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Message Publié : 12 Jan 2012 17:47 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Grippeminaud a écrit :
Mon fils, qui a étudié en classe de sixième Les Métamorphoses d'Ovide, a vécu un véritable enchantement. Ce fil a réveillé en moi le désir de mettre ce livre au-dessus de la pile qui se trouve sur ma table de chevet.


Je signale qu'on peut le trouver pour 19 euro dans la collection de poche Budé en intégralité.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 10 Juil 2012 11:17 
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Philippe de Commines
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Oedipe a écrit :
Ce qui m'intéresse actuellement est le parallèle entre Ariadne et Pénélope. Toutes deux se servent de fils. L'une pour permettre à Thésée de trouver son chemin dans le Labyrinthe... L'autre, dénoue le fil de sa tapisserie, jours après jours, pour se défendre des prétendants.

J'aurais fait une autre parallèle : Ariane et Médée. Toutes deux transgressent par Amour et sont abandonnées par ceux-là même qui leur doivent tout. Les deux réactions divergent.

Citer :
Plus loin, je revoie le Mythe d'OEdipe qui épouse une vieille femme,sa mère,

Pourquoi vieille ? Parce-que "sa mère" ? Attention, là les mots employés deviennent intéressants. B)
Je garde un faible pour Oedipe et Antigone ou pour Electre et Oreste ainsi que l'histoire tissée entre eux et leur devenir une fois le "devoir accompli".
Je pense que la mythologie grecque a tout dit de l'être humain, de ses fantasmes, de ses accablements. Il n'est aucun sentiment au plus profondément enfoui aucun acte "bon ou mauvais" (le jugement est très accessoire, il appartient aux dieux qui sont si proches des hommes par leurs passions...) qui ne soit décortiqué dans un conte.
Les actes ont des effets domino qui de nos jours encore perdurent, c'est en ceci que la mythologie grecque est infiniment instructive et passionnément intéressante.
Elle nous oblige à regarder au fond de nous et à constater que nos actes et nos pensées ne sont que redites.

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"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


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Message Publié : 10 Juil 2012 16:02 
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Georges Duby
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gaete59 a écrit :
J'aurais fait une autre parallèle : Ariane et Médée. Toutes deux transgressent par Amour et sont abandonnées par ceux-là même qui leur doivent tout. Les deux réactions divergent.
Double erreur gaète59, nos deux héroïnes sont abandonnées par ... le destin des hommes, Tyché, et non par ceux qui leur doivent tout. Il n'y a pas de morale dans la mythologie. Anachronisme!
D'autre part, la divergence n'est pas assurée car "Ariane abandonnée" est recueillie endormie sur la plage de Naxos, lieu de l'abandon, par le jeune et beau Dionysos qui l'épouse, elle va gagner l'olympe, immortelle. Qu'aurait-elle fait sinon ? Tout laisse à penser qu'elle aurait cherché à se venger car dans une version du mythe, elle crie vengeance, Zeus l'entend et Dionysos apparait.
Il existe des dizaines de versions du mythe, dont celle d'Ariadne, l'Ariane liée à la lune et une autre qui innocente Thésée.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 10 Juil 2012 20:26 
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Jean Froissart
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Je suis un ardent admirateur des mythologies méditerranéennes mais j'avoue avoir découvert il y a quelques années d'autres mythologies : la mythologie présente dans les légendes d'Afrique noire m'a toujours fasciné depuis que j'ai lu l'Anthologie Nègre de Blaise Cendrars, petit bijou (mais moins scientifique que poétique). J'ai également découvert, à l'occasion d'une excellente émission de "2 000 ans d'histoire" sur France Inter (ça leur arrivait, avant, d'avoir des émissions de qualité... aujourd'hui je ne retiens plus que l'émission de Kathleen Evin) avec Michel Orliac, tout l'imaginaire polynésien transposé dans les mentalités pascuanes de l'île de Pâques.
La richesse de ces mondes vient seulement de s'ouvrir à moi... Quelqu'un aurait-il des références fondamentales sur les mythes d'Afrique noire ?

