Un article intéressant sur l'homosexualité dans la Grèce antique, qui souligne bien que ce qui était au centre de la distinction entre ce qui était permis et interdit sexuellement:
ce n'était pas le sexe, mais le statut social qui fondait cette distinction--étaient prohibés les rapports sexuels qui inversaient la hiérarchie sociale entre dominés et dominants; et donc étaient proscrits uniquement ceux des rapports homosexuels où un dominé "dominait" sexuellement un dominant.
http://www.religionfacts.com/homosexual ... greeks.htmLes rapports entre femmes étant des rapports entre deux dominées, il s'ensuit qu'ils ne portaient pas atteinte aux hiérarchies sociales. Même si certains percevaient les relations entre femmes comme procédant d'un désir d'imiter les hommes (ce qui n'était certainement pas le cas de la majorité), cette vision phallocentrée du lesbiannisme était à la fois inquiétante ( des femmes tentant de s'emparer du phallus) et rassurante (les rapports sexuels restaient centrés sur le pénis, et donc la sexualité lesbienne étant perçue comme une pâle copie de la sexualité hétérosexuelle et la domination masculine restait incontestée): dans "Lysistrata", Aristophane fait dire à une de ses protagonistes féminines à propos de la grève du sexe par les femmes pour mettre fin à la guerre: "tout plutôt que de renoncer aux pénis; il n'y a rien qui les vaille".
Et surtout, ce n'était qu'un fantasme masculin--de pair avec la profonde conviction de la naturalité de la domination masculine allaient certaines peurs sur un risque fantasmé d'inversion des sexes: fantasme qu'exprime bien la pièce "L'Assemblée des femmes" d'Aristophane, qui met en scène des femmes qui décident d'inverser les rapports de sexe et de traiter les hommes comme les hommes les traitent.
Autres points intéressants sur l'homosexualité masculine à Athènes:
- en théorie, les érastes (jeunes gens) devaient y renoncer dès qu'ils devenaient des politoi (citoyens) mais certaines de ces relations continuaient néanmoins après l'âge acceptable (celle d'Antinous avec Hadrien par exemple)
- le type de rapports sexuels dans ces relations éraste-éromène impliquait rarement la sodomie, il s'agissait d'un contact sexuel intercrural (entre les cuisses)
- les rapports sexuels s'effectuaient face à face dans une position de relative égalité entre partenaires, contrairement aux représentations des rapports hétérosexuels sur les vases ou fresques où les femmes sont représentées généralement dans des positions "submissives" et "more ferarum")
- l'éraste avait lui-même (comme l'éromène) des relations hétérosexuelles avec des femmes; des historiens ont affirmé que le désir exclusif pour des hommes ou femmes du même sexe était pratiquement inconnu dans l'antiquité.
- l'éraste n'était pas supposé tirer un plaisir sexuel des relations avec l'éromène (contrairement aux femmes dans les rapports hétérosexuels)
Les hommes qui continuaient à adopter un rôle dit "passif" dans les relations homosexuelles passé l'âge adulte étaient appellés "kinadoi" (cinaedi en latin) mais ces hommes n'étaient pas des "efféminés"; les hommes éfféminés étaient dits "androgynoi". Ce sont ces deux seules catégories d'homosexuels qui étaient victimes d'opprobre dans les sociétés athénienne et romaine, et si mal vus qu'ils constituaient des sortes de sous-culture marginalisées que certains auteurs ont rapproché des "sous-cultures" gays récentes.
- les hommes qui continuaient ces pratiques "passives" à l'âge adulte étaient sujets à des sanctions légales: en outre de la perte de leur statut social et de l'opprobre encouru, ils pouvaient perdre leurs droits de citoyens.
- la pénétration était si complètement assimilée à la domination que, suite à une guerre, il pouvait arriver que les vaincus soient violés par les vainqueurs ou pénétrés par des objets divers (cela existe encore de nos jours, cf ce qui se passe actuellement au Congo)
- toujours dans les batailles, les soldats grecs insultaient leurs adversaires en les traitant de sodomites passifs, d'efféminés, etc.
Sur la sexualité des femmes athéniennes comme non-symétrique à celles des hommes, d'autres rappels (après rafraîchissement de mes connaissances), d'abord sur leur statut dans la cité:
- elles étaient des mineures à vie, du berceau à la tombe sous l'autorité d'un kyrios (gardien), mâle de la famille: père, mari, frère et même dans certains cas fils
- elles n'avaient aucune existence légale, ne pouvaient ester en justice ni passer aucun contrat commercial dont le montant était supérieur à une mesure de grain, leurs droits de propriété étaient conditionnels et surtout de type viager
- elles sortaient peu de la maison et seulement accompagnées d'un chaperon, membre de la famille ou esclave
- leur nom ne devait pas être prononcé en public et on référait à elles par rapport à un parent masculin: fille de Y, femme de X, etc.
- et bien entendu, elles n'avaient aucun droit politique, ne pouvaient ni voter dans les assemblées ni être élues comme membres des conseils, ne pouvaient siéger dans un jury
Elles étaient mariées jeunes à des hommes de 15 à 20 ans plus vieux qu'elles, et la seule forme de sexualité qui leur était permise (en théorie) était donc une sexualité purement monogame et conjugale.
Dans une comédie athénienne d'un auteur inconnu, un personnage féminin décrit ainsi son rôle d'épouse: "une femme ne doit jamais cesser de faire ce qui donne du plaisir à son mari".
La sexualité des athéniennes (je laisse de côté comme mentionné précédemment les hétaires et les esclaves) consistait donc essentiellement à satisfaire sexuellement leur mari. Leur agentivité sexuelle, la possibilité sociale de réaliser leurs propres désirs et non ceux des hommes, était des plus limitée. L'adultère était sévérement puni (une femme adultère pouvait théoriquement être vendue comme esclave en tout cas elle était exclue des rites religieux qui étaient sa seule forme de participation à la vie de la cité);
de plus, comme elles sortaient peu et jamais seules de chez elles, les possibilités de rencontrer d'autres hommes étaient réduites.
Certes, l'adultère était aussi puni chez les hommes mais seulement s'ils le commettaient avec la femme d'un citoyen: en plus de leur épouse, ils avaient de nombreuses autres options sexuelles à leur disposition car ils pouvaient coucher avec des esclaves, hommes ou femmes, toutes les différentes catégories de prostituées/és et des érastes jeunes gens et citoyens.
Pour leurs épouses, il n'y en avait qu'une seule: les rapports sexuels avec un seul et même homme beaucoup plus vieux, qu'elles n'avaient pas choisi, et ce la vie durant.
De plus, comme le dit un historien (Rex Tannahill dans "Sex in History") : "ce que les athéniens apprennaient chez les hétaires, c'est qu'elles excellaient à toutes ces choses que ces mêmes hommes empêchaient leurs femmes d'apprendre".
Enfin les rapports sexuels conjugaux étaient vus comme servant d'abord à la procréation, et même si l'orgasme tant masculin que féminin était censé la favoriser, ce n'était pas le but de la manoeuvre.
En bref, seuls les citoyens de sexe masculin étaient pleinement des sujets sexuels à Athènes; certes à la période héllénistique, il y a des écrits littéraires qui célèbrent l'amour et le plaisir entre époux mais les conditions masculines et féminines étaient par trop inégales pour que cette vision ne reste pas un idéal rarement atteint.