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 Sujet du message : La martichore
Message Publié : 01 Mars 2009 13:03 
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Polybe
Polybe

Inscription : 30 Juin 2007 14:41
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Y a-t-il un lien entre la crainte de la martichore et la crainte de la pandémie (typhus, variole) ? Pourquoi a-t-on affublé sa queue d'aiguillons ?


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 26 Mars 2009 14:52 
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Thucydide
Thucydide
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Inscription : 04 Sep 2008 18:38
Message(s) : 43
Localisation : Canada,Québec
Si je peut vous aidé la dessus et éclairer certaine de vos question puisque je débute dans la médecine, je vous suggère c'est deux lien,

1: Typhus

http://fr.wikipedia.org/wiki/Typhus

2: Pandemie

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pandemie

Voila j'èspére vous avoir aidez un peut

Cordialement Anubis II

_________________
Ce sont les événements qui commandent aux hommes et non les hommes aux événements.
''Hérodote''

Le travail de la jeunesse fait le repos de la vieillesse
ERRARE HUMANUM EST
IGNOTI NULLA CUPIDO


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 30 Juin 2009 9:22 
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Plutarque
Plutarque
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Inscription : 30 Juin 2009 8:57
Message(s) : 193
Localisation : France
Beaucoup de mythes reflétaient les craintes des Hommes, aussi cela est fort possible!!

Mais ne s 'agit il pas plutôt de la "manticore"?

_________________
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche. Charles Baudelaire


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 08 Juil 2009 23:11 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 28 Mai 2009 21:52
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Localisation : Belgique
L'orthographe de la bête mythique est bien manticore.
" Marticore ", je ne vois ce que ça pourrait être...

Et je ne vois pas trop le rapport avec la crainte d'une pandémie.
La queue de la manticore est effectivement celle d'un scorpion, et sensée capable de lancer des dards vénimeux... Le poison pouvait avoir différents effets (de toutes façons, toujours désagréables), y compris infecter la victime et la rendre malade.
De là à affirmer que l'on attribuait l'origine de certaines épidémie à des manticores...
Franchement, je dois avouer que je suis assez sceptique !

_________________
“La barbarie est l'état naturel de l'humanité, [...]. La civilisation n'est pas naturelle. Elle résulte simplement d'un concours de circonstances. Et la barbarie finira toujours par triompher.” ― Robert E. Howard


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 04 Nov 2010 12:34 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
Message(s) : 2289
Lord Foxhole a écrit :
L'orthographe de la bête mythique est bien manticore.
" Marticore ", je ne vois ce que ça pourrait être...

Raté ! :wink:
Son vrai nom est bien "martichoras", mantichore est une erreur de lecture de Pline qui s'est ensuite popularisé au cours du Moyen Age latin.
Un seul et unique auteur a décrit ce monstre, Ctésias, les autres se contente de reprendre sa description sans rien y ajouter, à l'exception de Juba, j'y reviendrait. Et donc d'après Ctésias, les Indiens nomment cet animal "martichora", ce qui se traduit en grec par androphage ou anthropophage, "mangeur d'homme". L'étymologie semble effectivement persane, mardkhora signifiant "égorgeur d'hommes".

Pour le reste, je rejoins le scepticisme de Lord Foxhole.

D'abord, il s'agit d'un monstre persan attribué à l'Inde : les Grecs n'ont rien à voir dans sa genèse, donc il est inutile d'essayer de l'interpréter par rapport aux schémas culturels helléniques.
Ensuite, surtout, ce n'est pas un monstre mythique, mais est considéré comme un animal réel, vivant, et non comme une allégorie que peut par exemple représenter la chimère. Cette réalité de l'animal est hautement proclamé par son inventeur Ctésias (grand créateur de bestiaire fantastique !), qui prétend l'avoir vu de ses yeux à la cour de Perse. Rappelons en deux mots que Ctésias fut médecin de la cour d'Artaxerxes II, il vécut de nombreuses années à la cour achéménide, attaché à la personne royale, qu'il a donc accompagné lors de ses nombreux voyages dans son empire ; entre autres, il était présent à Counaxa où il prétend avoir lui-même soigné la blessure du roi, et offrait ainsi un récit pendant à Xénophon, dans l'autre camp. Deux de ses ouvrages furent longtemps célèbres : une Histoire de la Perse, et une Histoire de l'Inde. Instruit et porté apparemment par une belle plume, il est le premier grec a pouvoir offrir au monde hellénique des connaissances de première main, tant sur la cour achéménide que sur ces lointains confins de l'empire perse. Malheureusement, il avait un goût démesuré pour le fantastique et a peuplé son récit d'une multitude de fables, tout particulièrement un bestiaire fantastique abondant qui connaîtra une belle destinée, puisque repris encore et encore dans l'antiquité et au Moyen-Age, et jusque dans nos univers Fantasy actuels. C'est d'ailleurs le seul vestige durable de son œuvre, le reste (les parties "réalistes", "documentaires" qui auraient été précieuses à l'historien) n'a guère survécu...

