La bière en Lorraine
Partie I : Le temps des artisans
Bière de famille : pour 30 l. de bière : 30 l. d’eau, 125 g. de houblon, 2 l. d’orge, 1,1 kg de sucre, levure de bière, bicarbonate de soude.
Mélanger l’orge dans 20 l. d’eau = cuire 2 h. en mélangeant.
Bien mélanger le sucre dans 10 l. d’eau.
Dans l’eau + orge, ajouter le houblon. Tout mélanger.
Repos 24 h.
On dissout la levure dans de l’eau tiède et l’ajoute aux 30 l. de mixture.
Repos 6 jours en tonneau, en ôtant l’écume et la remplaçant par de l’eau pure.
Rajouter bicarbonate et boucher tonneau. Repos 1 jour. Boire !
Littérature sur la bière lorraine abonde : Lepage en 1885 et Fiel en 1932 ont donné toutes les pièces historiques. Aussi Colin en 1992 et Voluer en 2005.
I- Origines
* Historiquement, la cervoise. 1ère trace de boisson fermentée dans le monde : - 3200.
Décoction de céréales très épicée. Invention du tonneau en Gaule.
Cervoise reste dominante jusqu’au XVIème s.
* Légendes : Gilgamesh = parmi les différences hommes/animal, il y a la consommation de bière comme fondatrice de l’humain.
En Lorraine : St Arnoul (VIème s.) : évêque retiré au Saint-Mont, une fois mort on renvoie son corps à Metz => pause à Champigneulles (!) : miracle, le saint multiplie les bières !
Idem, St Romaric : tonneau qui ne se vide jamais.
Dimension symbolique. Mais il s’agit tjs de cervoise.
Comment passe-t-on de cervoise à bière ?
II- Rôle des religieux
* Début à Nancy à la chapelle des Cordeliers : les moines réclament de l’argent au duc pour acheter une chaudière et faire leur bière.
On prend des règlements sur la recette de la bière = c’est la recette des Cordeliers.
Laïcs prennent le relais, sauf à Dieulouard : bénédictins anglais jusque 1793 (chassés d’Angleterre, s’installent en Lorraine en 1606). Produisent de la bière comme en Angleterre. Exceptionnellement, on les autorise à vendre leur bière (droit de faciende).
=> succès de la bière de Dieulouard : importance du dosage, des levures…
Bière parfaite pour l’époque (sans doute proche de nos bières actuelles)
Bénédictins vendent à la Cour, pour les auberges, etc…
III- Développement laïc
* XVIe siècle : bière s’impose. Raisons : pbs dans la vigne fin XVIe : on remplace le vin par la bière (Charles III donne même des céréales pour la bière dans les régions en déficit).
=> La Cour y prend vite goût, surtout les femmes, qui réclament une bierrerie dès 1589
=> Armée : bcp de mercenaires en Lorraine début XVIIe. : Ration exigée de 2,5 l. de bière/jour/soldat
=> Bonnes relations avec Pays-Bas (Belgique actuelle) : on fait venir des brasseurs.
* Etat intervient, comme à chaque fois qu’un produit se répand :
=> 1ère taxe dès 1590, suggérée par les Etats-gx. Dixième pot en 1595, Huitième pot en 1606, et cela continuera d’augmenter.
=> Réglementation : Henri II prend des ordonnances contre la mauvaise qualité, les prix trop élevés, etc… Création de la licence de brasseur, qui devient une des rares professions gérée directement par l’Etat et pas par une corporation. Couvents ne peuvent pas vendre. Centres brassicoles partout : 28 en Meuse, 16 en M. et M., 13 dans les Vosges, 9 en Moselle (dpts actuels) (ce sont uniquement les centres, chacun a souvent plusieurs brasseries)
* Pb du houblon : rare en Lorraine. Import en 1590 : 1,6 t. de houblon pour brasserie des Cordeliers. => Impossible de continuer autant, on fait planter du houblon belge.
Le XVIIème siècle ravage tout.
IV- L’essor du XVIIIème s.
* Etat :
- Favorise la prod. : Léopold finance des brasseries pour ses proches.
- Réglemente la prod. : besoin de céréales. En période de disette, on limite la prod, les céréales sont pour le pain en priorité. Ou alors, on fait changer de céréales à bière : avoine.
- Réglemente le métier : Lorraine allemande notamment : statuts du han seulement en 1716, à priori à la demande des brasseurs eux-mêmes. Mais corporations très faibles pour ce métier : pas plus de 3 ou 4 en Lorraine.
* Travail : Bcp d’étrangers, Belges notamment. Investisseurs : Comte de Custines par ex. Proches du pouvoir aussi. Quelques grands centres : Nancy, Remiremont, Stenay, Thionville.
Activité brassicole est un signe de pré-industrialisation (cf. Afrique aujourd’hui).
* Bières selon leur fermentation : de débit (4-5 j.) ou de garde (40-80 j.)
Goût : Blanches (très houblonnées, amères), Rouges ( ?) (plus acides, très cuites).
