Nebuchadnezar a écrit :
Le problème quand on parle de "base religieuse", c'est qu'il est quasiment impossible de déterminer si la religion a engendré le phénomène, ou si elle s'est contenté de légiférer des usages bien établis. C'est le même genre de problème quand on parle du protestantisme anglo-saxon et du capitalisme. Quand la religion se confond avec la législation, c'est encore plus difficile..
Pour l'établissement du mariage légal à 12 ans pour les filles, par le concile de latran en 1215 (si je me souviens bien), ce n'est en tout cas pas une invention chrétienne, puisque c'était déjà l'âge légal dans la législation romaine, que l'Eglise a reprise, purement et simplement.
Il était même possible d'épouser une fille impubère.
Cependant, les médecins depuis l'antiquité recommandaient de ne pas mettre une fille trop jeune enceinte, car les risques pour la santé et de la mère et du foetus étaient beucoup trop importants, le corps d'une fillette de 12 ans étant encore celui d'un enfant.
Quant à la virginité avant le mariage, il semble bien que la religion chrétienne ait repris des usages déjà bien établis, au moins dans le discours officiel, car comme l'a précisé Yves-Marie Deshays un peu plus haut, ce n'est pas du tout une préoccupation religieuse pour Jésus Christ, d'après ce qui en est rapporté dans les Ecritures.
Citer :
Parmi les fondements religieux, on peut aussi penser à la sacralisation de la femme vierge, pure, donc sans péché, proche du Paradis (ou en constituant un composant essentiel). La femme non vierge étant alors une marchandise abîmée, rattrappée par le sacré lié au mariage.
Dès lors, pour l'époux, découvrir que sa femme n'est pas vierge équivaut à une tromperie sur la marchandise, qui exige réparation.
Une explication psychologique à cet état de fait pourrait être que l'imagination populaire assimile la vierge à une jeune fille svelte et au ventre plat, et la femme non vierge à une rombière aux traits fatigués par ses grossesses annuelles.
J'ai des doutes là-dessus, car la virginité n'est bien considérée que chez les jeunes filles. Dès qu'elle se prolonge un peu trop, elle est extrêmement mal vue dans la société et considérée comme monstrueuse lorsqu'on devient une "vieille fille" (il n'y a qu'à considérer les romans de Balzac dans lesquels une vieille fille est un personnage romanesque : ce sont des sorcières, des monstres qui ont perdu leur humanité. C'est certes de la littérature, donc de la fiction, mais cela correspond à un imaginaire collectif bien réel).
Plus justement, je dirais que la jeune fille vierge est sous tutelle d'un père, et la femme mariée sous tutelle d'un mari, ce qui est la norme dans notre civilisation occidentale (ou l'a été), la virginité ou la fidèlité à un seul homme étant le signe tangible du pouvoir masculin qui dispose du corps féminin. Une "vieille fille" échappe à la tutelle des hommes, comme une veuve non remariée. Pire : elles peuvent s'arroger un pouvoir réservé au domaine masculin par leur liberté et l'exercer à l'encontre des hommes.
Ce qui explique aussi le geste de Caton, qui divorce de sa femme pour la prêter à un ami qui souhaite des héritiers, et se remarie avec elle une fois qu'elle a donné ces héritiers à l'ami en question.
La sacralisation de la femme vierge/pure me semble relever d'un autre ordre, elle est plus le fait d'une culture d'élite, essentiellement ecclésiastique (avec l'obligation de la virginité pour les hommes) que d'une culture populaire. Le culte de la Vierge elle-même n'est pas dénué d'ambiguïté, si on considère sa figure de mère universelle (et d'ailleurs, tous les chrétiens n'admettent pas sa virginité) et qu'on pense à Saint Bernard qui racontait qu'en rêve elle lui donnait le sein ! La virginité pourrait apparaître ici plutôt comme un moyen de conjurer la peur de la mort : être né d'une femme, c'est être un animal de chair et de sang, donc soumis à la corruption et à la mort.
Cette obsession n'est pas le seul fait du christianisme, elle est par exemple primordiale chez Hésiode, dans les
Travaux et les Jours, qui regrette l'Age d'Or, quand les hommes naissaient directement de la terre et que les femmes n'existaient pas.