La description la plus complète est celle d'Elien, De la Personnalité des Animaux, IV.21:
Il existe en Inde une bête d'une force physique considérable, aussi grande que les plus grands lions, qui a la peau d'un rouge qui fait penser au cinabre, velu comme un chien, et qui porte dans la langue indienne le nom de « martichoras ». Son visage semble être non pas celui d'une bête mais celui d'un homme. I1 a trois rangées de dents implantées dans la mâchoire supérieure et trois rangées dans la mâchoire inférieure, qui ont l'extrémité particulièrement pointue et qui sont plus longues que celles des chiens. Ses oreilles ressemblent, elles aussi, à celles des hommes, mais elles sont plus grandes et poilues. Il a des yeux bleu pâle qui, eux aussi, ressemblent à ceux des hommes. Et imaginez ses pattes et ses griffes comme pareilles à celles d'un lion. A l'extrémité de sa queue est fixé un dard de scorpion qui peut bien dépasser une coudée, et sa queue porte une rangée de piquants de chaque côté. Le bout de sa queue pique mortellement l'homme qui se présente, et le tue instantanément. Si quelqu'un le pourchassé, il projette ses piquants latéraux comme des flèches, et c'est un animal qui tire loin. Lorsqu'il veut décocher ses piquants vers l'avant, il arque sa queue vers l'arrière ; s'il veut tirer au contraire vers l’arrière, à la façon des Saces, il la bande vers lui au maximum . Quel que soit l'animal que son trait atteint, il le tue, mis à part l’éléphant, qui n'en meurt pas. Les piquants qu'il lance sont d’un pied de long et ils ont l'épaisseur du jonc. Au reste, Ctésias raconte, en assurant que les Indiens sont d’accord avec lui, qu'aux endroits où les piquants ont été détachés il en repousse d'autres, si bien que ces instruments de mort se renouvellent. Son plus grand plaisir, dit le même auteur, est de manger des hommes, et effectivement il massacre une foule de gens ; il ne se met pas en embuscade pour une seule personne, mais peut s'attaquer à deux ou trois personnes, et à lui seul il vient à bout d'eux tous. Il triomphe de même de tous ses autres adversaires animaux, sauf du lion qu'il est incapable de terrasser. Que cet animal éprouve un suprême plaisir à se gorger de chair humaine, son nom même le trahit assez, car traduit en grec il signifie « mangeur d'hommes », et c'est cette activité qui lui vaut son nom. Il court aussi vite qu'un cerf. Les Indiens chassent les petits de ces animaux, tant qu'ils n’ont pas de piquants sur la queue, et ils leur écrabouillent la queue avec une pierre pour empêcher qu'il leur pousse des piquants. Il émet des sont très voisins de ceux de la trompette. Ctésias dit avoir vu aussi cet animal en Perse où il avait été importé d'Inde et offert en cadeau au roi des Perses – si tant est que l’on considère Ctésias comme une autorité fiable en la matière. En tout cas rien n'empêche, après avoir entendu quelles sont les propriétés de cet animal, de consulter l'historien de Cnide.
Cette description se retrouve identique ou abrégée dans Aristote, Histoire des Animaux, II.3.15 (501b ; peut-être une glose), Pline, Histoire Naturelle, VIII.30.3 (qui invente donc par erreur le mot "Mantichore", sans doute par l'intermédiaire de Juba), Pausanias, Description de la Grèce, IX.21.4-5, Philostrate, Vie d’Apollonios de Thyane, III.45 (repris par Eusèbe de Césarée, Contre Hiéroclès, 21), Solin, Polyhistor, 53 (suivant Pline, et donc l'orthographe "mantichore"), et enfin Photius, Bibliothèque, 72.7 (du IXe siècle, dernier à avoir lu Ctésias en entier...), qui ajoute une dernière précision : "Ces animaux sont en grand nombre dans l'Inde. On les chasse monté sur des éléphants, et du haut de ces éléphants on leur lance des dards, ou on leur tire des flèches."

Cette description reste donc inchangée, toujours reprise, issue du seul Ctésias. Seul Juba II, le roi numide et grand érudit contemporain d'Auguste, va tenter de donner une nouvelle vie à cette histoire, en introduisant deux modifications, issues d'une interprétation personnelle de Ctésias (Juba écrivait en grec):
  • d'une part il transporte l'animal en Afrique, du moins, dans l'Ethiopie libyenne. Alors que Ctésias la plaçait dans l'Ethiopie indienne. (l'Ethiopie antique correspond aux pays des hommes noirs, qu'ils soient asiatiques ou africains).
  • d'autre part, il accentue son "humanité" : alors que Ctésias lui prêtait un visage, des oreilles et des yeux humains, mais une voix proche des trompettes et des flûtes, Juba va lui donner en plus la parole. Pline, Histoire Naturelle, VIII.45.1 : Juba rapporte que la mantichore aussi imite, en Éthiopie, la parole humaine.
Il est le seul a avoir ainsi modifié le texte original ; avec peu de succès, du moins dans l'antiquité, j'ignore si le prestige de Pline pour les siècles suivant a popularisé ou non cette caractéristique.

