Désolé de faire remonter ce sujet des abysses du temps, mais la linguistique historique est mon domaine de prédilection, et je voudrais revenir sur certains points.
Tout d'abord il faut bien distinguer les influences et emprunts documentés historiquement des contacts préhistoriques et au niveau des proto-langues.
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On sait également que les Hittites ont subi une forte acculturation et que même les linguistes indo-européanistes ont du mal à percevoir des idiomes proprement IE dans leur langue.
Il n'y a pas forcément de lien entre une influence extérieure et le degré de divergence d'une langue.
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L'existence d'une proto-langue commune nous ayant au moins légué quelques racines universelles, paraîtrait logique dans l'hypothèse où nous serions tous issus d'un berceau commun...
On entre alors dans le débat de l'origine de la parole : depuis quand l'homme parle-t-il? Néanderthal avait-il un langage parlé?
Les hypothèses sur l'origine des langues peuvent se ranger en plusieurs catégories (les appellations sont de moi) :
1- hypothèses "Babel" : le langage a une seule et même origine, une langue mère commune universelle
2- hypothèses "Arche de Noé" : il est possible qu'il y ait eu plusieurs langues à l'origine, mais une seule a survécu et toutes les langues connues en sont les descendantes (ce qui n'exclue pas qu'on trouve un jour des traces de ces langues disparues)
3- hypothèses "athées" : il n'y a pas de langue mère commune à toutes les langues, les langues sont apparues plusieurs fois indépendamment
4- hypothèses "agnostiques" : il n'est pas (et c'est peut-être impossible) prouvé qu'il y ait une langue mère commune, les langues sont peut-être apparues plusieurs fois indépendamment
5- hypothèses "négationnistes" : les familles de langue n'existent pas, les similarités des langues sont la conséquence de leur influence mutuelle et n'ont d'une origine commune.
Inutile de dire que la plupart des linguistes adoptent la thèse 4.
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QUELS étaient les premiers mots d' Homo sapiens ? Dans son ouvrage L'Origine des langues (éd. Belin, collection « Débats »), paru en 1994, le linguiste américain Merritt Ruhlen prétend avoir identifié, en collaboration avec John Bengston, une trentaine de racines appartenant à la langue présumée des ancêtres de l'humanité actuelle, partis à la conquête du monde depuis l'Afrique de l'Est, voilà plus de 50 000 ans.
[...]
M. Ruhlen - scientifique de renom, disciple du grand linguiste Joseph Greenberg
Ce livre est scandaleux, un opuscule obscurantiste et démagogue ("les linguistes sont bornés et n'y connaissent rien, je vais vous montrer qu'avec un peu de bon sens vous pouvez trouver la vérité facilement"). Merritt Ruhlen est effectivement renommé, mais plutôt pour le caractère farfelu de ses théories et de sa méthode. Certes il fut l'élève du grand Greenberg et en est l'héritier, mais il ne faut pas tomber dans le piège : Greenberg est considéré comme un des plus grands linguistes du siècle, mais dans le domaine de la linguistique historique, sa méthode est rejetée unanimement par les linguistes, sauf... Ruhlen.
En effet sa méthode dite de "comparaison massive/multilatérale" diffère de la méthode traditionnelle universellement acceptée par les linguistes. Et il a été démontré que la méthode Greenberg-Ruhlen était erronée et incapable de prouver la parenté entre les langues.
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En observant, dans de très nombreuses langues, la redondance de suites de sons associées à certaines notions fondamentales, le linguiste américain, professeur à l'université Stanford, conclut qu'au sortir de son berceau africain sapiens disait, par exemple, aq'wa pour désigner l'eau. Dans cette hypothétique langue mère, tik signifierait « un » ou « doigt », mano voudrait dire « homme » et « tenir à la main » se dirait kama...
Que fait Ruhlen concrètement? Il examine de nombreuses langues à la recherche de similarités, mais sans prêter attention à l'histoire de ces langues, à l'evolution de la forme et du sens des mots, aux emprunts, aux onomatopées, etc. Bref, beaucoup de bruit pour rien...
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Pierre Bancel et Alain Matthey de l'Etang poursuivent pourtant des objectifs semblables. Ces deux chercheurs français, financés par une institution américaine, le Santa Fe Institute, ont cependant restreint le champ de leurs investigations aux termes décrivant les systèmes de parenté. Ceux-ci, explique M. Matthey de l'Etang, « ont un intérêt linguistique particulier du fait qu'ils sont à la fois fondamentaux et d'une grande importance dans toutes les cultures ». Deux termes se retrouvent notoirement dans une proportion importante des 6 000 langues actuelles. La mère est désignée par les mots de la forme mama ou nana - notés (m) ama et (n) ana. Les formes papa ou baba - notés (p) apa -, désignent, elles, le père ou un aïeul de la branche paternelle.
