Cette carte a le mérite d'exister, mais elle n'évite pas un écueil habituel de bien des recherches sur le sujet : la généralisation, et son corollaire la simplification.
Je prends un exemple que je connais bien, pour l'avoir longuement pratiqué : les parlers dits bourguignons. D'après la carte des Archives Nationales, ils semblent communs aux départements de la Nièvre, de la Côte d'Or et de la majeurs partie de la Saône-et-Loire. La réalité est beaucoup moins simple.
En effet, un habitant des hauteurs du Morvan (partagé entre les quatre départements de la région administrative Bourgogne - avant la fusion des grandes régions) et un habitant des plateaux bourguignons proprement dits (Autun, Semur) et des Côtes (Dijon, Beaune, Châlon), territoires tous situés à l'Est du Morvan sauront se comprendre. En revanche, ils auront de la peine à se faire comprendre d'un habitant du Bazois, du Nivernais ligérien ou de la Puisaye (Decize, Nevers, Cosne, Saint-Amand), situés à l'ouest. Ainsi moi qui suis
nivernais de Nevers, j'ai parfois dans mon métier bien de la peine à comprendre des vieux morvandiaux, alors que je comprenais sans mal des (bas-)nivernais.
La carte ci-après entre beaucoup plus dans les détails et montre clairement que le morvandiau est fait partie aux parlers de la Bourgogne historique (Côte d'Or, Saône-et-Loire, sud de l'Yonne), tandis que le bas Nivernais est à rattacher aux parlers berrichons (Cher et Indre) et bourbonnais (Allier), eux-mêmes à rattacher aux parlers des pays ligériens. Ces constats ont été faits de longue date (par des érudits et des savants, dont, pour le Nivernais du début du XXe siècle, l'Abbé Jean-Marie Meunier, savant linguiste, docteur de deux universités de renom (Sorbonne et Coimbra).
Pièce jointe :
Parlers-de-bourgogne.png [ 191.42 Kio | Consulté 15546 fois ]
Un exemple vécu de ce que j'avance ? Ce dialogue entendu à la fin des années 1970 (je vous fais grâce de l'accent
) entre une dame morvandelle et un
parisien (comprenez :
toute personne qui n'est pas du coin) :
D'abord en morvandiau :
"Pour aller au bourg, faut prendre l'sautiau dans la trasse"
Devant les yeux écarquillés de son interlocuteur, la dame s'est alors sentie obligée de traduire en nivernais :
"Pour aller au bourg, faut passer l'échailler dans la bouchure"
Il a bien fallu qu'on vienne à leur aide pour expliquer (tout en rigolant) :
"Pour aller au bourg, il faut utiliser l'espalier qui franchit la haie"
Explication :
en bourguignon et en morvandiau, la trasse (mot formé sur le verbe tresser) est la haie typique du bocage, où les brins de noisetiers sont savamment entrelacés pour être impénétrables,
en nivernais on parle de bouchure, en berrichon de boucheture, et en bourbonnais de bouchue.
l'étymologie de sautiau (mot bourguignon) est assez évidente,
celle d'échailler (mot nivernais) est à rapprocher des mots échelle, escabeau, voire espalier,
ce sont des sortes d'escabeaux interrompant la haie, afin de permettre le passage des hommes, mais pas celui du bétail.
(ils ont hélas presque tous disparus, je n'arrive même pas en trouver une illustration sur internet).