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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 30 Oct 2009 18:59 
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Eginhard
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Pédro a écrit :
L'or (jaune) symbolisait la richesse noble, la prodigalité, mais également à l'inverse la cupidité.



Bonsoir. Je souhaiterais ajouter une petite précision à l'intervention de Pédro.
:!: Attention à ne pas confondre or et jaune, comme le précise Michel Pastoureau : alors que l'or est une couleur noble, le jaune a "mauvaise réputation". Voici un extrait de son ouvrage (co-écrit avec Dominique Simonet), Le petit livre des couleurs, Points Seuil, 2005, p 80:
(par rapport à la désaffection que connaît la couleur jaune) "Il faut remonter au Moyen-Age. La principale raison de ce désamour est due à la concurrence déloyale de l'or: au fil du temps, c'est en effet la couleur dorée qui a absorbé les symboles positifs du jaune, tout ce qui évoque le soleil, la lumière, la chaleur, et par extension la vie, l'énergie, la joie, la puissance. L'or est vue comme la couleur qui luit, brille, éclaire, réchauffe. Le jaune, lui, dépossédé de sa part positive, est devenu une couleur éteinte, mate, triste, celle qui rappelle l'automne, le déclin, la maladie..."
Par ailleurs, "contrairement aux autres couleurs de base, qui ont toutes un double symbolisme, le jaune est la seule à n'en n'avoir gardé que l'aspect négatif".
Mais comme vous le précisiez Pédro, les autres couleurs de base ont un double symbolisme. :wink:

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[...] Te raconter enfin qu'il faut aimer la vie
Et l'aimer même si le temps est assassin
Et emporte avec lui les rires des enfants
Et les mistrals gagnants...

Renaud, Mistral gagnant, 1985.


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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 30 Oct 2009 19:22 
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Jean-Pierre Vernant
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Merci bien pour cette précision! Pastoureau est vraiment passionnant ; j'aimerais vraiment avoir le temps de m'y plonger! J'ai vu qu'il avait écrit un ouvrage sur l'Ours au Moyen Âge ; entre symbole de force et bête démoniaque (cf sa ressemblance avec l'homme...) ce doit vraiment être sympathique à lire.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 30 Oct 2009 19:27 
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Eginhard
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Inscription : 30 Oct 2009 17:55
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Il me semble que ses premiers travaux ont porté sur l'héraldique, mais je ne les ai pas lu... C'est en tout cas un auteur agréable à lire, un érudit qui doit être passionnant à écouter. :)

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 30 Oct 2009 19:29 
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Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
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Soupir... cela laisse rêveur en effet ; pour ma part j'ai lu un de ses ouvrages sur l'héraldique dans l'édition Découverte Gallimard. Juste magistral... C'est le genre d'historien intelligent, intéressant, fasciné par son travail et qui sait le partager. En bref une belle leçon pour nous autres apprentis!

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 30 Oct 2009 19:41 
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Eginhard
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Inscription : 30 Oct 2009 17:55
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Je partage votre point de vue sur ce grand historien.

Y a t-il des membres du forum qui ont lu ces travaux sur l'héraldique (et où le symbolisme des couleurs a évidemment une place très importante) ?

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 30 Oct 2009 23:43 
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Jean Mabillon
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Barak Obamo a écrit :
un érudit qui doit être passionnant à écouter.

Hop! C'est comme si c'était fait:
http://www.radio-canada.ca/radio/indica ... 1287.shtml


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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 31 Oct 2009 0:00 
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Eginhard
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Inscription : 30 Oct 2009 17:55
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Enki-Ea a écrit :
Barak Obamo a écrit :
un érudit qui doit être passionnant à écouter.

Hop! C'est comme si c'était fait:
http://www.radio-canada.ca/radio/indica ... 1287.shtml


Je vous remercie pour ce lien ; je vais maintenant prendre le temps de l'écouter. D-)

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 04 Déc 2010 0:07 
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Inscription : 13 Mars 2006 10:38
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Michel Pastoureau donnait mercredi dernier 1er décembre une passionnante conférence sur « Les couleurs à l’aube des temps modernes », dans le cadre de l’exposition France 1500 ; l’auditorium du Grand Palais était archi-comble (mais il n’est pas bien grand, 200 à 300 personnes tout au plus), et, ayant eu la chance d’obtenir un sésame, j’ai pensé que ce sujet vous intéresserait ; en voici donc un compte-rendu (à partir de notes bien sûr et non d’un enregistrement, aussi toute erreur ou mauvaise interprétation serait de mon fait. De même, le découpage du propos en parties et sous-parties est une reconstruction personnelle, qui m’a paru nécessaire pour la clarté de l’exposé, le texte écrit ne pouvant traduire le ton et la scansion de l’oral, qui suggèrent bien mieux le plan. Quelques réflexions personnelles apparaissent aussi entre crochets et en italique)