Une des raisons qui ont préservé je pense la description de Ctésias est justement son caractère de témoignage : en tant qu'animal réel, il faut transmettre sa description exacte pour pouvoir espérer un jour l'identifier; alors qu'un monstre mythologique sera déformé au gré de l'imagination des poètes, un animal sera décrit consciencieusement par les érudits.
Et le débat sur son existence réelle ou non faisait déjà rage dans l'Antiquité : certes, Ctésias est un affabulateur de renom ; néanmoins, nombre de ses descriptions se sont finalement avérés justes : les Grecs puis les Romains découvrent ébahis dans les siècles qui suivent l'éléphant, le rhinocéros, les serpents géants type python, des girafes, des chameaux, etc. autant d'animaux jusque-là considérés plus ou moins comme des affabulations de voyageurs. Dans ce contexte, le doute est permis, surtout que contrairement à d'autres de ses "créations", Ctésias prétend l'avoir vu, de ses yeux vu.
Ainsi, Pline (et Solin) ne doute pas de son existence ; Aristote ou Elien se montrent prudents ; mais Philostrate lui dément son existence appelant comme témoins les Indiens eux-mêmes.
Philostrate, Vie d’Apollonios de Thyane, III.45, où Apollonios interroge l'Indien Iarchas:
Damis a aussi consigné dans ses Mémoires un entretien qui eut lieu entre Apollonios et les sages au sujet des récits extraordinaires sur les animaux, les fontaines et les hommes de l'Inde. Je le rapporterai, moi aussi, parce qu'il est bon de ne pas tout en croire, de n'en pas tout rejeter. Apollonios demanda d'abord : « Est-il vrai qu'il existe ici un animal appelé martichoras? - Et que vous a-t-on dit, demanda Iarchas, sur cet animal ? Car il est probable que ce nom vous représente une forme quelconque. - On en conte des choses étranges, incroyables : c'est, dit-on, un quadrupède ; il a la tête d'un homme et la taille d'un lion ; sa queue est toute hérissée de poils longs d'une coudée et semblables à des épines, et il les lance comme des flèches contre ceux qui lui font la chasse. » (. . .) Iarchas répondit : « (...) Quant à un animal qui lance des flèches (...), je n'en ai pas encore entendu parler ici. »

Le plus original est Pausanias, qui tente d'identifier cet animal au tigre, en faisant abstraction des exagérations, qu'il tente même d'expliquer dans un louable effort de rationalisation, fort de ses connaissances acquises auprès des collectionneurs d'animaux (mode lancé par les Lagides, et largement développés sous l'Empire où il est de bon ton de montrer au peuple les animaux les plus étranges de la création... Chasseur de curiosités était un véritable profession, exercée par d'authentiques aventuriers qui s'engageait très loin pour avoir l'honneur de ramener un rhino, une autruche, un tigre, un élan, un auroch ou je ne sais quel animal propre à impressionner le peuple et donc gagner la faveur du souverain) : les Romains du IIe siècle ap. connaissent le tigre, qu'ils ont souvent vus dans l'arène.
Pausanias, Description de la Grèce, IX.21.4-5 :
4. Quant à l'animal dont parle Ctésias dans son livre sur les Indes, que les Indiens nomment martichora, et les Grecs, androphage, je suis persuadé que c'est le tigre. Ils disent qu'il a trois rangs de dents à chaque mâchoire, qu'au bout de la queue sont des aiguillons dont il se sert pour se défendre contre ceux qui l'approchent et qu'il lance aussi loin que ceux qui tirent des flèches; mais j'attribue à la frayeur qu'inspire aux Indiens cet animal, les idées fausses qu'ils se transmettent les uns aux autres. 5. Ils se sont aussi trompés sur la couleur, soit parce que le tigre, lorsqu'on le voit au soleil, paraît rouge et d'une seule couleur, soit parce qu'il court très vite ; ou bien parce que, lors même qu'il ne court pas, il est toujours en mouvement, et que d'ailleurs, on ne le voit jamais de près. Je pense que si quelqu'un visitait les endroits les plus reculés de la Libye, de l'Inde ou de l'Arabie, pour y chercher toutes les bêtes féroces qu'on voit chez les Grecs, il en est qu'il n'y trouverait pas du tout; il en est d'autre aussi qui ne lui paraîtraient pas de la même forme.
Évidemment, cette identification reste très théorique : quid du visage et des oreilles (éventuellement, son visage large et rond, son museau plutôt aplati ? par contre les oreilles...) ? quid de l'aiguillon de queue ? quid des yeux bleus (glaukos, clair, comme la mer) ? Qu'est-ce qui a bien pu inspirer ces détails saugrenus à Ctésias ?
A côté, il est vrai que la couleur (fauve certes, pas rouge), la taille, la cruauté, la réputation de mangeur d'homme, la rapidité, le feulement (qui avec un peu d'imagination peut ressembler à un concert de chalumeaux: [url=http://fauvesdumonde.free.fr/tigre/cri_tigre.php]enregistrement d'un feulement de tigre[url]) font effectivement songer au tigre. Et surtout, le détail conservé par Photius sur la chasse, du haut des éléphants. Or il s'agit effectivement du mode de chasse traditionnel des tigres dans l'Inde, le chasseur étant à peu près hors d'atteinte par la taille de l'éléphant.