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Il n'y a pas de littérature sans liberté politique

Memoriam quoque ipsam cum voce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset oblivisci quam tacere


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Message Publié : 13 Juil 2012 16:53 
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Philippe de Commines
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Alain.g a écrit :
Double erreur gaète59, nos deux héroïnes sont abandonnées par ... le destin des hommes, Tyché, et non par ceux qui leur doivent tout. Il n'y a pas de morale dans la mythologie. Anachronisme!

Comment cela, je ne comprends pas "l'absence de morale". C'est à dire que Thésée comme Jason n'y sont pour rien, c'est le destin ?
Alors pourquoi l'opprobe sur Oedipe, le destin y a sa part d'autant plus qu'il s'était fait connaitre avant la naissance ?
Pourquoi Oedipe se crève-t-il les yeux alors qu'il n'est que le jouet du destin ? Pourquoi Jocaste se pend-t-elle ?

Citer :
D'autre part, la divergence n'est pas assurée car "Ariane abandonnée" est recueillie endormie sur la plage de Naxos, lieu de l'abandon, par le jeune et beau Dionysos qui l'épouse, elle va gagner l'olympe, immortelle. Qu'aurait-elle fait sinon ? Tout laisse à penser qu'elle aurait cherché à se venger car dans une version du mythe, elle crie vengeance, Zeus l'entend et Dionysos apparait.

Médée aussi crie vengeance mais nul -sur l'Olympe- ne semble l'entendre. Là encore, il faut donc voir l'infanticide comme une réponse à la surdité des dieux. Médée ne fait que suivre un destin tout tracé ?

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Message Publié : 13 Juil 2012 17:49 
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Jean Froissart
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gaete59 a écrit :
Comment cela, je ne comprends pas "l'absence de morale". C'est à dire que Thésée comme Jason n'y sont pour rien, c'est le destin ?
Alors pourquoi l'opprobe sur Oedipe, le destin y a sa part d'autant plus qu'il s'était fait connaitre avant la naissance ?
Pourquoi Oedipe se crève-t-il les yeux alors qu'il n'est que le jouet du destin ? Pourquoi Jocaste se pend-t-elle ?


Je serais assez d'accord avec vous s'il n'y avait deux choses : tout d'abord, les mythes ne sont pas "stables", il peut exister plusieurs versions pour une même histoire - donc parler de morale délivrée par un mythe n'a pas de sens dans la mesure où celui-ci est malléable ; ensuite, ce que vous dites d'Oedipe et d'Ariane serait justifié si leurs mythes respectifs s'arrêtaient là, or ce n'est pas le cas et je serais assez d'accord avec Alain.g lorsqu'il dit que les hommes sont victimes du destin, non des actes des autres.

Lorsque Thésée, selon l'une des versions du mythe (d'où le problème qu'il y en ait plusieurs), abandonne Ariane, c'est sur un ordre divin et contre son gré mais les hommes ne peuvent aller contre la volonté des dieux, sous peine d'être coupable d'hubris : il abandonne donc Ariane, forcé par sa destiné qui le porte vers un autre avenir que celui d'épouser Ariane - qui devient la constellation du Diadème. L'aventure d'Oedipe ne s'arrête pas à son auto-punition (et encore, je trouve le terme contestable) et se poursuit jusqu'à Colone et son tombeau deviendra un endroit béni par les dieux du fait de sa fertilité. Dans le mythe, rien n'appartient aux hommes, pas même leur folie. Tout est contrôlé par une instance divine.

J'ai donc du mal à voir cette morale dont vous parlez à propos des mythes - mais peut-être ai-je mal compris votre intervention ?