I. VOIR LES COULEURS HIER ET AUJOURD’HUI

1. Le temps a passé, la lumière a changé

Après avoir défini l’aire (Europe occidentale) et la fourchette chronologique (1485-1515) de son propos, M. Pastoureau explique d’abord que nos ancêtres alors ne voyaient pas ce que nous voyons aujourd’hui, ne serait-ce qu’en raison du passage du temps, qui défraîchit les couleurs (sur les tapisseries en particulier), et efface les polychromies.
L’éclairage aussi est fort différent : la flamme et l’électricité ne restituent pas les couleurs, et surtout les formes, de la même façon : la flamme qui bouge donne un effet cinétique à l’œuvre ou l’objet, qui lui est pour ainsi dire inhérent, intégré aussi par le concepteur, et qui n’apparaît pas sous la lumière stable des équipements modernes. Cela est particulièrement important en ce qui concerne les grandes surfaces, où les zones éclairées contrastent avec le clair-obscur.

2. Une autre conception des couleurs

Nos savoirs actuels sur la théorie des couleurs reposent aussi sur une base bien plus scientifique qu’autrefois ; les expériences sur le prisme menées par Newton (mise en évidence du spectre de la lumière blanche) sont encore à venir, et il n’est pas question alors de couleurs primaires, secondaires ou complémentaires. Cela pose d’ailleurs un problème épistémologique pour l’étude historique des couleurs, des conclusions erronées pouvant être déduites de connaissances théoriques actuelles ou de modes de pensée inconnues des créateurs des époques antérieures.
Ainsi, l’ordre des couleurs au tournant des XVème et XVIème siècles était encore le classement aristotélicien blanc-jaune-rouge-vert-bleu-noir, avec des demi-couleurs ou mélanges qui nous surprendraient fort : le violet par exemple était conçu comme un mélange rouge/noir ou bleu/noir, et non bleu/rouge comme aujourd’hui. De même, personne n’aurait pensé avant le XVIème siècle à obtenir du vert par un mélange jaune-bleu ; M. Pastoureau l’explique en grande partie par la séparation physique des cuves des teinturiers, répondant à une séparation des spécialités entre, par exemple, teinturiers du rouge et teinturiers du bleu ; il précise par ailleurs que les conflits entre eux étaient d’ailleurs fréquents car il régnait au bord des cours d’eau une véritable compétition pour l’utilisation de l’eau, une eau rougie ou bleuie en amont gênant le travail du teinturier d’aval [je n’ai pas osé poser la question, mais il me semble fort probable justement que par accident on se soit rendu compte dans ce cas de l’efficacité du mélange bleu/rouge ou vert/jaune pour obtenir du violet ou du vert… Quelques recherches postérieures en revenant de cette conférence m'ont appris aussi qu'il aurait pu exister aussi des interdits religieux aux mélanges de couleurs].
Comme témoin de cette appréhension des couleurs, si différente de la nôtre, en particulier dans la hiérarchisation qu’il y introduit, M. Pastoureau convoque Jean Robertet (+ 1503)auteur du poème L’exposition des couleurs, sans le citer in extenso, mais le voici en intégralité:

Le blanc
Entre toutes couleurs suis la premiere,
Humilité signiffie et simplesse,
Dont le lys blanc est des fleurs la maistresse :
Saincte Escripture en donne foy planiere.

Bleue
Et moy qui suis de coulleur celestine,
Dont fin azur a son pris et valleur,
Signiffiant loyaulté pour meilleur,
Je doy au blanc par droit estre voisine.

Rouge
Rouge ne doit des autres couleurs moindre
Soy repputer, car il monstre victoire,
Pompe, orgueil, arrogant veyne gloire,
Qui ne peult hault et bas ne veult descendre.

Gris
Je qui suis gris signiffie esperance,
Coulleur moyenne de blanc et noir meslée ;
Et soye seulle ou à autre assemblée,
Le moyen tiens en commune actrempence.

Vert
A l'esmeraulde ressemble precieuse,
Me delectant en parfaicte verdeur ;
Mal seant suis avec noire couleur
Et n'appartiens qu'à personne joyeuse.