J'aurais donc personnellement tendance à suivre Pausanias et identifier l'animal décrit par Ctésias comme un tigre (puisqu'il prétend avoir vu quelque chose...). Mais sur ce canevas, il a comme toujours brodé en s'inspirant de l'iconographie persane : fauves androcéphales, etc. Mais je ne connais pas assez la mythologie et l'iconographie achéménide pour présenter des parallèles. Voir même, n'a rien vu du tout, mais s'est attribué la "vision" d'un de ses correspondants, perse, qui lui a décrit l'animal conduit auprès du roi, l'imagination débordante de l'Ionien ayant pallié aux manque d'originalité de l'orateur.... Bref, qu'il ne s'agit pas purement de légende, mais qu'une fois n'est pas coutume, il existe peut-être un fond un peu plus concret.

Dans tous les cas, je ne vois strictement aucun rapport avec des pandémies.


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 04 Nov 2010 13:18 
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Inscription : 19 Nov 2009 22:17
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Message assez passionnant, comme souvent. J'ignorais tout à fait que la mant... pardon, la martichore passait pour être un animal réel. Je rebondis simplement sur une chose, presque HS, mais c'est pour la bonne cause :

Thersite a écrit :
Malheureusement, il avait un goût démesuré pour le fantastique et a peuplé son récit d'une multitude de fables, tout particulièrement un bestiaire fantastique abondant qui connaîtra une belle destinée, puisque repris encore et encore dans l'antiquité et au Moyen-Age, et jusque dans nos univers Fantasy actuels. C'est d'ailleurs le seul vestige durable de son œuvre, le reste (les parties "réalistes", "documentaires" qui auraient été précieuses à l'historien) n'a guère survécu...


Quelles sont les autres créatures de ce bestiaire fantastique compilé ou inventé par Ctésias qui ont été reprises dans la littérature médiévale et les univers Fantasy modernes ?
Réflexe bête mais évident, je suis allé voir ce que Wikipédia en disait, et sont ainsi mentionnés les cynocéphales et les "sciapodes", s'abritant du soleil à l'aide de leur pied unique et démesuré. Ceux-ci, je les ai effectivement croisés chez Umberto Eco (Baudolino) et me doutais, sans avoir creusé la question, qu'ils étaient la reprise d'un fantasme médiéval. D'autres exemples ?


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 04 Nov 2010 14:10 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Il amalgame en fait aux vieilles rumeurs helléniques (comme celle d'Hérodote : on retrouve chez les deux les gryphons, les pygmées, par exemple) un nouveau bestiaire inspiré des légendes persanes ou indiennes, qu'il a effectivement visité. Le soucis, c'est que d'une part il mélange le vrai et le faux (par exemple quand il décrit les éléphants, les chiens d'Inde ou les chasses aux milans, et à côté décrit avec autant de détails les cynoscéphales ou les martichores...). De plus, il est médecin, et donc décrit ces animaux avec un œil professionnel, entrant dans des détails convaincants (par exemple quand il explique que l'âne d'Inde, notre future licorne, n'a pas de bile, il sous-entends qu'il en a disséqué un ; où la description détaillées de la dentition de la martichore: comment en douter quand il s'agit d'un des médecins les plus réputés du monde qui l'affirme, dont la technique et le savoir médical sont hors de doute ?). Son Histoire de l'Inde plus encore que celle de la Perse se rapproche plus des recueils de merveilles que d'un traité de géographie : il accumule apparemment sans grand ordre les "merveilles" de l'Inde, minérales, végétales, animales, traditions, etc.

Pour son bestiaire, il faudrait que je reprenne ses fragments, que je n'ai pas encore correctement recensé : je songe pour l'instant surtout aux résumés de Photius, et aux échos dans Elien ou Diodore en particulier. En vrac et sans exclusivité, il décrit effectivement les Cynocéphales, les Pygmées, les Gryphons d'Inde, et plus originaux, des vers d'eau géants, le Crocottas qui imite la voix humaine (que Juba a sans doute amalgamé avec la Martichore; une espèce de hyène ou de chien), l'âne d'Inde ou monocéros (notre licorne, décrite ici pour la première fois). Mais il y en a d'autres (sans oublier les fontaines d'or, et autres contes).

Tiens, hop, c'est l'occasion de me replonger dans Ctésias. Si tu me laisses quelques jours, je peux m'amuser à recenser et classer un peu ces historiettes. Il doit y avoir pas mal de fragments recensés, et plus encore de sous-entendus, en particulier du côté des doxographes comme Antigonos. Je ferais un petit bilan, si personne ne me précède.

