@Yongle a écrit : "L'œuvre phare de Durkheim sur le suicide a été un tournant décisif dans cette histoire." "Le Suicide" est une oeuvre pionnière en sociologie, pour l'utilisation qui y est faite des statistiques, mais, comme analyse du suicide, sa portée est à peu près nulle - voir "Le suicide", Jean Baechler, 1978, qui soutient cette thèse de façon pour moi décisive. Durkheim a pris pour argent comptant les statistiques, sans tenir compte du fait que les non-déclarations de suicides comme tels sont évidemment nombreuses (ils sont alors déclarés comme accidents), et que le taux de non-déclaration varie évidemment selon les milieux et les circonstances. Ce taux de non-déclaration est vraisemblablement plus fort là où le suicide est réprouvé (chez les croyants, et, parmi ceux-ci, chez les catholiques plus que chez les protestants), plus fort là où tout le monde se connaît (à la campagne), plus fort pour les gens qui n'habitent pas seuls, moins fort chez les pendus (il est difficile de prétendre que la pendaison a été accidentelle, tandis que l'accident est plaidable dans pratiquement tous les autres cas ; c'est là très probablement l'origine du fort taux de suicides déclarés chez les miltaires dans "Le Suicide" : les militaires disposaient d'une arme de service, avec laquelle probablement ils se tuaient, et il était difficile de prétendre qu'ils ne savaient pas se servir d'une arme au point de se tuer accidentellement...), et beaucoup moins fort dans les sociétés traditionnelles que dans les sociétés modernisées. Cela fait que toutes les corrélations manifestes chez Durkheim sont, au moins, douteuses. En plus il y a des corrélations qui sont très peu apparentes même avec ses statistiques, et qui n'ont pas été confirmées - par exemple selon lui il y a moins de suicides déclarés en période de crise économique qu'il n'y en a en période de croissance soutenue. Sur le même sujet, faiblissime chapitre dans "Histoire de la violence en Occident" de Jean-Claude Chesnais (livre, cela dit, faiblissime de bout en bout - l'auteur depuis a fait mieux).
Environ deux pour cent des vies se terminent par un suicide. En France actuellement, 1,2% officiellement, mais il faut tenir compte des non-déclarations, alors que les surdéclarations doivent être rarissimes. Pour connaître ce pourcentage, le nombre de suicides par an, ou le taux annuel de suicide, doit être multiplié par l'espérance de vie. Ex : dans un pays à population constante de 100 000 habitants, d'espérance de vie de 80 ans, il y a 15 suicides par an. La probabilité pour que la mort d'un décédé quelconque soit due au suicide est de (80 x 15) / 100 000 = 1,2%. (Chaque décédé, en moyenne, a survécu à 1 200 suicidés ; et tout le monde décède). On peut aussi la calculer ainsi : 15 / (100 000 / 80) = 1,2% (Il meurt annuellement : 100 000 / 80 = 1 250 personnes, dont 15 par suicide ; 15 / 1 250 = 1,2%). Vérification : Si, dans le cas précédent, le nombre de suicides par an est de 1 250, alors c'est que tout le monde meurt par suicide : 1 250 / 1 250 = 1 = 100%. Si, dans le cas précédent, le nombre de suicides dépasse 1 250, alors c'est que la population baisse et qu'on n'est pas dans le cas précédent.
Dans un pays à population non stable, ces calculs doivent être affinés.
Les enfants jusqu'à 15 ans ne se suicident pas, les 30-55 ans se suicident peu, surtout se suicident les vieux, et, dans une bien moindre mesure mais en abrégeant de bien plus d'années le cours de leur existence, les jeunes.
La langue allemande dispose essentiellement de trois mots pour le suicide : Suizid, Freitod ("mort libre", à rapprocher de l'expression française "se donner la mort"), et Selbstmord ("auto-meurtre"), trois mots dont les deux derniers manifestent bien deux jugements contrastés qu'on peut porter sur cet acte.
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