Jaulne
De rouge et blanc entremeslez ensamble,
Ma coulleur est ressemblant à soucie ;
Qui joyra d'amours ne se soussie,
Car il me peult porter se bon luy semble.

Violé
Je suis de noir et rouge composée
Coulleur viollée ainsi m'appelle l'on.
Vestu en fut le traistre Gannellon,
Dont par le monde encor suis diffamée.

Tanné
Je porte ennuy en couverte pencée,
Car ma coulleur est de sorte terrestre,
De faitz et ditz qui doubteux peuvent estre,
je suis changeant et de peu de durée.

Noir
Je signiffie dueil et merencolie,
Desplaisance, tristesse, aspre courroux ;
Obscure noire coulleur desplaist à tous ;
Qui son cueur taint en moy fait grant folie.

Riolépiolé
Et moy qui suis riolé piolé,
Broille meslé de rouge, noir et blanc,
Comparé suis de sorte à Faulx Semblant,
Qui a maint homme destruit et afollé.

L'acteur
Prince, qui veult porter coulleur diverse
En devise, cecy luy peult valloir ;
Chascun choisisse et preigne à son vouloir :
Quant est à moy, j'ay prins la blanche et perse
.


Il fait à cette occasion à nouveau remarquer le cas du jaune, présenté par Robertet comme l’alliance du rouge et du blanc, ce qui nous semble contraire à toute expérience (on obtiendrait bien évidemment du rose). De même, il indique que le bleu était alors considéré comme une couleur chaude, et revient sur le danger épistémologique qui pèserait sur une analyse qui oublierait cette conception. Enfin, il fait remarquer la place privilégiée du blanc, considérée alors comme une couleur à part entière, tandis qu’à la suite des travaux de Newton, le blanc deviendra une « non-couleur ».

3. Donc des précautions de méthodes et d'interprétation nécessaires

M. Pastoureau conclut ce chapitre sur la vision des couleurs hier et aujourd’hui en évoquant les œuvres choisies pour l’exposition « France 1500 », et attire notre attention sur le double écueil qui pourrait égarer le spectateur non averti : d’abord que ce sont des œuvres choisies pour leur représentativité certes, mais aussi pour leur beauté, et surtout que les vêtements portés par les personnes représentées sont des vêtements d’apparat, voire des vêtements rêvés, donc à ces égards documents doublement trompeurs ; il ose alors une comparaison temporelle audacieuse mais percutante en se mettant dans la peau d’un archéologue du futur étudiant couleurs et vêtements du début du XXIème siècle à partir d’un corpus constitué de revues de mode « branchées », et en en généralisant l’usage à la plupart des contemporains… [ce qui déclenche des rires dans la salle, en particulier, ai-je noté, chez dames et demoiselles].


II. AUTOUR DE 1500 : UNE TRANSITION INACHEVEE DANS LE DOMAINE DES COULEURS

L’époque choisie pour cette exposition, autour de 1500, est particulièrement délicate à traiter dans le domaine des couleurs ; elle se situe en effet avant les profondes mutations intellectuelles provoquées dans ce domaine par les réformes protestantes,avant aussi, sur un plan commercial et technique, la massification (après 1530-1540) des importations de pigments américains et asiatiques, deux phénomènes capitaux qui fixeront pour longtemps la conception, la fabrication et l’usage des couleurs, au moins jusqu’au XIXème siècle et les progrès de la chimie. Par contre, elle se situe après, et a même complètement intégré, l’apparition de l’imprimerie, qui fait entrer l’homme du XVIème siècle dans le monde du noir et blanc. Ce sont ces facteurs de mutation que M. Pastoureau a choisi de développer dans une deuxième partie.

