Louis-Auguste a écrit :
La question de la francisation des noms étrangers dans notre langue est un autre problème.
Problème également abordé par Renaud Camus d'ailleurs !
Citer :
TORINO. On commence à entendre certains Français
parler en français de Torino, de Ravenna, de Lucca,
de Salamanca ou de La Coruña. Paradoxalement, ce
sont en général des Français qui sont peu familiers
de l'Italie ou de l'Espagne ; peu au fait, en tout cas,
des liens anciens et intimes de la France avec ces
pays, et de la place que tiennent ces villes dans
notre culture, et dans notre amour.
On pourrait considérer, bien sûr, que ce serait
un pas vers l'unité de l'Europe que de convenir que
le nom des villes, sur tout le continent, serait désor-
mais celui qu'elles portent dans la langue parlée
entre leurs murs. En anglais, en danois, en portu-
gais, en grec, en français, on ne dirait plus que
Roma, Firenze, Ghent, Lisboa, Dover, Cortrijk, Toledo,
München, Saloniki. La commodité y gagnerait, le
sentiment communautaire aussi.
Mais la culture, elle, y perdrait – cela du moins si
elle est épaisseur des siècles, intimité, inscription dans
les livres et les cœurs. Firenze est un très beau nom,
pour Florence ; mais depuis le temps que nous
aimons Florence, il nous semble que sa lumière et
son rayonnement ne sont pas séparables de ces lettres
et de ce bruit-là, Florence. Firenze est plus juste et plus
vrai, sans doute. Mais Florence est plus fidèle à l'écho
de cette justesse en nous, et de cette vérité.
Ce sont les Français qui découvrent Lucques, ou
qui n'en ont jamais entendu parler, qui disent Lucca
comme les Italiens. Nous qui aimons cette ville
depuis bien avant nous, mais d'un amour français, de
voyageur français et d'amant étranger, nous disons
Lucques comme faisait Montaigne, ou son valet.
Les villes étrangères ont des noms français dans
la mesure exacte de la curiosité, du respect et du goût
que leur a portés la culture française, à tort ou à rai-
son. Grossetto n'en a pas, Orvieto non plus bizarre-
ment ; ni Rovigo, ni La Spezia, ni Casalpusterlengo ;
ni Huesca, ni Porto, ni Maastricht, ni Bonn. Mais
nous disons Mantoue, Un rêve fait à Mantoue, Le
Château d'Udine, Le Château d'Otrante, Crémone,
Vicence, Turin, Urbin, Assise, Livourne, Messine,
Tarente, Plaisance, Verceil, Vintimille ; nous disons
Saragosse, Cadix, Aix-la-Chapelle, Brême, Bruges,
Bois-le-Duc, Cantorbéry. Certains de ces noms sont
prêts à lâcher, on le sent bien. Urbin ne tient plus
qu'à peine. Combien de temps allons-nous dire
Trêves, ou Nimègue, ou La Corogne ? Et pourtant il
nous semble que le monde sera plus plat, quand
Venezia aura cessé d'être aussi Venise, sur les bords
lagunaires de son nom.