Gros coup de bol, je viens de tomber sur une excellente, récente, complète édition des fragments de Ctésias, traduits et commentés, le tout sous format PdF consultable et téléchargeable :
A. Nichols, The complete Fragments of Ctesias of Cnidus, 2008
http://etd.fcla.edu/UF/UFE0022521/nichols_a.pdf


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 05 Nov 2010 10:17 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Par rapport à la Martichore, Nichols cité ci-dessus apporte quelques autres éléments en faveur de l'identification au tigre. Par exemple pour cette histoire de triple rangée de dents : il semblerait que le tigre, à l'instar des ruminants, ait trois lobes pour ses molaires. Soit. C'est peut-être un peu tiré par les cheveux. Mais d'un autre côté, il trouve quant à lui que le feulement est complètement incompatible avec les flutes, alors que je retrouve bien pour ma part le côté grave et vibrant du chalumeau voire de la flûte de Pan. Cela montre bien le côté subjectif de ces interprétations...
Il évoque également le fameux dragon de Mardouk de la porte d'Ishtar, dont la queue brandit un dard, et qui aurait pu influencer l'iconographie proposée par Ctésias.
Image

Sinon, quelques autres exemples de ce bestiaire original qu'il a introduit :

  • Crocottas, ou Cynolycos, « chien-loup »

Ctésias F76 = Altera interpolatio cod. Monac. Gr. 287 (Photius)
Il y a en Ethiopie un animal que l'on nomme crocottas, et en langue commune cynolychos (Chien-loup). Il est d'une force étonnante. On prétend qu'il imite la voix humaine, que la nuit il appelle les hommes par leur nom, et qu'il dévore ceux qui vont à lui. Il a le courage du lion, la vitesse du cheval, la force du taureau : le fer ne peut le dompter.
Cf. Elien, HA, VII.22 :
La hyène et l’animal qu’on appelle « corocotta » ont assurément, eux aussi, un naturel mauvais. (…) Il convient que j’évoque maintenant la perfidie consommée du « corocotta » telle que l’on me l’a racontée : il va se dissimuler dans les bois, après quoi il prête l’oreille aux noms par lesquels les bûcherons s’appellent les uns les autres, et même, en fait, à tout ce qu’ils peuvent dire. Ensuite il imite leurs voix en s’exprimant dans la langue des hommes (même si cela peut paraître fabuleux) et appelle le nom qu’il a entendu. L’homme qu’on a appelé approche, et l’animal s’éloigne et prononce de nouveau son nom. L’homme continue d’avancer en direction de la voix. Une fois que l’animal l’a entraîné loin de ses compagnons de travail et l’a isolé, il le prend, le tue et s’en repaît, après l’avoir abusé par sa voix.

Réinterprété par Pline, HN, VIII.107 :
En s'accouplant avec des hyènes la lionne d'Éthiopie produit la Corocotta, qui imite pareillement la voix des hommes et des bestiaux, Elle ne cligne jamais les yeux; les deux mâchoires, dépourvues de gencives, sont garnies chacune d'une denture continue; ces deux dentures s'emboîtent, afin que la rencontre ne les émousse pas. (Juba rapporte que la mantichore aussi imite, en Éthiopie, la parole humaine.)
et VIII.72 où il l’appelle « Leucrocota » :
(Au sein d’une liste des monstres de l’Ethiopie d’Afrique) … des Corocottae, qui semblent nées du chien et du loup, brisant tout avec leurs dents, et digérant aussitôt ce qu'elles ont dévoré … la leucrocota, animal excessivement rapide, ayant à peu près la taille de l'âne, les jambes du cerf, le cou, la queue et le poitrail du lion, la tête du blaireau, le pied fourchu, la gueule fendue jusqu'aux oreilles, et au lieu de dents un os continu : on prétend que cet animal imite la voix humaine.

Ce qui donne dans nos bestiaires médiévaux la Leucrocote :
Image

Et à l’origine ? Deux identifications ont été proposées avec un tant soi peu de vraisemblance :
  • Une Hyène rayée ?? Avec son fameux rire (navré pour la vidéo Carambar, c'est le seul enregistrement potable que j'ai trouvé)… Les Romains qui connaissent bien la hyène ont en tout cas fait le rapprochement, voire parfois l’identifient (Pline VIII.72).
    Image
  • Un Chacal ?? appelé en sanskrit koṭṭhāraka, le hurleur. Cela correspondrait à Elien, qui considère Hyène et Corocotta comme deux animaux distincts.
    Image