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Message Publié : 13 Juil 2012 17:55 
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Jean Froissart
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Je reviens sur mon intervention à propos d'Oedipe : il n'y a même aucune auto-punition dans le fait de se crever les yeux, son acte est dicté par sa destiné future qui est justement de devenir aveugle - l'aveuglement est toujours voulu par une autorité divine (Tirésias avec Athéna par exemple) en vue de conférer à l'homme un lien avec le divin. Oedipe se crève les yeux certes parce que sa réalité l'effraye mais surtout parce qu'il sent bien qu'il n'a aucune emprise sur sa destiné et ne peut même plus décider du chemin à prendre.

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Message Publié : 13 Juil 2012 18:50 
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Georges Duby
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D'ailleurs dans le cas d'Oedipe, Apollon a parlé: à Laïos il a annonçé que si un fils lui naissait, ce fils le tuerait et par la suite, et l'oracle de Delphes prédit à Oedipe qu'il tuera son père et épousera sa mère. Les oracles d'Apollon s'accomplissent.

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Message Publié : 14 Juil 2012 0:38 
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Philippe de Commines
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Arcadius a écrit :
J'ai donc du mal à voir cette morale dont vous parlez à propos des mythes - mais peut-être ai-je mal compris votre intervention ?

Il est vrai que la mythologie de Thésée se construit sur plus d'un millénaire "...depuis les épopées archaïques -dont une s'appelait la Théséide- jusqu'à la biographie que Plutarque lui consacre dans ses "Vies parallèles"..."
Au fil du temps le mythe s'étoffe et on peut voir un Thésée, après le suicide de son père et accompagné de Pirithoüs, lutte contre les Amazones (dont il séduit la reine), combat les Centaures, tente d'enlever (lui-aussi) Hélène et même Perséphone ! Il sera récupéré par l'idéologie civique athénienne.

Citer :
ce que vous dites d'Oedipe et d'Ariane serait justifié si leurs mythes respectifs s'arrêtaient là, or ce n'est pas le cas et je serais assez d'accord avec Alain.g lorsqu'il dit que les hommes sont victimes du destin, non des actes des autres.

Les humains ne serait que les jouets du destin ? Mais le destin des hommes n'est-il pas arrêté par les dieux et divulgué par les devins ou les oracles.

Citer :
Lorsque Thésée, selon l'une des versions du mythe (d'où le problème qu'il y en ait plusieurs), abandonne Ariane, c'est sur un ordre divin et contre son gré mais les hommes ne peuvent aller contre la volonté des dieux, sous peine d'être coupable d'hubris : il abandonne donc Ariane, forcé par sa destiné qui le porte vers un autre avenir que celui d'épouser Ariane - qui devient la constellation du Diadème.

… Ou l'épouse de Dyonisos. Alors dans le mythe de Persée, il faut comprendre que les dieux accordent à Andromède ou que le destin fait d'Andromède une chanceuse dans l'amour.
Concernant les femmes "...aider dans ces circonstances [Ariane, Médée] signifie aimer..." (G. Sissa). Elles sont donc doublement sous emprise (leur destin et celui de l'être aimé).

Citer :
L'aventure d'Oedipe ne s'arrête pas à son auto-punition (et encore, je trouve le terme contestable) et se poursuit jusqu'à Colone et son tombeau deviendra un endroit béni par les dieux du fait de sa fertilité. Dans le mythe, rien n'appartient aux hommes, pas même leur folie. Tout est contrôlé par une instance divine.