1. Les principaux pigments

Vers 1500, l’élaboration des couleurs reste encore largement tributaire des plantes et matières tinctoriales européennes : non seulement, comme il a été dit, les plantes américaines ne sont pas encore parvenues en Europe, mais les difficultés d’approvisionnement de produits exotiques venus d’Asie vont croissant en raison des bouleversements géopolitiques qui affectent l’Orient depuis le milieu du XVème siècle.
Ainsi, le lapis-lazuli afghan (pour le bleu) déjà rare et cher, devient hors de prix ; il n’est utilisé que pour les petites surfaces, par les enlumineurs notamment ; pour les surfaces plus grandes, on y supplée par l’azurite, un carbonate de cuivre, ou par le smalt, un oxyde de cobalt, mais ce dernier vieillit mal et vire au brun.
L’indigo de Ceylan est particulièrement difficile à trouver, on se contente encore du pastel ou de la guède, l’indigo d’Amérique n’arrivera pas avant 1600.
Pour les rouges, la garance reste la plus utilisée, avec le kermès et avant l’arrivée de la cochenille ; le rouge rosé est obtenu par le Bois de Bresil originaire de Ceylan [remarque: je dois avouer ici de ma part un moment de flottement, le « Pau brasil » étant pour moi bien originaire du Brésil, puisqu’il lui a même donné son nom, mais après vérification, il s’avère que le maître ne se trompait pas, ce bois (« bois de braise », « brasa » en portugais) provenait bien de Ceylan, et c’est pour en avoir trouvé un specimen très proche en Amérique du sud que les Portugais l’ont nommé de façon identique]. Plus tard, le rouge orangé sera obtenu avec le rocou américain.
Le principal problème est celui du vert, très difficile à obtenir (il n’y a guère que la malachite) et de plus très instable (le vert se fixe mal et devient « pisseux »). Cette caractéristique fâcheuse en fait une teinte à part, connotée très défavorablement, et il se peut que cette instabilité chimique soit à l’origine du fait que le vert soit symboliquement marqueur d’instabilité morale, la couleur des marginaux, fous, magiciens, voleurs…
Des essais sont tentés pour créer de nouveaux pigments, comme le jaune d’étain à la place de l’orpiment très toxique, et on trouve des mentions de vert obtenu par mélange d’orpiment et d’azurite, mais il semble que ce ne soit que dans des traités théoriques sans implication pratique (comme par exemple ceux de Léonard de Vinci).
Comme le vert, le blanc et le noir se fixent mal sur les textiles ; les vêtements de teinte noir profond qu’on peut admirer sur les tableaux ne sont que vues de l’esprit. M. Pastoureau insiste sur le fait qu’en réalité, même pour des objets de très bonne qualité, dans la vie courante, on ne voyait que des niveaux de gris.

2. L’irruption du noir et blanc

La diffusion du livre et de l’image imprimés crée un bouleversement chromatique dont on peine à avoir idée aujourd’hui : on entre dans le monde du noir et blanc, même si au départ, les bois gravés sont encore souvent aquarellés ; c’est vraiment dans l’édition la fin de la polychromie jusqu’au XXème siècle.
Auparavant en effet, le couple noir et blanc était rare dans la figuration (quelques animaux tout au plus, dont la pie) et le textile (l’exception est l’habit des Dominicains). Même l’échiquier ne connaissait pas le noir et blanc, les cases en étaient rouges et blanches ; le rouge jouait en fait le rôle du noir aujourd’hui comme le contraire du blanc.

3. Contre la couleur, un courant moralisateur

Ce courant moralisateur est en fait ancien (pensons à Saint-Bernard) et classe les couleurs en catégories plus ou moins morales.
Il se manifeste particulièrement à notre époque, celle de l’exposition, par de multiples lois somptuaires émanant le plus souvent des municipalités, et vise à lutter contre la déviation morale du « paraître », et plus encore cherche à ce que chacun « reste à sa place ». Rien de plus perturbateur pour l’ordre social et source de scandale que l’on porte des vêtements au-dessus de sa condition, c’est-à-dire en général plus colorés qu’il ne convient. Mais au-delà, c’est une condamnation du vêtement en tant que tel, comme symbole du péché originel, qui est portée : au paradis terrestre, avant la faute, Adam et Eve étaient nus.
Chacun à sa place : Le Blason des couleurs, rédigé au XVème siècle, expose longuement dans sa deuxième partie (vers 1480-1490), comment doit se vêtir chacun et quelles couleurs il doit porter selon sa condition.
Si certaines couleurs ou certains motifs (rayures en particulier) étaient interdits à certaines professions, d’autres leur étaient réservés : les prostituées devaient arborer des couleurs voyantes (donc du jaune, du rouge, du blanc), les jongleurs et autres acteurs du jaune et du vert (notons la permanence du jaune comme couleur maudite avec le vert), les infirmes et malades en noir et blanc… Ce courant moralisateur culminera bien entendu avec les réformes protestantes, pensons au De Vestitu de Melanchthon.