  • « ANE SAUVAGE », alias MONOCEROS ou UNICORNE

Ctésias F45a = Photius, Bibliothèque, 72.45 :
Il y a dans l'Inde des ânes sauvages de la grandeur des chevaux, et même de plus grands encore. Ils ont le corps blanc, la tête couleur de pourpre, les yeux bleuâtres, une corne au front longue d'une coudée. La partie inférieure de cette corne, en partant du front et en remontant jusqu'à deux palmes, est entièrement blanche ; celle du milieu est noire ; la supérieure est pourpre, d'un beau rouge, et se termine en pointe. On en fait des vases à boire. Ceux qui s'en servent ne sont sujets ni aux convulsions, ni à l'épilepsie, ni à être empoisonnés, pourvu qu'avant de prendre du poison, ou qu'après en avoir pris, ils boivent dans ces vases de l'eau, du vin, ou d'une autre liqueur quelconque. Les ânes domestiques ou sauvages des autres pays n'ont, de même que tous les solipèdes, ni l'osselet, ni la vésicule du fiel. L'âne d'Inde est le seul qui les ait. Leur osselet est le plus beau que j'aie vu ; il ressemble pour la figure et la grandeur à celui du bœuf. Il est pesant comme du plomb et rouge jusqu'au fond comme du cinabre. Cet animal est très fort et très vite à la course. Le cheval, ni aucun autre animal, ne peut l'atteindre. D'abord il court lentement, il s'anime ensuite merveilleusement, enfin sa course devient plus rapide et subsiste très longtemps. On ne peut pas les prendre à la chasse. Lorsqu'ils mènent paître leurs petits, s'ils se voient enfermés par un grand nombre de cavaliers, ne voulant pas les abandonner pour fuir, ils se défendent avec leur corne, ils ruent, ils mordent et font périr beaucoup de cavaliers et de chevaux. On les prend aussi eux-mêmes après les avoir percés de flèches et de traits ; car il n'est pas possible de les prendre vivants. On ne peut en manger la chair à cause de son amertume, et on ne les chasse que pour en avoir la corne et l'osselet.
Ctésias F45a = Elien, HA, IV.52 :
J'ai appris qu'il naissait en Inde des onagres dont la taille n'est pas inférieure à celle des chevaux. Tout leur corps est blanc, sauf leur tête, qui se rapproche du pourpre, et leurs yeux, qui diffusent une couleur bleu foncé . Ils ont sur le front une corne qui atteint bien une coudée et demie de long : la base de la corne est blanche, la pointe rouge vif, et la partie médiane d'un noir profond. J'ai entendu dire que des Indiens buvaient dans ces cornes polychromes, mais pas tous : seulement les notables indiens ; et ils les cerclent, à intervalles, de lignes d'or, comme s'ils ornaient de bracelets le bras magnifique d'une statue . Et il paraît que l'homme qui a bu dans cette corne ignore les maladies incurables et n'en souffre pas : jamais il ne sera saisi de convulsions, atteint du mal que l'on dit sacré , ou anéanti par des poisons. Et s'il a bu auparavant une substance nocive, il la vomit et recouvre la santé. On tient pour assuré que tous les ânes, dans le monde entier, tant domestiques que sauvages, ainsi que les autres animaux solipèdes, n'ont pas d'astragale, ni de vésicule biliaire près du foie ; cependant, d'après Ctésias, les ânes indiens qui possèdent une corne ont un astragale et ne sont pas dépourvus de bile. On dit que leur astragale est noir et que, si on le pile, il apparaît noir aussi à l'intérieur. Ces animaux sont plus rapides que les ânes, et même plus rapides que les chevaux et les cerfs. Ils commencent par courir à faible allure et durcissent peu à peu leur rythme, si bien que poursuivre ces animaux c'est, selon la formule poétique, « courir après des choses insaisissables ». Lorsque la femelle accouche et qu'elle serre près d'elle ses nouveau-nés, leur père surveille ses petits et paît avec eux. Les ânes séjournent dans les plaines d'Inde les plus désolées. Lorsque les Indiens partent les chasser, les ânes laissent leurs petits qui sont encore tendres et jeunes paître derrière eux, tandis qu'ils luttent pour les défendre et affrontent les cavaliers en combat rapproché en les frappant de leurs cornes. Voici jusqu'où va la force de ces animaux : rien ne peut résister à leurs coups et tout cède, se brise et, le cas échéant, est complètement broyé et mutilé. Il leur arrive même fréquemment de déchirer les flancs de chevaux, en se ruant sur eux, et de leur faire sortir les entrailles. C'est pourquoi les cavaliers ont une peur bleue de s'approcher d'eux, car le prix à payer est une mort misérable, et quand ils s'en approchent ils meurent tous les deux, le cavalier comme le cheval. Ces animaux décochent aussi de terribles ruades, sans compter que leurs morsures sont si profondes qu'ils arrachent tout ce qu'ils saisissent avec leurs dents. Il est pratiquement impossible de capturer un adulte vivant, et on les abat avec des lances et des flèches ; et les Indiens, comme je l'ai dit, dépouillent les individus morts de leur corne et la décorent ; néanmoins la chair des ânes indiens est immangeable. Cela tient à la nature extrêmement amère de cette chair .

Ce qui bien entendu a donné :
Image

Et la source d’inspiration ?
Beuuuuuh.
Un rhinocéros ?? Pour la corne (effectivement celle du rhinos est employée comme récipient, avec des vertus anti-poison, y compris dans la Rome impériale), pour la charge…
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8-| A mon avis, curieux comme il était, Ctésias a certainement préalablement découvert le chanvre indien avant de rédiger…

  • Les Enotocoites ou « ceux qui couchent dans leurs oreilles »

