Zunkir a écrit :
C'est au moment où Napoléon III a des ambitions vers une partie de l'Amérique : une Europe latine (dirigée par la France) doit guider une Amérique latine. Cela se fait contre l'expansion américaine vers le reste de l'Amérique (Doctrine Monroe). Donc l'affrontement Europe/Etats-Unis vers l'Amérique hispanique et portugaise aboutit à la popularisation de l'idée d'une Amérique "latine". C'est à ce moment-là que ce concept se répand dans le milieu scientifique, même s'il existe avant (WP anglais évoque Michel Chevalier). Cette idée de latinité d'une partie de l'Amérique transparaît aussi chez Reclus, même si je ne suis pas sûr qu'il parle explicitement d'Amérique latine. En tout cas le concept s'est imposé depuis contre les autres dénominations, face à l'Amérique hispanique qui elle est promue par l'Espagne au temps de Franco, ou encore l'Amérique ibérique. Elle rassemble plus de territoires, tout en excluant l'Amérique anglo-saxonne qui est en fait celle qui a sans doute le plus déterminé la victoire de ce concept, par opposition donc. Elle est catholique face à un nord protestant, elle est issue d'une colonisation à dominante ibérique et issue souvent de conquêtes violentes et non de colonies de peuplement (moins prédatrice dans les premiers temps, même si à l'arrivée le résultat a été similaire). Mais les Etats-Unis comme l'Europe ont contribué à l'élaboration de ce concept d'Amérique latine, par leurs propres représentations et en ayant été des lieux de production de la culture de latinos-américains (Paris notamment, pôle culturel latino-américain pendant longtemps).
C'est très intéressant. Voici effectivement ce que dit Michel Chevalier dans l'introduction de son ouvrage
Lettres sur l'Amérique publié en 1838 (que l'on trouve sur Google Livres):
Notre civilisation européeenne procède d'une double origine, des Romains et des peuplades germaniques. [...] Ainsi, il y a l'Europe latine et l'Europe teutonique; la première comprend les peuples du Midi, la seconde, les peuples continentaux du Nord et l'Angleterre. Celle-ci est protestante, l'autre est catholique. L'une se sert d'idiomes où le latin domine, l'autre parle des langues germaines.
Les deux rameaux, latin et germain, se sont reproduits dans le nouveau monde. L'Amérique du Sud est, comme l'Europe méridionale, catholique et latine. L'Amérique du Nord appartient à une population protestante et anglo-saxone.
[...]
Mais depuis un siècle, la supériorité, qui était autrefois du côté du groupe latin, est passé au groupe teutonique (...). La race slave, qui est récemment apparue, et qui constitue maintenant dans notre Europe un troisième groupe distinct, semble même ne vouloir laisser aux peuples latins que le dernier rang.
[...]
Dans notre Europe à trois tête, latine, germanique et slave, deux nations, la France et l'Autriche, se présentent avec un caractère moins spécial et des facultés moins exclusives que les autres. La France participe des deux natures, germanique et latine; en religion, elle est catholique par sentiment, et protestante par humeur; elle réunit le nerf intellectuel des Allemands avec le goût élégant des Méridionaux. L'Autriche, par l'éducation et l'origine des populations de ses Etats divers, est mi-slave mi-germaine. Elle a un lien avec les Latins par la religion.
La France et l'Autriche sont les intermédiaires naturels, l'une entre les Germains et les Latins, l'autre entre les Germains et les Slaves.
[...]
Cependant, l'Autriche est principalement germaine; de même la France, par l'ensemble de ses traits distinctifs, se range dans le groupe latin.
[...]
La France forme la sommité du groupe latin; elle en est la protectrice.Les critères choisis sont donc relativement variés (et flous); critère géographique (le Midi), critère religieux (le catholicisme) et critère linguistique (le latin). Transposés par lui à l'Amérique, ils collent avec l'idée qu'il se fait (et tout le monde à sa suite) de l'Amérique latine: sud, langues latines, catholicisme. Il omet juste de mentionner le Québec qui, d'après deux de ses trois critères (langue et religion) serait donc également latin.
Il est également intéressant de constater que les premiers Sud-américains à employer ce thème de la latinité ont, comme Glutzenbaum nous l'a montré avec Barquín, séjourné à Paris dans les années 40 et 50 du XIXème siècle. Ce serait donc en France que ce concept de latinité serait né et qu'il aurait ensuite gagné l'Amérique.
En tout cas, on avance...