Jean-youri a écrit :
Je cite Thersite : "le Thrace ou Gète Zalmoxis (rappelons qu’Orphée est lui-même thrace) passe pour avoir réussi quant à lui : il s’enfonce dans une caverne, passe pour mort et revient à la vie 10 ans plus tard. "
Je ne connais rien de cette histoire, serait-il possible de développer la discussion sur ce thrace Zalmoxis ?
A quelle époque a-t-il vécu ?
Quelle est son histoire ?
Quelle est la signification de sa légende ?
D’abord, je me corrige : il ne disparait pas 10 ans, mais « seulement » trois ans révolus. J’ai du confondre avec d’autres magiciens du même accabit, Epiménide je crois ou Aristéas qui usent du même procédé.
De nos jours, on l’appellerait un chaman. Magicien, philosophe, médecin, intermédiaire avec les dieux, mais aussi législateur et homme d’état, il finit sa vie sous une forme divinisée, un
daimon, forme sous laquelle il poursuit sa tâche d’intermédiaire avec les autres divinités.
Jean-youri a écrit :
A quelle époque a-t-il vécut ?
La plupart des Grecs veulent absolument en voir un disciple de Pythagore, pour la simple raison que le Pythagorisme partage de nombreux points communs avec ce chamanisme, en particulier au niveau de la doctrine de l’immortalité de l’âme, mais on connait aussi les espèces de « voyage astrales » de Pythagore, à rapprocher de ceux d’Aristéas de Proconèse ou d’Anacharsis le Scythe. Donc, selon cette version, au milieu du VIe. Mais certains en doutaient et en faisaient un personnage plus ancien (à commencer par Hérodote). Est-il pour autant un personnage historique ? Ce n’est pas impossible, puisque sous Byrebistas, nous continuons à voir un personnage approchant, Décainéos, qui fait figure d’éminence grise du royaume, magicien, grand prêtre, devin, etc. Et lui aussi a été divinisé de son vivant (pour ce personnage, assurément historique lui, voir en particulier Strabon VII.3.5, 3.11 et XVI.2.39).
Jean-youri a écrit :
Quelle est son histoire ?
Voir pour les plus importants Hérodote, IV.94-96 ; Platon,
Charmide, 5 ; Diodore I.94 ; Strabon, VII.3.5 ; Souda,
s.v. Zalmoxis ; Photius,
Bibliothèque, 266 ; Jordanès, 5.
Selon certains Grecs donc, il était à l’origine un esclave de Pythagore, et devint rapidement son disciple et ami, et auquel il aurait emprunter de nombreux traits de sa doctrine, entre autre l’immortalité de l’âme mais aussi le fait d’être végétarien. Affranchi, enrichi, il mène quelques voyages qui le portent jusqu’en Egypte (Strabon VII.3.5) où comme d’habitude il bénéficie des leçons des prêtres égyptien. Il retourne alors chez lui et met à profit sa richesse pour régaler les puissants et en profite pour leurs enseigner ses principes d’immortalité de l’âme, les morts destinés à rejoindre un paradis où ils vivraient éternellement dans l’abondance (Hérodote IV.95). Joignant la démonstration à la parole, « P
endant qu'il traitait ainsi ses compatriotes, et qu'il les entretenait de pareils discours, il se faisait faire un logement sous terre. Ce logement achevé, il se déroba aux yeux des Thraces, descendit dans ce souterrain, et y demeura environ trois ans. Il fut regretté et pleuré comme mort. Enfin, la quatrième année, il reparut, et rendit croyables, par cet artifice, tous les discours qu'il avait tenus. » Telle est la version grecque, ou plus particulièrement la version «
des Grecs qui habitent l'Hellespont et le Pont », et on ne peut que songer à Abaris, Aristéas et Anacharsis, originaires tous de la même région et qui connaissent peu ou prou la même aventure (voir aussi Strabon VII.3.5 qui offre une autre version de la conversion des Gètes). Selon Strabon, c’est d’abords par ses talents de devin qu’il se fait remarquer, et devient ainsi grand prêtre de la principale divinité, puis est associé au trône et donne par ce moyen naissance à une nouvelle religion.).