Ctésias F45a = Photius, Bibliothèque, 72.45 : il ne les nomme pas encore, mais Mégasthène un siècle plus tard franchira le pas.
Dans ces montagnes de l'Inde où croissent les roseaux, il y a une nation d'environ trente mille âmes, dont les femmes n'enfantent qu'une fois en leur vie. Leurs enfants naissent avec de très belles dents dans les deux mâchoires. Les mâles et les femelles ont dès leur naissance les cheveux blancs, ainsi que les sourcils. Jusqu'à l'âge de trente ans ils ont le poil blanc par tout le corps ; mais à cet âge il commence à noircir, et lorsque ces hommes sont parvenus à soixante ans, leurs cheveux sont entièrement noirs. Les mêmes ont, hommes et femmes, huit doigts à chaque main et autant à chaque pied. Ils sont très belliqueux, et il y en a toujours cinq mille, tant archers que lanceurs de javelots, qui accompagnent le roi des Indiens dans ses expéditions militaires. Ils ont les oreilles si longues, qu'elles se touchent l'une l'autre, et qu'ils s'en enveloppent le dos, et les bras jusqu'aux coudes.
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Origine ? Un mythe indien, probablement. Le Mahābhārata (2.28.44; 6.47.13) mentionne les Karnaprāvarana, « ceux qui se couvrent eux-mêmes avec leurs oreilles ». D’une manière plus générale, il paraît que les longues oreilles symbolisent les tribus barbares pour les Indiens (Ushtrakarnâs, « oreilles de chameaux » ; Oshthakarnâs, « ceux qui ont des oreilles près des lèvres » ; Pânikarnâs, « ceux qui ont des mains à la place des oreilles », etc. apparaissent au gré des épopées).
D’un autre côté, quand on voit les appendices oriculaires des Bouddha indiens….
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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 05 Nov 2010 18:19 
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Décidément passionnant, merci ! :wink:

Sur cette dernière question des oreilles allongées, le cas des Bouddhas indiens me semble en fait confirmer tout à fait le jugement des Indiens sur les clans barbares du nord. J'ignore à peu près tout de l'histoire antique indienne (qui me semble pourtant passionnante), mais je m'étais laissé dire que dans le cas du Gautama Bouddha historique, qui était issu du clan Sakya, ses lobes allongés témoignaient de son origine noble. L'usage voulant dans les clans aristocratiques antiques du Népal actuel que l'on se pare de bijoux précieux, et notamment de boucles lourdes aux oreilles, les lobes du Bouddha en seraient restés anormalement allongés après qu'il ait renoncé à de tels ornements. Cela en serait venu à symboliser tout à la fois sa noblesse et son renoncement, d'où la pérennité iconographique de cet élément. Tout cela me semble donc faire sens. Il a suffi que Ctésias amplifie ce trait, comme il l'a fait dans les autres cas.


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 Sujet du message : Re: La martichore
Message Publié : 07 Nov 2010 13:22 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 11 Juin 2007 19:48
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Intéressantes précisions, merci. Ceci dit, étrangement, les valeurs sont renversées : "noblesse et renoncement" d'un côté, violence, danger, de l'autre. D'un côté le degré suprême de l'humanité, de l'autre sa lie monstrueuse.

Pour les autres "monstre" évoqués par Ctésias (Acéphales, Cynocéphales, Gryphons, Pygmées, Satyres et quelques autres moins difformes), je ne me suis pas appesanti car il n'en était pas le créateur.

Je reprends cependant le cas des MONOCOLES ("à une seule jambe") ou SCIAPODES (skia = ombre, pous = pied), en partant des notes de l'édition de Ctésias avant de m'en éloigner un peu.

F51a) Plin. N.H. 7.23:
Il (Ctésias) parle aussi d'hommes appelés Monocoles (« unique jambe »), qui n'ont qu'une jambe et qui sautent avec une agilité extrême ; il dit qu'on les nomme aussi Sciapodes (skia, ombre, pous, pied), parce que dans les grandes chaleurs, couchés par terre sur le dos, ils se détendent du soleil par l'ombre de leur pied.
F60) Harp. (Sud. S 601) s.v. Σκιάποδες:
Sciapodes: (. . .) Ctesias in his Periplous of Asia says, “beyond this region are the Sciapodes who have very wide feet just like geese and when it is hot they fall on their backs, raise their legs, and shade themselves with their feet.”
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Le parallèle a été fait avec des mythes indiens, encore une fois, qui présentent séparément les unijambistes et les pieds-ombrelles bipèdes. Ainsi, le Harivamśa mentionne les Ekapāda (‘ceux qui n'ont qu'un pied’) puis les Tālajangha (‘ceux qui ont une feuille à la place du pied’). De même, le Lalitavistara met en scène successivement les Ekapādaka (‘ceux qui n'ont qu'un pied’) et les Karoṭapāda (‘Ceux qui ont une branche pour pied’). Les Ekapāda apparaitraient encore dans le Rāmāyana dans le Mahābhārata.
Bref, l'origine du fantasme semble toute trouvée, Ctésias a simplement amalgamé les deux traditions indiennes.