4. Un courant esthétique aussi

Qu’est-ce qu’une « belle couleur » ? En fait, de manière générale, compte plus dans l’appréciation la saturation que la teinte elle-même : une couleur saturée était plus appréciée qu’une couleur pâle, mais aussi il fallait tenir compte du fait qu’un rouge saturé était considéré comme plus proche d’un bleu saturé que d’un rouge plus pâle.
Au sommet de la hiérarchie des goûts de l’époque, on plaçait le blanc et l’or, puis le bleu, qui dépasse depuis peu le rouge ; viennent ensuite le gris, le noir, le vert, le jaune, le violet, le tanné (une sorte de roux).
Le gris fait depuis les années 1420-1440 une percée fulgurante aux dépens du noir, et il restera très à la mode jusqu’aux années 1530-1540 ; les artisans d’Ypres, Louviers se spécialisent dans cette couleur, la vaisselle d’étain est du dernier chic, le cheval gris est le « beau cheval » qu’il faut posséder, et d’autres exemples seraient longs à citer : la mode de la grisaille dans le vitrail, la peinture en grisaille des extérieurs de volets de retables… Dans Le Blason des couleurs déjà cité, « La beauté et noblesse des couleurs pour se fabriquer un vêtement » place ainsi l’association noir-gris-blanc comme « la plus belle ».

Suivent quelques questions sur l’usage de la malachite, les échanges techniques de pigments entre Orient et Occident, le passage du blanc de couleur à non-couleur, mais votre serviteur avait le poignet et surtout le coude en capilotade et n’a pas jugé raisonnable de persévérer dans sa tâche. Mais une heure trente de pur bonheur intellectuel avec l’éminent Michel Pastoureau a fait rapidement oublier ces petits soucis.

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 04 Déc 2010 15:23 
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Philippe de Commines
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Merci Plantin pour le résumé de cette conférence :wink:

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> Le courage, c'est de comprendre sa propre vie... Le courage, c'est d'aimer la vie et de regarder la mort d'un regard tranquille... Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel.
( Jean Jaurès )


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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 04 Déc 2010 15:59 
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Philippe de Commines
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Pédro a écrit :
Soupir... cela laisse rêveur en effet ; pour ma part j'ai lu un de ses ouvrages sur l'héraldique dans l'édition Découverte Gallimard. Juste magistral... C'est le genre d'historien intelligent, intéressant, fasciné par son travail et qui sait le partager. En bref une belle leçon pour nous autres apprentis!


Oui c'est un très grand travail d'historien, de plus les publications des éditions Gallimard richement illustrées et portant sur des thémes extrêmements variés sont très agréables à parcourir.

Concernant "la science de l'héraldique" connaissez vous ce "guide de l'héraldique" ( histoire, analyse et lecture des blasons ) aux éditions Ouest France écrit par Claude Wenzler.
Cet ouvrage est très très bien fait car au delà de l'approche lexicale de l'héraldique il l'a défini sous des angles extrêmement variés ( couleurs, formes, bestiaire, symbolismes....)
Je vous le conseil :wink:

Image

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 04 Déc 2010 16:06 
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Jean-Pierre Vernant
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Je ne le connaissais pas celui-là. J'avais dû faire un exposé il y a quelques années sur l'héraldique mais les publication récentes n'étaient pas encore à la BU et j'avais dû employer de vieux ouvrage pour le coup vraiment poussiéreux :mrgreen: .

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 04 Déc 2010 16:31 
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Philippe de Commines
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Pédro a écrit :
Je ne le connaissais pas celui-là. J'avais dû faire un exposé il y a quelques années sur l'héraldique mais les publication récentes n'étaient pas encore à la BU et j'avais dû employer de vieux ouvrage pour le coup vraiment poussiéreux :mrgreen: .


Si ceux ci avaient été d'époque celà aurait vraiment valu le coup lol

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 04 Déc 2010 16:51 
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Jean-Pierre Vernant
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A la fin de notre exposé le prof nous avait brandi le pastoureau sous le nez comme le sésame ultime... sauf qu'il n'était pas à la bibliothèque... Des fois les profs ne se rendent pas vraiment compte que les étudiants n'achètent pas tous les ouvrages sur lesquels ils doivent travailler... ;)

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 Sujet du message : Re: Le symbolisme des couleurs
Message Publié : 06 Jan 2011 22:43 
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Grégoire de Tours
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Plantin-Moretus a écrit :
Michel Pastoureau donnait mercredi dernier 1er décembre une passionnante conférence sur « Les couleurs à l’aube des temps modernes », dans le cadre de l’exposition France 1500 ; l’auditorium du Grand Palais était archi-comble (mais il n’est pas bien grand, 200 à 300 personnes tout au plus), et, ayant eu la chance d’obtenir un sésame,

J'ai eu la chance de pouvoir rentrer aussi ! Sans billet et à une place libre près, j'ai eu chaud !

