Bon, si vous considérez que cela tourne au dialogue de sourds, c'est problématique. De plus, j'ai conscience que ma position est difficile à admettre pour des "scientifiques". Enfin, nous sommes dans un forum histoire, et non science -mais on peut considérer, peut-être, que nous parlons bien d'histoire des iédes.
Je vais essayer une dernière fois, au moins pour tenter de vous faire comprendre où se situe le blocage -amha.
Les "scientifiques" sont persuadées qu'ils ne traitent que des faits. Des lors, disent-ils, où est le problème ? Nous ne faisons que professer la vérité, au reste de la société de faire avec. Nous ne pouvons être tenus pour responsables de la vérité.
A cela, on peut répondre au moins trois choses.
La première, c'est que la science ne fait pas que des découvertes factuelles.
Quand des scientifiques travaillent sur le programme Manhattan, ils savent qu'ils travaillent sur une application, qui de plus, consiste en une bombe atomique, dont ils mesurent relativement bien les enjeux -du moins, il faut l'espérer pour eux. C'est un exemple. Ils le font quand même, pour des raisons qui leur appartiennent, mais qui n'ont rien à voir avec la vérité -du moins, pas celle que vous évoquiez, n'est-ce pas ?
Voici un premier point sur lequel il est possible de questionner directement l'éthique de scientifiques, qui n'en sont pas moins des hommes, responsables : Une grande part ne travaile pas sur la recherche fondamentale, mais applicative, et ils sont donc relativement capables de mesurer les enjeux.
Ceci nous amène à la seconde objection qui est que, dans ce simple raisonnement de la neutralité factuelle de la science, il y a un élément induit que je conteste : Le scientifique et le citoyen sont deux êtres différents. Vous dites : "Le scientifique n'a pas a se poser de questions sur l'utilisation de la science, il laisse cela au citoyen". Je dis : "Il n'y a pas d'un côté le scientifique, par nature irresponsable, et le reste des citoyens, responsable. Le scientifique est aussi un citoyen responsable, et s'il ne l'est pas, il devrait l'être, exactement au même titre que les autres citoyens. Mais de plus, c'est un citoyen mieux informé que les autres, et personne n'est mieux placé que lui pour évaluer les enjeux éthiques liés à son propre travail."
En d'autres termes : Vous avouerez tout de même qu'il est plus raisonnable et légitime d'espérer que les scientifiques soient des citoyens, plutot que les citoyens deviennent du jour au lendemain, des scientifiques. C'est que cela prend un peu plus de temps, voyez-vous...
Troisièmement, et c'est peut-etre le plus important : La science ne se limite pas aux faits, avérés, prouvés, certains. Cela, c'est tout simplement faux. La preuve : Si tel était le cas, vous ne discuteriez même pas du principe de précaution. N'est-ce pas ?
En réalité, la science repose sur le "risque", comme le dit très bien Diablophil. Ou dit autrement : La recherche s'articule sur des hypothèses, et le faillibilisme a définitivement assis l'idée que toute hypothèse est vraie a priori -tant qu'il n'a pas été démontré qu'elle était fausse.
Vous voyez bien qu'on est ici dans une conception toute différente de la science telle que vous semblez l'entendre : Non, Yoda, il y a bien longtemps que la science ne se limite plus aux vérités vraies, prouvées, factuelles. La science, aujourd'hui, énonce des hypothèses, qui sont a priori, et avant toute vérification, considérées comme vraies. La charge de la preuve est désormais du côté de celui qui veut démontrer que l'hypothèse est fausse.
Ca a l'air de rien, comme ca, mais je peux vous dire que cela change tout.
Vous dites par exemple : La thèse du gène égoiste ne me dérange pas. Pourquoi pas ? Moi aussi, je la trouve intéressante, je l'ai dit dans un autre topic.
Mais il se trouve que Dawkins ne s'est pas arrêté là. Il a aussi appliqué son modèle au social -bien entendu- et théorisé ce qu'on appelle la mémétique. Théorie (hypothèse si vous voulez, quelle différence aujourd'hui) reprise par quelqu'un comme D.Sperber, avec son immunologie des Institutions, le même qui dit, en gros, qu'il faut unifier les sciences sous la férule d'un matérialisme fort. C'est bien joli, mais tout cela part d'une théorie, le gène égoiste, qui nie absolument la moindre autonomie à l'être humain, qui l'exclue même de son champs d'étude. Cela vous semble-t-il anodin ? Mais tenez, un autre tenant du matérialisme fort, un J.P. Changeux par exemple -puisque je viens d'assister tout récemment à l'une de ses conférences- rapproche tout naturellement le programme de recherche du matérialisme fort d'un autre matérialisme, historique celui-la, et nous dit en gros que les neuro-sciences ont plutôt tendance a donner raison au marxisme. Voyez ? J'ai pris cet exemple pour faire plaisir à nos amis libéraux, j'aurai pu en prendre beaucoup d'autres et vous-mêmes, à l'autre bout du spectre politique, vous aviez cité l'eugénisme.
Voyez-vous ce que je veux dire : Les sciences ne sont pas neutres ! Absolument pas ! Elles sont au contraire l'un des creusets privilégiés des idéologies au sein de nos sociétés occidentales. Il y a selon moi, pardonnez-moi, une grande naïveté à croire en ce discours de l'irresponsabilité de la communauté scientifique. Et quand on est scientifique soi-même, je suis désolé d'être tranché, mais je crois qu'il y a une certaine malhonneteté à le propager. Je fais "l'économie du cynisme" comme dirait un autre néo-marxiste, et je considère que les scientifiques ne prennent pas forcément conscience eux-mêmes de cette responsabilité qui leur incombe. Mais du coup, je crois qu'il ne faut jamais manquer une occasion de leur rappeler -même si cela leur est fortement désagréable, ce que je comprends très bien ;)
Allez, promis, j'arrete là.
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