Sur un fil consacré à la femme, il serait dommage de ne pas parler d'amour !
Je ne connais pas bien cette question assez complexe de
l'amour courtois qui apparaît au XIIe siècle mais il faut le citer au moins.
Dans le fil de Rapentat :
http://passion-histoire.net/phpBB3_Fr/v ... highlight=Diadok aborde la vision peu flatteuse qu'avaient les Romains de la femme et de l'amour. Quel contraste avec celle de la Dame, juge de la
cour d'amour ! Là encore, l'influence chrétienne a dû jouer puisqu'il me semble que le culte marial, qui prend son essor à la même époque, est en rapport.
Seulement cette image de la femme va se trouver en concurrence avec une autre vision. Pernoud montre un contraste saisissant dans les écritures successives du
roman de la Rose. Vous en trouverez plus ici sur la querelle, révélatrice du changement de mentalité, entre Christine de Pisan et l'Université de Paris :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_de_la_RoseC'est dans la deuxième partie de ce roman, ajoutée par Jean de Meung, qu'on trouve ce fameux quatrain :
«
Toutes estes, serez, ou fustes
De fait, ou de volonté, putes
Et qui très bien vous chercheroit
Putes toutes vous trouveroit. »
Il faut parler de
l'Université de Paris, dont le rôle historique important échappe à quelques uns (lire à ce propos "
Les intellectuels au moyen âge" de Le Goff).
D'abord suscitée et contrôlée par la papauté, elle va acquérir un prestige immense à travers l'Europe. Elle deviendra un acteur politique et religieux de premier plan. Si on l'embête, elle se met en grève (et oui, déjà ! ). Elle jouera un rôle grandissant dans la vie intellectuelle du XIIe au XVe siècle, formant les élites. Comme tout groupe constitué, elle va tenter de gagner plus d'autonomie par rapport à la papauté mais ne réussira qu'à passer étroitement sous le contrôle de la monarchie, après s'être illustrée détestablement dans la collaboration avec les Anglais au XVe s. (Jeanne d'Arc). Je ne m'éloigne pas du sujet car je vais y revenir.
Or, je vois trois influences anti-féminines dans l'Université :
D'abord, elle est constituée de clercs où il existe une tradition d'image négative de la femme, (tentatrice, coupable du pêché d'origine, etc) qui se retrouve sous la plume de nombreux auteurs chrétiens. Rapidement, je subodore que nombre d'entre eux l'ont fait pour une raison très humaine : cracher dans la soupe que l'on ne peut goûter. Certain a même parler de "sac de fiente". Mais je discerne un fort écart entre discours et réalité.
Par exemple vous vous souvenez de Grégoire VII qu'on a vu réfugié chez Mathilde ? Eh bien quand il était moine il a dit des trucs pas sympas sur les femmes… Mais une fois au pouvoir il s'est appuyé sur qui il pouvait ! Pragmatisme ! :roll:
Ensuite le fait que socialement, c'est une communauté d'hommes jeunes, la plupart célibataires pour les étudiants mais aussi chez les maîtres. Un certain esprit commun va en résulter d'autant qu'on sait qu'il y a un déséquilibre du sex-ratio dans les villes : beaucoup plus d'hommes célibataires. Un esprit assez joyeux d'ailleurs, un peu paillard, et qui s'en raconte. On note une tradition
goliardique au XIIe-XIIIe s.: critique de la société et de l'Eglise, éloge du jeu du vin et de l'érotisme jusqu'à l'obscénité, éloge de la supériorité sexuelle du clerc sur le paysan ou le chevalier, nos Goliards sont des étudiants très modernes ! Mais l'image de la femme est très très loin de la tradition courtoise… Et les maîtres sont d'anciens étudiants.
Abélard, ancien goliard, se montre extrêmement embarrassé par le mariage avec Héloïse qui le discrédite dans son milieu (Le Goff s'appuie sur E. Gilson pour l'affirmer).
On retrouve d'ailleurs dans le roman de la Rose de Jean de Meung cet esprit mi philosophico-mi paillard.
Troisièmement, dans la nature de l'enseignement on va voir l'influence croissante de Platon et d'Aristote (je me demande d'ailleurs quelle est la place de la femme dans
l'averroisme). Or comme on l'a vu, dans la pensée des auteurs antiques ne peut se trouver des éléments favorables à la femme.
On voit donc que rien, absolument rien dans les influences reçues par l'Université ne peut la conduire à défendre le statut et l'image de la femme. Le clash avec Christine de Pisan, femme de plume et de culture, était inévitable.
En reprenant librement le mot de Rapentat, cela me fait penser que l'Université est bourgeoise, citadine et fière de l'être, et que l'amour courtois me semble plutôt du côté rural et féodal… Dans ces siècles on verra l'essor de la bourgeoisie parallèlement au déclin de la noblesse/chevalerie. Je constate que tout aussi parallèlement l'amour courtois va disparaître tandis que la vision négative de la femme et de l'amour va s'insinuer…
D'autres facteurs, peut-être encore plus déterminants, vont jouer pour réduire la femme à une position marginale dans la société.