Je constate en suivant les contributions sur ce fil que nous avons affaire en gros à deux générations, et la première, dont je fais partie, n'est pas disposée à perdre ses acquis si chèrement accumulés tout au long de la scolarité. Nous avons eu de précieux auxiliaires pour la défense de ce trésor qui paraît bien suranné aujourd'hui: pour peu que l'on lût le journal, force était de constater que dans un produit d'un certain niveau, comme "Le Monde" à l'époque, il fallait chercher longtemps pour trouver des fautes. Les linotypistes faisaient office de correcteurs infaillibles, mais aujourd'hui, avec la composition assistée par ordinateur, qui prend encore la peine de se relire? (Ce qui n'excluait d'ailleurs pas le risque du "mastic" et des "apparentements terribles" chers au "Canard enchaîné"
).
Si attaché que je sois à la grammaire et à l'orthographe, j'admets toutefois que certaines réformes seraient les bienvenues, principalement au nom de la logique. Pourquoi nos amours sont-elles mortes, elles qui furent singulièrement ardentes au temps du roi Henri, et que l'amour, lui, est bien vivant? C'est dire que nous sommes dans un processus d'évolution qui est loin d'être achevé, et qu'il faudra attendre un certain temps encore pour que les amours plurielles deviennent des amours bien virils. Il a bien fallu plusieurs siècles, si ce n'est un millénaire, avant que ne disparaissent les deux derniers cas qui subsistaient de la déclinaison latine, il est est de même dans d'autres langues telles que l'anglais, où seule subsiste, dernier bastion de la conjugaison saxonne, la troisième personne. Toutes les autres sont semblables à la forme infinitive.
En allemand, si la langue standard a gardé ses déclinaisons, ce n'est pas le cas des dialectes, dont certains ignorent le génitif saxon que l'on retrouve en anglais (avec 's), préférant l'emploi du datif (que l'on retrouve parfois en français, comme par exemple "le fils à la Martine").
En Alsace, qu'elle fût allemande ou française, le dialecte, langue purement orale et non codifiée, marquait la distinction entre l'expression orale et l'expression écrite. Il était parlé dans tous les milieux, ruraux, ouvriers et intellectuels. Le français centralisateur a voulu le réduire au rang de "patois", terme qui stigmatise à proprement parler des individus incultes et attardés, à l'instar du flamand en Belgique quand le français régnait sans partage. Au Tyrol, je parle le dialecte tyrolien en famille, au travail, voire je l'écris sur les forums, si cela reste entre nous, entre membres d'une certaine communauté. C'est la même chose en Suisse alémanique. Mais il va sans dire que je recours à la langue standard pour communiquer avec une personne extérieure à ce cercle.
Avec la disparition des patois, dialectes et des langues régionales (qui ne peuvent survivre que si elles sont vécues et utilisés dans tous les domaines de la vie publique, sinon, c'est du folklore d'intellectuels), le français s'est retrouvé dans la situation d'assumer tous les registres, tous les niveaux du parlé et de l'écrit. L'argot, le verlan qui étaient la marque de milieux très fermés tombent dans le domaine public, et de ce fait, deviennent dévalorisés aux yeux de leurs créateurs. Il y aura de nouveaux termes quand les keufs, les meufs et autres queums ne feront plus recette. Dans les années 80, quand on croyait parler "branché", on était déjà déconnecté de la réalité d'un langage devenu "câblé". Le langage suit l'accélération du développement technique, nous cherchons à tenir le rythme, mais le poids de nos acquis et de nos souvenirs nous donnent peine à suivre. Pour nous consoler, disons-nous bien que de tous temps, depuis que l'homme existe, les anciens ont toujours traité les jeunes de bons à rien, ont vilipendé les nouvelles manières, etc, etc. C'est humain, quoi.