Arrivé à Colone, commence -à la mort d'Oedipe- les tribulations de sa fille Antigone.
Concernant Oedipe, en effet le destin frappe doublement. Oedipe adulte s'enfuit de Corinthe ayant consulté l'oracle et dans ses pérégrinations tue un homme qui s'avère être son père Laïos. La suite est connue et Oedipe roi appelle Tirésias afin de savoir pourquoi soudain son royaume est en perdition et il est évident que nul n'échappe au destin décidé par les dieux et dispensé par les devins.
«Tirésias Je pars mais je dirai d'abord ce pourquoi je suis venu. Ton visage ne m'effraie pas : ce n'est pas toi qui peut me perdre. Je te le dis en face : l'homme que tu cherches depuis peu de temps avec toutes ces menaces […] se révèlera un Thébain authentique […] Il y voyait : de ce jour il deviendra aveugle ; il était riche : il mendiera […] il se révèlera père et frère à la fois des fils qui l'entouraient, époux et fils ensemble de la femme dont il est né […] rentre à présent, médite mes oracles […]
Jocaste Va, […] Tu verras que jamais créature humaine ne posséda rien de l'art de prédire. Et je vais t'en donner la preuve en peu de mots. Un oracle arriva jadis à Laïos, non d'Apollon lui-même mais de ses serviteurs. Le sort qu'il avait à attendre était de périr sous le bras d'un fils qui naitrait de lui et de moi […] L'enfant une fois né, trois jours ne s'étaient pas écoulés que déjà Laïos lui liant les talons, l'avait fait jeter sur un mont désert. […]
Oedipe Ah ! Comme à t'entendre, je sens soudain, ô femme, mon âme qui s'égare, ma raison qui chancelle...

Citer :
J'ai donc du mal à voir cette morale dont vous parlez à propos des mythes - mais peut-être ai-je mal compris votre intervention ?

Je me suis mal exprimée. Dans Oedipe le destin est incontournable semble-t-il tout comme Antigone se voit affligée d'une insoumission chronique. C'est là que s'installe la loi et la morale. Pour jouer pleinement le rôle que le destin lui incombe, Antigone est obligée de se dresser contre le roi donc de se conduire comme un homme. Créon et Antigone se battent à partir de positions obstinées, inconciliables et contradictoires. Le destin joue un rôle mais le spectateur est obligé de prendre parti en fonction de lois orales (Créon) ou de valeurs morales (Antigone). Antigone ne défend pas seulement les lois non écrites qui règlent les rapports entre consanguins, elle protège aussi la coutume qui consiste à respecter les cadavres.
De la même manière, Achille contrevient-il au destin en remettant à Priam le corps d'Hector ?
Il est à noter que Créon sera pris de remords tardifs : les remords sont-ils cadeaux des dieux ou doute réservé aux hommes ?
Les mythes sont fait pour être contés mais aussi pour que leçons en soient tirées. Les spectateurs de Sophocle ne peuvent que cautionner Antigone. Il existe donc une "morale" et une "morale" est toujours le fruit du jugement des hommes. Au-dessus du destin, on se lamente et l'on s'indigne.

L'exemple de Médée est tout aussi étrange car Jason sacrifie la promesse faite à Médée contre un avenir plus sûr et prestigieux dans une maison nouvelle. Il l'avoue sans vergogne :
"Médée Je t'ai sauvé, comme le savent tous ceux des Grecs […] Je l'ai tué (le dragon qui enveloppait la Toison) […] J'ai trahi mon père et ma maison […] J'ai fait périr Pélias de la mort la plus cruelle […] et t'ai enlevé toute crainte. Voilà les services que je t'ai rendus, ô le plus scélérat des hommes. Et tu m'as trahie, tu as pris possession d'un nouveau lit, toi qui avait des fils […] Mais où est-elle la foi de tes serments ? (les serments dans le contexte mythologique importaient devant les dieux)... Crois-tu que les dieux d'alors ne règnent plus ou qu'ils ont établis maintenant de nouvelles lois pour les hommes, puisque tu as conscience de ton parjure envers moi ? […] Où maintenant me tourner ? Vers le palais de mon père que j'ai trahi ainsi que ma patrie pour te suivre ? […]
Jason Pour moi, puisque aussi bien tu exaltes outre mesure tes services, c'est Aphrodite, à mon avis, qui dans mon expédition m'a sauvé, seule entre les dieux et les hommes. Tu as l'esprit subtil mais il t'est odieux de raconter tout au long comment Eros t'a obligée, par ses traits inévitables, à sauver ma personne. […] Qu'as-tu besoin d'autres fils toi ? Mais moi, j'ai intérêt à ce que mes enfants à venir soient utiles à ceux qui vivent. Est-ce un mauvais calcul ? […] Ah ! Il faudrait que les mortels pussent avoir des enfants par quelque autre moyen, sans qu'existât la gent féminine ; alors il n'y aurait plus de maux chez les hommes."

