L'esclavage est apparu avec le développement des systèmes étatiques. Le poids respectif des différents types d'exploitation, esclavage, servage1 , salariat, variait suivant le contexte politique, militaire, social, économique. Ils faisaient partie des formes de hiérarchie sociale voire des modalités de traitement des étrangers , au même titre que le système des castes en Inde. En Occident l'esclavage est apparu à Sumer, au Vème millénaire avant JC. Chez les Grecs et les Romains, il s'est développé jusqu'à constituer une large part de l'assise productive2 .
Ni l'Ancien Testament, ni le Nouveau3 , ni le Talmud 4, ni le Coran n'ont dénoncé l'esclavage. La théorie de l’esclavage selon Saint Paul et la légende de Cham5 constitueront la doctrine officielle de l’Église catholique romaine jusqu'au XIXème siècle. Tant Saint Augustin que Saint Thomas d’Aquin défendront l’esclavage comme étant institué par Dieu en punition du péché6 . Pour tirer profit de la traite, les papes autoriseront et approuveront l’esclavage des sarrasins par les Portugais7 , puis la traite des Noirs, dont ils furent complices et bénéficiaires. Ni Calvin ni Luther ne dénonceront l'esclavage. En 1688 Bossuet déclarera : "Condamner cet état, […] ce serait condamner le Saint-Esprit, qui ordonne aux esclaves, par la bouche de saint Paul, de demeurer en leur état, et n'oblige point leurs maîtres à les affranchir."8 Sous réserve de pouvoir les baptiser lors de leur embarquement, les missionnaires ne s'opposeront pas à la mise en esclavage des Africains. Le Congrès de Vienne prononcera en 1815 la condamnation internationale de la traite des Noirs, mais le Vatican ne s'y rallia qu'en 18399 , sans que cela empêche d'ailleurs Pie IX de déclarer en 1866: "L'esclavage, en lui-même, n'est dans sa nature essentielle pas du tout contraire au droit naturel et divin, et il peut y avoir plusieurs raisons justes d'esclavage." 10
Si le mode de production esclavagiste dans lequel les esclaves constituent le plus grande part de la force productrice , a disparu avec l'effondrement de l'Empire romain son maintien supposait un état fort , l'esclavage se maintint longtemps en terre chrétienne : jusqu'au XIIIème siècle en Angleterre, au XIVème dans le Nord de la France et en Allemagne, au XVIème dans le Sud de la France, au XVIIIème en Prusse et en Russie11 . En Italie et en Espagne, l'apogée de l'esclavage se situe au XVème siècle. Les esclaves sont pour l'essentiel d'origine Maure ou Slave, ou des enfants abandonnés ; les Noirs n'apparaissent qu'à partir du XVème siècle. La traite des Noirs par les Européens aurait touché 11 millions de personnes, par les Arabes 17 millions 12. Hors d'Europe, l'esclavage perdura jusqu'au XIXème siècle, avec la tolérance voire la complicité de l'Eglise. Il persiste de nos jours dans certains pays musulmans13 .
Les premières tentatives abolitionnistes datent du VIème siècle av. JC, avec Solon à Athènes, Zoroastre en Perse, Cyrus à Babylone15 . Dans le monde hébraïque les Esséniens (IIème et Ier siècles av. JC.) condamnaient l'esclavage. Sénèque, sans pour autant condamner l'esclavage, développera l'idée selon laquelle aucun homme n'est esclave "par nature". Malgré quelques décrets royaux15 ou ecclésiastiques 16 , l'esclavage se maintint dans l'Europe chrétienne jusqu'au XVIIIème siècle. Dans les colonies le Code Noir, publié sous Louis XIV dans le but explicite "de maintenir la discipline de l’église catholique, apostolique et romaine", réglait la vie des esclaves, prescrivait leur baptême, ordonnait l'expulsion des Juifs. Il ne fut abrogé qu'en 1848. Il ne suscita l'opposition ni des théologiens ni des philosophes. L'apogée de la traite des Noirs eut lieu au siècle Voltaire , Rousseau, D'Alembert, qui restèrent d'une grande discrétion sur la question.