Toute cette partie biographique est bien entendu purement imaginaire. Reste néanmoins son œuvre et ses doctrines toujours enseigné à l’époque historique au moins jusqu’aux campagnes de Trajan. Il n’était pas le seul, d’autres « philosophes » gètes sont réputés l’avoir précédé (Dicaineos, Zeutas. Cf. Jornandès, 5).
Médecin, il use d’enchantement, d’incantations, de formules magiques, mais servis par une philosophie très intéressante : pour lui, âme et corps sont intimement liés, et on ne peut soigner le corps sans soigner l’âme en même temps. Par conséquent, la médecine du corps doit être accompagnée d’enchantements qui eux soignent l’âme. Cette doctrine médicale perpétuée par ses disciples a su convaincre un certain… Socrate ! «
Zalmoxis, notre roi, qui est un dieu, affirme que, s’il ne faut pas essayer de guérir les yeux sans la tête, ni la tête sans les yeux, il ne faut pas non plus traiter la tête sans l’âme et que, si la plupart des maladies échappent aux médecins grecs, la raison en est qu’ils méconnaissent le tout dont ils devraient prendre soin ; car, quand le tout est en mauvais état, il est impossible que la partie se porte bien. En effet, disait-il, c’est de l’âme que viennent pour le corps et pour l’homme tout entier tous les maux et tous les biens ; ils en découlent comme ils découlent de la tête dans les yeux. C’est donc l’âme qu’il faut tout d’abord et avant tout soigner, si l’on veut que la tête et tout le corps soient en bon état. Or l’âme se soigne, disait-il, par des incantations (…) Garde-toi bien de te laisser engager par qui que ce soit à soigner sa tête avec ce remède, s’il ne t’a d’abord livré son âme pour que tu la soignes par l’incantation. C’est aujourd’hui, disait-il, l’erreur répandue parmi les hommes de vouloir guérir séparément l’âme ou le corps. Et il me recommanda instamment de ne céder à personne, si riche, si noble, si beau qu’il fût, qui voudrait me persuader d’agir autrement. J’en ai fait le serment, je dois le tenir et je le tiendrai. Si donc tu veux, conformément aux recommandations de cet étranger, livrer d’abord ton âme aux incantations du Thrace, j’appliquerai mon remède à ta tête ; sinon, je ne puis rien faire pour toi, mon cher Charmide. » (Platon,
Charmide, 5). Ces enchantements formaient une sorte de litanie psalmodiée à voix basse à l'oreille du patient (cf. Julien,
Consolation à Salluste, 3 ;
Les Césars, 4).
Devin, il est initié à l’astrologie et à l’étude des signes (Strabon, VII.3.5 ; voir aussi Photius 166), et s’impose par ce biais comme interprète de la volonté des dieux. En tant que tel, il est associé comme ses successeurs jusqu’à Décaineus, au trône en tant que Grand Prêtre, et ce grand pouvoir temporel lui permet de modifier en profondeur la vie de son peuple, que ce soit au niveau législatif, théologique ou social. Voir Strabon VII.3.11.
Législateur, il donne aux Gètes une partie de leurs lois, les validant en les présentant comme des lois divines inspirées par Hestia (Diodore I.94). Ses lois sont donc inspirées, donc sacrées et immuables. Un bon vieux procédé qu'on retrouve un peu partout, de Moïse à Numa.
Théologien surtout, il aurait fondé une nouvelle religion caractérisée par la foi en l’immortalité de l’âme, la pratique de la magie et l’instauration de Mystères. Outre sa propre résurrection sur la Montagne Sacrée, on lui attribue d’autres « démonstrations » mise en scène (ainsi les personnages d’Antoine Diogène sont en sa présence « morts et ressuscités alternativement, morts pendant le jour, et rendus à la vie pendant la nuit. » Cf. Photius 166). C'est l'aspect qui a le plus étonné les étrangers, en particulier l'insouciance des géto-daces au combat, qui n'épargnent pas leur vie convaincu que la mort leur accordait une "vie" meilleure (à rapprocher d'autres tradition thraces, contés par Hérodote toujours, où les Thraces prennent le deuil à la naissance des leurs et font la fête à leur mort).