Là encore si le coeur réprouve l'infanticide, il ne peut aussi que réprouver l'attitude qui pousse à cette extrémité. Médée revendique son rôle d'amoureuse héroïque car elle a pris tous les risques. Jason, en revanche, renvoie tout ce qu'elle a pu faire pour lui à l'influence d'Aphrodite et d'Eros. Deux visions opposées de l'amour. C'est moi affirme Médée ; l'amour n'est qu'un égarement d'origine divine rétorque Jason. Mais lorsque la pièce d'Euripide est donnée, il est évident que la part faite à Jason est belle et assurée quoiqu'il ait trahi son serment. Cependant devant un parterre mixte, à défaut de juger, une femme peut comprendre l'acte de Médée : ces fils ne sont rien que le fruit d'un amour qui au final n'a jamais été partagé. Elle aussi peu se dédouaner de ses maternités derrière les dieux qui créent un nouveau destin dans chaque enfant. Mais non, il est dit que l'acte est horrible ; Médée n'a pas même droit à une quelconque empathie. Elle place son amour au-dessus de la maternité, qu'a-t-elle à faire de deux fils issus d'un homme qui la renvoie ? Que ceci soit porté aussi à l'égarement face aux dieux ?

C'est en ces choses que je vois non un jugement mais une sorte de morale évidente. Les mythes ne sont-ils pas fait pour délacer le bien du mal ? Sinon ce ne serait à travers Euripide ou Sophocle par exemple que simples pièces accumulant sur les hommes (donc aucun besoin de légiférer, tout est permis puisque les dieux ont déjà tout tracé, nul libre arbitre) tout le panel du sordide des sens et des pensées. Les dieux ne donnent-ils pas eux-mêmes l'exemple : Cronos n'a-t-il pas lui-même été parricide puis n'a-t-il pas dévoré ses enfants ? Incestueux de plus ? Zeus n'est-il pas l'infidèle par excellence semant ça et là entre mortelles et Héra des enfants dont il engendre aussi bien souvent un destin tragique du fait de ses paternités inconsidérées ?
Si j'ai employé le mot "morale", je pensais à la dualité du bien et du mal. Nul besoin de graver sur une pierre dix commandements pour savoir au fond de nous que "convoiter la femme de son voisin" est "mal" : David en paiera le prix (trahison de son fils Absalon) convoitant Bethsabée, il a transgressé en se débarrassant d'Urie.
C'est un acte réprouvé par la meute si elle veut s'élever au-dessus de la condition animale et fonder un début de société. Une histoire appelle toujours une réflexion et la réflexion basique est souvent dans un premier temps de s'identifier, de prendre parti mais de s'exprimer selon les lois édictées. Il appartient donc aux hommes de se faire les censeurs des dieux et de ne pas répéter leurs actes, ce qui peut paraître étrange et qui, là encore, met l'être humain dans une position inconfortable : ce qui est permis aux dieux semble incompatible avec la loi des hommes.

Alors sur quoi se baser pour légiférer ? Là il existe une sorte de "noeud" que je ne m'explique pas.

