté par rapport à ses prédécesseurs, c'est la distinction (encore maladroitement exprimée, d'ailleurs) entre la démocratie politique (elle a existé dès l'Antiquité) et la démocratie sociale qui, elle, est un phénomène moderne et réellement indépendant de l'autre. C'est en matière de démocratie sociale que l'Amérique a été puissamment novatrice. Où furent sa noblesse, son "clergé", sa "bourgeoisie, ses "masses populaires" ? Elle a, d'emblée, construit une société sans classes autres que raciales. Jusque-là, l'égalité des conditions, n'avait existé qu'en rêve, chez St Paul, par exemple quand il disait: "Il n'y a plus ni hommes ni femmes, ni Juifs ni gentils, ni hommes libres ni esclaves : nous sommes tous "un" en Jésus-Christ". (Mais peut-être va-t-on me trouver "axiologique"...) Or, cette distinction entre la démocratie politique et la démocratie sociologique (ou sociale-morale) est merveilleusement performante pour expliquer les deux derniers siècles et ce qui a différé entre l'Europe et l'Amérique. L'Amérique, qui avait en même temps les deux démocraties, a ignoré le totalitarisme, mais l'Europe qui a prétendu acquérir la démocratie politique avant d'avoir installé la démocratie sociale a payé sa prétention au prix fort. Au prix des révolutions, des totalitarismes et des deux guerres mondiales.
Suis-je hors sujet ?
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