Sauf que le mythe a pu être connu des Grecs antérieurement à Ctésias. Aristophane, dans les Oiseaux, v1553 (414 av.), évoque rapidement les Sciapodes, mais sans les décrire ni les situer, considérant simplement ce peuple comme résidant dans un marais où l'on évoque les morts, une espèce de bout du monde.
De son côté, Antiphon les évoquerait dans son discours perdu Sur la Concorde, d'après Harpocration (Sciapodes: Antiphon in his book On Concord claims that they are a Libyan tribe. Ctesias in his Periplous etc.); ce discours a sans doute été rédigé en 411/410, tandis qu'Antiphon soutenait le gouvernement des Quantre-Cents. Il a beau lui non plus ne pas les décrire dans ce fragment lacunaire, le nom ne laisse pas grand doute quant à leur physique supposé.

Donc, de deux choses l'une. Soit il existe une source antérieure, à laquelle se réfèrent Antiphon et Aristophane et qui plaçait ce peuple en Afrique, et par conséquent Ctésias n'a fait que transposer ce mythe en Asie (ce qu'il a fait pour les Pygmées, les Acéphales, etc.) et l'explication à partir des mythes indiens tombent à l'eau ; soit nos auteurs connaissant les Sciapodes par l'intermédiaire de Ctésias, et Antiphon confond l'Ethiopie indienne avec l'Ethiopie libyenne, une fois de plus.

Or une source antérieur au Ve existe peut-être : Tzetz. Chil. 7.621-641 : There is a book by Scylax of Caryanda written about India which claims that there are men called the Sciapodes. Of these the Sciapodes have very broad feet and at midday they drop to the ground, stretch their feet out above them, and give themselves shade.
On songe immédiatement à l'explorateur du Ve qui a influencé Hérodote. Cf IV.44 : La plus grande partie de l'Asie fut découverte par Darius. Ce prince, voulant savoir en quel endroit de la mer se jetait l'Indus, qui, après le Nil, est le seul fleuve dans lequel on trouve des crocodiles, envoya, sur des vaisseaux, des hommes sûrs et véridiques, et entre autres Scylax de Caryanda. Ils s'embarquèrent à Caspatyre, dans la Pactyice, descendirent le fleuve à l'est jusqu'à la mer : de là, naviguant vers l'occident, ils arrivèrent enfin, le trentième mois après leur départ, au même port où les Phéniciens, dont j'ai parlé ci-dessus, s'étaient autrefois embarqués par l'ordre du roi d'Égypte pour faire le tour de la Libye. Ce périple achevé, Darius subjugua les Indiens, et se servit de cette mer. C'est ainsi qu'on a reconnu que l'Asie, si l'on en excepte la partie orientale, ressemble en tout à la Libye.

Malheureusement, hormis ce qu'en a dit Hérodote, ce Scylax nous est inconnu, et seul Tzetzes est capable de nous le citer. Un auteur du XIIe aurait entre les mains un manuscrits d'un auteur du VIe qui personne avant lui ne disposait ???? C'est très douteux... En fait, une fois de plus, il s'agirait plutôt du second Scylax de Caryanda, l'auteur du Périple, qui est postérieur à Polybe puisqu'il serait également l'auteur d'une Réponse aux Histoires de Polybe d'après la Souda, sv. Skulax; et peut-être même identifiable avec l'homme politique et astronome mentionné par Cicéron, De la Divination, II.42, ami de Panaitios, ce qui le situe dans la seconde moitié du IIe av. Un problème tient dans l'absence de l'Asie et de l'Inde en particulier dans le Périple conservé. Mais comme la Souda cite à la fois un Périple autour de la Méditerranée, celui conservé, elle cite également Une description de la terre d'où cette description de l'Inde, qui pouvait en former une partie voire un livre. S'il s'agit bien de celui-ci, Ctésias aurait donc bien l'honneur d'introduire ce mythe en Occident, et serait donc bien d'origine indienne.

Encore faudrait-il que la chronologie concorde : il aurait donc édité son Indikê, avant 414, et était déjà distribué et populaire à Athènes à cette date. Or, Diodore II.32 nous apprend que Ctésias "fut reçu à la cour du roi, où il vécut dix-sept ans comblé d'honneurs.", et il rentre chez lui à l'hiver 398/7 à l'issue d'une mission diplomatique (cf. Photius et Diodore, XIV.46), ce qui placerait son arrivée au service du roi de Perse vers 415 av. Il est a peu près impossible qu'il ait pu voyager en Inde, rédiger son recueil, l'éditer et le populariser à Athènes en quelques mois. Soit la précision de Diodore est fausse (ce que les critiques tendent à penser apparemment, il a été proposé de réduire ce chiffre à 7 ans, ce qui éloigne encore un peu plus la probabilité de faire de Ctésias l'inventeur des Sciapodes), soit il faille renoncer à lui l'apport du mythe en Occident.

Moralité, en dépit des nombreuses difficulté, je ne pense pas que les Sciapodes proviennent de Ctésias, mais d'un auteur antérieur. Mais je n'avance néanmoins pas le nom du Scylax du VIe, dont je doute de l'existence du traité après le Ve et que la localisation d'Antiphon contredit. Un anonyme donc, au cours du Ve, décrirait des Sciapodes Libyens au bout du monde. Ctésias a simplement transposé ce mythe en Inde, peut-être influencé par des rumeurs indiennes entendue sur place, peut-être pas. La genèse de cette fable reste donc mystérieuse....

Tout ça pour arriver à une impasse...


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