L’enquêteur Bilistein en 1762 propose la fin des taxes et des réglementations des brasseries.
Partie 2 : Le temps des industries
V- Transformations
Au XIXe s. le nombre diminue mais elles sont plus industrielles :
1890 : 248 brasseries en Lorraine = 1,4 millions d’hl.
1910 : 127 brasseries = 2,9 millions d’hl.
- Transformations techniques : on est passé de l’alchimie de la bière à l’industrie de la bière.
On connaît mieux les procédés : pasteurisation, chimie, levure.
On contrôle mieux les processus : chauffage mais aussi froid (pour fermentation : fermentation haute : 15-20 °C mais écume, ou fermentation basse : 7°C puis 12°C, puis à nouveau 7°C en 10 jours) => froid chimique pour maintien des températures.)
- Formation : 1892 : fac des sciences de Nancy ouvre une école de recherche en brasserie : ENSB : excellence reconnue au niveau européen. Disparaît en 1970
- Protection : Nancy : Syndicat des Brasseurs de l’Est, présidé par Albert Tourtel : achats en commun. C’est un « groupe de pression ». Relations syndicales, salaires identiques dans toute la Lorraine.
VI- Investissements
- Eau : pure et à débit constant. Ex : Vézelise : sécheresse en 1921, la brasserie achète des sources pour 200 000 fcs-or (mais : 16 km de canalisations + 3 stations de pompages = 1,5 million de fcs-or) => Investissements énormes, seuls les gros survivent.
- Céréales : contrôle de l’orge : regroupements pour créer des malteries.
Houblon : implanté à Rambervillers début XIXe (rendement : 1500 fcs-or/ha)
Mais pb de climat : le houblon dans les Vosges a disparu en 1830, on ne se basera plus que sur les imports d’Alsace.
- Publicité : chaque brasseur construit un grand café à Nancy : Excelsior, Foy, etc…
Décors très différents les uns des autres. Artistes pour cafés et les pubs : vitraux de Gruber à l’Excelsior, Prouvé dessine pour Vézelise, Mucha aussi travaille en Lorraine.
Bcp de petits objets publicitaires. Bières deviennent nationalistes en 1914 : le Coq, Jeanne d’Arc…
Brasseries artisanales locales (« négoce auprès de sa cheminée ») disparaissent au cours du XIXè s.
VII- L’aventure Tourtel
Fondée par Prosper Tourtel à Tantonville en 1839.
1840 : 1500 hl
1870 : 100 000 hl
Pqoi cette réussite ?
=> gds investissements techniques : investit dans l’intelligence : machine à froid, Pasteur qui vient y travailler pendant un an.
Les 1ers à faire de la fermentation basse en France.
Le chemin de fer Nancy-Mirecourt passe chez eux.
Un site est privilégié : Tantonville. Paternalisme incroyable : égouts, trottoirs, abattoirs, hôtel de ville, fournitures scolaires, société de musique, caisse d’épargne, etc…
Néanmoins, conditions de travail : 5h-19h.
Augmentation du capital, mais tous les actionnaires sont membres de la famille Tourtel.
Prod baisse avec la guerre, mais retrouve son niveau dès 1920.
1940 : Occupation dure, usines tranformées en dépôts militaires.
Ruine. Rachetées en 1948 par Brasseries de Champigneulles.
VIII- Brasseries de la Meuse
Choix très différents : rachats.
1888 : Bar le Duc : rachat par les alsaciens Adelshoffen. L’ingénieur Kreiss multiplie par 6 la production, mais perte d’argent qd même : Kreiss la rachète à son tour.
=> politique d’achats partout : Sèvres, Nantes, Moulins, Brest, Elbeuf, etc…
Aussi politique des points de vente : 2000 bistrots.
En 1931 : passage à l’automatisation (1er en France, inspiré par le danois Carlsberg). 1er à faire des jus de fruits pour faire venir les enfants aussi : consommation familiale. Leader français.
Rachetées par Champigneulles également.
IX- Déclin
- Années 1920 : brasseries toutes puissantes
20 brasseries slt en 1929 : crise, concurrence alsacienne, pbs de financement
1945 : nouvelle modernisation venue d’Amérique : canettes, boites en métal…
- 2 groupes :
* Charmes : le brasseur Hanus a rencontré en 1936 à Bordeaux le brasseur juif allemand Hans Kanter : il l’embauche. Kanter meurt en 1939 mais sa bière reçoit de nbx prix dans les années 1950. Méthode allemande.
* Champigneulles : Nbx rachats. Grandes Brasseries et Malteries de Champigneulles => SEB. Années 1960, Charmes et Champigneulles fusionnent sous la direction de BSN => devient Kronenbourg. Nbx produits, non alcoolisés.
=> 1er groupe français, 2e en Europe. MAIS plus rien en Lorraine. Même Champigneulles a fermé. Ne reste que des musées et de nbses micro-brasseries.
_________________ "[Il] conpissa tous mes louviaus"
"Les bijoux du tanuki se balancent Pourtant il n'y a pas le moindre vent."
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