Les systèmes de parenté ne sont pas universels, il faudrait donc savoir quel serait le proto-système des premiers sapiens. En suite tout le monde sait que les mots comme mama, papa, baba se retrouvent dans toutes les langues car se sont les premiers sons maîtrisés par les enfants, pas parce qu'il s'agit d'un héritage d'une langue originelle. Reste que les bébés préhistoriques disaient aussi sûrement "mama".
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La distribution sémantique de ces termes a mis en évidence une forte prééminence de la signification « frère de la mère » : environ 30 % des langues étudiées comprennent un mot de la forme (k) aka porteur de ce sens.
30% de 300 ça fait 90 : 90 langues sur 500, soit 18% ont prétendument réussi le test, c'est déjà beaucoup moins significatif. Et quel échantillon est-ce là? Et si sur ces 90 langues la plupart étaient apparentées? Disons que ces 90 langues se répartissent en 3 familles bien établies, ces 90 comptent donc pour 3, ce qui met les statistiques en dessous du seuil de la coïncidence.
De toute façon la procédure d'établissement de la parenté entre les langues nous dit clairement de ne pas utiliser ces mots enfantins, de la parenté ou non, car ils relèvent aussi de mécanismes psycho-cognitifs et d'acquisition de la parole.
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les langues aborigènes d'Australie, ajoute M. Matthey de l'Etang. Or cela est très signifiant puisque cette famille de langues remonte à environ 50 000 à 60 000 ans
Affirmation gratuite et fantaisiste.
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Si, au contraire, on postule qu'une proto-langue n'est apparue chez sapiens qu'au cours de sa dispersion sur la planète, alors « tout devient plus compliqué », explique M. Victorri. « Dans ce cas, il est très difficile d'expliquer pourquoi toutes les langues partagent autant de caractéristiques, poursuit-il. Tous les lexiques du monde ont, par exemple, des propriétés de polysémie - le même mot peut avoir plusieurs sens sans aucun rapport - et de synonymie - un même objet peut être décrit par plusieurs mots distincts. » Des propriétés qui semblent banales au profane mais dont l'indéfectible présence dans toutes les langues humaines trahit, peut-être, leur lointaine parenté.
La réponse est à chercher dans le cerveau humain, dans son système cognitif, et non dans la parenté des langues.
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« Les longues traversées maritimes nécessaires à sa conquête, poursuit M. Coupé, nous renseignent sur les capacités cognitives et sur la complexité des systèmes de communication des premiers sapiens pour, par exemple, construire des embarcations, etc. »
Pure spéculation.
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Pourquoi, dès lors, ne pas réitérer ces recoupements pour tenter de parvenir, par comparaisons successives, à la fameuse langue mère ? Impossible, répondent la grande majorité des linguistes. « Les méthodes de la linguistique historique ne permettent pas de remonter au-delà de 7 000 ou 8 000 ans », explique M. Victorri.
C'est une question qui fait débat chez les linguistes, mais il n'est pas prouvé qu'il soit impossible de remonter au-delà de quelques milliers d'années. Ce qui est vrai c'est qu'on a pas encore trouvé de famille dont l'origine remontait plus loin dans le passé.
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En recherchant, en Afrique australe, à identifier des populations isolées depuis 50 000 à 70 000 ans, Joanna Mountain et Alec Knight, du laboratoire de génétique des populations de l'université Stanford, sont parvenus à la conclusion que sapiens pourrait bien avoir utilisé, en tout premier, une de ces langues « à clic » popularisées par un film des années 1980, Les dieux sont tombés sur la tête...
Là encore c'est très fantaisiste : les clicks n'existent que dans certaines langues d'Afrique, pourquoi toutes les autres les auraient perdues? En d'autres termes, il est impossible de dire que d'autres langues avaient autrefois des clicks.
DESHAYS Yves-Marie a écrit :
On constate qu'au fil de l'évolution des langues, la grammaire de chacune d'elles a tendance à se SIMPLIFIER
C'est faux, les deux tendances inverses existent : on simplifie les irrégularités existantes pour en créer de nouvelles ailleurs.
zheng he a écrit :
Pardon ! Cette idée que les langues altaïques sont plus proches des langues indo-européennes que les langues sémitiques m'a toujours paru étrange.
Les langues altaïques, comme le turc, sont agglutinantes, tandis que les sémitiques comme les indo-européennes sont flexionnelles, ce qui implique un tout autre fonctionnement.
Regardez la syntaxe arabe et la syntaxe turque. Laquelle est la plus éloignée de la syntaxe française ? La turque, sans hésiter. En turc, l'ordre normal des éléments de la proposition est toujours quasiment l'inverse de ce qu'il est en français, alors qu'en arabe il est souvent le même, ou assez proche.
Les langues changent peuvent changer radicalement ex : latin langue à cas avec un ordre sujet-objet-verbe > français sans cas avec ordre SVO.
On voit bien que ça ne prouve rien