Plantin-Moretus a écrit :
M. Pastoureau explique d’abord que nos ancêtres alors ne voyaient pas ce que nous voyons aujourd’hui, ne serait-ce qu’en raison du passage du temps, qui défraîchit les couleurs (sur les tapisseries en particulier), et efface les polychromies.

Et encore, elle tiennent parfois mieux que nos colorants actuels. Si vous avez déjà vu la Dame à la Licorne, il est amusant de constater que la couleur rouge toute délavée visible en bas des tapisseries date de leur restauration (le bas des tapisseries ayant pourri) il y a quelques dizaines d'années lol

Plantin-Moretus a écrit :
L’éclairage aussi est fort différent : la flamme et l’électricité ne restituent pas les couleurs, et surtout les formes, de la même façon : la flamme qui bouge donne un effet cinétique à l’œuvre ou l’objet, qui lui est pour ainsi dire inhérent, intégré aussi par le concepteur, et qui n’apparaît pas sous la lumière stable des équipements modernes. Cela est particulièrement important en ce qui concerne les grandes surfaces, où les zones éclairées contrastent avec le clair-obscur.

C'est pour ça que les expos où on nous présente des peintures à hauteur d'homme sous une lumière neutre alors qu'elles ont été faites pour être accrochées en hauteur autour d'une nef d'église, ça me laisse dubitatif...

Plantin-Moretus a écrit :
[je n’ai pas osé poser la question, mais il me semble fort probable justement que par accident on se soit rendu compte dans ce cas de l’efficacité du mélange bleu/rouge ou vert/jaune pour obtenir du violet ou du vert… Quelques recherches postérieures en revenant de cette conférence m'ont appris aussi qu'il aurait pu exister aussi des interdits religieux aux mélanges de couleurs].

Je pense aussi qu'une couleur mélangée serait vue comme une couleur bâtarde (en quelque sorte), qu'un peintre honnête ne saurait souffrir (il a d'ailleurs sorti un exemple d'un peintre qui s'offusquait du fait que ses jeunes confrères mélangeaient bien trop les couleurs à son goût). De plus il me semble qu'en pratique, plus on mélange les couleurs entre elles, plus le risque est grand de voir la teinte obtenue bouger avec le temps...

Plantin-Moretus a écrit :
Il fait à cette occasion à nouveau remarquer le cas du jaune, présenté par Robertet comme l’alliance du rouge et du blanc, ce qui nous semble contraire à toute expérience (on obtiendrait bien évidemment du rose).

Je me demande s'il ne faut pas y voir une expression littéraire (héritée de l'échelle de couleur aristotélicienne) plus qu'une recette de cuisine... Si nos descendants prennent toutes nos paroles au pied de la lettre, bonjour les contresens possible ^^"

De plus j'aurais bien aimé lui poser la question, mais dans quelle mesure peut-on être sûr que nous parlons toujours des mêmes couleurs ? Le rouge, comme le blanc ou toute autre couleur, représente tout un éventail de couleurs "plus ou moins rouges" et "plus ou moins blanches", et le jaune pouvant être généré avec du rouge et du vert, on peut considérer que du rouge verdâtre (qui reste du rouge) mélangé à du blanc verdâtre (qui reste du blanc..) donnerait bien une couleur assimilable au "jaune".

D'ailleurs en vérifiant comment faire du jaune, je suis tombé sur une mine : http://fr.answers.yahoo.com/question/in ... 228AA5Qdp9 Hilarant xD

Plantin-Moretus a écrit :
Le principal problème est celui du vert, très difficile à obtenir (il n’y a guère que la malachite) et de plus très instable (le vert se fixe mal et devient « pisseux »). Cette caractéristique fâcheuse en fait une teinte à part, connotée très défavorablement, et il se peut que cette instabilité chimique soit à l’origine du fait que le vert soit symboliquement marqueur d’instabilité morale, la couleur des marginaux, fous, magiciens, voleurs…

Vous avez oublié de noter le vert-de-gris, qui bien que toxique était pas mal utilisé, à défaut de mieux...


Sinon bravo pour avoir eu le courage de prendre des notes ^^

_________________
« Il me paraît essentiel qu'il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir comme moi une terre et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis ; ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, c'est le bon bourgeois. »
Voltaire, 1766.


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