L'oracle d'Apollon est respecté à Delphes, on sacrifie à Athéna mais pourquoi des lois puisque l'homme ne s'appartient pas... et la femme appartient à l'homme donc tout est permis. Si dans certaines cités l'abandon des enfants est notoire, une telle manière d'agir sera-t-elle toujours de mise tant que la Grèce sera sous la coupe des dieux et Platon -par exemple- se rangeait-il du côté du destin ou des hommes heureux de se considérer comme les simples jouets des dieux ?

A ce niveau que fut-il enseigné à Alexandre ? Pourquoi l'entourer lors de sa fièvre, pourquoi des médecins puisque le destin fait qu'il faut s'y résoudre : c'est la fin ! Autant attendre qu'Atropos coupe le fil en faisant moultes libations et en remerciant les dieux d'un tel destin et se dire que mourir après tant de conquêtes est une belle mort bientôt proche de celle d'Achille. Il eût fallu se réjouir au lieu de se lamenter.
Il y a donc parfois quelques incohérences entre la croyance et les faits.
Et que penser des législateurs, de la démocratie puisque "même la folie n'appartient pas à l'homme qui en est touché", on ne peut donc condamner. Quel tour incroyable a pu voir l'arrivée de l'ostracisme ? Si la folie n'appartient pas à l'homme, les idées non plus surtout lorsqu'elles sont un tantinet gênantes, qui peut s'ériger en juge ? Sur quels critères ?
On en revient au problème d'Antigone et Créon.

Donc mon problème est : comment s'est-on affranchi des dieux afin de poser des lois régissant une société et une cité ? Grand merci pour l'explication.

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Message Publié : 14 Juil 2012 9:54 
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Georges Duby
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L'explication à mon avis est qu'il y a deux plans: les dieux et la société. Les dieux commandent et pourtant tout le monde subit le destin.
Mais sur le plan pratique, la société doit être régie par des lois et là il y a une morale civique, une morale antique très différente de la nôtre, elle réprime le trouble social et pas l'intention.
César compte sur " sa fortune" qu'il évoque souvent, traduisez son destin (Fortuna), qui est amoral, ce qui ne l'empeche pas d'agir pour la mettre de son côté, un peu comme aides toi, le ciel t'aidera.
Nietzsche a insisté sur la différence entre l'amoralisme antique, y compris dans les lois, de la morale occidentale de son temps venue du christianisme pour lui et qu'il accuse de glorifier la faiblesse en contradiction avec le principe de vie qui est amoral: le loup mange le mouton et ce n'est pas un crime. Nietzsche nie l'humanisme de la civilisation. C'est de la philosophie.

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Message Publié : 14 Juil 2012 16:46 
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Alain.g a écrit :
L'explication à mon avis est qu'il y a deux plans: les dieux et la société. Les dieux commandent et pourtant tout le monde subit le destin.

Il semble que les lois définissent le profane et le sacré bien que la notion soit floue.

Citer :
Mais sur le plan pratique, la société doit être régie par des lois et là il y a une morale civique, une morale antique très différente de la nôtre, elle réprime le trouble social et pas l'intention.

Là je suis et je vous remercie pour la différence pointée entre le trouble social et l'intention.
Au final chaque cité possède ses rites en fonction du dieu tutélaire et la piété seule est importante et considérée.
La mythologie est un peu la littérature du temps.
Socrate, dans une autre ville n'aurait peut être pas eu à boire la décoction fatale. Il est à noter que sa fin et l'acceptation de celle-ci anticipe déjà certaines idées de Zénon.
Le "surhomme" proposé par Nietzsche serait donc un "héros antique" qui a substitué la volonté au destin dans une sorte de transcendance ? Cependant c'est alors ignorer la faiblesse de l'homme face aux sentiments et faire emporter la raison sur la matière, ce qui n'est pas et encore moins dans la mythologie ou l'homme semble bien faible puisque les dieux lui sont nécessaires afin de s'absoudre.