Depuis sa mort (définitive celle-ci !) ou même avant, Zamolxis est divinisé (assimilé à Cronos selon Mnaséas, à tort sans doute, influencé par son statut de Grand Prêtre de la Divinité principale et par le sacrifice humain qui l'accompagne) ou pour mieux dire héroïsé, car je n’ai pas l’impression qu’un culte lui soit véritablement destiné, il sert encore et toujours d’intermédiaire et répartis ensuite les prières de ses ouailles auprès des autres dieux, d’où cette sensation faussée d’un « monothéisme » gète que l’on retrouve de temps à autres chez nos sources, en particulier chrétiennes. D’ailleurs, d’autres grands prêtres sont eux aussi divinisés. Tous les cinq ans, les Gètes procèdent pour cela à une étrange cérémonie : «
Tous les cinq ans ils tirent au sort quelqu'un de leur nation, et l'envoient porter de leurs nouvelles à Zalmoxis, avec ordre de lui représenter leurs besoins. Voici comment se fait la députation. Trois d'entre eux sont chargés de tenir chacun une javeline la pointe en haut, tandis que d'autres prennent, par les pieds et par les mains, celui qu'on envoie à Zalmoxis. Ils le mettent en branle, et le lancent en l'air, de façon qu'il retombe sur la pointe des javelines. S'il meurt de ses blessures, ils croient que le dieu leur est propice ; s'il n'en meurt pas, ils l'accusent d'être un méchant. Quand ils ont cessé de l'accuser, ils en députent un autre, et lui donnent aussi leurs ordres, tandis qu'il est encore en vie. » (Hérodote, IV.94). Clément d’Alexandrie (
Stromata IV.8) propose une version légèrement différente ; la cérémonie est annuelle, et les messagers non pas tirés aux sorts mais élus, ce qui est assez logique étant donné l’honneur que cela représente : «
Une nation barbare qui n'est pas étrangère à la philosophie, élit chaque année, dit-on, un des siens pour l'envoyer en députation auprès du demi-dieu Zamolxis, autrefois disciple et ami de Pythagore. Celui qui a été jugé le plus digne est immolé, tandis que ceux qui ont brigué le même honneur, mais sans l'obtenir, s'affligent d'avoir été rejetés d'un sacrifice que couronne la béatitude. »
Jean-youri a écrit :
Quelle est la signification de sa légende ?
J’avoue être assez réticent quant à l’interprétation des mythes sur lesquels nous savons si peu et dont les échos sont si peu fiables (mythes sur lesquels je ne me suis d’ailleurs jamais vraiment penché, ma collection de textes est ancienne et je n’ai pas pris le temps de la compléter), exercice toujours très délicat quand on touche aux mentalités et ici, cette difficulté est accentuée par l’état de nos sources, qui s’étalent sur des siècles, qui sont toutes le reflet de la vision d’étrangers sur ce mythe et ses cultes, et qui chacun interprètent ce qu’ils entendent ou croient entendre à leur sauce. A la sauce grecque pour les uns (en particulier tout ce qui tourne autour du Pythagorisme), à la sauce dace pour d’autres (Strabon et ses parallèles systématiques avec le bras droit de Byrebistas ; or les Gètes du VIe n’ont que peu à voir avec les Daces du Ier), à la sauce germanique pour d'autre encore (en particulier Jordanès et sa vision du mythe, miroir du Walhalla goth), sans oublier les chrétiens qui veulent y apercevoir un charlatan un peu trop ressemblant à JC par certains aspects…
Autrement dit, prudence.
Au premier degré, il s’agit de toute manière de la démonstration de sa doctrine, et a mon avis il faut l’interpréter parallèlement aux autres manifestations du chamanisme balkanique et dans une certaine mesure aussi avec l’orphisme et les autres mythes à mystères d’origine thrace. Mais je ne domine pas, je cède donc la parole à d’autres.