Une condamnation en bonne et due forme de l'esclavage ne verra le jour qu'à la fin de XVIIIème siècle chez des auteurs surtout anglo-saxons17 . La première mise hors la loi de l'esclavage interviendra dans l'état américain du Vermont en 1777. En France c'est par la Révolution que l'esclavage dans les colonies fut aboli, en 1794 ; rétabli en 1802 par Napoléon, il ne fut définitivement aboli que par la Révolution de 1848. Aux Etats-Unis, l'abolition de l'esclavage fut l'enjeu de la guerre de Sécession (1861-1865).
Dans l'Empire Romain les esclaves avaient constitué une part très importante18 de la force productive dans l'agriculture, les travaux publics, les mines. La ressource, assurée par les prisonniers de guerre, se tarira avec la fin des guerres de conquête. Durant tout le Moyen Age la raréfaction de l'offre et les difficultés de contrôle de cette main d'œuvre conduiront à son remplacement progressif par le servage : "le maître a tout à y gagner : au lieu d'avoir à nourrir tout au long de l'année une main d'œuvre dont l'utilité, liée au rythme des travaux agricoles, est surtout saisonnière, il peut abandonner à ses paysans le soin de se nourrir eux-mêmes"19 . Lorsque la chute de Constantinople (1453) et la fin de la Reconquista (1492) fermeront les principales routes d'approvisionnement en Slaves et en Maures, l'Afrique prendra progressivement la relève. A partir du XVIIIème siècle, la montée du nationalisme européen s'accommoda mal de l'esclavage à l'intérieur territoire national, car tout processus d'intégration politique et sociale s'opposait à l'asservissement des membres du groupe, considérés comme des "insiders"; en revanche elle favorisait la désignation d'un "Autre", extérieur à la communauté, les "outsiders" pour jouer le rôle de l'esclave. Il y eut ainsi concomitance entre la disparition de l'esclavage en Europe et son développement dans les colonies.
Le travail salarié finit par apparaître à des économistes comme Adam Smith, David Hume, Benjamin Constant, Quesnay, Condorcet "comme une solution à la fois moins coûteuse et moins compliquée à mettre en œuvre". Globalement, "la fin de l'esclavage n'est en rien due à des considérations d'ordre moral ou religieux, pas plus que le rôle de la chrétienté n'est davantage déterminant, paralysée qu'elle était par ses positions sur le sujet, mais bien à des considérations d'ordre économique et financier." 20
1. Le maître a un lien direct avec l'esclave, un droit de propriété, le serf a un lien indirect avec le seigneur, qui passe par la terre. Le seigneur possède la terre, et par là dispose de la main d'œuvre des serfs qui y sont attachés. Mais il n'a pas un droit de propriété direct sur ceux-ci et ne peut les vendre, la tenure héréditaire accordant le droit au serf et à sa descendance de vivre sur la terre qu'il travaille.
2. Cf. Aldo Schiavone, L'histoire brisée, op. cit..
3. "Esclaves, obéissez à vos maîtres d’ici-bas avec crainte et tremblement, en simplicité de cœur, comme au Christ." Paul, Epître aux Ephésiens 6,5-6. Aux Corinthiens, il recommande « que chacun demeure dans l'état où l'a trouvé l'appel du Christ. Étais-tu esclave lors de ton appel? Ne t'en soucie pas... Mets plutôt à profit ta condition d'esclave » (1 Co 7,20-21).Cf. aussi Première Epître à Timothée 6,1-2, Epître à Tite 2,9-10, Première Epître de Saint Pierre 2,18-25, etc.