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Message Publié : 11 Nov 2012 10:09 
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Hérodote
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Bonjour,

Alors en ce qui me concerne ma mythologie préférée est la grec que je connais depuis que je suis toute petite. Récemment je me suis mise à la mythologie nordique et j'avoue que c'est passionnant. Je suis d'ailleurs en train de faire mon propre "dictionnaire" avec les connaissances acquises.

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Mon club de lecture en ligne
http://le-club-de-lecture.forumactif.com/

Mon forum sur la mythologie :
http://mythologiedumonde.forumactif.org/


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Message Publié : 09 Juin 2013 18:37 
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Georges Duby
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Les mythes grecs correspondent souvent aux grandes questions de la condition humaine, dont ils sont une illustration.
L'un des plus beaux est tiré de l'Antigone de Sophocle et du débat entre Antigone et le tyran de Thèbes Créon. Celui-ci a interdit qu'on enterre le frère d'Antigone, tous deux enfants d' Oedipe et de Jocaste.
Antigone conteste la décision au nom de la justice, des traditions. Créon invoque les lois et la raison d'Etat. Sophocle traite donc le débat entre Justice et force, justice et pouvoir.
Un débat éternel, Antigone a toujours ses adeptes qui pensent que la justice doit primer les lois et contestent la raison d'Etat. Mais Créon gagne toujours. Il est fréquent d'entendre un homme politique citer encore de nos jours Antigone et Créon dans un débat.

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Message Publié : 09 Juin 2013 21:46 
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Polybe
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Alain.g a écrit :
Les mythes grecs correspondent souvent aux grandes questions de la condition humaine, dont ils sont une illustration.
L'un des plus beaux est tiré de l'Antigone de Sophocle et du débat entre Antigone et le tyran de Thèbes Créon. Celui-ci a interdit qu'on enterre le frère d'Antigone, tous deux enfants d' Oedipe et de Jocaste.
Antigone conteste la décision au nom de la justice, des traditions. Créon invoque les lois et la raison d'Etat. Sophocle traite donc le débat entre Justice et force, justice et pouvoir.
Un débat éternel, Antigone a toujours ses adeptes qui pensent que la justice doit primer les lois et contestent la raison d'Etat. Mais Créon gagne toujours. Il est fréquent d'entendre un homme politique citer encore de nos jours Antigone et Créon dans un débat.

A titre d'illustration, quand j'étais étudiant en droit en Ière année, la question d'Antigone a été le sujet d'un des premiers cours pour distinguer la notion de droit naturel (antigone) du droit positif (droit de la cité : Créon).
Ces deux droits ne sont pas forcément contradictoires mais peuvent aussi souvent s'opposer.


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Message Publié : 09 Juin 2013 21:46 
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Pierre de L'Estoile
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Alain.g a écrit :
Les mythes grecs correspondent souvent aux grandes questions de la condition humaine, dont ils sont une illustration.
L'un des plus beaux est tiré de l'Antigone de Sophocle et du débat entre Antigone et le tyran de Thèbes Créon. Celui-ci a interdit qu'on enterre le frère d'Antigone, tous deux enfants d' Oedipe et de Jocaste.
Antigone conteste la décision au nom de la justice, des traditions. Créon invoque les lois et la raison d'Etat. Sophocle traite donc le débat entre Justice et force, justice et pouvoir.
Un débat éternel, Antigone a toujours ses adeptes qui pensent que la justice doit primer les lois et contestent la raison d'Etat. Mais Créon gagne toujours. Il est fréquent d'entendre un homme politique citer encore de nos jours Antigone et Créon dans un débat.

Effectivement Alain, les mythes grecs (les autres aussi d'ailleurs) ont bien souvent encore une résonance actuelle de par leur traitement de thèmes essentiels de vie en société ou de vie tout court. Les mythes grecs sont certainement plus accessibles à notre intellect du fait que la Grèce antique est l'une des racines ataviques de l'Europe.
Certainement la principale même…
Bien à vous.

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et tout le reste n'est que littérature


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