4. L'esclavage selon la Bible et le Talmud, Zadoc Kahn, Louis Guérin, 1867
5. Cham ayant aperçu son père, nu et passablement éméché, se serait moqué de lui, et à son réveil, furieux, Noé aurait maudit Canaan (le fils de Cham) pour être, à l'égard de ses frères, l'esclave des esclaves. Puis les descendants de Cham, devenus noirs, se seraient dispersés et auraient peuplés l'Afrique. Il semblerait que l’idée d’assimiler les africains aux descendants maudits de Cham, condamnés à n’être que des esclaves, soit le fait de théologiens musulmans a partir de textes de la Bible, mais aucun texte coranique ne traite de la malédiction de Cham, ni de la justification de l'esclavage des noirs, fondée sur celle-ci.
6. Dans sa fougue apologétique fort peu scrupuleuse, Rodney Stark (cf. Cf. Annexe 19, Quelques auteurs attribuant au monothéisme ou au christianisme l'origine de la science moderne, p. 331) confondra "péché" et "châtiment du péché" de façon à pouvoir affirmer : "Saint-Thomas d’Aquin conclut que l'esclavage était un péché […] Se fondant sur l'immense autorité donnée à Aquin par l'Église, la position officielle était donc que l’esclavage était un péché." disponible sur <http://v.i.v.free.fr/pvkto/esclavage.html>
7. Cf. entre autres la bulle Romanus Pontifex (Nicolas V, 1455).
8. Bossuet, Avertissements aux protestants, 5e avertissement, § 50. (Œuvres complètes, t. 3, 1879, p. 610.
9. Constitution In supremo apostolatus fastigio édictée par Grégoire XVI (1831-1846).
10. Instruction du Saint-Office du 20.06.1866.
11. Cf. par exemple :
Une histoire de l'esclavage, Christian Delacampagne, Le Livre de Poche, 2002,
L’esclavage et la traite des noirs, Dominique & Paul Mariottini, disponible sur http://dp.mariottini.free.fr/esclavage/role-eglise/eglise-influence.htm. Voir aussi:
L’Église et l’esclavage, Patricia Gravatt, L’Harmattan, 2003,
Les papes et l'esclavage des Noirs - Le pardon de Jean-Paul II, Jean Mpisi, L'Harmattan, 2008,
Du servage au salariat agricole dans l'Europe des paysans du Moyen Age, Pierre Piégay, L'Harmattan 2011,
The Problem of Slavery in Western Culture, David Brion Davis, Oxford University Press, 1988
<http://www.womenpriests.org/fr/teaching/slavery1.asp>,
<http://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=412>
<
http://col-r.verges.ac-reunion.fr/old_C ... /Eg158.htm>
12. D'après Guy Rachet, op. cit.
13. L'esclavage en terre d'islam, Un tabou bien gardé, Malek Chebel, Fayard, septembre 2007.
14. "J'ai libéré tous esclaves" figure en toutes lettres sur le Cylindre de Cyrus.
15. 1315 en France (Édit de Louis X le Hutin), 1526 dans l'empire des Habsbourg, sous Charles Quint.
16. 1537 : Bulle Sublimis Deus.
17. Francis Hutcheson (1755), George Wallace (1760), John Miller (1771), une communauté Quaker de Philadelphie (1759). En France l'abbé Raynal (1770), Louis Sébastien Mercier (1771), Bernardin de Saint Pierre (1773).
18. Des travailleurs manuels libres existaient également, mais en quelle proportion ? Cf. Esclavage antique et rentabilité économique, in J. Andreau et H. Bruhns, Sociologie économique et économie de l’Antiquité, A propos de Max Weber, Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 34, octobre 2004.
19 Cf. Christian Delacampagne.
20 Cf. Pierre Piégay et David Brion Davis
PS: merci pour la prochaine fois de bien vouloir m'indiquer comment copier ici un texte Word avec ses notes sans avoir besoin de les coller "à la main"?